Pervers polymorphe

Pervers polymorphe

Perversion

La perversion est à l'origine le fait de détourner de l'orientation de base, de la cause commune ou des logiques naturelles. Dans le langage courant, le terme a une connotation péjorative, due à l'emploi religieux de ce mot comme signifiant une forme du mal.

En psychologie, la perversion est définie d'abord par la psychanalyse comme une organisation psychique utilisant un mode relationnel permettant d'assouvir ses pulsions par des actes opérés au dépends de l'autre, sans pour autant ressentir de culpabilité. Les traits caractéristiques de ce mécanisme de défense sont donc la manipulation et le déni de l'altérité. La perversion sexuelle n'est qu'une expression de ce qu'on appelle également perversion morale pour éviter l'amalgame.

L'enfant est dit pervers polymorphe par Freud pour exprimer le fait qu'il s'adapte et se structure autour de ses propres pulsions partielles. Autrement dit, il transforme sa libido en passant par différents stades au cours de sa maturation (du stade oral de la tétée au stade génital de la reproduction). Dans cet entendement ce mécanisme est considéré comme normal s'il accompagne le passage d'un stade à l'autre. S'il n'est pas transitoire et occasionnel il est considéré comme un mode relationnel pathologique, y compris chez l'enfant.

L'histoire de ce qui est considéré comme perversion a évolué en fonction des époques et des conception de la moralité. Exprimant le plus souvent une déviance de la sexualité vers ce qui est considéré comme immoral, il garde le plus souvent cette connotation dans le discours courant, bien qu'il soit utilisé en psychologie et en psychiatrie selon une définition sans rapport aux dogmes religieux.

Sommaire

Approche lexicale

Selon les dictionnaires

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Voir « perversion » sur le Wiktionnaire.

On trouve ainsi parmi les définitions [1]: « Enclin au mal; qui fait, qui aime à faire le mal », « qui est totalement dépourvu de sentiments et de sens moral », ou encore « Dont le comportement sexuel s'écarte de la normalité. »

Les synonymes les plus proches serraient [2] : mauvais, méchant, diabolique, pernicieux, vicieux, morbide, malfaisant, dépravé, débauché, corrompu, malsain, ...

Étymologie

Le terme pervertir est issu de deux termes latins (per qui signifie par et vertere que l'on peut traduire tourner). La traduction la plus littérale serait mettre sens dessus-dessous ou détourner (de son usage initial). Dans le latin ecclésiastique du IIIe siècle ce terme désignait toute opération de falsification d'un texte et par extension une volonté de corrompre les esprits en les détournant du dogme.

Ce n'est qu'au XIIe siècle que le terme pervers est utilisé en langue française sur cette racine latine et il est employé pour désigner une personne qui est « enclin à faire le mal »[3]

Terminologies associées ou distinguées

  • La terminologie perversion sexuelle est parfois associé (dans le langage courant notamment) et parfois distingué (quant il s'agit d'une notion psychologique)
  • La terminologie perversion morale est parfois utilisé pour marquer cette distinction, elle est donc faite synonyme du terme perversion dont la perversion sexuelle est considéré une de ces formes possible.
  • Certain auteurs distinguent Perversion et perversité

Perversion et perversité

Le terme perversité vise, quant il est distingué de la notion de perversion, a se rapprocher de l'origine latine perversitas dérivé de perversus (pervers) qui désigne celui qui inverse, renverse ou retourne...

Il vise donc à distinguer un concept décrivant les types de comportement qui sont perçus comme déviants de ce qui est considéré orthodoxe ou normal, de ce qui est contraires à l'éthique humaine selon la perspective de la psychanalyse. Toutefois, les différents auteurs ne s'accordent pas sur la distinction entre perversion et perversité ; cet article ne peut qu'en restituer le débat.

En 1869, Krafft-Ebing définit la perversion en deux grands groupes : celui où l'action est perverse, comme dans le sadisme, le fétichisme - et celui où l'objet est pervers, comme dans l'homosexualité, la pédophilie ; il décrit l'objet pervers comme « le plus souvent, une conséquence » de l'action perverse. (Aujourd'hui, l'homosexualité n'est plus considérée comme une perversion.)

En 1975, Henri Ey propose, dans le Manuel alphabétique de psychiatrie, les deux articles perversité et perversion : « Le pervers ne s'abandonne pas seulement au mal, mais le désire ». Ce désir devient loi existentielle : la perversion « reste rivée à un stade de développement dont la structure affective est devenue la loi de son existence ».

Selon Joël Dor, la description de la perversion que fait Henri Ey ne permet pas de différencier perversité et perversion. Cette définition psychiatrique renverrait non pas au domaine psychopathologique mais à celui de la morale, en tout cas aux critères sociaux hors psychopathologie : le « champs psychopathologique, lequel - s'il existe - reste totalement sanctionné par des normes morales et idéologiques qui invalident, par avance, toute conséquence clinique ».

Serait donc coupée de la psychologie clinique la distinction entre perversion et perversité.

La structure perverse

Distinguer le normal du pathologique

La structure perverse est parfois définie comme une déviance d'adaptation qui peut être soit normale, soit pathologique en fonction du rapport à l'autre:

« Le pervers normal est celui qui peut se débrouiller sans dépendre des autres, sans faire trop souffrir. Le pervers pathologique sera celui qui fera souffrir les autres.[4] »

On ne parle donc de perversion, de perversion morale ou de structure perverse que s'il y a tendance à soumettre l'autre à un fonctionnement qui ne satisfait pas cet autre qui se sent alors maltraité, abusé, qui a l'impression de ne compter pour rien. Les trois traits suivants doivent également être réunis pour envisager une structure perverse :[5]

  • La personne qui y fait face se sent entrainée à faire exactement le contraire de ce qu'elle veut faire, et se sent dans l'impossibilité de pouvoir faire autrement.
  • Le choix de rester ou non avec la personne en cause entraine dans les deux cas le sentiment de perdre la face.
  • Les faits sont accompagnés d'un sentiment d'immoralité.

La moralité dont il est question est exclusivement relative au respect de l'altérité, l'immoral commençant lorsque qu'elle est niée ou manipulée. Toute déviance qui n'entraine pas l'autre ne peut être considérée comme une perversion pathologique, quelles que soient les considérations morales qu'elles pourraient enfreindre.

Interprétations et mécanismes

Ce qui cause cette agression à l'autre dans le cas d'une relation perverse pathologique est théorisé et expliqué comme un phénomène de projection des contradictions internes et des souffrances que l'individu évite de ressentir.

Il s'agit donc d'un mécanisme de défense, c'est à dire d'un phénomène psychique qui vise à éviter une souffrance interne, et qui utilise l'autre comme un objet, comme support permettant d'extérioriser ce qui serait sinon insoutenable, ou déstructurant pour l'individu qui utilise un fonctionnement pervers pour s'en prémunir.

Si ce mécanisme vise à valoriser l'égo, l'image narcissique, on parle parfois de perversion narcissique, bien que cette terminologie ne soit que peu utilisée dans le cadre médical reconnu.

Si ce mécanisme est porté sur les relations sexuelles, on parle de perversion sexuelle. Cet entendement d'ordre psychiatrique induit l'imposition à l'autre d'une relation sexuelle au détriment des volontés de cet autre. Cette définition ne doit pas être amalgamée avec le sens de relations sexuelles non admises par le culte religieux ou les mœurs en cours.

Mise en place du mécanisme pervers

La perversion est donc un mode de fonctionnement, qui peut ou pourrait être utilisé par tout un chacun. Par contre, chez certains ce mécanisme s'installe comme un mode de fonctionnement préférentiel, probablement plus satisfaisant. Plus ce mécanisme est utilisé et plus il se renforce, notamment car l'utilisation de l'autre comme objet le prive de tout retour affectif structurant. Ce développement sur le mode pervers reste pourtant un choix adaptatif fait par l'individu.

La perversité infantile et non pathologique

L'enfant pervers polymorphe

L'origine de l'entendement en psychanalyse est une théorisation du développement normal de l'enfant. Sigmund Freud a utilisé l'image des mécanismes de la sexualité pour imager la construction psychique de l'individu qui en intègre les éléments par partie. Il a ainsi développé une théorie sexuelle présenté principalement en 1905[6]. Il y présente une notion d'enfant « pervers polymorphe » dont on peut lire cent ans plus tard le regard porté par la psychiatrie :

« On sait que Freud a provoqué un scandale, aujourd'hui désamorcé, en traitant l'enfant de "pervers polymorphe". Il entendait par là d'une part que la sexualité infantile normale s'exerce sous les multiples aspects des pulsions partielles et n'est pas soumise au primat de l'amour génital (sexualité polymorphe), d'autre part que cet exercice s'opère sans culpabilité (l'absence de souffrance névrotique signe la structure perverse qui par là est bien le négatif de la névrose). [7] »

La notion de perversion est alors associé aux mutations entres les stades, au passage d'un aspect de la sexualité à un autre (l'extrait précise sexualité morale pour bien rappeler qu'il est question ici de la structuration psychique). Elle désigne un état momentané d'adaptation, et ce n'est que s'il s'installe dans la duré ou hors de ce rôle adaptatif qu'il est question de structure perverse.

Histoire du concept de perversion sexuelle

Naissance d'un discours médico-légal sur les perversions sexuelles

En France, depuis le code Napoléon (loi du 22 février 1810), les affaires de mœurs étaient jugées selon des principes simples et qui marquaient un grand progrès par rapport à la situation sous l'ancien régime :

  • En ce qui concerne les adultes, on ne punit en matière sexuelle que le scandale public de l'outrage aux bonnes mœurs et l'attentat à la pudeur ;
  • Par contre tout commerce sexuel avec un (ou une) mineur(e) est considéré comme un crime.

La philosophie de ce texte était claire : il s'agissait en premier lieu de faire des relations sexuelles entre adultes consentants une affaire privée qui devait se dérouler dans un cadre privé et deuxièmement de protéger les mineurs (mêmes consentants) de toute relation sexuelle. Ce tournant législatif napoléonien était un progrès dans la mesure où les pouvoirs publics n'avaient plus à s'intéresser aux conduites sexuelles des citoyens alors que sous l'ancien régime la sodomie était considérée comme un crime et que toutes les conduites sexuelles étaient soumises au crible d'un moralisme directement inspiré du discours religieux.

Le cas du sergent Bertrand

C'est dans ce contexte qu'en 1849, un sergent de l'armée française, reconnu comme un bon sous-officier par ses supérieurs, est poursuivi par un tribunal militaire : il est entré nuitamment dans un cimetière, a forcé une tombe et a profané le cadavre tout récemment enterré d'une jeune fille. Le sergent était coutumier de ce type de comportement, il avait déjà profané d'autres tombes, il avait même mutilé certains cadavres et ses actes se terminaient par une éjaculation. Le sergent Bertrand reconnaît les faits et il est condamné (légèrement) pour violation de sépulture, c’est-à-dire, un délit qui s'apparente à une violation de domicile, mais absolument pas, pour son comportement sexuel qui n'intéresse quasiment pas les juges.

Un psychiatre de l'époque, le docteur Lunier, s'élève alors contre ce jugement dont la sentence avait été pourtant clémente. Il prétend que cette condamnation était injuste car, le sergent ressort de l'article 64 du code pénal de l'époque, c'est-à-dire l'article qui permet à un justiciable de ne pas être jugé si l'examen par un expert de ses facultés mentales conduit à le déclarer irresponsable. Pour le Dr Lunier, le sergent Bertrand doit être soigné et conduit à l'asile, pas en prison.

Pour Georges Lanteri Laura qui a retracé l'histoire de l'appropriation médicale des perversions, l'Examen d'un cas de monomanie instinctive du Dr Lunier marque un tournant dans l'attitude des médecins français. Alors que la loi excluait tout examen de la jouissance sexuelle de l'accusé (et donc de sa moralité sexuelle) la médecine voudrait introduire cette dimension. Et pour dire quoi ? Que l'accusé est aliéné et qu'il doit être conduit à l'asile. Car, pour la théorie médicale de l'époque, la monomanie instinctive est une forme d'aliénation mentale.

Un retour à l'ordre moral

Après la troisième Restauration, la Monarchie de Juillet (1830 -1848) était favorable à un retour du religieux. La médecine, par ses prétentions à arbitrer le sexuel, avait fourni aux pouvoirs publics un bon prétexte au retour du moralisme.

Pour le Christianisme, la justification du fait sexuel est la reproduction de l'espèce dans le cadre du sacrement du mariage. La recherche du plaisir seule n'est pas une justification. Dans le cadre du mariage, il est parfaitement légitime que les époux entretiennent des relations. C'est même souhaité, puisque le mariage n'est valide qu'après que les époux aient fait l'amour au moins une fois (consommation du mariage). Ceci a des conséquences très précises pour la morale religieuse : l'acte sexuel principal est la pénétration vaginale entre époux; la finalité en est l'éjaculation dans le vagin. Si des préliminaires se déroulent avant, elles doivent conduire à cela.

Mais la médecine se situait également comme une rivale du pouvoir religieux. Elle va donc bénéficier de la bienveillance du pouvoir politique sans pour autant reprendre les termes du discours religieux. Le discours médical s'intéressait aux comportements sexuels considérés comme déviants pour tenter de montrer qu'il s'agissait de formes partielles d'aliénations mentales.

C'est au milieu du XIXe siècle, dans le Littré, que pour la première fois, la notion de perversion est associée, aux mœurs sexuelles :

« Perversion. Changement de bien en mal. La perversion des mœurs. Trouble, dérangement. Il y a perversion de l'appétit dans le pica, de la vue dans la diplopie. ».

Quelque temps plus tard, cette définition est reprise telle quelle, dans ce qui est considéré comme le Littré médical, en y ajoutant toutefois un nouvel élément : « Perversion morale des instincts, V. Folie héréditaire. » (E. Littré et Ch. Robin).

De la perversion morale des instincts, on passera avec Valentin Magnan à la perversion sexuelle qui s'imposera dans la langue française alors qu'en langue anglaise la notion d'aberration prévaudra. En allemand, deux expressions se feront concurrence :

  • sexuelle Abirrungen (aberrations sexuelles) qui sera employé par Freud ;
  • Anomalien des Geschlechtstriebes (anomalies des pulsions de reproduction de l'espèce) qui sera utilisé par Krafft-Ebing.

Typologie médicale des déviations sexuelles au XIXe siècle

Magnan ne s'est pas attaché à étudier les perversions une à une. Cette étude n'avait aucun intérêt pour lui puisque les perversions ne pouvaient s'expliquer, dans sa perspective positiviste que par une anomalie du système nerveux central. Pour lui la vie sexuelle est définie par un modèle anatomo-physiologique, certains individus s'éloignent de ce modèle pour parvenir à l'orgasme. Ce détour qu'ils empruntent par rapport au modèle anatomo-physiologique serait donc l'expression d'une disharmonie du système nerveux.

Cette description absolument exempte de préoccupations morales va cependant aboutir à un classement des pervers en deux groupes radicalement opposés :

  1. Les sujets instruits, reconnus socialement, ayant des responsabilités professionnelles et dont la perversion est ignorée de leur entourage, sont considérés comme des hommes honorables, mais dont la conduite sexuelle détonne et pour tout dire apparaît comme une anomalie dans leur personnalité. Eux-mêmes reconnaissent comme une anomalie leurs penchants, ils les déplorent parfois et l'homme de science s'étonne de leur comportement sexuel. Il s'agit des bons pervers. On trouve dans cette catégorie les exhibitionnistes ou les homosexuels de la bonne société.
  2. Chez les personnes mal insérées socialement, instables professionnellement et au mode de vie socialement réprouvé, les conduites perverses sont décrites comme agressives, cruelles, elles suscitent non pas l'étonnement mais la répulsion. Ils refusent d'admettre l'anomalie qui est la leur. Ce groupe renvoie, selon Lanteri-Laura « à la notion de perversité, et tous ces traits de caractère viennent des anciennes notions de folie morale et de moral insanity. ». C'est de cette catégorie que Magnan fera dériver la notion de dégénérescence.

Usage psychanalytique de la notion de perversion

En ce qui concerne les conduites sexuelles Sigmund Freud se situe à la fois dans la continuité et dans la rupture par rapport au discours médical de son époque.

Les « aberrations sexuelles » selon Sigmund Freud

Les trois essais sur la théorie de la sexualité commencent par un premier essai intitulé les aberrations sexuelles dans lequel Freud passe en revue l'ensemble de ce qui semble déroger avec les représentations que l'opinion commune se fait de la sexualité c’est-à-dire « une attraction irrésistible exercée par l'un des sexes sur l'autre » et dont le « but serait l'union sexuelle, ou du moins un ensemble d'actes qui tendent à ce but. » Freud ne s'attarde pas à décrire ces aberrations sexuelles, il reprend en les survolant les descriptions de Krafft-Ebing, Havelock Ellis, Albert Moll, J. Bloch et bien d'autres. Il peut alors se consacrer à ce qui lui importe : les mécanismes psychiques à l'œuvre dans la sexualité.

Freud apporte à la clinique des aberrations sexuelles une description que l'on pourrait qualifier de structuraliste s'il ne s'agissait pas, en l'occurrence, d'un anachronisme. Au lieu d'opposer les vices aux maladies comme certains de ses prédécesseurs ou la normalité à l'anormalité, Freud fait des aberrations sexuelles un tableau clinique descriptif fondé sur ce qui, en français, est traduit par objet et but. Cette définition va de pair avec celle de la pulsion, qui est une énergie corporelle ayant une source, un objet, un but, et une poussée, c'est-à-dire que le désir s'enracine dans le corps, qu'il vise quelqu'un (ou quelque chose), qu'il se fixe un objectif à propos de ce dernier, et qu'il y tend avec une certaine force.

Dans le paradigme de Freud, « objet » désigne une représentation au sein d'une réalité psychique, donc une pensée d'un « sujet » qu'il faut ici entendre sujet au sens racinien du terme, souligne Georges Lanteri Laura. « But » doit s'entendre comme « visée » des deux partenaires sexuels, en l'occurrence le plaisir (et non finalité au sens de la normalité, par exemple la procréation).

Ainsi, la perversion peut être déviation au sens de :

  • changement d'objet, par ex. dans l'homosexualité (autrefois), la pédophilie, la zoophilie ;
  • changement de but, par ex. regarder dans le voyeurisme, ou être regardé dans l'exhibitionnisme ;
  • changement de zone érogène, par exemple dans le fétichisme ;
  • enfin, la perversion peut signifier la nécessité de conditions particulières afin d'atteindre la satisfaction sexuelle.

Ces conditions correspondent à des retours à des positions psychiques ayant été vécu dans l'infantile du sujet

À partir de ces deux critères que sont le but et l'objet Freud établit une description combinatoire que Lanteri Laura a résumé par le tableau suivant :

Non-malades vs malades Non-pervers vs pervers Résultats
+ + normaux
+ - pervers non-malades
- + névrosés
- - pervers malades

Dans cette description Freud veut montrer que la perversion n'est pas un mécanisme qui se situe à part de la vie sexuelle, elle en fait partie intégralement. Ce n'est que dans certains cas, quand il y a « exclusivité et fixation que nous sommes justifiés en général de considérer la perversion comme un symptôme morbide. »

L'intérêt de la description freudienne c'est qu'il déplace le centre d'intérêt sur l'étude des perversions sexuelles. Au lieu de s'attacher à l'étiologie (hérédité, prédisposition, dégénérescence, circonstances biographiques) ou à une opposition normalité vs anormalité, il s'intéresse aux mécanismes et permet de poser les bases d'une véritable étude psychopathologique de ce domaine.

L'enfant comme "pervers polymorphe"

C'est surtout le deuxième des trois essais sur la théorie de la sexualité qui fut remarqué à l'époque de sa publication. On ne donnera pas ici les détails de ce texte qui est exposé dans l'article sexualité infantile mais rappelons simplement que Freud veut montrer que la vie psychique commence dès la naissance par la création d'espaces qui se créent chez tout sujet au-delà de la satisfaction des besoins physiologiques mais en s'appuyant sur ceux-ci. Chacun de ces espaces ou zone érogène se crée par le sujet lui-même, en instituant une partie de son propre corps comme objet érotique alors que parallèlement il s'abandonne probablement à une remémoration de la satisfaction éprouvée pendant la satisfaction physiologique du besoin organique. Par exemple le nourrisson, après la tétée continue à suçoter alors qu'il n'a plus faim et pendant ce suçotement, qui est un acte réflexe, il investit une partie de son corps propre (pouce, doigt de pied, mèche de cheveux) ou un substitut (drap, etc.). Il s'agit selon Freud d'une action auto-érotique pendant laquelle il réactive le plaisir de la satisfaction de la tétée ; c'est pendant ce temps qui n'est pas dépendant de la satisfaction physiologique que s'établit l'embryon de l'espace désirant et fantasmatique chez tout être humain.

L'être humain expérimente donc la vie pulsionnelle dans un premier temps au travers de plusieurs zones érogènes. Plus tard il accédera à une conscience de son unité corporelle mais il restera toujours marqué par ce morcellement pulsionnel initial. Quand Freud dit que les enfants sont des pervers polymorphes il veut simplement rappeler que nous somme tous passés par une étape première dans notre vie sexuelle (d'abord non génitale puis génitale) où la satisfaction de chacune des zones érogènes a prévalu pour elle-même. L'éducation et les modèles sociaux nous ont appris un modèle sexuel (la reproduction, l'amour entre adultes consentants, etc.) mais ces modèles sont seconds et peuvent entrer en conflit avec la satisfaction pulsionnelle.

D'ailleurs, nous fait remarquer Freud, les préliminaires amoureux ne renvoient-ils pas aux satisfactions partielles chez l'être humain : le plaisir de regarder ou de montrer n'est-il pas une pulsion partielle ? Il en est de même des baisers, des caresses de tout ordre qui peuvent précéder l'acte génital.

La perversion comme issue possible de la "crise œdipienne"

Depuis 1895 Freud s'attachait à montrer qu'il existe en tout être humain une instance dont il n'est pas maître et qu'il appelle inconscient que l'on peut considérer comme le principal moteur du psychisme. C'est ce moteur qui fait surgir chez le sujet humain des évocations, des représentations associées, des affects qui entrent en conflit avec l'éducation, c'est-à-dire les règles sociales formulées ou induites par l'entourage de tout enfant. À l'issue de la crise œdipienne le sujet aura trois voies de résolution des conflits inconscients entre ses pulsions et l'éducation qu'il a reçue :

  • Les névroses dont le mécanisme inconscient spécifique est le refoulement ;
  • Les psychoses dont le mécanisme inconscient est la Verwerfung que Lacan traduira par forclusion.
  • Les perversions dont le mécanisme inconscient est le déni, "Verleugnung".

Nous ne développerons ici que le déni qui est le mécanisme inconscient de la perversion. Il s'agit d'une fixation inconsciente au stade infantile qui intervient au début de la crise œdipienne au moment particulier où l'enfant prend réellement conscience de la différence des sexes notamment en s'interrogeant sur les différences anatomiques qui distinguent les hommes des femmes. Alors que pour le petit enfant la puissance symbolique semblait incarnée par sa mère il constate qu'elle n'est pas pourvue de l'organe viril, elle semble marquée d'un manque, d'une absence. Pour certains enfants cette différence apparaît insupportable, ils s'orienteront vers le déni c'est-à-dire un refus d'admettre cette différence.

Dès lors la vie pulsionnelle du sujet orienté vers la perversion va fonctionner sur un clivage qui va affecter foncièrement sa vie :

  • Dans sa vie sociale le sujet pervers se comportera comme tout un chacun et il pourra même être reconnu comme un citoyen exemplaire ou brillant ce Moi est réaliste et conscient ;
  • Dans sa vie sexuelle par contre, le pervers ne pourra atteindre la jouissance (ou atteindre ce qu'il considère comme une vraie jouissance) qu'à certaines conditions qui dépendent de la nature de sa perversion et si ces conditions entrent en conflit avec les lois sociales il sera tenté de les transgresser ; il s'agit là du Moi de la réalité psychique qui est subordonné au principe de plaisir.

Ainsi le fétichiste sait parfaitement, dans sa vie sociale, que les femmes sont dépourvues de pénis mais, dans sa vie sexuelle, pour atteindre la jouissance, il doit se représenter une femme pourvue d'un fétiche qui vient symboliser la dimension phallique. Selon le type de fétichisme il s'agira d'un fouet, d'un certain type de chaussures ou tout autre objet qui, à ses yeux, le renverra à une représentation de la femme pourvue d'un supplément phallique qui viendrait compenser l'absence d'organe viril. Le fétiche est potentialisé par le regard et son aspect sécable lui confère sa valeur (c'est l'oscillation métaphoro métonymique de Rosolato)

D'une façon différente le travestisme est également une façon de dénier la différence sexuelle puisqu'il s'agit, dans le cadre de relations sexuelles, de jouir de la surprise que pourrait provoquer chez l'autre la découverte d'un sujet mâle pourvu des attributs féminins (par les vêtements) ou d'un sujet féminin pourvu (symboliquement) d'un sexe masculin.

Il ne s'agit pas ici de lister toutes les perversions mais de rendre compte d'un mécanisme descriptif qui fonde une sémiologie, étape indispensable dans une démarche clinique. On voit bien ici que le point de vue freudien se veut non moraliste. Ce que Freud veut nous montrer c'est qu'il y a au cœur de toute sexualité l'embryon de ce que l'on appelle la perversion puisque, enfant avant la crise œdipienne, nous passons tous par la découverte des pulsions partielles et qu'adulte nous continuons à pratiquer ces pulsions partielles comme préliminaires au coït.

Pour Freud, la grande différence entre le pervers et le non pervers c'est que le premier reste fixé dans son développement à la question de la non différenciation sexuelle et que, d'une certaine façon, il a besoin d'y croire pour jouir.

Les perversions aujourd'hui

Alors que la position freudienne aurait pu orienter la question de la perversion vers une perspective purement sémiologique et non moralisatrice de l'étude des conduites sexuelles, il n'en a rien été et on assiste aujourd'hui à un débat confus où dès que l'on parle de perversion, trois points de vue concurrents se contaminent sans réellement s'éclairer. À savoir :

  • Une description psychanalytique qui veut rester strictement au niveau de la description des mécanismes inconscients ;
  • Une description psychiatrique qui veut se situer dans une perspective médico-légale mais dont le discours est largement infiltré par des concepts moraux ;
  • Un discours courant qui tend à psychologiser abusivement une position avant tout moralisatrice et stigmatisante.

Point de vue actuel des psychanalystes sur les perversions

La théorie psychanalytique a peu évolué par rapport à la théorie freudienne rappelée ci-dessus.

Donald Meltzer critiqua la théorie freudienne, trop centrée sur une sexualité génitale hétérosexuelle, alors même que Freud reconnaît, en l'étayage de la sexualité sur le besoin alimentaire, la perversion fondamentale de toute sexualité humaine.

La sexualité humaine se distingue de la plupart des sexualités animales de par sa séparation d'avec la reproduction : c'est là, non pas une anormalité, mais bien une caractéristique essentielle de ce que Donald Winnicott nomme "la nature humaine".

Notons l'apport de Jacques Lacan qui insiste sur l'origine de l'orientation perverse. Selon lui, le « point d'ancrage » dans la structure perverse est à rechercher dans l'identification prégénitale de l'enfant (avant la crise œdipienne) : à cette époque la mère représente la figure phallique par excellence, le père ne le devenant qu'après la crise œdipienne et, en grande partie, dans la mesure où le discours maternel lui en laisse la place.

Joyce McDougall interroge la perversion comme création d'une "néo-sexualité" : cette "nouvelle" sexualité se fonde sur une nouvelle scène primitive. La représentation de l'acte sexuel entre les parents sort du commun ; elle est "lacunaire" au sens où le "pervers" n'en comprend pas les éléments.

S'il y a bien tentative de résoudre l'angoisse de castration par l'érotisation de ce qui fut insupportable, la sexualité œdipienne n'en est pas tout l'enjeu. Là où Freud présentait des défenses perverses spécifiques face à une situation tout à fait œdipienne, McDougall insiste sur la sexualité archaïque venant protéger le sujet fragile, suite à une position dépressive très défaillante.

Certains psychanalystes s'interrogent également sur l'intérêt de maintenir comme socle de la théorie le triptyque névrose / psychose / perversion, notamment à la suite du dévoiement de ces notions dans le langage courant.

Les défenses perverses peuvent cependant amener le psychanalyste à penser autre chose que la perversion, et selon cette ligne de pensée l'enjeu sera alors de noter le statut de la perversité dans les différentes « maladies mentales ».

Miguel Benasayag utilise une définition de la perversion vis a vis de la réalité et de la temporalité. Si le psychotique s'invente une réalité tandis que le névrosé la subit avec difficulté, pour sa part le pervers joue avec elle dans un rapport qui ne laisse pas de place au temps, à la temporisation dans laquelle risque de s'installer la peur :

« Alors il faut de l'instantané, de l'immédiat. C'est un élément fondamental dans la perversion, c'est-à-dire l'attaque contre les liens, dans le sens de Mélanie Klein, c'est-à-dire pas de concept, pas de pensée, pas de sas pour penser, pas de réactions, seulement des actes réflexes ! [8] »

Point de vue actuel de la psychiatrie sur les perversions

Il suffit de consulter le Manuel alphabétique de psychiatrie d'Antoine Porot où les notions de perversité et de perversion sont abordées sans nuance sous l'angle de la morale pour constater l'écart conceptuel qui existe entre la psychiatrie et la psychanalyse sur ce problème.

Plus surprenant, un autre auteur Henri Ey commence son article Perversité et perversions par ce qu'il appelle une « analyse génétique du développement de la personne morale » où il n'hésite pas à écrire que « la pulsion, c'est en effet la profonde aspiration de l'être vers ses fins naturelles. » La seconde partie de son article (B. La « perversité » naturelle et pathologique) commence par cette affirmation tautologique : « sous son aspect le plus général et négatif, le mal se confond avec l'absence de moralité et toute action est dite immorale lorsqu'elle échappe au contrôle de la conscience morale. »

Nous sommes bien ici dans ce que Pierre Kaufmann appelle une « collusion » des principes moraux avec ce qui devrait y échapper, à savoir une pure approche sémiologique. Et c'est probablement parce que la psychiatrie n'a pas su se préserver de cette collusion que le discours social s'est emballé au point de faire du pervers l'incarnation du mal.

Le pervers et la perversité dans le discours social actuel

Ces dernières années ont vu se développer tout un discours social sur le mode de l'émotion (qualifié parfois de pathos) qui utilise les notions de pervers et de perversité de façon particulièrement stigmatisantes. Ce discours vise principalement :

  • La figure du pervers souvent incarné sous les traits du pédophile ;
  • La question du harcèlement (moral ou sexuel) que l'on qualifie de perversité.

Pédophilie et perversion

L'acte sexuel induit par la pédophilie (attirance sexuelle envers l'enfant) est illicite, condamné par les législations de la plupart des pays du monde, dans le but de préserver les mineurs des visées génitales d'individus adultes. La limite d'âge en déça de laquelle les relations sexuelles entre un adulte et un mineur sont délictueuses ou criminelles est définie par la loi de chaque pays en fonction de sa culture et de son actualité.

La qualification de l'attirance sexuelle pédophile en perversion est beaucoup plus sujette à caution car se pose alors le problème du point de vue d'où l'on se place. Pour certains, la condamnation morale de l'acte devrait se suffire à elle-même sans avoir besoin d'une caution médicale ou psychanalytique qu'ils récusent.

Harcèlement moral ou sexuel et perversité

Certains auteurs ont abordé la question du harcèlement moral ou sexuel sous l'angle de la perversité. Là encore, d'autres personnes pensent qu'il suffit de les qualifier de délits punissables par les lois nationales.

D'après ces derniers, en faire avec le docteur Porot une perversité définie comme « l'intervention d'une malignité plus ou moins affirmée dans la conception ou l'exécution d'un acte, sinon dans la conduite occasionnelle ou habituelle d'un individu » n'ajoute rien au délit. Ils argumentent que ce recours insidieux à la notion de perversion ou de perversité dans une qualification judiciaire a beaucoup d'inconvénients :

  • on contribue à polluer un vocabulaire sémiologique qui se veut descriptif et neutre ;
  • on diabolise des délinquants que la loi est chargée de punir ;
  • on participe à un climat démagogique qui pervertit notre société.

Perversion et littérature

La littérature et les perversions ont depuis longtemps fait bon ménage. On ne fera ici que citer certaines œuvres célèbres qui ont marqué notre compréhension des comportements humains tout en apportant du plaisir aux lecteurs :

Voir aussi

Liens internes

Liens externes

Bibliographie

  • Richard von Krafft-Ebing, Psychopathia Sexualis, 1869.
  • Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905 (Ed. Gallimard : 1989, ISBN 2070325393)
  • Jean Laplanche et Jean-Bertrand Pontalis, Vocabulaire de la psychanalyse, PUF, Paris, 6e éd. 1978
  • Henri Ey, Études psychiatriques, tome 2, étude n° 13 : Perversité et perversions, Desclée de Brouwer, Paris, 1950
  • Antoine Porot, Manuel alphabétique de psychiatrie, PUF, Paris, 1960
  • Henri Ey, Manuel de psychiatrie, 4e éd., Masson, Paris, 1974
  • Henri Ey, articles perversité et perversion, in Manuel alphabétique de psychiatrie, Bardenat, 1975.
  • Joyce McDougall, Plaidoyer pour une certaine anormalité, Gallimard, 1978
  • "Les perversions. Chemins de traverse", Roger Dorey, Freud, Joyce McDougall, Grennacre, et coll. Ed.: Sand & Tchou, 1980, ISBN 2710702193
  • Georges Lanteri Laura, Lecture des perversions, histoire de leur appropriation médicale, Masson, Paris, 1979
  • Joël Dor, Structure et perversions, Denoël, 1987.
  • Joyce McDougall, Théâtre du Je, Folio Gallimard, 2004 (1982), ISBN 2070314294
  • Alain de Mijolla, Dictionnaire international de la psychanalyse, Calmann-Lévy, Paris, 2002 (2005 pour la version revue et corrigée, Poche Hachette Pluriel)
  • Alberto Eiger : "Le pervers narcissique et son complice" Dunod, 2003, ISBN 2100051431
  • Geneviève Pagnard, Crimes impunis ou Néonta : histoire d'un amour manipulé, Prime Fluo Editions, 2004
  • Robert J. Stoller La perversion, forme érotique de la haine, Payot, coll. "Petite Bibliothèque Payot", 2007, ISBN 2228901520
  • La part obscure de nous-mêmes - Une histoire des pervers, Albin Michel, Paris, 2007.
  • Thierry Vincent : "L'indifférence des sexes: Critique psychanalytique de Bourdieu et de l'idée de domination masculine", ISBN 2749200113

Pour les œuvres littéraires

Notes

  1. définition lexicale selon le centre national des ressources textuelles (CNRTL)
  2. Synonymes
  3. Psautier Cambridge, éd. Fr. Michel, XVII, 26
  4. perversion et structure perverse sur (psychiatriinfirmiere.free.fr)
  5. Selon l'article Perversion morale de Patrick Bertoliatti (sur psyche-therapie.com)
  6. Sigmund Freud, Trois essais sur la théorie sexuelle, 1905
  7. (texte extrait de état limite chez l'enfant (sur psychiatriinfirmiere.free.fr)
  8. Perversion, aux frontières du trauma ... p. 230 (ISBN 2-7492-0663-4)
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