Scientométrie

Scientométrie

La scientométrie est la science de la mesure et l'analyse de la science. Elle a souvent partie liée avec la bibliométrie et peut être considérée à la fois comme une réduction et une extension de celle-ci. Réduction puisquelle napplique les techniques bibliométriques quau champ des études de la science et de la technologie, en comptabilisant les publications scientifiques. Extension puisquelle nanalyse pas seulement les publications mais également des financements, ressources humaines, brevets, etc.

Sommaire

Histoire de la discipline

Article détaillé : Histoire de la scientométrie.

Les premiers travaux de bibliométrie et de scientométrie remontent au début du XXe siècle. Alfred Lotka, Samuel Bradford ou George Kingsley Zipf, énoncent leur lois entre 1926 et 1935. Mais ce nest qu'à partir de 1950 que Derek John de Solla Price fonde véritablement la discipline en théorisant et mettant en pratique lutilisation des articles scientifiques comme indicateurs quantitatifs de lactivité de recherche[1]. Dans la même période, Eugene Garfield développe lidée dutiliser les citations présentes dans les articles scientifiques, cest-à-dire les renvois faits à dautres articles, pour lier les articles entre eux[2]. Le premier volume du Science Citation Index voit le jour en 1963.

Les principaux indicateurs

Les indicateurs décrits ci-dessous peuvent sappliquer à différentes échelles : micro (un chercheur, un groupe), meso (un département, une université) ou macro (une région, un pays, un continent). Ces différentes catégories sont comprises sous lappellation « unité ».

Les indicateurs de production

Dans la plupart des sciences dures, les chercheurs communiquent les résultats de leur travail par des articles dans des journaux scientifiques et certains y voient « le but essentiel de leur activité[3] ». La mesure du nombre darticle publiés constitue donc souvent le premier indice de productivité dune unité. Dans les domaines plus proche du développement, le nombre de brevets est une mesure plus pertinente. Dans un domaine comme linformatique, les actes de conférences sont plus pertinents. Tandis que dans les sciences humaines et sociales, les livres et chapitres de livres prennent une importance beaucoup plus grande.

Ces différents types de publications (outputs) sont toutefois plus ou moins facile à compter. Si les articles publiés dans de nombreuses revues scientifiques sont systématiquement référencés dans les bases de données Web of Science ou Scopus, le référencement des livres pose plus de difficultés. De même, il est nécessaire de définir de manière univoque ce qui relève de la production scientifique de ce qui ne lest pas, ce qui comporte toujours une part darbitraire.

Aux niveaux meso et macro, le nombre de doctorats délivrés est également une mesure intéressante de lactivité scientifique.

Les indicateurs d'impact

Les indicateurs dimpact se fondent essentiellement sur les citations entre articles, considérées comme représentatives de lactivité scientifique en action. Cette idée se base notamment sur la sociologie structuro-fonctionnaliste de Merton, pour qui la science se caractérise par son universalisme, sa justice et son auto-régulation. Dans ce champ et cette communauté, les scientifiques « qui ont le mieux rempli leur rôle » sont récompensés (reward system) en étant reconnus par leurs pairs. Cette reconnaissance passe notamment par les citations que les chercheurs font du travail de leurs pairs, signes dune dette intellectuelle mue par lauto-régulation de la communauté.

Cette vision du rôle intrinsèquement lié à lactivité scientifique des citations se retrouve aussi chez le sociologue des sciences Bruno Latour, qui met laccent sur les stratégies rhétoriques de lécriture scientifique et le rôle central des citations venant appuyer et confirmer le discours :

La présence ou labsence de références, de citations et de notes de bas de page est un signe si sûr du sérieux dun texte que lon peut en partie transformer un fait en fiction ou une fiction en fait simplement en retranchant ou en ajoutant des références[4].

Dans ces deux visions, mais aussi dans la vision communément admise de la science, celle-ci fonctionne en réseau, lequel passe par les citations et références qui permettent de relier les articles entre eux et par , les chercheurs, les programmes, les institutions.

Ces explications viennent légitimer le constat du fondateur du Science Citation Index Eugene Garfield :

Presque tous les articles, notes, revues, corrections et correspondances publiésdans les journaux scientifiques contiennent des citations. Ils citent (généralement par titre, auteur, date et lieu de publication) les documents qui soutiennent, précèdent, illustrent ou élaborent ce que lauteur a à dire[5].

Le nombre de citations reçues, mesuré au niveau micro, meso ou macro, a longtemps été lindicateur roi de la bibliométrie en ce quil permet simplement destimer limpact ou linfluence d'une unité, et donc dobjectiver sa valeur. Il est également à la base de lalgorithme du moteur de recherche Google, le PageRank (basé sur les liens hypertextes reliant les pages web), lequel sert aujourdhui à des classements dimpact des institutions de recherche sur internet comme le Ranking Web of World Universities.

Aujourdhui, dautres indicateurs dinfluence se développent à partir de lusage qui est fait des articles (nombre de consultations ou de téléchargements). Cette notion dusage est moins équivoque que celle dimpact, voire dinfluence qui est aujourd'hui au centre de lattention. La notion de reconnaissance émerge également comme alternative[6].

Le facteur d'impact

Article détaillé : Facteur d'impact.

Le facteur dimpact est une mesure dimpact à léchelle dune revue : il quantifie le nombre moyen de citations reçues par un article de cette revue dans les deux ans suivant sa publication. Cet indicateur est la propriété de Thomson Reuters, qui le calcule chaque année depuis plusieurs décennies pour plus de 5 000 revues scientifiques de la base Science Citation Index, allant de lastronomie à la géologie en passant par les mathématiques et la recherche médicale. Les sciences humaines sont concernées par deux autres bases de données du même éditeur, le Arts and Humanities Citation Index et le Social Sciences Citation Index. Celles-ci sont pourtant beaucoup moins utilisées en bibliométrie parce que leur couverture est plus discutable et parce que dans ces disciplines, les articles scientifiques jouent un rôle moins prépondérant que dans les sciences dites dures.

Les indicateurs composites

L'indice h

Article détaillé : Indice h.

En 2005, Jorge Hirsch, un physicien, a proposé lindice h comme indicateur composite de la production scientifique et de la visibilité. Un chercheur aura un h-index égal à N sil a publié au moins N articles cités au moins N fois. Cette définition donne un faible indice aux chercheurs qui publient énormément darticles mais ne sont presque jamais cités ainsi quaux chercheurs qui ont publié de manière exceptionnelle un article extrêmement cité. En conséquence, lindice h dun chercheur ne peut jamais diminuer, même si sa production a chuté ou sest arrêtée.

Selon Yves Gingras, lindice h a peu dutilité au niveau individuel car « il est en fait fortement corrélé au nombre total darticles et est ainsi redondant[7] ». Il note toutefois que son utilisation de plus en plus courante est avant tout le fait des chercheurs eux-mêmes.

Les indicateurs de moyens

Les indicateurs de moyens (inputs) sont des indicateurs scientométriques non bibliométriques. Ils sappuient sur des données de budgets et de ressources humaines obtenues à léchelle meso ou macro, en particulier sous légide de lOCDE.

DIRD et DNRD

La DIRD est la dépense intérieure de recherche et développement. La DIRD correspond à la R&D exécutée en France quelle que soit lorigine des financements (publics ou privés, français ou étrangers). On note DIRDA la R&D exécutée par les administrations, DIRDE celle par les entreprises.

La DNRD est la dépense nationale de recherche et développement en France. Elle correspond au financement, par des entreprises ou des administrations françaises, des travaux de recherche réalisés en France ou à létranger. On note DNRDA les dépenses des administrations, DNRDE celles des entreprises.

La différence entre la DNRD et la DIRD correspond au flux de financement vers létranger : organisations internationales telles que l'Organisation européenne pour la recherche nucléaire (CERN) ou lAgence spatiale européenne (ESA), Programme-cadre pour la recherche et le développement technologique (PCRD).

Crédits budgétaires publics de R&D

Les crédits budgétaires publics de R&D (CBPRD) sont la part du budget de lÉtat affectée à la R&D. Cette mesure est utilisée dans les pays de lOCDE. Elle est définie de la manière suivante :

Les CBPRD couvrent non seulement la R&D financée par lÉtat et exécutée dans des établissements publics, mais également la R&D financée par lÉtat et exécutée dans les trois autres secteurs nationaux (entreprises, institutions privées sans but lucratif, enseignement supérieur) et aussi à létranger (y compris les organisations internationales)[8].

Utilisation de la bibliométrie et de la scientométrie

Ces deux disciplines gagnent de limportance sous leffet de plusieurs facteurs : la disponibilité de base de données de plus en plus complètes, lutilisation accrue des outils de management dans ladministration de la recherche, la mondialisation du « marché » de lenseignement supérieur.

Évaluation de la recherche

Elle est utilisée par les organismes finançant la recherche comme outil dévaluation et comme aide à la décision en ce qui concerne les politiques de recherche.

Gouvernance de l'enseignement supérieur

La bibliométrie est utilisé par les universités ou les gouvernements pour déterminer leurs forces et faiblesses dans le domaine de la recherche et orienter ainsi leurs actions.

Les liens que tissent la statistique avec la politique sont multiples. Ils vont de la compréhension des phénomènes sur lesquels on veut intervenir (théorique) à l'évaluation des actions gouvernementales (pratique), sans oublier la promotion des efforts nationaux (symbolique)[9].

Les classements d'universités

Article détaillé : palmarès universitaires.

Sappuyant sur un ou plusieurs des indicateurs énoncés auparavant, les classements duniversités sont sans doute lapplication la plus visible de la scientométrie. Les deux classements internationaux les plus médiatiques sont :

La sociologie des sciences

La bibliométrie est utilisée par les sociologues des sciences pour étudier lactivité des scientifiques, lapparition et lautonomisation de disciplines, limportance temporelle de certains champs ou encore les liens que différentes disciplines tissent entre elles.

Les acteurs

Les bases de données

Les trois principales bases de données bibliométriques sont la propriété dacteurs privés : Thomson Reuters, Elsevier et Google. Les deux premiers, ainsi que des tiers, ont développé plusieurs outils danalyse autour de ces bases de données[10]

Thomson Reuters (ISI Web of Science)

LInstitute for Scientific Information (ISI) créé en 1960 par Eugene Garfield a été acquis par Thomson Scientific & Healthcare en 1992 et a porté le nom de Thomson ISI. Suite à la fusion avec Reuters en 2008, la compagnie fait maintenant partie de la Thomson Reuters Corporation.

LISI a développé son activité autour de sept bases de données de publications scientifiques et de leurs citations. Les trois premières recensent les articles et leurs citations : Science Citation Index (SCI), Social Sciences Citation Index (SSCI) et Arts and Humanities Citation Index (A&HCI). Ensemble, ce sont plus de 9 700 journaux qui sont entièrement couverts, dont 70% dans les sciences naturelles, et autant qui sont partiellement couverts[11]. Les citations remontent à 1900. Les critères de sélections des revues sont assez restrictifs et se basent sur le nombre de citations reçus. De par ses critères de sélection, ces bases de données ont un fort biais anglophone.

Les actes de conférences sont couverts par deux bases de données : Conference Proceedings Citation Index - Science (CPCI-S) et Conference Proceedings Citation Index - Social Sciences & Humanities (CPCI-SSH). Enfin, deux bases de données sont consacrées à la chimie : Index Chemicus (IC), Current Chemical Reactions (CCR-Expanded).

ISI a développé de nombreux produits destinés à lexploitation de ses bases de données :

  • Web of Science : interface web qui permet danalyser les citations dune personne, dun groupe, dun article ou dun journal,
  • Journal Citation Report : classement des journaux par facteur d'impact, différentes métriques sur les journaux,
  • Essential Science Indicators et ScienceWatch : classements dinstitutions, dauteurs, de pays ou de journaux, liste des articles les plus cités, liste des sujets les plus « chauds », etc.
  • InCites : outils de benchmarking à lusage des institutions,
  • ResearcherID : un numéro unique par auteur, pour distinguer les travaux de personnes ayant une homonymie ou pour suivre le travail dune personne ayant changé de nom.

Elsevier (Scopus)

Article détaillé : Scopus (Elsevier).

Léditeur Elsevier a lancé, en 2004, une base de donnée concurrente à celles dISI, sous le nom de Scopus. Celle-ci a rapidement rattrapé son retard et référence maintenant 16 500 journaux scientifiques (y compris plus dun millier en accès livre), 600 publications industrielles, 350 collections douvrages, ainsi que plusieurs millions d'actes de conférences[12]. Les citations remontent à 1996 seulement pour la moitié des articles référencés. Par rapport à ses compétiteurs, Scopus offre une plus grande couverture des Sciences Humaines et Sociales et des journaux non anglophones[13].

Elsevier a développé deux produits destinés à lexploitation de ses bases de données :

  • Scopus.com : interface web qui permet danalyser les citations dune personne, dun groupe, dun article ou dun journal;
  • SciVal Spotlight : outils de benchmarking (analyse comparative) à lusage des institutions.

Par ailleurs, en se basant sur Scopus, Scimago ou eigenfactor.org sont des sites web libres daccès qui permettent de classer des journaux ou des pays.

Google (Google Scholar)

Article détaillé : Google Scholar.

Filiale du géant Google, et basé sur le même principe, Google Scholar a été lancé en version beta fin 2004 et référence les articles scientifiques. Daccès libre, Google scholar semble plus complet que ses compétiteurs mais il est actuellement impossible de savoir ce qui est inclus ou non dans cette base de données. De nombreuses erreurs ou doublons ont été relevés[14].

À partir de Google Scholar, le logiciel Publish or Perish permet de calculer quelques indicateurs bibliométriques par auteur, journal ou article. Il existe également un plugin au navigateur Firefox qui a des fonctions relativement identiques : Tenurometer.

Autres

Dautres bases de données, souvent financées par de largent public et libre accès, sont souvent utilisées dans des domaines spécialisés :

  • Spires pour la physique,
  • Medline pour les sciences de la vie et les sciences biomédicales,
  • CiteSeer pour linformatique et les sciences de l'information.

Les acteurs publics

Les articles scientifiques ne constituent pas le canal de diffusion principal dans les Sciences Humaines et Sociales (SHS) les monographies par exemple prennent une importance beaucoup plus grande que dans les sciences naturelles. Les méthodes bibliométriques actuelles sont donc peu adaptées à ces disciplines. La volonté dévaluer les performances des acteurs de la recherche en SHS a donc conduit des organismes publics à chercher des alternatives à la bibliométrie.

La fondation européenne de la science

Crée en 1977, La fondation européenne de la science (en anglais European science foundation, ESF) est une association regroupant 77 organisations scientifiques de 30 pays européens. Son objectif est de promouvoir la recherche scientifique et daméliorer la coopération européenne dans ce domaine, démettre des avis sur des questions scientifiques stratégiques, dencourager la mobilité des chercheurs, daméliorer la mutualisation des moyens.

Dans ce cadre, lESF a mis en place en 2007 un classement des revues dans le domaine des humanités[15]. Appelé « European Reference Index for the Humanities » (ERIH), ce classement est établi par un panel dexperts. Il classe les revues en trois catégories en fonction de leur importance perçue.

Devant la menace de 61 comités de publication de revues de sciences humaines et sociales, la fondation a décidé, en janvier 2009, de retirer les lettres (A, B et C) de son classement. Celles-ci seront remplacées par des descriptions écrites[16].

La critique des indicateurs quantitatifs

Certaines des personnes qui élaborent les indicateurs décrits ci-dessus en soulignent les limites. Par exemple, les auteurs du classement de Shanghai concèdent lexistence dun biais en faveur des pays anglophones et des institutions de grande taille, ainsi que les difficultés à définir des indicateurs adéquats pour classer les universités spécialisées dans les sciences sociales[17]. Le rapport de lInstitut national de recherche en informatique et en automatique (INRIA) sur le sujet considère que les critères bibliométriques, quantitatifs, ne sauraient remplacer lévaluation par les pairs, qualitative, et souligne un certain nombre deffets pervers de ceux-ci dès lors quon leur accorde trop d'importance :

Si les indicateurs peuvent donner des tendances sur un nombre réduit daspects de la vie scientifique, il convient dêtre très circonspect dans leur usage en raison de la possibilité dinterprétations erronées, des erreurs de mesure (souvent considérables) et des biais dont ils sont affectés. Un usage abusif des indicateurs est facilité par la nature chiffrée du résultat qui introduit la possibilité détablir dans lurgence toutes sortes de statistiques, sans se préoccuper den analyser la qualité et le contenu, et en occultant lexamen dautres éléments de la vie scientifique comme, par exemple, linnovation et le transfert intellectuel et industriel. Les constatations et les recommandations les plus importantes sont les suivantes :

  1. on pourra constater que les erreurs de mesure dans la recherche de citations sont très importantes (…). Nous recommandons donc fortement de multiplier les sources, de faire une analyse critique des résultats (en particulier en faisant appel à des experts des domaines) et de sattacher, au plus, aux ordres de grandeur des indicateurs.
  2. nous recommandons dutiliser la littérature bibliométrique pour cerner la signification réelle des indicateurs et leur biais.
  3. les indicateurs ne donnent quune vue partielle et biaisée de certains aspects de la vie scientifique, sans en recouvrir lensemble. Ils doivent donc être complétés, corrigés et commentés par des spécialistes du domaine scientifique et interprétés sils sont utilisés dans le cadre dune évaluation ou dune prise de décision.
  4. nous recommandons de ne jamais utiliser des indicateurs pour effectuer des comparaisons entre domaines scientifiques différents.
  5. le principe des indicateurs reposant sur une analyse des citations est peu favorable à la prise de risques scientifiques et à linnovation. Une utilisation abusive (voire pire, automatisée) serait un frein majeur à linnovation.
  6. les indicateurs chiffrés sont très facilement manipulables par les individus, les institutions et dautres acteurs de la vie scientifique (comme les journaux). Le nombre de manipulations augmentent, ce que lon peut corréler à leffet croissant de linfluence des indicateurs[18] »

Critique de l'évaluation individuelle des chercheurs par la bibliométrie

De plus en plus utilisés pour évaluer les chercheurs, les indicateurs quantitatifs se heurtent à une forte critique due à leur manque de cohérence lorsquils sont appliqués au niveau individuel. Le fait quun même chercheur puisse recevoir des mesures dimpact différentes selon les indicateurs et les bases de données bibliographiques utilisés[19] pose de nombreux problèmes quant à leur utilisation et à la définition dune norme de qualité.

Une des critiques les plus paradoxales vient peut-être de Laurence Coutrot, qui rappelle les processus de filtrage successifs nécessaires avant la publication dun article, processus de filtrage qui passent par lévaluation par les pairs (comités de revues, etc.): « une fraction variable de ces manuscrits arrive à publication, un sur dix ou un sur vingt, parfois moins. Enfin, un article publié peut, par une série de processus sociaux que lon connaît fort mal, parvenir à être cité. La citation est une mesure raisonnable de la visibilité dun résultat scientifique. Quand bien même lon voudrait départager les chercheurs qui travaillent de ceux qui « ne travaillent pas » (à supposer que cette expression ait un sens), le critère de citation est une mesure bien rustique. Sous des parures dobjectivité, cet indicateur réintroduit en fait ce quil prétendait éliminer ; cest-à-dire, le jugement par les pairs[19]. »

Par ailleurs, la bibliométrie ne peut prétendre quà lanalyse dune des facettes du métier de chercheur. Elle laisse de côté lenseignement, la vulgarisation, les services à la cité, la valorisation ou encore les services à la communauté (participation à des jurys, à des comités de lecture, etc.). De nombreux facteurs peuvent donc expliquer un faible nombre de publications. Par exemple, un chercheur qui travaille beaucoup dans le cadre de contrats en relation avec des industriels peut avoir du mal à publier autant quil le souhaiterait pour des raisons de confidentialité.

« Publier ou mourir »

La bibliométrie incite les chercheurs à publier plus, selon le principe publish or perish. Le risque est ici que les chercheurs se préoccupent plus détoffer leur palmarès de publications (qui détermine leur carrière : possibilités de promotion, mais aussi, dans certains cas, paye ou continuité de leur emploi) que de réaliser des travaux scientifiquement intéressants.

On constate alors diverses dérives dues au désir daugmenter le nombre de publications, par exemple :

  • le psittacisme : le chercheur publie la même idée dans plusieurs « papiers », profitant du fait que les évaluateurs des différentes publications nont pas lu leurs travaux précédents ;
  • le saucissonnage (salami effect: la même idée est découpée en plusieurs tranches, chacune publiée séparément[19],[18] ;
  • lauto-citation malicieuse[18] ;
  • le frein à la prise de risque et la pénalisation de la recherche de pointe[18] ;
  • le plagiat et la falsification de résultats[20].

Comme toute technique de mesure, la bibliométrie devient sujette à manipulation, dautant plus facilement que son fonctionnement est connu.

Variabilité du nombre de publications chez les scientifiques célèbres

Les critiques de la bibliométrie mettent parfois en avant une grande variabilité du nombre de publications chez les scientifiques réputés. Des scientifiques de premier plan comme Albert Einstein ou Louis de Broglie nauraient, dans lensemble, que peu publié, malgré leur influence considérable sur la science. Ceci viendrait démontrer le peu de fiabilité des indicateurs bibliométriques. Il importe de considérer ce qui est cité de l'auteur de son vivant ou après son décès. Ainsi, concernant Einstein, « voici ce que dit le ISI web of knowledge : Environ 160 articles, h-index = 49, nombre de citations proche des 20 000 », mais le nombre de ces citations date, lui... de 2009[21].

L'évaluation est plus délicate encore dans les sciences humaines et sociales. Par exemple, selon le philosophe Olivier Boulnois, « sur les quatre tomes des Dits et Écrits de Michel Foucault, il ny a peut-être pas cinq articles publiés dans des revues classées A[22] » Cette critique montre que la mesure de la science doit suivre au plus près les pratiques de recherche et publications scientifiques et évoluer avec elles (les exemples donnés ici appartiennent en effet à un contexte scientifique différent de celui daujourd'hui).

Critique du « facteur d'impact » ?

Article détaillé : Facteur d'impact.

Lusage du « facteur dimpact » des journaux pour lévaluation de la qualité des articles et des chercheurs est très sujet à caution.

Si le facteur dimpact est censé mesurer limportance dun journal pour la communauté scientifique, il est erroné de conclure quun article publié dans un journal à fort facteur dimpact est forcément de meilleure qualité quun papier dans un journal à facteur dimpact plus faible. Étant donné la distribution très asymétrique des citations, le facteur dimpact (qui est une valeur moyenne) dun journal est un mauvais prédicteur du nombre de citations que recevra un article publié dans ce journal.

Dautre part, le facteur dimpact, comme tout indicateur basé sur les citations, dépend énormément des habitudes de citations et du nombre de chercheurs dans le domaine considéré. Ainsi, la longue demi-vie des citations en mathématiques désavantage fortement les journaux de cette discipline par rapport à dautres les citations se font beaucoup plus rapidement. En informatique, les compte-rendus de conférence prennent une grande importance. Dans le champ des sciences humaines et sociales, les articles recensant des ouvrages font lobjet d'un plus grand nombre de citations référencées que les ouvrages eux-mêmes.

Par ailleurs, la politique éditoriale de certains journaux renommés (comme Science ou Nature) met en jeu des critères extra-scientifiques, comme le côté « sensationnel » dune publication. Lusage du nombre de citations favorise les publications « dans lair du temps ». Dune manière générale, un journal dédié à des sujets originaux ou émergents mais qui ne seraient pas « à la mode » est défavorisé par la fenêtre de mesure de deux ans[18].

Enfin, de nombreuses revues ont été accusées de gonfler artificiellement leur facteur dimpact, en augmentant le nombre de recensions ou encore en incitant fortement leurs auteurs à citer dautres articles de la même revue.

Le coût

Le coût daccès aux outils payants est élevé et varie dune institution à lautre en fonction du nombre dutilisateurs ou du nombre darticles référencés. On ne connaît pas le coût du contrat passé entre le CNRS et des organismes subsidiaires avec Thomson Reuters[19]. LINRIA (Institut national de recherche en informatique et en automatique) dépense 7 000 euros par an pour pouvoir avoir accès au Science Citation Index Expanded (jusquaux articles de 1991) et au Journal of Citation Report[18]. Le rapport de lINRIA conclut donc, à ce sujet, que « Laccès aux sources payantes est donc relativement onéreux alors que nous avons vu que le taux de couverture imparfait de ces outils devrait amener à multiplier les sources pour établir de manière raisonnable les indicateurs demandés et/ou pour contrôler les biais méthodologiques des calculs des indicateurs. De plus pour le cas particulier de lINRIA létude préliminaire […] montre que les résultats obtenus via les sources payantes sont bien plus médiocres que ceux obtenus à laide des outils gratuits. Dans un autre domaine il serait a fortiori pernicieux que les indicateurs soient utilisés pour guider les choix des abonnements dans les centres de documentation[18]. »


Voir aussi

Références

  1. Xavier Polanco, « Aux sources de la scientométrie » sur biblio-fr.info.unicaen.fr
  2. E. Garfield, Citation indexes for science: a new dimension in documentation through association of ideas, Science, 1955;122:108-111
  3. Bruno Latour et Steve Woolgar, La Vie de laboratoire. La production des faits scientifiques, Paris : La Découverte, 1996
  4. Bruno Latour, La Science en action, Paris : Gallimard Folio, p. 87
  5. E. Garfield, 1979 Citation Indexing - Its Theory and Application in Science,Technology, and Humanities. Publisher John Wiley & Sons, Inc. 1979. Reprinted by ISI Press, Philadelphia, USA. 1983
  6. C. Lee Giles et Isaac G. Councill. Who gets acknowledged: Measuring scientific contributions through automatic acknowledgment indexing. In Proceedings of the National Academy of Sciences 101(51):1759917604, 21 décembre 2004
  7. Yves Gingras, La fièvre de lévaluation de la recherche, Centre universitaire de recherche sur la science et la technologie, mai 2008
  8. Manuel de Frascati, Définition 485, p. 161 de l'édition 2002
  9. Godin B., Pour une sociologie de la statistique sur la science et l'innovation, Canadian Science and Innovation Indicators Consortium (CSIIC), Working Paper n°26, 2004.
  10. [PDF] Bibliometrics - an introduction, University College Dublin Library, 2009
  11. (en) Description de la base de donnée ISI
  12. Informations sur Scopus
  13. J. Schöpfel et H. Prost, « Le JCR facteur dimpact (IF) et le SCImago Journal Rank Indicator (SJR) des revues françaises : une étude comparative », in Psychologie française 54 (2009) 287305
  14. Péter Jacsó, « Google Scholars ghost authors », dans Library Journal, vol. 134, no 18, 2009, p. 26 - 27 
  15. Présentation de l'ERIH
  16. LERIH retire son classement par lettres des revues (22 janvier 2009), Sauvons l'Université (avec lien vers Index of journals scraps controversial grades, The Times of Higher Education, 22 janvier 2009)
  17. N. C. Liu et Y. Cheng, « Academic Ranking of World UniversitiesMethodologies and Problems », Higher Education in Europe, 30, 2, 2005 ainsi que M. Zitt et G. Filliatreau, « Big is (made) Beautiful », Première Conférence internationale sur les universités de classe mondiale, Shanghai, juin 2005.
  18. a, b, c, d, e, f et g [PDF]Que mesurent les indicateurs bibliométriques ?, document d'analyse de la Commission d'évaluation de l'INRIA, Préparé par A-M. Kermarrec, E. Faou, J-P. Merlet (rapporteur), P. Robert, L. Segoufin. Validé par la Commission dÉvaluation du 12 septembre 2007.
  19. a, b, c et d Laurence Coutrot, Sur lusage récent des indicateurs bibliométriques comme outil dévaluation de la recherche scientifique, Bulletin de méthodologie sociologique, octobre 2008, n°100, p.45-50
  20. (en) Jane Qiu, « Publish or perish in China », dans Nature, vol. 463, 2010, p. 143-143 [lien DOI] 
  21. Le h-index d'Albert Einstein sur rachelgliese.wordpress.com
  22. Olivier Boulnois, « Lévaluation automatisée en sciences humaines », 22 octobre 2008

Bibliographie

Lien externe


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