- Revolte de Horea, Closca et Crisan
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Révolution transylvaine de 1784
La Révolution transylvaine de 1784 est un mouvement de révolte, accompagné de revendications sociales et débouchant sur des combats, suivis d'une répression mais aussi des réformes, de la paysannerie serve, des métayers, des mineurs de fond et de la petite bourgeoisie de Transylvanie, alors partie de l'Empire d'Autriche. Ce mouvement a été en partie inspiré par un texte, le Supplex libellus valachorum. La révolution commença dans la région de Zarand le 2 novembre 1784, mais s'étendit bientôt dans tous les monts Apuseni. Les principales doléances des insurgés portaient sur l'abolition du servage, et sur le manque d'égalité de droits politiques entre les Roumains et les autres groupes ethniques de Transylvanie (Saxons, Magyars, Sicules).
Les chefs de la révolution sur le terrain étaient Horea (Vasile Ursu Nicola, né en 1731), Cloşca (Ion Oargă, né en 1747) et Crişan (Marcu Giurgiu, né en 1733).
La révolution prit fin le 28 février 1785 à Dealul Furcilor (la colline des fourches), à Alba Iulia et les chefs furent ultérieurement capturés. Horea et Cloşca furent suppliciés sur la roue, Crişan se pendit la nuit précédant l'exécution.
Sommaire
Contexte
En 1783, la bourgeoisie européenne est pénétrée depuis quelques décennies par l'esprit des Lumières. La victoire des insurgents américains et les aventures de La Fayette ont un grand écho. A ce moment, la Transylvanie est une principauté de l'Empire des Habsbourg depuis presque deux cent ans. Elle n'est plus gouvernée par des voïvodes autochtones, mais par des gouverneurs nommés par Vienne (celui du moment est Samuel von Brückenthal, le dernier sera un français d'origine : Louis Folliot de Crenneville). Ceux-ci y font régner un régime militaire.
La paysannerie, majoritairement "valaque" (roumanophone), devait la dîme sur toutes ses productions, d'écrasants impôts sur le sel, et la au moins la moitié des six jours ouvrables par semaine (quatre jours pour le travail manuel, trois pour le travail avec des bêtes de somme). Les métayers en devaient deux. En outre, tous étaient astreints à des réquisitions au profit des fonctionnaires impériaux en mission ou des unités militaires de passage.
L'aristocratie, majoritairement magyare, et la haute bourgeoisie, majoritairement allemande, y détiennent tous les pouvoirs civils, juridiques, militaires et économiques, ainsi que la quasi-totalité des terres et des biens immobiliers. Ces catégories prélèvent des pourcentages sur l'extraction des minérais et leur transport, au détriment des corporations des mineurs. En outre, elles s'étaient arrogé le monopole de la pêche, de la chasse et des moulins, et faisaient payer le pâturage et le transport du bois, alors qu'avant le régime autrichien, ces activités étaient des franchises des paroisses.
Sur le plan religieux, la principauté de Transylvanie n'avait longtemps reconnu que les églises catholique et réformées, jusqu'à ce que l'impératrice Marie-Thérèse émette un décret de tolérance en faveur des orthodoxes, majoritaires. Toutefois, la tolérance religieuse n'atténue en rien les clivages sociaux et économiques.
Le fils de Marie-Thérèse (et frère de Marie-Antoinette, reine de France), Joseph II, s'est rendu en Transylvanie alors qu'il était prince héritier, en 1773. Il reçut alors près de 19.000 cahiers de doléances, et encore autant lors de son second voyage, en 1783. Un métayer revenu du service militaire, Vasile Ursu Nicola, surnommé "Horea" (né en 1731), le paysan Marcus Giurgiu surnommé "Crişan" (né en 1733) et un petit propriétaire de mine, Ion Oargă surnommé "Cloşca" (né en 1747) ont été les porte-parole du mouvement d'émancipation inspiré par le Supplex libellus valachorum, qui présente des principes analogues à ceux des insurgents américains de 1783 et des révolutionnaires français de 1789[1]. C'est pourquoi en Roumanie on appelle la révolution transylvaine : la révolte de Horea, Cloşca et Crişan. Entre 1773 et 1783, ils se sont rendus quatre fois à Vienne pour présenter à Joseph II, réputé monarque éclairé (par l'esprit des Lumières) les cahiers de doléances du peuple transylvain (le dernier voyage datant d'avril 1784). Sans résultats, Joseph II ne voulant pas s'aliéner l'aristocratie et la grande bourgeoisie[2].
Toutefois, pour canaliser le mécontentement, l'été 1784, Joseph II décrète une conscription militaire, au profit des régiments de garde-frontières qui exemptaient les conscrits de toute corvée et les rendait propriétaires de leurs maisons et lopins de terre à la fin du service (les aristocrates propriétaires étant dédommagés par l'état sur le budget militaire). La mesure provoque un afflux extraordinaire de ruraux désireux de s'engager, et le gouverneur Samuel von Brückenthal, cédant aux instances des aristocrates, qui voyaient se vider leurs domaines, bloque l'application du décret[3].
Déroulement
En octobre 1784, dans les Monts Apuseni, "Crişan" et "Horea" à la tête de 500 à 600 paysans serfs, prennent le parti de marcher sur Alba Iulia pour s'engager dans les troupes impériales. Ils sont porteurs d'une proclamation de fidélité à l'empereur. Ils contournent les villes, évitent les grands chemins pour ne pas se heurter aux hussards des aristocrates magyars, et campent pour la nuit dans de petits villages tels Curechiu (Judeţ de Hunedoara)[4].
À Curechiu, ils subissent une attaque nocturne des hussards, mais l'expérience militaire de "Horea" et la configuration du terrain permet de la repousser, et de s'emparer de quelques armes. Les candidats à l'engagement décident alors de rebrousser chemin, mais les hussards leur tendent plusieurs embuscades, et des escarmouches s'ensuivent. La troupe de candidats à l'engagement grossit, et de chasseurs, les hussards deviennent chassés. Les hussards se réfugient le 3 novembre 1784 au château de Kristyory (Crişcior en roumain), poursuivis par les candidats à l'engagement qui, instruits militairement par "Horea", prennent le château et s'emparent dans la foulée de plusieurs autres châteaux, ralliant à eux les villages des environs [5].
À partir du 4 novembre, c'est déjà une révolution : les insurgés, organisés en régiments, ne songent plus à s'engager, mais à s'émanciper par eux-mêmes, et ils prennent et brûlent les châteaux par dizaines, chassant devant eux les aristocrates, leurs hussards et leurs maisonnées, du centre de la Transylvanie jusqu'à la frontière avec la Valachie.[6]. Ils encerclent la ville de Deva, où s'étaient regroupés les nobles, leurs familles et leurs hussards[7]. Une nouvelle proclamation des insurgés déclare la République du peuple de Transylvanie, l'abolition du servage et des privilèges, l'égalité de tous les Transylvains devant la loi et l'impôt, le retour aux franchises paroissiales, et exige la libération des insurgés prisonniers. Elle promet la vie sauve et le respect des propriétés de quiconque hissera pavillon blanc, et la mort et la confiscation des biens aux autres. [8]
La révolution embrase non seulement la Transylvanie (où elle rallie à elle la majorité des paysans et artisans de toute religion et langue : orthodoxes, catholiques, protestants ; roumains, magyars, allemands), mais aussi les régions voisines de la Crişana et de la Marmatie. Aristocrates et hussards hissent les drapeaux blancs, se rendent, demandent l'armistice, et Joseph II voit les provinces orientales de son empire échapper à son autorité. Il y dépêche l'armée impériale, mais les insurgés, qui se sont emparé des arsenaux des hussards et des régiments de gardes-frontières ralliés à leur cause, remportent des victoires les 27 et 29 novembre 1784 à Lupşa et à Râmeţ, dans le centre de la Transylvanie.
Toutefois, le 7 décembre, les révolutionnaires sont défaits à Mihăileni (Judeţ de Hunedoara), et "Horea" ordonne la dispersion en vue d'une guérilla hivernale, demandant aux insurgés de garder armes et munitions, et de former des maquis dans la montagne, lui-même se proposant de négocier une trêve, une amnistie et un compromis politique sur la base du Supplex libellus valachorum. Mais les aristocrates regroupent leurs forces, réinvestissent leurs domaines et mettent la tête de "Horea", "Cloşca" et "Crişan" à prix pour 300 thalers chacun. Les cols vers la Moldavie et la Valachie sont rigoureusement surveillés. Le gouvernement de Vienne intervient jusqu'à Constantinople, pour que l'Empire ottoman n'accorde pas asile aux révolutionnaires [9]. La mise à prix fonctionne : "Horea" et "Cloşca" sont signalés et pris le 27 décembre 1784, "Crişan" le 30 janvier 1785. Ils sont emprisonnés à Alba Iulia, où l'on fit leurs portraits, les seuls que l'on ait d'eux.
Une commission d'enquête, présidée par le baron Anton Janković, et dont les documents servent de base aux historiens modernes, rassemble témoignages, plaintes et récits, et prononce par trois fois la plus lourde des peines du Codex Theresianum en vigueur dans l'Empire d'Autriche : la peine de mort par estrapade sur la roue. "Crişan" s'étant pendu avec ses lacets en prison, Horea et Cloşca subiront le supplice le 28 février 1785 à Alba Iulia. Une foule de 2500 à 3000 serfs d'environ 400 paroisses du centre de la Transylvanie, trois jeunes et trois vieux par paroisse, encadrés par un escadron de cavalerie de Toscane et par 300 hussards, est obligée d'assister au supplice. La foule crie et se lamente, audible de loin, comme le rapporte le Mercure de France de mars 1785. Les corps suppliciés sont coupés en morceaux, lesquels sont exposés sur des pieux aux sorties de la ville [10].
Suites de la révolution transylvaine
Ce traitement médiéval, en pleine époque des Lumières, révulse les opinions, mais reflète la peur des privilégiés face à un mouvement aussi soudain qu'inattendu, et aussi radical qu'unanime. Joseph II réalise que pour consolider son autorité et rétablir l'ordre social, il lui faut donner des gages à la fois aux privilégiés, et aux opprimés.
Il émet alors plusieurs décrets. Le premier, répressif, décide la déportation vers le Banat et la Bucovine de toutes les familles “valaques” ou autres, dont on est sûrs que leurs membres ont commis des déprédations, avec leurs outils et leurs bêtes. C'était une manière de séparer ces "mauvais serfs" de leurs "mauvais maîtres", les premiers se trouvant de facto libérés du servage dans leurs paroisses d'accueil (il n'y avait pas de servage au Banat et en Bucovine), et les seconds se trouvant débarrassés de rebelles à craindre, mais également privés de main d'oeuvre, donc pénalisés d'en avoir abusé, et par conséquent, pas en position de contester le bien-fondé des autres décrets de Joseph II. Ces autres décrets rétablissent la liberté et la gratuité du pâturage, la gratuité du droit de passage et de transport sur les routes transylvaines, et abolissent le droit de cuissage et surtout le servage (août 1785). En outre, les serfs libérés se voient ouvrir le droit d'inscription dans les écoles impériales (auparavant, ils ne pouvaient apprendre qu'auprès de leurs popes, pour la plupart, tout juste lettrés).
La 'Révolution transylvaine de 1784 a eu un large écho en Europe et jusqu'aux États-Unis, des journaux tels le Mercure de France en ont rendu des comptes détaillés et ont publié les différentes proclamations. Joseph II lui-même n'est pas le dernier à rendre publics les évènements, pour asseoir son image de despote éclairé capable de réagir à une révolution par des réformes[11].
Bibliographie
- Octavian Beu: La révolution de Horea 1784-1785, Bucarest 1935,
- Octavian Beu: Bibliographie de la révolution de Horea, Sibiu 1944,
- Nicolae Edroiu: L'écho européen de la révolte de Horia, Cluj 1976,
- Alexandru Sterca-Şuluţiu: Histoire de Horea et du peuple valaque de Transylvanie, manuscrit publié in: Sources sur la révolte de Horea 1784-1785, série B, Sources narratives, Vol. II. 1786-1860, Éd. de l'Académie roumaine, Bucarest 1983, p. 332-447.
- Liviu Rebreanu: Le roitelet Horia, Bucarest 1970.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
Notes et références
- ↑ Le Supplex libellus valachorum dont la première version date de mars 1791 avait été rédigé en latin par Ignatie Darabant, évêque gréco-catholique d'Oradea, tandis que la version complète a été rédigée un an après par les lettrés Samuil Micu, Petru Maior, Gheorghe Şincai, Ioan Piuariu-Molnar, Iosif Meheşi, Ioan Budai Deleanu, Ioan Para et d'autres, et portée à Vienne par Ioan Bob, évêque gréco-catholique de Blaj, et par Gherasim Adamovici, évêque orthodoxe de Transylvanie. Il était signé “au nom de la nation roumaine et de ses ordres Clerus, Nobilitas, Civicusque Status Universae Nationis in Transilvania Valachicae“.
- ↑ Florin Constantiniu : Une histoire sincère du peuple roumain, IVe édition revue et augmentée, éd. Univers Enciclopédique, Bucarest 1997
- ↑ [1]
- ↑ [2][3]
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- ↑ [6]
- ↑ Florin Constantiniu : Une histoire sincère du peuple roumain, IVe édition revue et augmentée, ed. Univers Enciclopédique, Bucarest 1997
- ↑ [7]
- ↑ [8]
- ↑ [9]
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