Projet de directive Bolkestein

Projet de directive Bolkestein

Directive Services

La Directive Services relative aux libertés d'établissement des prestataires de service et libre circulation des services dans le marché intérieur, surnommée « directive Bolkestein », est une directive de l'Union européenne présentée initialement par l’ancien commissaire européen au Marché intérieur Frits Bolkestein et adoptée dans le cadre de la procédure de codécision — après de multiples amendements qui ont vidé le projet de directive de la majorité de sa substance —, par le Conseil européen le 24 juillet 2006 puis par le Parlement européen le 15 novembre 2006, en tant que Directive 2006/123/CE[1]. La directive modifie marginalement la législation sur le marché des services au sein de la Communauté européenne, en simplifiant pour un prestataire de services d'un État membre les conditions dans lesquelles il peut opérer dans un autre État membre.

La proposition initiale de libéralisation des services, votée une première fois par le Parlement le 13 février 2003, a rencontré l'opposition d'une partie de la gauche et de syndicats de plusieurs pays, dont en particulier la France et la Belgique, ainsi que de plusieurs gouvernements (voir la section Débat ci-dessous). Ce projet de directive a également été largement utilisé comme argument par une partie de la gauche ainsi que la droite souverainiste lors de la campagne référendaire française sur le Traité constitutionnel européen en 2005, cristallisant le débat sur l'« Europe libérale » et le mythe du « plombier polonais ». L'échec du Traité constitutionnel européen n'a pas empêché le texte d'être adopté, après des amendements par le Parlement européen en février 2006 afin que le texte ne se réfère plus explicitement au principe du pays d'origine.

Sommaire

Origines

Le Parlement européen note que « l'objectif d'assurer la libre circulation des services en Europe ne date pas d'aujourd'hui. En réalité, dès 1957, les six pays fondateurs de la Communauté économique européenne s'étaient engagés à réaliser un grand marché dans lequel circuleraient librement les personnes, les biens, les capitaux et… les services. Quarante-cinq ans plus tard, des quatre libertés inscrites dans le Traité de Rome, celle touchant aux services n'a pas été réalisée[2]. »

Cet objectif d'abaissement des barrières non tarifaires a été réaffirmé dans la stratégie de Lisbonne de 2000. Cet objectif de lever les obstacles à un marché commun des services est d'autant plus essentiel pour la vie économique de l'Union que ces activités représentent jusqu'à 70 % du PIB de certains pays de l'Union. Il s'est cependant heurté à de nombreux obstacles protectionnistes mis en place par des États membres, qui ont entraîné une série de condamnations en vertu de manquements à l'application d'articles de loi européens (voir notamment Commission c. Italie sur les organisation de foires[3] et Commission c. Luxembourg sur les mandataires en brevets[4].

La présente proposition est une proposition de directive : elle indique un cadre juridique général à appliquer par les États membres, mais n'a pas la précision d'un règlement - les détails des modalités d'applications sont laissés à l'appréciation des corps législatifs nationaux. Cette proposition n'a pas non plus vocation à harmoniser chaque détail du marché des prestations de service dans les États membres.

Adoptée, la Directive ne propose qu'un socle commun de questions essentielles au bon fonctionnement de l'offre de services entre pays membres de l'Union : cela veut dire la mise en place d'un cadre juridique dans chaque pays (sans préjuger de la méthode ou du contenu exact des textes nationaux, l'important étant qu'ils se conforment à l'esprit de la Directive), la clarification des rôles respectifs des lois de l'État membre et de l'État destinataire des services, ainsi que la garantie d'une égale accessibilité des prestataires aux différents marchés nationaux.

Cette directive peut être mise en perspective par la comparaison avec l'accord général sur le commerce des services (AGCS), de portée mondiale, proposé à l'OMC et qui tend à libéraliser les marchés des services dans le monde. Les buts sont donc les mêmes[5].

Note sur la dénomination

Le nom de Bolkestein fut souvent prononcé à tort à l'allemande, comme dans Frankenstein, alors que la prononciation correcte est « Bolkestenne » (écouter). Philippe de Villiers, opposant notoire à la directive, commettait cette erreur. La confusion était entretenue par le fait que certains opposants la surnommaient « directive Frankenstein[6] ».

Principe du pays d'origine (PPO)

Définition

Évoqué dans sa première mouture rédigée par le commissaire Bolkestein, le principe du pays d'origine (PPO) n'était voué qu'à s'appliquer dans le cadre de la fourniture transfrontalière de services : si le prestataire de service venait à établir une structure fixe dans le pays client (par exemple un restaurant ou un laboratoire), il devrait dès lors obéir aux exigences administratives et juridiques de celui-ci (liberté d'établissement). Si sa présence était ponctuelle, il n'était lié qu'aux réglementations de son pays d'origine. Il lui était toutefois possible d'entretenir un bureau de représentation dans les autres États membres.

Ce projet de directive fait suite à et s'inscrit en fait dans le cadre de la directive 96/71/CE du Parlement et du Conseil du 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d'une prestation de services. Celle-ci précise (art. 3) que le droit du travail applicable (salaire minimum, congés, règles d'hygiène et sécurité, etc.) reste celui du pays où le travailleur est détaché (et donc pas le pays d'origine). Le PPO concerne les modalités légales concernant l'existence du prestataire de service (nécessité de diplômes adéquats, patentes et enregistrement au registre du commerce, par exemple), ainsi que la fonction de contrôle de l'activité (assuré également par le pays d'origine de l'entreprise) : si la société est agréée par un pays de l'Union, les autres États membres doivent lui reconnaître l'autorisation de fournir des services sur leur territoire - il ne peut y avoir de discrimination. Dans le cadre de la liberté de circulation des marchandises, on pourrait se référer au Principe du cassis de Dijon ou, pour les services directement à l'arrêt Säger (C-76/90 du 25 juillet 1991) qui en son point 12 établit que la liberté de prestation des services suppose que le prestataire exerce légalement l'activité dans son état d'origine. La Cour de justice des Communautés européennes (CJCE) s'est ainsi assurée qu'un prestataire de services n'ait pas à se soumettre aux exigences réglementaires quant à l'activité exercée du pays d'origine et du pays de destination. Pour la CJCE, les règlementations nationales poursuivent le même but et donc peu importe laquelle est applicable : c'est le principe de reconnaissance mutuelle des législations. Ce principe n'est pas consacré pour le moment en matière de droit des travailleurs (directive 96/71/CE précitée), et la proposition Bolkestein vise précisément à lui donner plein effet en ce domaine en prévoyant une coopération des autorités nationales pour éviter que le principe du pays d'origine n'aboutisse à un vide juridique[7].

Le traité pose cependant des limites (articles 45 et 46 applicables par le biais de l'article 55) dès lors que l'activité en question relève de l'exercice de l'autorité publique ou dès lors que des restrictions visent à protéger l'ordre public, la santé publique ou la sécurité publique. La Cour de justice des Communautés européennes applique de plus l'exception des raisons impérieuses d'intérêt général : une réglementation peut restreindre la liberté de prestation de services pour une telle raison, dès lors qu'elle respecte les principes de nécessité et de proportionnalité (Cassis de Dijon). Ainsi, dès lors que la règlementation du pays d'origine ne respecte pas une telle raison impérieuse, le pays de destination peut à cet effet imposer sa propre réglementation.

De fait, cette directive a pour but d'éliminer certaines barrières non tarifaires (une forme de protectionnisme) qui subsistent à l'intérieur de l'Union : la prestation de services se fait directement du fournisseur au consommateur, et est allégée du poids administratif lié aux demandes de permis et autres autorisations de travail, dont la procédure d'octroi est trop souvent complexe, variable, opaque et soumise à des préférences nationales non justifiées dans une Europe sans frontières intérieures : les États membres auraient dû notamment mettre en place avant le 31 décembre 2008 un « Guichet unique » auprès duquel le prestataire pourra faire toutes les démarches administratives nécessaires à son établissement (art. 6). La procédure d'octroi des autorisations de pratiquer doit être clairement décrite et transparente, et égale pour tous les prestataires, qu'ils soient basés dans le pays destinataire du service ou pas.

Dérogations

Des dérogations au principe du pays d'origine sont cependant prévues, notamment à l'article 17 de la Directive, et ce afin de pallier les disparités trop grandes entre pays. Ces dérogations concernent notamment :

  • Les conditions de travail (art. 17.5 et 24.1) : la prestation de services dans un pays donné reste subordonnée à l'application de la Directive sur le détachement des travailleurs (96/71/CE). Toutes les matières couvertes par cette Directive (telles que le salaire minimum, le temps de travail, la sécurité, les standards d’hygiène et de sécurité, etc.) sont exclues du principe du pays d’origine : le prestataire se doit de respecter ces conditions de travail pour ses employés détachés dans un autre État membre ;
  • Les qualifications professionnelles (art. 17.8) : l'exercice d'une activité donnée sera conditionnée à la démonstration d'une qualification professionnelle adéquate ;
  • les exigences spécifiques du lieu ou est réalisé la prestation (art. 17.17) : ces restrictions s'appliquent aux caractéristiques particulières des lieux « où le service est fourni et dont le respect est indispensable pour assurer le maintien de l'ordre public ou de la sécurité publique ou la protection de la santé publique ou de l'environnement » ;
  • les dérogations transitoires (art. 18) : l'application de la directive pour ces services (comme par ex. les transports de fonds) est repoussée jusqu'en 2010 ;
  • les dérogations au cas par cas : en cas de risque particulier, les États membres peuvent décider de la suspension de l'application de la Directive à un type de service donné ;
  • les services ne rentrant pas dans le cadre de cette directive :
    • Les services non-économiques tels que définis par la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes (art. 4.1). Rentrent également dans cette catégorie la plupart des services publics (eau, énergie, éducation, administration) ;
    • Les services financiers (art. 2.2.a) ;
    • Les services et réseaux de communication électroniques (art. 2.2.b) ;
    • Les services de transport, qui sont déjà réglementés par des instruments communautaires propres (art. 2.2.c), à travers le cabotage qui est autorisé dans le transport routier depuis le 1er juillet 1998 par les règlements CEE n° 3118/93 du Conseil du 25 octobre 1993 et CE n° 792/94 de la Commission du 8 avril 1994. Ces règlements faisaient suite à la condamnation du Conseil par la CJCE en 1985 (affaire 13/83), après un recours en manquement déposé par le Parlement européen, qui constatait le défaut d'application de résolutions sur la libre-circulation datant de 1968. Contrairement au présent projet de libéralisation des services, ces règlements permettent d'employer des conducteurs étrangers au tarif du pays d'origine pour des transports dans un seul pays (sous certaines conditions, notamment un temps maximal de 10 jours par mois dans le même pays étranger, et l'absence de structure fixe de la compagnie-mère dans le pays de cabotage). Dans son livre noir, la Fédération nationale du transport routier (FNTR) française parla — improprement — de « bolkesteinisation » du secteur routier qui, conjuguée à une importante taxation, aurait selon elle contribué à la perte de parts de marché par les transporteurs français par rapport à leurs concurrents italiens, espagnols, portugais ou luxembourgeois[8]. La FNTR plaide cependant pour une poursuite de la réglementation par directives et de la libéralisation des transports au niveau européen.

Polémiques sur le « principe du pays d'origine »

Ce texte initial proposé par le commissaire Frits Bolkestein et notamment son « Principe du pays d'origine » engendra des polémiques, notamment en France (voir l'article plombier polonais), et souleva des protestations des secteurs protégés peu concurrentiels français, et des critiques envers l'« orientation libérale » de la réglementation européenne.

Protestation contre la directive Bolkestein à Bruxelles, affirmant que cette directive serait d'inspiration américaine.

La polémique fut également très vive en Belgique ou en Suède, où une entreprise lettone devait construire une école à Vaxholm au nord de Stockholm avec des ouvriers sous contrat et salaire lettons (la Suède ne possède pas de droit du travail fort ni de salaire minimum, tous les rapports de travail étant réglé par convention collective). D'autres « anticipations illégales » ont également eu lieu, notamment dans les régions frontalières de l'Allemagne. D'une manière générale, c'est le principe de contrôle de l'application du droit du travail conféré au pays d'origine (plutôt qu'au pays d'accueil), qui fait craindre à l'ouest de l'UE les possibilités de dumping résultant d'une surveillance trop laxiste de la part des nouveaux États membres.

Le président français Jacques Chirac après avoir demandé la « remise à plat » en mars 2005 de la 3e version de ce projet de directive, annonce « La directive Bolkestein n’existe plus » à l’issue du Conseil européen du printemps, à la mi-mars 2005, alors que plusieurs organisations professionnelles émettaient publiquement des réserves ou des critiques à l'égard du projet. Le 15 mars, à l'Assemblée nationale, Claudie Haigneré, ministre déléguée aux Affaires européennes, a déclaré : « Le gouvernement considère que [ce texte] n’est pas acceptable en l’état et doit faire l’objet d'une remise à plat. Nous voulons une autre directive que celle-là… ». Cependant, le cadre législatif est celui du processus de codécision sans règle de l'unanimité, ce qui signifie qu'aucun gouvernement n'a le pouvoir de bloquer à lui tout seul la directive (ce que par définition les souverainistes européens trouvent inacceptable).

Parmi les autres opposants à la directive Bolkestein telle qu'elle était alors proposée figure notamment la Confédération européenne des syndicats qui en a fait sa principale cible lors de la manifestation européenne de Bruxelles du 19 mars 2005 ainsi que des députés européens (principalement les députés de gauche des pays de l'Europe de l’Ouest, une partie des députés de droite notamment en France et en Allemagne). Dans une conférence à Lille, le 4 mars 2005, relatée dans les médias, Daniel Cohn-Bendit annonce que la directive Bolkestein dans sa mouture de l'époque (principe du pays d'origine notamment) avait vécu et « serait retirée dans une semaine ».

Les opposants français au Traité établissant une Constitution pour l'Europe s'opposaient également à la directive Bolkestein, et en avaient fait un argument de campagne, en affirmant à l'époque où leur victoire semblait incertaine, qu'un échec du référendum constituerait un coup d'arrêt pour la directive Bolkestein. De fait, cette directive, initiée bien avant la campagne sur le référendum en France, devait que le TCE soit adopté ou non poursuivre son parcours législatif dans le cadre des institutions du Traité de Nice (pérennisées par l'échec du référendum). Depuis la directive a bel et bien suivi son cours, et le député européen Alain Lipietz, opposant à cette directive, précise même peu avant le vote en première lecture du Parlement européen que : « Il se confirme qu’il est exclu d’obtenir une majorité pour rejeter purement et simplement la Directive Bolkestein. La gauche le proposera en début du vote, mais sera aussitôt battue. (...) En effet, non seulement la droite est largement majoritaire, mais les pays est-européens, toutes tendances confondues, sont à cran contre ce qu’ils ont perçu comme xénophobe dans les campagnes du non français et hollandais. Ils croient que le principe du pays d’origine lèvera le protectionnisme mesquin dont ils se sentent victimes de la part des vieux États de l’Union[9]. » Dans la séance plénière du Parlement européen du 14 février 2006, le clivage est-ouest est flagrant, et les nombreux députés polonais de toutes tendances qui interviennent utilisent presque tous l'image du plombier polonais comme repoussoir de ce protectionnisme voire de cette xénophobie à réfuter selon eux.

Le retrait pur et simple de la directive est proposé en tout début de vote et est rejeté par 486 voix contre 153 (tous les élus GUE et Verts, une minorité du PSE (surtout les français), Front national).

Lors du sommet européen de Bruxelles du 22 mars 2005, le Conseil a demandé la réécriture par la Commission de la directive, notamment les conditions d'application du principe du pays d'origine. Celle-ci, complètement expurgée de cette section, a été à nouveau soumise au vote du Parlement le 14 février 2006 conduisant le député allemand Daniel Cohn-Bendit, président du groupe vert, à affirmer : « le non français [au référendum sur le Traité constitutionnel européen] n'a rien changé à la discussion. Ce qui a tout changé, c'est la grande coalition allemande qui a obligé la CDU-CSU à accepter l'abandon du PPO. Sans ça, il serait passé sans problème, la majorité du Parlement étant à droite[10]. » La grande coalition qui oblige les deux partis de masse (Volkspartei) à se mettre d'accord sur une position commune représente en effet un poids moteur dans la recherche de compromis avec 63 députés (CDU 40 ; SPD 23) répartis dans les deux groupes stratégiques. Pour comparaison, l'UMP qui détenait à la même époque l'essentiel du pouvoir politique en France a 17 députés européens.

Autres dispositions du texte

Outre la fourniture de services transfrontaliers, objet de l'article 16, la directive services porte également sur[11] :

  • l’établissement d’une entreprise n’importe où dans l’UE : toute entreprise pourra remplir les formalités en ligne et par l’intermédiaire d’un point de contact unique. Les régimes d’autorisation seront plus clairs et plus transparents, tandis que la vérification de l’existence du « besoin économique » (procédure coûteuse imposant à une entreprise de prouver aux autorités qu’elle ne « déstabilise » pas la concurrence locale) ne sera plus permise. L’octroi des autorisations sera donc accéléré et les coûts pour les entreprises réduits ;
  • une meilleure protection des consommateurs : les entreprises auront l'obligation de mettre à la disposition des consommateurs certaines informations clés et ne pourront pas défavoriser un consommateur pour des raisons de résidence ou de nationalité ;
  • un meilleur contrôle des entreprises : les États membres devront renforcer leur coopération administrative afin d’assurer un contrôle amélioré et efficace des entreprises. D’un point de vue pratique, cette démarche passera notamment par un système électronique permettant aux autorités d’échanger des informations directement et efficacement.

Parcours législatif

On peut accéder aux différents documents relevant des différentes étapes de la procédure sur le site PreLex de la Commission européenne[12] et sur l'observatoire législatif du Parlement européen[13].

Préparatifs au vote du Parlement européen

Au terme de son mandat en 2004, la Commission Prodi est remplacée par la Commission Barroso, et par conséquent Charlie McCreevy succède comme commissaire à Frits Bolkestein. L'eurodéputée SPD allemande d'origine française Evelyne Gebhardt[14] est chargée de rédiger le rapport du Parlement européen sur la réécriture du projet de Frits Bolkestein, en cherchant un compromis entre les différentes postions. Son rapport propose :

  • de limiter fortement le champ de la directive notamment en posant deux principes :
    • la législation communautaire spécifique prime sur la directive services
    • la directive n’affecte pas des instruments communautaires tels que Rome 1 et 2 (obligations contractuelles et non contractuelles), le détachement des travailleurs, la télévision sans frontières, la reconnaissance des qualifications professionnelles
  • de réduire la portée du principe du pays d'origine en distinguant l'accès d’une entreprise au marché et l'exercice de son activité. Pour le premier règnerait la liberté d’accès à la totalité du marché européen pour quiconque est reconnu capable d’exercer une activité dans son propre pays. Pour le second, la règlementation locale s'appliquerait, quelle que soit l’origine de l'entreprise. En séance plénière, elle illustre sa proposition par cette métaphore : « Avec mon permis de conduire allemand, j'ai le droit de conduire en Angleterre, mais pas celui de rouler à droite[15]. »
  • de retirer les services d'intérêt général et des services d'intérêt économique général du champ de la directive.

Le texte de Frits Bolkestein puis le rapport Gebhardt sont soumis pour avis aux représentants des groupes parlementaires dans dix commissions du Parlement européen, sous la responsabilité de la commission parlementaire IMCO (marché intérieur et de la protection des consommateurs de la commission parlementaire)[16]. Le 30 novembre 2005, le vote en commission IMCO montre que la droite, majoritaire, est alors toujours favorable au principe du pays d'origine et à l'inclusion des SIEG (mais pas des SIG) à la directive et opposée tant au compromis proposé par Évelyne Gebardht qu'au lancement d'un processus d'harmonisation[17].

Avis en première lecture du Parlement européen


Cependant, peu avant le vote en première lecture, les deux principaux groupes parlementaires, le Parti populaire européen (PPE) et le Parti socialiste européen (PSE), ont annoncé s'être mis d'accord sur un compromis sur des modifications à l'article 16 visant à supprimer la référence au principe du pays d'origine.

Le 14 février, le Parlement européen vote en première lecture plus d'une centaine d'amendements dont les grandes lignes sont les suivantes :

  • Le « principe du pays d’origine » est supprimé par l'amendement 293/rév. 4 et remplacé par la réaffirmation du principe de libre prestation des services hors du pays dans lequel les prestataires de services sont établis ; les États membres ne peuvent imposer de barrières protectionnistes sur son territoire qui ne répondent à trois critères : non-discrimination à l'encontre de nationalités particulières, nécessité (l'État a a justifié ses mesures par des raisons d'ordre public ou de sécurité publique ou de protection de la santé et de l'environnement) et proportionnalité (les exigences doivent être propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi, et ne pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif) ; l'article 16-3 donne une liste non exclusive de comportements protectionnistes non autorisés (par exemple l'obligation pour le prestataire d'avoir un établissement sur leur territoire).
  • Cette suppression du principe du pays d'origine, niée par certaines fractions souverainistes de gauche ou de droite, apparaît pourtant très clairement dans l'alinéa (Article 16, 3 bis) suivant qui précise que l'État membre d'accueil peut imposer ses exigences et que le droit social, y compris les conventions collectives du lieu de l’activité des services, s’imposent :
« Les présentes dispositions n'empêchent pas un État membre dans lequel le prestataire de service se déplace pour fournir son service d'imposer des exigences concernant la prestation de l'activité de service, pour des raisons d'ordre public, de sécurité publique, de protection de l'environnement et de santé publique. Elles n'empêchent pas non plus les États membres d'appliquer, conformément au droit communautaire, leurs règles concernant les conditions d'emploi, notamment celles qui sont établies dans les conventions collectives. »
  • De nombreux services ont été exclus : tous les services d'intérêt général (SIG) qui étaient déjà exclus dans la proposition de Bolkestein, les services sociaux (amendements 252 et 318), les agences de travail intérimaire (amendement 300) et les agences de sécurité (302 et 332) ; via l'article 2.2 les services financiers, services et réseaux de communications électroniques, services de transports ainsi que les services juridiques (77), les soins de santé (78), les services audiovisuels, les jeux d’argent et les loteries, les professions et les activités qui participent à l’exercice de l’autorité publique (par exemple les notaires), la fiscalité. Tous les services d'intérêt économique général (SIEG) ne sont cependant pas, comme celui de la santé, exclus du champ de la directive, par exemple l'enseignement privé sous contrat avec l'État en France (qui est un SIEG mais pas un SIG).

Par rapport au compromis PSE-PPE annoncé avant le vote, la mention de la « politique sociale » et de la « protection des consommateurs » a disparu des domaines explicites dans lequel un État pourra imposer sa loi, mais ceci est déjà assuré ailleurs dans la législation européenne[18].

Les amendements supprimant le principe du pays d'origine sont adoptés à une très forte majorité rendant peu probable que le Conseil revienne dessus lors de sa lecture. Le texte final est approuvé par 394 voix pour contre 215 et 33 abstentions qui se répartissent ainsi (classement par poids électoral)[19] :

Les votes contre correspondent soit au point de vue que le texte reste encore trop proche de l'ex-projet de directive Bolkestein comme chez Philippe de Villiers[27], soit au contraire au regret de l'abandon du principe du pays d'origine (notamment chez les députés libéraux et/ou des pays de l'Est).

Le député européen PCF Francis Wurtz justifie le vote contre du groupe GUE/NGL par l'échec des deux principaux amendements de son groupe[28]. Le premier visait à traiter le cas des SIEG dans une directive spéciale et donc à les exclure tous du champ de cette directive, amendement qu'il justifie paradoxalement[29] par des dispositions spécifiques du traité établissant une constitution pour l'Europe, bien que ce traité, que son parti avait décrit comme un danger pour les services public dans l'Union européenne, ne soit pas ratifié. Le second amendement proposant de remplacer purement et simplement le principe du pays d'origine par celui du « principe du pays de destination » ; il est repoussé par 527 voix (immense majorité du Parlement, dont les partis de gauche comme le PSE et le Parti Vert européen) contre 105 (GUE + souverainistes + les membres français et belges uniquement du PSE) parce qu'il est jugé "simpliste, et potentiellement protectionniste [à l'encontre les pays de l'Est]".

Le texte final, vidé d'une grande partie de son contenu, satisfait la Confédération européenne des syndicats[30]. Elle estime que l'avis en première lecture du Parlement européen lui a donné gain de cause sur ses 5 exigences : primat de la législation du travail notamment sur les détachements des travailleurs ; exclusion des secteurs sensibles tels que l'intérimaire ou les services de sécurité privée ; respect des droits fondamentaux de négociations et d’actions collectives ; exclusions des SIG et de certains SIEG tels que la santé ; abandon du principe du pays d'origine.

Position commune du Conseil

Après la résolution législative du Parlement européen (première lecture), les gouvernements des États membres doivent parvenir au sein du Conseil de l'Union européenne à une position commune (c'est selon le Traité l'acte par lequel le Conseil conclut la 1re lecture).

Le 23 septembre 2003, le Parlement européen avait modifié en profondeur une autre directive très controversée - également présentée par l'ex-commissaire Frits Bolkestein - sur les brevets logiciels en Europe. Le Conseil de l'Union européenne avait alors tenté de passer outre et voté en première lecture un texte ne reprenant presque aucun des amendements du parlement européen. Ce contournement du Parlement européen s'avèrera par la suite contre-productif : remonté par ces « inélégances »[31], le Parlement européen mettra son veto à la directive brevets logiciels le 6 juillet 2005 par 648 voix contre 14. C'est au vu de cette expérience que le Conseil doit décider au non de reprendre l'essentiel des amendements du Parlement européen à la directive services.

Les 23 et 24 mars 2006, le sommet des chefs d'État surprend les observateurs en abordant le sujet de la directive Services. Il y appuie dans sa conclusion n° 57 du sommet des chefs d'État le travail du Parlement européen :

«  Rappelant ses conclusions de mars 2005 et les conclusions du Conseil "Compétitivité" du 13 mars 2006, le Conseil européen souligne qu'il faut rendre le marché intérieur des services pleinement opérationnel tout en préservant le modèle social européen, en parvenant à un large consensus sur la directive concernant les services. Le Conseil européen accueille avec satisfaction le vote intervenu au Parlement européen et attend avec intérêt la proposition modifiée de la Commission. Il prend bonne note de l'intention de la Commission de fonder dans une large mesure la proposition modifiée sur le résultat de la première lecture du Parlement européen et espère que les institutions seront en mesure de faire aboutir rapidement le processus législatif. »

Le 4 avril 2006[1], la Commission européenne adopte une proposition modifiée. Selon Évelyne Gebhardt, il reprend 95 % des modifications apportées par le Parlement européen.

Pour suivre la position de la Commission (c’est-à-dire le compromis trouvé au Parlement et repris a son compte pas la Commission) les gouvernements des États réunis au sein du Conseil européen doivent parvenir à dégager une majorité qualifiée en leur sein, alors qu'ils sont très divisés entre partisans d'une ouverture des marchés et partisans du maintien de protections nationales. S'il souhaitent s'écarter de cette position il doivent en revanche être unanimes, ce qui paraît impossible. Cette différence est due aux dispositions de l'article 250 du Traité de Rome (inchangées depuis 1957) qui donnent à la Commission européenne le monopole de l'initiative. Le Conseil se rallie à la position médiane du Parlement soutenue par la Commission, le 29 mai 2006, un an après le rejet par les Français du traité établissant une Constitution pour l'Europe.

La Confédération européenne des syndicats se félicite de cet accord tout en souhaitant que soient apporté lors de la seconde lecture du parlement européen des "garanties" supplémentaires[32]

D'autres commentateurs se montrent nettement plus réservés, considérant que les nombreux amendements apportés au texte initial l'ont vidé de sa substance. Le Wall Street Journal estime qu'en l'état, la directive échoue à réaliser son objet : la libéralisation des services au sein de l'UE[33] ; D. Godefridi (Institut Hayek) écrivait dans le Figaro : « les services représentent 70 % de l'économie européenne. En ne les libéralisant pas, l'UE reste en deçà de l'objectif des traités fondateurs de 1957 : il n'y a pas de marché commun européen. Depuis dix ans, l'intégration économique européenne recule. Ce qu'ont en définitive enterré les élites politiques européennes le 30 mai 2006, c'est l'essence même du projet européen[34]. »

Adoption

La position commune est transmise au Parlement qui le vote en 2e lecture le 15 novembre 2006[1]. La directive (n° 2006/123/CE) est adoptée le 12 décembre 2006, et elle est parue au JOUE du 27 décembre 2006.

Proposition de directive-cadre sur les services publics

Parallèlement au vote sur la directive services, le groupe socialiste du Parlement européen élabore le 30 mai 2006, avec l'aide des représentants du Comité des régions, des entreprises de services publics et des syndicats européens, une proposition de directive sur les services public dans l'Union européenne. Dans son article 5 (Relations avec les autres dispositions du droit communautaire), la proposition de directive précise que les dispositions primeraient sur les dispositions de la directive service qui seraient incompatibles[35]. Ce texte n'a toutefois qu'une portée symbolique puisque le Parlement européen ne dispose pas du pouvoir d'initiative législative. Dans l'UE, en effet, seuls la Commission et le Conseil sont habilités à proposer de nouvelles lois (directives, règlements, etc.).

Notes et références

  1. a , b  et c parcours de la Directive, site de l'Union européenne
  2. Directive services : mode d’emploi
  3. Affaire C-439/99 du 15 juillet 2002
  4. Affaire C-478/01 du 6 mars 2003
  5. Qu'est ce que l'AGCS, site de l'OMC
  6. 01net. - Inquiétude sur les informaticiens bon marché de la « directive Frankenstein »
  7. (voir document explicatif de la commission sur la directive ici)
  8. livre noir
  9. "Bolkestein, ça se précise", site personnel de Alain Lipietz (2 février 2006)
  10. Bolkestein: les socialistes français pas prêts pour le oui, Libération, 15 février 2006
  11. Communiqué de presse du 4 avril 2006 sur la proposition modifiée de directive services
  12. http://europa.eu.int/prelex/detail_dossier_real.cfm?CL=fr&DosId=188810
  13. http://www.europarl.eu.int/oeil/FindByProcnum.do?lang=1&procnum=COD/2004/0001
  14. page de Évelyne Gebhardt, Annuaire du Parlement européen
  15. (de) Intervention d'Évelyne Gebhardt en séance plénière au Parlement européen
  16. Voir le paragraphe Votes des commissions du PE de l'article Où en est la directive Bolkestein ?, site personnel de l'eurodéputé vert Alain Lipietz
  17. Résultats du vote sur la directive services dans la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs - 30 novembre 2005], site personnel Alain Lipietz
  18. La directive Bolkestein socialement métamorphosée de Libération
  19. On peut consulter sur le site du Parlement européen :
  20. (en) Poettering welcomes vote on Services Directive - Le vote serait un pas important vers la Stratégie de Lisbonne, ouvrirait des opportunités pour les petites et moyennes entreprises, améliorerait la compétitivité de l'Europe, éviterait le dumping social et serait favorable à la création d'emplois, site du PPE
  21. principalement des pays de l'Est, Hongrie et Pologne notamment
  22. La directive néolibérale Bolkestein remplacée par une proposition équilibrée - Poul Nyrup Rasmussen, président du PSE
  23. uniquement les partis socialistes belges et français, à l'exception en ce qui concerne ce dernier de Michel Rocard (vote pour) et de Gilles Savary (vote neutre) qui dénonce très durement le "vote de posture" de ses camarades.
  24. principalement en Allemagne, en Autriche et en Hongrie
  25. Voir la page spéciale Directive Services des Verts français au Parlement européen
  26. principalement les députés de Lituanie et de Pologne
  27. "la nouvelle directive Bolkestein est un mensonge" - Philippe de Villiers, article paru le 16 février 2006 dans Le Figaro
  28. Francis Wurtz: "la règle absolue demeure la mise en concurrence" in L'Humanité, 18 février 2006
  29. Amendements 372-373 du groupe GUE/PCF (site du Parlement européen)
    Objet : exclut les services publics de la directive
    Justification avancée : L'article III-6 du traité constitutionnel stipule que "l'Union et ses États membres […] veillent à ce que ces services fonctionnent sur la base de principes et dans des conditions, notamment économiques et financières, qui leur permettent d'accomplir leurs missions. La loi européenne définit ces principes et ces conditions sans préjudice de la compétence qu'ont les États membres, dans le respect de la Constitution, de fournir, de faire exécuter et de financer ces services." Selon le GUE/PCF, ne pas exclure les services d'intérêt général des dispositions de la directive constituerait un tel préjudice.
  30. Véritable succès pour les travailleurs européens - la Confédération européenne des syndicats sur l'avis en première lecture du Parlement européen
  31. Brevets logiciels : quand Michel Rocard relève les "inélégances" de la Commission européenne
  32. Directive « Services » : la CES se félicite de l’accord du Conseil - 30 mai 2006
  33. (en) What single market?, Wall Street Journal, 1er juin 2006
  34. "Directive services : libéralisation zéro", article dans Le Figaro
  35. [pdf] Proposition de directive-cadre relative aux services d'intérêt économique général - groupe socialiste du Parlement européen, 30 mai 2006

Voir aussi

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Articles connexes

Sources officielles

Sur le vote en première lecture du Parlement européen

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