Puddlage

Puddlage
Coulée d'un four électrique
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Coupes d'un four à puddler

Le puddlage est un ancien procédé d'affinage de la fonte consistant à la décarburer (brasser) dans un four à l'aide de scories oxydantes pour obtenir du fer puddlé, plus souple que de la fonte.

Le mot puddlage vient du verbe anglais « to puddle » qui signifie « brasser ». La méthode est mise au point par Henry Cort en 1784, puis significativement améliorée par Samuel Baldwin Rogers et Joseph Hall. La fonte est affinée à très haute température dans un four à réverbère. Le puddleur, l'ouvrier chargé de l'opération, est alors chargé de brasser cette fonte en fusion à l'aide d'un long crochet appelé ringard. Le matériau peut ensuite être martelé, laminé ou forgé.

Le puddlage permet la fabrication en grande quantité de fer, aux caractéristiques supérieures à la fonte. Les arches de la gare de l'Est et la tour Eiffel à Paris sont ainsi réalisées en fer puddlé produit par la Société des Aciéries de Pompey.

Sommaire

Genèse du procédé

Abraham Darby, en mettant au point le haut fourneau au coke, affranchit la production de fonte de la faible disponibilité du charbon de bois. Mais la transformation de cette fonte en acier ou en fer ne sait pas encore se passer de ce combustible. Le métallurgiste allemand Adolf Ledebur résume ainsi le problème :

« Dans le courant du XVIIIe siècle, la consommation de fer prenait une certaine extension tandis que le déboisement, qui s'étendait de plus en plus, rendait le combustible végétal plus cher et plus rare. On était donc obligé de rechercher le moyen d'employer pour l'affinage, comme on l'avait fait pour la production de fonte, le combustible minéral au lieu du charbon de bois. Les feux d'affineries ne se prêtaient pas à cette substitution qui mettaient en contact le fer avec une matière toujours plus ou moins sulfureuse. Il fallait donc disposer de fours ou le métal ne touchât pas le combustible solide et fût exclusivement soumis à l'action d'une flamme. Du même coup on pouvait employer la houille à l'état cru, ce qu'on avait depuis longtemps réalisé dans les fours à réverbère appliqués à la fusion de différents métaux.
C'est en poursuivant cette idée que l'anglais Cort imagine en 1784, le procédé d'affinage auquel on a donné le nom de puddlage du mot anglais to puddle qui signifie brasser[L 1]. »

— A. Ledebur, Manuel théorique et pratique de la métallurgie du fer, p.  366

Le puddlage sec

Le four à réverbère est connu dans la métallurgie des métaux les plus fusibles. L'idée d'étendre son principe à l'affinage de la fonte apparait pour la première fois dans le brevet que Peter Onions dépose le 7 mai 1783. Mais la mise au point du procédé, qu'il mène aux Dowlais and Cyfarthfa Ironworks, échoue et, le 17 février 1784, William Reynolds, le directeur de l'usine, lui ordonne d'abandonner les essais[1].

L'anglais Cort brevette 13 février 1784, un four à réverbère légèrement différent[1]. La sole sur laquelle est réalisée le travail est un tas -soigneusement constitué- de matières quartzeuses et de sable : la combustion du carbone de la fonte qui se fait par un courant d'air, est lente, ce qui entraîne une forte consommation de charbon ainsi qu'une oxydation importante du métal[L 2]. Cette sole acide montre de nombreuses limites :

  • Constituée de silice, elle ne réagit pas avec le silicium de la fonte. Or ce silicium doit être oxydé pour obtenir un fer malléable à chaud[note 1]. Seules les fontes pauvres en silicium, les fontes blanches, sont adaptées à ce procédé[note 2],[T 1].
  • L'oxydation du métal amène à une consommation de plus de deux tonnes de fonte blanche pour produire une tonne de fer[T 2].
  • L'oxyde de ferreux produit au cours de l'oxydation de la fonte se mélange avec le sable de la sole. Cet oxyde ayant une température de fusion de 1 369 °C, la sole devient pâteuse et se dégrade rapidement[T 3].

Le procédé de Cort est nommé « puddlage sec » car la fonte blanche est peu visqueuse à chaud, et la sole, peu fusible, génère peu de laitier. Il permet l'obtention de fer en quantité mais sans réduire significativement les coûts : son avantage se limite donc au combustible : celui-ci peut être du charbon de mauvaise qualité, voire de la tourbe, de la lignite ou du bois[L 3].

Le puddlage gras

Tel que mis au point par Cort, le puddlage sec n'est adopté que par « les usines qui ne pouvaient s'approvisionner en charbon de bois et Cort mourut en 1800 sans avoir tiré parti de son invention »[L 4].

En 1818, Samuel Baldwin Rogers invente la sole supportée par une plaque de fonte refroidie à l'eau (d'autres adopteront ultérieurement la sole refroidie à l'air[T 4]). S'il est « incontestable qu'un refroidissement énergique […] augmente la consommation de combustible, cette dépense est moindre que celle qu’entraîneraient les réparations fréquentes d'un four moins bien rafraîchi »[L 5]. Cette amélioration reste cependant trop marginale pour que Rogers en tire profit[2].

Vers 1830, après quelques expérimentations, Joseph Hall reprend la sole refroidie mais adopte un garnissage réfractaire oxydant dans l'usine qu'il vient de fonder à Tipton[T 5] qui permet de tripler la production d'un four : la sole, constituée d'oxydes de fer issus de puddlages précédents et grillés, le bull dog, réagit avec la fonte et accélère le processus. Il faut alors moins de combustible et les pertes par oxydation sont réduites[L 6].

Ces améliorations sont fondamentales. Le procédé amélioré et breveté par Hall en 1839, appelé « puddlage gras » ou « bouillant », par opposition à la méthode primitive de Cort, se répand rapidement :

« Dans les voyages métallurgiques de MM. Dufrénoy, Coste et Perdonnet, on voit (1re édition) qu'en 1823 l'usage des soles en sable était encore général. Vers 1820 on commence à substituer des scories pilées au sable. En 1829, on constate çà et là des soles en fonte, mais les auteurs ajoutent qu'en puddlant directement sur la fonte (sans couche de riblons ou de scories), les résultats étaient défectueux. Enfin, en 1837 (2e édition), les soles en fonte sont d'un usage général[G2 1]. »

— M.L. Grüner, Traité de métallurgie, p.  168, note de bas de page

Le procédé

Préparation de la sole

La première étape du puddlage gras consiste à couvrir la sole d'un matériau réagissant avec la fonte utilisée :

  • Des oxydes provenant ordinairement de puddlage précédents ou éventuellement du Minerai de fer. Ce mélange est grillé puis enrichi par du fer oxydé. L'objectif est d'avoir un matériau capable d'apporter de l'oxygène pour accélérer la combustion du silicium et du carbone de la fonte[L 7].
  • Des minéraux basiques, comme la chaux, qui vont ôter le phosphore et le soufre[note 3],[L 8]
  • Des fondants, comme le spath fluor, qui vont abaisser le point de fusion des scories pour avoir un laitier suffisamment fluide pour garantir un bon contact avec la fonte[L 9].

Les deux derniers composants sont des améliorations du procédé de Joseph Hall. Les mélanges réalisés varient en fonction des fontes utilisées et de la qualité du fer recherché. Les mélanges sont réalisés empiriquement et sont parfois secrets, si bien que « on a proposé et tenté d'ajouter un grand nombre de substances dont l'effet ne pouvait qu'être absolument opposé au but que l'on poursuivait »[L 10].

Cette couche de scories et d'oxydes est chauffée jusqu'à la fusion. Puis le puddleur baisse le feu pour qu'elle deviennent une croûte solide couvrant la sole en fonte refroidie[L 11].

Chargement du four

Les gueuses de fonte sont alors chargées sur cette couche d'oxydes. Le puddlage gras pouvant se faire sur sole basique, il est possible de traiter des fontes riches en silicium ou en phosphore. Les qualités du produit final ont également leur importance dans le choix des fontes :

  • pour produire de l'acier, des fontes riches en manganèse (les spiegeleisen) sont indispensables car cet élément retarde la décarburation[L 12],[G2 2];
  • les fontes grises, riches en silicium, vont rendre la scorie acide en générant de la silice : elles limitent donc la déphosphoration[L 13];
  • les fontes blanches, pauvres en silicium sont les plus faciles à décarburer.

Le travail du puddleur

Dès que la fonte commence à fondre, le puddleur intervient. Son travail commence lorsqu'il constate l'apparition de petites flammes bleues sortant de la surface liquide, caractéristiques de la combustion du carbone. Il fait alors baisser la température du four en limitant le tirage de la cheminée et commence à brasser la fonte pour la mettre en contact avec les matières de la sole[T 6]. Son travail se déroule dans des conditions difficiles et demande un évident savoir-faire :

« … le travail de l'ouvrier consiste […] à labourer la fonte et les scories à l'aide d'un fort ringard, recourbé à angle droit à son extrémité ; c'est l'outil appelé « crochet ». On mêle ainsi les particules métalliques aux éléments oxydés et les expose tous deux à l'influence de l'air. Pour opérer le brassage, on n'ouvre pas la porte de travail elle-même. L'ouvrier éprouverait une chaleur trop vive, et le four lui-même serait refroidi. On se contente d'introduire les outils par une simple ouverture de 0,10 m à 0,15 m de côté, pratiquée dans le bas de la porte mobile, et facile à clore…

À mesure que le fer s'épure, il devient moins fusible[note 4] ; il faut donc, pour continuer le brassage, graduellement relever la température, en rouvrant peu à peu le clapet de la cheminée.

À la place du crochet, l'ouvrier se sert assez souvent d'un ringard à biseau, appelé palette, ou rabot, qui permet de détacher de la sole les parties refroidies, ou devenues fermes, qui tendent à y adhérer[G2 3]. »

— M.L. Grüner, Traité de métallurgie, p.  171 § 404

La décarburation de la fonte provoque un bouillonnement, correspondant au dégagement de monoxyde de carbone. Lorsque celui-ci cesse, on peut encore pousser la décarburation jusqu'à obtenir du fer, en procédant aux tours de fer, c'est-à-dire en retournant la masse ferreuse pour en compléter la conversion[L 14].

L'extraction des produits

Lorsque le puddleur l'estime affinée, il partage la masse métallique en quelques boules. Celles-ci sont pressées dans le four pour les purger des scories[L 15].

L'extraction de ces boules hors du four est immédiatement suivie d'un martelage ou laminage pour en extraire les dernières scories et donner une forme exploitable, généralement des barres. Pendant cette phase, le comportement du métal chaud permet de juger sa qualité : une forte teneur en soufre le rend cassant, l'émission de flammèches bleues traduit une décarburation insuffisante, etc…[L 16].

Une fois le four vide, la sole est inspectée et éventuellement réparée. Dans le cas d'un revêtement basique, le laitier est saturé en oxydes de soufre et de phosphore : il est alors chauffé jusqu'à l'état liquide puis coulé hors du four.

Expansion et disparition du procédé

Le puddlage permets l'obtention de fer, aux caractéristiques supérieures à la fonte : le pont du Carrousel de 1834 correspond à l'apogée des ponts en fonte. Le viaduc de Garabit, inauguré en 1884, construit en fer puddlé, repousse les limites de la construction métallique de manière spectaculaire.

Le procédé va donc survivre à l'apparition des convertisseurs Bessemer et Thomas, inventés respectivement en 1855 et 1877. En effet, la lenteur de l'opération permet un bon contrôle de son avancement, ce qui garanti la qualité du métal obtenu.

Mais le puddlage reste gourmand en énergie : là où le convertisseur n'utilise que la chaleur issue de la combustion d'éléments indésirables (silicium, carbone et phosphore), le puddlage demande une refusion de la charge. En outre, le four à puddler est d'un mauvais rendement, les fumées s'échappant du four sans communiquer leur chaleur à la charge. Les essais d'installations de récupérateurs de chaleur de Siemens buttent sur leur encrassement [L 17].

L'invention du convertisseur Siemens-Martin, qui est lui aussi un four à réverbère doté de récupérateurs de chaleur, provoquera l'abandon du puddlage. En effet, ce four travaillant le métal à l'état liquide exige moins de main-d'œuvre et de combustible, tout en permettant l'élaboration d'aciers de qualité.

Voir aussi

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Notes et références

Notes

  1. Un fer contenant 1 % de fonte se casse de manière fragile vers 600 °C
  2. Les fontes blanches, contenant peu de silicium, sont les plus faciles à décarburer. Mais elles sont aussi plus résistantes et difficiles à obtenir que les grises, ce qui en fait des fontes chères.
  3. L'oxydation du phosphore se fait en formant l'oxyde P2O5 qui ne peut subsister que s'il est fixé par un laitier basique. Le soufre est plus difficile à ôter : plusieurs produits conviennent : magnésium, soude, carbure de calcium,… mais nécessitent tous un laitier fortement basique.
  4. Le taux de carbone du mélange diminuant, la température restant constante dans le four, la température de fusion étant du type eutectique, la température de fusion du mélange augmente, provoquant une augmentation de la viscosité.

Références

  1. a et b (en) Richard Hayman, The shropshire wrought-iron industry c1600-1900 : A study of technological change, University of Birmingham, 2003 [lire en ligne], p. 88-89 
  2. (en)Famous person of Blaenau Gwent : Samuel Balwyn Rogers, Ebbw Vale, 1984 - 2011
  • Adolf Ledebur (trad. Barbary de Langlade revu et annoté par F. Valton), Manuel théorique et pratique de la métallurgie du fer, Tome I et Tome II, Librairie polytechnique Baudry et Cie éditeur, 1895 
  1. p.  366
  2. p.  367
  3. p.  367
  4. p.  367
  5. p.  371
  6. p.  367
  7. p.  372
  8. p.  387-389
  9. p.  387-389
  10. p.  388
  11. p.  383-384
  12. p.  383
  13. p.  383
  14. p.  386
  15. p.  386
  16. p.  387
  17. p.  377-381
  • (en) Thomas Turner (dir.), The metallurgy of iron: By Thomas Turner... : Being one of a series of treatises on metallurgy written by associates of the Royal school of mines, C. Griffin & company, limited, coll. « Griffin's metallurgical series », 1908, 3e éd., 463 p. (ISBN 1177692872 et 978-1177692878) [lire en ligne] 
  1. p.  347
  2. p.  347
  3. p.  347
  4. p.  347
  5. p.  350
  6. p.  351
  • Emmanuel-Louis Grüner, Traité de métallurgie — métallurgie générale, t. second, procédé de métallurgiques, chauffage et fusion, grillage, affinage et réduction, Dunod, 1878 [lire en ligne], partie I 
  1. p.  168
  2. p.  175
  3. p.  171

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