- Poétique (Aristote)
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La Poétique (en grec : Περὶ ποιητικῆς / Perì poiêtikês, « De la poétique ») est un ouvrage d’Aristote portant sur l'art poétique et plus particulièrement sur les notions de tragédie, d’épopée et d’imitation. Il a influencé la réflexion occidentale sur l'art pendant des siècles et a été sujet à de nombreuses controverses au cours du siècle classique français puis de la période pré-romantique allemande.[réf. nécessaire]
Sommaire
La production poétique
Aristote pense la création artistique et la production artisanale comme des productions poétiques (du grec ποίησις, poesis) et non « pratiques » (de πρᾶξις, « praxis »). Cela signifiant qu'elles n'ont pas leur fin en elles-mêmes à la différence de la praxis, qui a sa fin en elle-même (telle l'action morale).
La production poétique est conçue en outre comme la réalisation d’une idée conçue préalablement dans la Métaphysique. En cela, il s'oppose à Platon, pour qui l’artiste est inspiré par la divinité et ne maîtrise pas le procédé de sa création[1]. Ainsi, toute production nécessite :
- une cause formelle (idée de l’objet à produire présente dans l’imagination de l’artisan ou de l’artiste) ;
- une cause matérielle: la matière sur laquelle l’homme agit ;
- une cause efficiente: la maîtrise technique et l’effort fourni par l’homme pour transformer la matière et la rendre conforme à l’idée initiale ;
- et une cause finale: l'intention ou fin visée.
L’art poétique comme imitation
Dans la Poétique, Aristote semble s’inscrire dans la tradition platonicienne en présentant l’art comme une imitation. En effet, Platon explique au livre X de la République que l'œuvre d'art n'est qu'une imitation d'imitation, la copie d'une copie. Car l’artiste ne fait qu’imiter l’objet produit par l’artisan ou par la nature, objet sensible qui est lui-même la copie ou l'imitation de son essence (l'Idée ou Forme). L’art pour Platon, en tant que production d’objet, n’est donc qu’une imitation de second ordre, copie de la copie de l'Idée. L'œuvre d'art est ainsi de piètre valeur, car doublement éloignée de la vérité. Et l'artiste lui-même apparaît comme un danger pour la réalisation de la République, puisqu'il est un illusionniste, qui fait tenir pour vrai ce qui est faux et peut ainsi renverser dans l'apparence qu'il construit l'ordre des valeurs.
C'est sur ce point qu'Aristote se sépare de Platon. En effet, Aristote ne songe pas à exclure les artistes de la cité : il leur reconnaît tout au contraire une utilité dans l'ordre de la cité. Aristote présente en effet la notion d’imitation sous un jour tout à fait nouveau, qui nous permet d'en comprendre l'intérêt.
Pour lui, les hommes aiment imiter, pour deux raisons essentielles qui sont le plaisir et la connaissance.
Le plaisir esthétique fait ainsi sa première apparition dans l’histoire de la philosophie. Il est produit par l'émotion que provoque l'œuvre, qui touche et excite nos passions qui trouvent en elle un exutoire : « il s'agit, non seulement d'imiter une action dans son ensemble, mais aussi des faits capables d'exciter la terreur et la pitié, et ces émotions naissent surtout et encore plus, lorsque les faits s'enchaînent contre notre attente » (Aristote, La Poétique, chapitre IX - Histoire et Poésie).
Aristote développe alors l'idée selon laquelle nous pouvons prendre plaisir à voir une représentation d’une chose répugnante: « des objets réels que nous ne pouvons pas regarder sans peine, nous en contemplons avec plaisir l'image la plus fidèle ; c'est le cas des bêtes sauvages les plus repoussantes et des cadavres. » (Aristote, La Poétique Chapitre IV - Origine de la poésie - Ses différents genres.) L’important n’étant pas l’objet de la représentation mais cette représentation elle-même.
Il insiste cependant sur la distance existant entre la chose représentée et son imitation :
- L’imitation ressemble à cet objet mais n’est pas lui, elle résulte du travail de l’artiste, de la manière dont il met en forme son modèle.
- L’imitation peut donc être belle, en tant que fruit de l’élaboration de l’artiste, à partir de n’importe quel modèle, et même si ce modèle n’est pas beau en lui-même.
L'imitation consiste en effet à reproduire la « forme » de l'objet sur une autre scène et dans une autre « matière », à la mimer dans le geste ou le récit, pour que la passion puisse s'y épancher sans toucher l'ordre de la réalité.
L'objet de sa démonstration tient dans l'idée que la représentation artistique, en imitant des situations qui ne sauraient être moralement tolérées dans la réalité de la communauté politique (crimes, incestes, etc.), permet la « catharsis », c'est-à-dire l'épuration des passions mauvaises des hommes qui auraient pu menacer l'ordre réel de la cité si elles n'avaient trouvé à s'épancher dans la contemplation de l'œuvre. L'art est ainsi salutaire pour l'ordre de la cité, qu'il protège en détournant la satisfaction des passions mauvaises dans un autre ordre, celui des imitations, où elles peuvent se satisfaire par imitation ou mimétisme, sans attenter à la réalité de l'ordre politique commun.
En ce qui concerne la connaissance, Aristote s'oppose ici aussi radicalement à Platon qui nous exhorte à nous détacher des apparences sensibles et à nous tourner vers la réalité Idéale. Aristote explique en effet qu’il faut s’imprégner du sensible afin d’en former une idée que l’on garde en mémoire, ainsi pouvons-nous reconnaître instantanément l’objet lorsqu’il nous est à nouveau présenté. De ce fait, l’imitation de la réalité sensible, nous permet de nous en imprégner, donc de la connaître et de la reconnaître plus facilement. C'est la raison pour laquelle nous commençons par regarder des livres d'images.
La tragédie
Aristote accorde une place essentielle à la tragédie. C'est un point débattu entre philologues[2] de savoir si la partie de la Poétique consacrée à la comédie, et que certains commentaires d'Aristote semblent attester[3], a jamais été rédigée.
Cet hypothétique second tome est le ressort de l'intrigue du roman Le Nom de la rose d'Umberto Eco (1980), porté à l'écran par Jean-Jacques Annaud en 1986.
Définitions
Il s’agit de l'« imitation d’une action noble, accomplie jusqu’à sa fin et ayant une certaine étendue, en un langage relevé d’assaisonnements (rythme, mélodie et chant). C’est une imitation faite par des personnages en action, et non par le moyen de la narration , et qui par l’entremise de la pitié et de la crainte, accomplit la purgation des émotions de ce genre (...) » (chapitre 6)
Il s’agit d’une histoire qui possède une introduction, un développement et une fin. L’action des personnages doit être vraisemblable et il est conseillé qu’au moins l’un des personnages se réfère à une personne ayant existé. La tragédie se distingue de l’épopée en ce que cette dernière se fait au moyen de la narration.
La catharsis
La purgation des émotions, ou catharsis, se produit de la manière suivante : le spectateur est censé ressentir de la pitié ou la crainte face au spectacle qu'il voit. Mais en même temps, il ressent un plaisir à ressentir des sentiments de crainte et de pitié. Autrement dit, ce qui permet de se détacher de ces émotions est la construction de l’histoire. Seule une histoire bien liée selon les règles pré-citées permet d’obtenir ce résultat. (chapitre 14)
« Parties » de la tragédie » ou moyens par lesquels doit être réalisée cette imitation
- l’organisation du spectacle, qui englobe les cinq autres parties, mais qui n’appartient pas véritablement à la poétique
- l’histoire, ou « agencement des actes accomplis » est sa partie la plus importante, dans la mesure où elle comprend sa fin : chapitres 8, 9, 10, 11, 13, 14 (+ notion de catharsis), 17, 18
- le caractère « est ce qui est de nature à déterminer un choix » : « ce qui permet de dire que les personnages en action sont tels ou tels » ; « le caractère sera bon si le choix est bon » chapitre 15
- la pensée « appartient au domaine de la pensée tout ce qui doit être produit par des paroles : démontrer, réfuter, produire des émotions comme la pitié. » Mais, dans le cas de la tragédie, les effets doivent se manifester sans raisonnement, découlant des paroles ou des actes (chapitre 19).
- la composition du chant et de l’expression (au moyen desquels se produit l’imitation)
- le chant est le principal assaisonnement
- l’expression est « la manifestation de la pensée à travers les mots » et l' « agencement des mètres » : elle « permet de donner aux histoires leur forme achevée en se mettant le plus possible les situations sous les yeux... permettant ainsi d’éviter les contradictions internes... » (chapitre 17)
Parties de l'expression, ou anticipation de la linguistique
Le chapitre 20 expose « les parties de l’expression prise dans son ensemble : la lettre, la syllabe, la conjonction, le nom, le verbe, l’article, la flexion et l’énoncé »... Il convient ici de remarquer le caractère tout à fait novateur de cette étude que l’on pourrait désigner, par anticipation, de la linguistique.
Plus petite unité de son
« La syllabe est un son sans signification » sera ainsi reformulée par les linguistes :
« non pas la syllabe, mais le phonème ( par exemple [a], [g], [p], [d]) est la plus petite unité phonique de sens. »
Plus petite unité de sens
« Le nom est un son composé et signifiant qui n’indique pas le temps, dont aucune partie n’est signifiante par elle-même » (voir aussi de l’interprétation, 2) ⇒ le nom est la plus petite unité signifiante... tout mot est une combinaison de son et de sens.
L'articulation du langage
La notion linguistique d’articulation du langage est présente et même fondamentale chez Aristote, dans la mesure où elle lui permet de distinguer l’homme de l’animal : - articulation des lettres en syllabes (ou phonèmes) ; poétique XX, 1456 b, 20 à 25 - articulation des syllabes (...) en noms ; poétique XX, 1457 a, 10 à 15 ; et de l'interprétation II, 20 à 30 - articulation des noms en discours ; de l'interprétation, 4
Caractère conventionnel du langage
Dans le texte de l’interprétation, Aristote précise le caractère conventionnel du langage :
« le nom est un son vocal, possédant une signification conventionnelle... rien n’est par nature un nom , mais seulement quand il devient symbole, car même lorsque des sons inarticulés, comme ceux des bêtes, signifient quelque chose, aucun d’entre eux ne constitue cependant un nom. »
Éditions anciennes de La Poétique
- En 1802, le philologue allemand Gottfried Hermann publia une édition de La Poétique.
Annexes
Articles connexes
- Le Nom de la rose, d'Umberto Eco. Pour les besoins de son roman, l'auteur invente et rédige quelques extraits du second volume de la Poétique, consacré à la comédie. L'intrigue du roman tourne autour d'un livre mystérieux, interdit, lié à une série de morts suspectes. Ce livre, qui n'est autre que cette deuxième partie de la Poétique, disparaît à jamais dans les flammes, ce qui explique qu'il faut désormais se contenter du premier, consacré à la tragédie.
- Kaamelott, où la Poétique est abondamment commentée par Arthur s'adressant à Perceval (saison 3 et saison 4).
- La Dramaturgie, d'Yves Lavandier, considéré par Jacques Audiard et d'autres[4] comme un équivalent contemporain de La Poétique.
Liens externes
- Audiolivre : Aristote, La Poétique
- Aristote, Poétique. Texte bilingue.
Notes et références
- Ion, Platon
- Aristote, La poétique [Lycée Henri IV, classe de Lettres Supérieures, 1996], 1997. Cf. l'introduction de Michel Magnien à la Poétique d'Aristote (Le Livre de poche. Classique, Paris, 1990 (ISBN 978-2-2530 5241-8)). Voir Jacques Darriulat,
- Ch. 6 (49 b 21) ; Rhétorique (1372 a 1 : « les choses risibles (peri geloiôn) » et 1419 b 6 « les espèces de plaisanteries (eidê geloiôn) »). À propos des geloia : Poétique,
- (fr) Les professionnels témoignent sur La Dramaturgie
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