Spem in alium numquam habui

Spem in alium numquam habui

Spem in alium

Spem in alium est un motet à quarante voix indépendantes, composé par Thomas Tallis ( c.1505 - 1585).

Bien qu’en latin, ce motet n’est pas vraiment une pièce utilisable lors d’une cérémonie religieuse. Il semble être le chef-d'œuvre, au sens ancien du mot, d’un ouvrier spécialisé de la composition contrepuntique souhaitant passer maître.

Sommaire

Texte[1]

texte en latin texte en français

Spem in alium nunquam habui praeter in te,

Deus Israel,

Qui irasceris, Et propitus eris,
 
Et omnia peccata hominum in tribulatione dimittis.

Domine Deus,
 
Creator coeli et terrae,
 
Respice humilitatem nostram.

Je n’ai jamais placé mon espérance en aucun autre que Toi,

Ô Dieu d’Israël,

Toi dont la colère fait place à la miséricorde,

Toi qui absous tous les péchés de l’humanité souffrante.

Ô Seigneur Dieu,

Créateur de la terre et du ciel,

Considère notre humilité.

Contexte historique

Plusieurs légendes ou suppositions entourent sa création. La légende la plus connue, mais la plus improbable, est celle d’un cadeau de Tallis à sa souveraine Élisabeth Ire d'Angleterre, pour son 40e anniversaire (40 voix pour 40 ans). C’est sans tenir compte du fait que la célébration des anniversaires est une tradition moderne récente. Avant le début du XXe siècle, on fêtait très peu ce jour, marquant en réalité une année de moins dans la vie de la personne, alors que l’espérance de vie était assez courte. Non, s’il avait eu envie de fêter sa reine, Tallis aurait utilisé un texte à la gloire de sainte Élisabeth.

Une autre légende parle d’un ambassadeur italien venu à la cour accompagné d’un musicien se vantant d’avoir écrit une œuvre à 40 voix. Ce musicien s’appelait Alessandro Striggio (le père du Striggio librettiste de L'Orfeo de Monteverdi) et le motet « Ecce beatam lucem »[2]. Certes, la partition est intéressante car utilisant des moyens inconnus des musiciens anglais. En Italie, l’usage des tribunes dans les églises permettant de multiplier les chœurs et les orchestres en réponses a fait éclore un répertoire énorme de chœurs en écho. « Ecce beatam lucem » de Striggio fonctionne de cette façon. La partition est sans doute tombée dans les mains de Tallis.

Beaucoup de points communs entre les deux œuvres : le mode de sol, le nombre de voix, l’ambiance, l’usage des silences… Mais des différences aussi : 10 chœurs à 4 voix chez Striggio, 8 × 5 voix chez Tallis, ce qui change tout puisque les voix sont équilibrées aiguës/graves chez l’un (soprano - alto - ténor - basse) et plutôt graves chez l’autre (les 5 voix de chaque chœur anglais sont S-A-T-Ba-B). Une écriture plus harmonique que contrapuntique pour le motet italien. Tallis, après le second silence, fait entrer les voix sur un accord moderne de RE M, pour souligner le mot « respice » qui prend alors une importance énorme. Les voix, chez Tallis, entrent une par une, formant un cercle vocal autour des auditeurs. D’abord dans un sens (de 1 à 40) puis dans l’autre (de 40 à 1) puis en réponse, alors que chez Striggio, les chœurs ne font que se répondre. Les fausses relations d’octave typiques de l’écriture de Tallis et survivances d’un passé révolu n’existent pas chez Striggio déjà tourné vers le baroque.

La commande probable de cette pièce exceptionnelle est peut–être liée à cette légende de rivalité entre la musique italienne et la musique anglaise mais il se trouve qu’à la même époque, les espions d’Élisabeth ont déjoué un complot mené par les nobles catholiques. La mort attendait les meneurs, quel que soit leur rang. Tallis était catholique mais très apprécié de sa souveraine. On sait par Denis Stevens, musicologue anglais, que Spem in allium fut chanté et joué (certaines voix doublées par les nombreux instruments que possédait le propriétaire de la galerie qui a servi de salle de concert) en 1573 à Arundel House, propriété du duc de Norfolk commanditaire de l’œuvre et catholique convaincu. Quand on considère le texte, il s’agit d’une supplication. On demande à Dieu de considérer nos fautes comme insignifiantes et de faire usage du pardon. Il est issu de l’Ancien Testament et plus particulièrement du Livre de Judith. Judith, veuve riche, belle, jeune et particulièrement intelligente, triomphe du général Holopherne qui menaçait son peuple, en l’enivrant puis en le décapitant. À une époque friande de double sens, comment ne pas voir dans Spem in allium un plaidoyer insistant avec dans le rôle d’Holopherne l’ensemble des conspirateurs catholiques et dans celui de Judith, la grande reine Élisabeth, chef de son Église et représentante de Dieu sur son sol natal ? Voici la théorie la plus cohérente mais aussi la moins connue car plus récente.

On ne sait pas où se trouve l’original de la partition de Spem in allium. Une légende parmi d’autres raconte que John Bull, le compositeur, (c.1562 - 1628) l’aurait vue dans la bibliothèque de la cathédrale de Saint-Omer quelques années après la mort de Tallis, en 1613. Il serait tombé à genoux devant mais on ne sait pas se qu’il s’est passé ensuite. Saint-Omer était sur la route directe Angleterre-Italie. Le manuscrit le plus ancien est en anglais et a servi en 1611 à l’investiture comme prince de Galles d’Henry Stuart. Il est connu sous le nom « Le manuscrit Egerton ». Il se présente sous la forme de feuillets séparés, une voix par feuillet, écrite à la hâte d’une plume pressée.

Interprétations

Les interprétations les plus connues du Spem in Alium sont d’abord celles des Tallis Scholars, qui sont spécialisés dans la musique de la renaissance. Ensuite celle des King's Singers, où les parties ont été enregistrées en plusieurs fois puis superposées, à cause d’un manque d’effectifs (les King's singers ne sont que 6). L’interprétation est uniquement masculine et les parties de soprano et d’alto sont chantées par des contreténors.

Notes et références

  1. Spem in alium nunquam habui écoute du motet en streaming
  2. Ecce beatam lucem écoute du motet en streaming

Liens externes

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