Oracle de Nechung

Oracle de Nechung
Lobsang Namgyal, médium de l'oracle de Nechung en 1939
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L'oracle de Nechung était un des quatre oracles d'État du Tibet, selon Hanna Havnenik[1]. D'autres sources précisent qu'il n'existait qu'un seul oracle d'État, l'oracle de Nechung. Le médium résidait au monastère de Nechung dont il était l'abbé, d’où son nom[2]. Depuis l’exil du gouvernement tibétain, ce monastère a été recréé à Dharamsala, Inde, à proximité de la résidence de l'actuel dalaï-lama. Le médium qui y réside a le rang de vice-ministre[3]. Il est consulté régulièrement à l’occasion des fêtes de nouvel an et peut l’être à tout moment sur des questions précises.

Le médium est depuis le 4 septembre 1987 Thubten Ngodup, né en 1957 à Phari au Tibet. Il est le 14e du titre, et a pris la succession de Lobsang Jigmé, entré en fonction en 1945 et décédé en 1984 en Inde. Ce dernier aurait prévu en 1947 les troubles dus à l'arrivée du régime communiste en Chine et a conseillé le départ du dalaï-lama en 1959[4].

Sommaire

Histoire

Origines

La pratique de l’oracle par possession d’un esprit ou d’une déité est présente dans les plus anciennes traditions religieuses tibétaines, comme le Bön ou les Nyingmapa. Selon la conception bouddhiste, la déité projette son esprit par transfert de conscience ou phowa, l’un des Six yogas de Naropa, dans un kuten, support physique. La possession est une épreuve rude qui nécessite une « convalescence »[5]. Dans tout l’Himalaya, les oracles ont joué et jouent un rôle important dans le domaine religieux, ainsi qu'un rôle de conseil auprès de l'ancien gouvernement du Tibet et du gouvernement tibétain en exil.

La déité s’exprimant dans l’oracle est Pehar Gyalpo, l’un des esprits soumis par Padmasambhava, qui l’aurait nommé chef des protecteurs de Samye[6]. Plusieurs centaines d’années plus tard, le 5e dalaï-lama lui aurait demandé de devenir le protecteur de Nechung et des Gelugpa. Il se serait alors installé dans la région de ce monastère dépendant de Drepung, remplacé à Samye par l’esprit Tsiu Marpo[7]. Chez les Gelugpa, il est également connu sous le nom de Dorje Drakden.

Généalogie

1er kuten

Protecteur de monastère et de lignée, c’est seulement en 1544 que Pehar Gyalpo aurait pour la première fois pris possession d’un être humain, faisant de Drag Trang-Go-Wa Lobsang Palden le premier médium de Nechung[4]. Jusqu’en 1945, les médiums viendront à Nechung depuis différents monastères.

6e et 7e kuten

Les 6e et 7e Kuten, Ngawang Gyatso et Tsangyang Tamdin (Lobsang Tashi), élaborèrent de nombreux rituels de transe.

9e et 11e kuten

Selon le site du gouvernement tibétain en exil, Lobsang Namgyal n'est devenu le 12e médium qu'en 1935, il succéda à Lobsang Sonam, 11e et 9e médium, tandis que Lhalungpa Gyaltsen Tharchin fut le 10e médium[4].

12e kuten

Selon le site The Tibet Album le 12e médium, Lobsang Namgyal aurait précipité la mort du 13e dalaï-lama par de mauvais conseils médicaux, le même site affirme qu'il aurait été nommé oracle d’État en 1934, alors que le 13e dalaï-lama est décédé le 17 décembre 1933[8].

Claude Arpi mentionne que l'intriguant Lungshar accusa Thubten Kunphela, avec la complicité de l'oracle et du médecin du dalaï-lama, d'avoir précipité le décès de ce dernier[9]. Selon Thubten Ngodup, c'est Lobsang Sonam qui était l'oracle de Nechung à la fin de la vie du 13e dalaï lama[10]. Selon Heinrich Harrer, Lobsang Namgyal participa à la recherche du 14e dalaï-lama[11], l'oracle demandant que trois équipes soient envoyées respectivement au Tibet central, dans l'Amdo et dans le Kham[12].

13e kuten

Selon Kenneth Conboy et James Morrison, le 13e médium, Lobsang Jigmé, nommé en 1945, fut le premier à être issu du monastère de Nechung. C'est lui qui, le 21 juillet 1951, conseilla au jeune monarque, alors réfugié à Yatoung, de retourner à Lhassa[13]. De même, en mars 1959, l'oracle fut consulté à deux reprises avant de donner la réponse escomptée, si l'on en croit Kenneth Conboy et James Morrison : le départ en exil du dalaï-lama en Inde, avis qui fut confirmé par une autre technique, le jet de dés[14].

Dans son ouvrage Au loin la liberté, le dalaï-lama donne une autre explication à cet épisode. Le 10 mars 1959 marqua l'arrivée en masse des habitants de Lhassa, venus le défendre contre les Chinois devant le Norbulingka. Des tensions s'accrurent entre les Tibétains et les Chinois. En dépit d'une demande de dispersion de la foule par le dalaï-lama, une grande partie resta sur place. C'est alors que le dalaï-lama consulta l'oracle qui lui fit savoir qu'il devait rester et maintenir le dialogue avec les Chinois, suscitant pour la première fois un doute quant à cette décision. Dans les jours suivants, Ngabo Ngawang Jigmé informa le dalaï-lama que l'Armée populaire de libération s'apprêtait à attaquer la foule et à bombarder le Norbulingka. Le 17 mars, le dalaï-lama se tourne à nouveau vers l'oracle qui à sa surprise s'écria « Va-t'en ! Va-t'en ! Ce soir ! », s'avançant ensuite pour écrire de façon claire et détaillée l'itinéraire que le dalaï-lama devait emprunter depuis le Norbulingka jusqu'à la frontière. Quand l'oracle s'évanouit, 2 obus de mortier explosèrent dans le marais près de la porte nord. Rétrospectivement, le dalaï-lama pense que Dorjé Drakden savait dès le début qu'il devait quitter Lhassa le 17 mars, mais qu'il ne le dit pas immédiatement, pour éviter que la nouvelle ne se répande. Il précise que le mo, une autre méthode de divination, confirmait les conseils de l'oracle[15].

Deux prophéties célèbres de Lobsang Jigmé sont relatées par Ellen Pearlman, l'une annonçant qu'en 1950, le Tibet rencontrerait de grandes difficultés et l'autre concernant la fuite du dalaï-lama en 1959. Pearlman précise qu'en 1951, Lobsang Jigmé est tombé malade, en raison de ses visions troublantes répétées selon certains, le rendant incapable de marcher sans assistance pendant des années. En 1959, il marcha deux mois durant jusqu'en Inde aux côtés du dalaï-lama. Il finit par guérir de sa maladie[16]. Lobsang Jigmé est décédé à Dharamsala en Inde le 26 avril 1984.

14e kuten

Le 4 septembre 1987, Thubten Ngodup, lama de Nechung depuis 1971, devint le 14e kuten[17].

Autres oracles

En dehors de l'oracle de Nechung, il existait 3 autres oracles consultés par l'État, l'oracle de Gadong, « faiseur de temps », l'oracle de Samyé, Tsiumar, et un oracle féminin, l'oracle de Tenma, qui est le truchement des douze déesses Tenma. La dernière en date était une certaine Lobsang Tsedron, qui officia jusqu’en 1959, et demeura au Tibet[1].

Dans un article sur les oracles tibétains publié en 1978, le prince tibétologue Pierre de Grèce rapporte qu'à Dharamsala se trouvaient exilés, en même temps que le dalaï-lama, quatre oracles de haut rang, dont l'oracle d'État de Nechung[18].

Importance accrue dans les années 1990

Dans un texte publié en 1999, le moine bouddhiste autrichien et ancien traducteur en allemand du 14 e dalaï-lama, Helmut Gassner, écrit que « le nombre d'oracles et d'invocations qui leur sont adressées s'était accru considérablement dans les années précédentes à Dharamsala sous les auspices du gouvernement tibétain en exil », qu'« un nouveau temple avait été édifié pour Nechung, l'oracle d'État, et que Sa Sainteté avait composé elle-même de nouvelles prières à cette divinité protectrice »[19].

Costume et transe

Lors des occasions officielles, le médium porte plusieurs vêtements superposés. Le vêtement supérieur est en brocard d’or décoré des quatre couleurs qui représentent les quatre éléments : rouge, bleu, vert et jaune. Il porte sur la poitrine un miroir (melong) entouré de turquoises et d’améthystes portant le mantra de Dorje Drakden.

Il entre en transe accompagné de mantras, prières et musique. Quand la transe est assez avancée, une coiffe de près de 14 kilos est fixée solidement sur sa tête et parfois aussi un harnais de plus de 30 kilos portant 4 drapeaux et 3 bannières de victoire[20]. Puis il se lève et prend une épée avec laquelle il danse ; il effectue cette danse après chaque question et donne une réponse qui doit être interprétée. Lorsque la séance se termine, il effectue une dernière prière et perd connaissance[3].

On trouve une description détaillée d'une séance de l'oracle de Nechung sous la plume de Heinrich Harrer dans son livre Sept ans d'aventures au Tibet[21]. Harrer rapporte également que lorsque l'oracle persistait à donner de mauvais conseils, on avait vite fait, selon la traduction en anglais de son ouvrage, de le relever de ses fonctions[22],[23].

Notes et références

  1. a et b (en) Hanna Havnenik, A Tibetan Female State Oracle, in Religion and secular culture in Tibet (eds. Henk Blezer, A. Zadoks), Tibetan studies, vol. 2, Proceedings of the Ninth Seminar of the International Association for Tibetan Studies, Leiden 2000, BRILL, 2002, (ISBN 9004127763), 470 p., pp. 259-288, en part. p. 263 et suivantes (A Female State Oracle at Drepung) : « Lobsang Tsedron maintains that there were only four State oracles in Tibet in the past: Nechung (Gnas chung), the weather oracle at Gadong (Dga' gdong) monastery, Tsiumar (Tsi'u dmar), and Tenma (Bstan ma), i.e. herself ».
  2. (en) Ellen Pearlman, Tibetan Sacred Dance: a journey into the religious and folk traditions, Inner Traditions, Rochester, Vermont, USA, 2002, (ISBN 9780892819188), p. 94.
  3. a et b (en) Oracle de Nechung sur le site du gouvernement tibétain en exil (tibet.com).
  4. a, b et c Les médiums sur le site du gouvernement tibétain en exil (tibet.com).
  5. Ellen Pearlman, op. cit., pp. 94-95.
  6. Le médium de l'Oracle d'Etat et le monastère de Nechung sur le site Vie et traditions des Tibétains en exil, 13 mai 2010.
  7. (en) Christopher Paul Bell, Tsiu Marpo: The Career of a Tibetan Protector Deity Florida State University.
  8. (en) Notice biographique de Lobsang Namgyal sur le site The Tibet Album : « In 1934 [he was] degraded to the rank of an ordinary monk. It was alleged that he made some mistakes about the Dalai Lama's medicine, and that this was the cause of His Holiness' death ».
  9. Claude Arpi, Tibet, le pays sacrifié, préfacé par le Dalaï Lama, Calmann-Lévy, 2000 (ISBN 2702131328).
  10. Thubten Ngodup, op. cit.
  11. Heinrich Harrer dit cela à propos du prédécesseur du jeune oracle qu'il eut l'occasion de voir : « his predecessor (who had cooperated in the discovery of the present Dalai Lama) ». Cf (en) Heinrich Harrer, Seven years in Tibet, translated from the German by Richard Graves; with an introduction by Peter Fleming; foreword by the Dalai Lama, E. P. Dutton, 1954, (ISBN 0874778883).
  12. Michael Harris Goodman, Le dernier Dalaï-Lama ? Biographie et témoignages, Editeur Claire Lumière, 1993, (ISBN 2-905998-26-1).
  13. (en) Kenneth Conboy and James Morrison, The CIA's Secret War in Tibet, The University Press of Kansas, version en ligne, chapitre Contact : « On 21 July, the monarch heeded advice channeled under trance by the state oracle and departed Yatung on a slow caravan back to the Tibetan capital. »
  14. (en) Kenneth Conboy and James Morrison, op. cit., version en ligne, chapitre Virginia : « Sensing that the end was drawing near, on 12 March he called for the Nechung oracle to determine whether he should stay in Lhasa. While in a trance, the medium replied in the affirmative. This was not exactly the answer the Dalai Lama wanted, so another form of divination -- a roll of the dice, literally -- was sought. As luck would have it, the results were the same (...) The oracle was again summoned ; apparently of a conservative bent, the entranced medium would not budge from his earlier ruling. Not until 17 March, during the third channeling session in a week, did the oracle buckle. "Leave tonight," was his entranced message. The dice, too, cooperated, giving identical advice.(20) ».
  15. Tenzin Gyatso, Au loin la liberté, Fayard, 1990, (ISBN 2213025614), pp 191-197
  16. Ellen Pearlman, Tibetan Sacred Dance: a journey into the religious and folk traditions, op. cit. : « In 1947 Lobsang Jigme, the Tibetan State Oracle, prophesied that in the Year of the Tiger, 1950, Tibet would face great difficulty. In 1951, Lobsang Jigme fell ill, some say because of his repeated troubling visions, and for years was unable to walk without assistance. In 1959, after predicting the Dalai Lama's flight, Lobsang Jigme spent two months walking to India with His Holiness. His illness was eventually cured. »
  17. Stéphane Allix, Le Netchung Kuten, médium du Dalaï lama sur le site du magazine en ligne Nouvelles Clés.
  18. (en) H.R.H. Prince Peter of Greece and Denmark, Tibetan Oracles, in Himalayan anthropology: the Indo-Tibetan interface (James F. Fisher ed.) World anthropology, vol. 35, Walter de Gruyter, 1978, 567 p., pp. 287-298 (ISBN 9027977003) : « Today, since the Chinese occupation of Tibet, many oracles have taken refuge in India. In Dhar(a)msala, Himachal Pradesh, northern India, there are in exile together with the Dalai Lama, four high ranking oracles, among them the Netchung State Oracle (...) ».
  19. (en) Helmut Gassner, Dalai Lama, Dorje Shugden, Friedrich-Naumann-Foundation, Hamburg, March 26th, 1999] : « the number of oracles and their invocation has increased considerably in Dharamsala (under the auspices of the Tibetan exile government) these past years. A new temple was built for Nechung, the State Oracle, and His Holiness himself composed new prayers to this protective deity ».
  20. Ellen Pearlman, op. cit., p. 96.
  21. Heinrich Harrer, op. cit, pp. 106-108.
  22. Heinrich Harrer, op. cit. : « When an oracle goes on giving bad advice, they make short work of the mouthpiece. He is relieved of his office. This always seemed to me illogical. Did the god speak through the medium or did he not? ».
  23. La traduction française ne précise pas cet empressement, cf. Heinrich Harrer, Sept ans d'aventures au Tibet, traduction de Henry Daussy Arthaud, 1954 (ISBN 2-7003-0427-6).

Bibliographie

  • Thubten Ngodup, Nechung, l'oracle du Dalaï-lama, avec Françoise Bottereau-Gardey et Laurent Deshayes, Presses de la Renaissance, Paris, avril 2009, (ISBN 978-2-7509-0487-6)
  • (en) Ellen Pearlman, Tibetan Sacred Dance: a journey into the religious and folk traditions, Rochester, Vermont, USA, Inner Traditions, 2002, (ISBN 0892819189)
  • (en) H.R.H. Prince Peter of Greece and Denmark, Tibetan Oracles, in Himalayan anthropology: the Indo-Tibetan interface (James F. Fisher ed.) World anthropology, vol. 35, Walter de Gruyter, 1978, 567 p., pp. 287-298 (ISBN 9027977003)
  • Birgit Zotz, Zur europäischen Wahrnehmung von Besessenheitsphänomenen und Orakelwesen in Tibet Vienna University 2010 [1].

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