Arbre de la liberté

Arbre de la liberté
La plantation dun arbre de la liberté en 1790.

Larbre de la liberté est, à lépoque de la Révolution, lun des signes symbolisant, entre autres, la liberté.

Plantés, en général dans lendroit le plus fréquenté, le plus apparent dune localité, comme signes de joie et symboles daffranchissement, ces végétaux devaient grandir avec les institutions nouvelles.

Sommaire

Origine

Lusage de planter des arbres comme signe de la joie populaire est immémorial. On le trouve chez les Gaulois comme chez les Romains. Ces arbres eurent pour précurseurs larbre de mai, que lon plantait dans beaucoup dendroits pour célébrer la venue du printemps[1]. Les clercs de la basoche, à Paris, plantaient, chaque année jusquaux derniers temps de lAncien Régime, dans la cour du palais un arbre sans racines, ce qui donnait loccasion de réjouissances restées célèbres. Le premier qui, en France, planta un arbre de la liberté, plusieurs années même avant la Révolution, fut le comte Camille d'Albon en 1782 dans les jardins de sa maison de Franconville, en hommage à Guillaume Tell.

Les arbres de la liberté pendant la Révolution française

Les premiers arbres : 1789-1791

À lépoque de la Révolution, par imitation de ce qui sétait fait en Amérique à la suite de la guerre de lindépendance avec les poteaux de la Liberté[2], lusage sintroduisit en France de planter avec cérémonie un jeune peuplier dans les communes françaises. Lexemple en fut donné, en 1790, par le curé de Saint-Gaudent, dans la Vienne, qui fit transplanter un chêne de la forêt voisine au milieu de la place de son village.

Lélan de 1792

Les plantations darbres de la liberté se multiplient au printemps et à lété 1792 : la France, en guerre contre lAutriche, est saisie dun élan patriotique, et la défense de la patrie se confond avec celle des conquêtes de la Révolution. Larbre devient donc un symbole fort de lidéal révolutionnaire[3].

Le peuplier est alors préféré au chêne et, dès le commencement de 1792, Lille, Auxerre et dautres villes plantèrent des arbres de la liberté. Quelques mois après, plus de soixante mille de ces arbres sélevèrent dans toutes les communes de France, daprès labbé Grégoire[4]. Daprès le marquis de Villette, Paris en possédait plus de deux cents. Louis XVI lui-même présida à lélévation dun de ces arbres dans le jardin des Tuileries, mais il fut abattu en pluviôse an II « en haine du tyran ». Au moment du jugement du roi qui devait aboutir à sa condamnation, Bertrand Barère de Vieuzac va jusqu'à déclarer: L'arbre de la liberté ne saurait croître s'il n'était arrosé du sang des rois.[5].

Inauguration

La plantation des arbres de la liberté se faisait avec une grande solennité, toujours accompagnée de cérémonies et de réjouissances populaires auxquelles prenaient part, dans un même enthousiasme patriotique, toutes les autorités, magistrats, administrateurs, et même le clergé, prêtres, évêques constitutionnels et jusquaux généraux. Ornés de fleurs, de rubans tricolores, de drapeaux, de cartouches avec des devises patriotiques, ces arbres servaient de stations comme les autels de la patrie aux processions et aux fêtes civiques.

Importance et entretien

Les arbres de la liberté étaient considérés comme monuments publics. Entretenus par les habitants avec un soin religieux, la plus légère mutilation eût été considérée comme une profanation. Des inscriptions en vers et en prose, des couplets, des strophes patriotiques attestaient la vénération des populations locales pour ces emblèmes révolutionnaires. Des lois spéciales protégèrent leur consécration. Un décret de la Convention ordonna que larbre de la liberté et lautel de la patrie, renversés le 27 ventôse an II, dans le département du Tarn, seraient rétablis aux frais de ceux qui les avaient détruits.

Un grand nombre darbres de la liberté déracinés en pleine croissance, étant venus à se dessécher, la Convention ordonna, par un décret du 3 pluviôse an II, que « dans toutes les communes de la République larbre de la liberté aurait péri, il en serait planté un autre dici au 1er germinal ». Elle confiait cette plantation et son entretien à la garde et aux bons soins des citoyens, afin que dans chaque commune « larbre fleurisse sous légide de la liberté française ». La même loi ordonna quil en serait planté un dans le Jardin National par les orphelins des défenseurs de la patrie. Dautres décrets prescrivirent des peines contre ceux qui détruiraient ou mutileraient les arbres de la liberté.

De nouveaux arbres furent alors plantés, mais, malgré toute la surveillance dont ils furent lobjet, beaucoup furent détruits par les contre-révolutionnaires, qui les sciaient ou arrosaient leurs racines de vitriol pendant la nuit. Ces attentats étaient vivement ressentis par le peuple, qui avait le culte de ces plantations ; les lois dailleurs les punirent souvent avec la dernière sévérité, et des condamnations à mort furent même prononcées contre leurs auteurs. Ainsi, à Bédouin dans le Vaucluse, 63 persones furent executées, cinq cents maisons rasées pour non-dénonciation des personnes coupables d'avoir arraché un tel arbre[6], les terres agricoles stérilisées au sel[7]. Trois paysans de La Versanne qui en coupèrent un furent guillotinés à Lyon[8][9]. En revanche, le révolutionnaire Marie Joseph Chalier envisagea d'utiliser de faire un grand fossé autour de larbre de la liberté, pour le fumer du sang des victimes de la guillotine du pont Moraud à Lyon[10].

Ces sortes de délits furent très fréquents sous la réaction thermidorienne. Par exemple, en juillet 1794, les habitants de Hirsingue abattirent leur arbre, ce qui eut pour conséquence la déportation de tous les prêtres des deux départements rhénans[11], la destruction de l'église et l'arrestation des maires et officiers municipaux[12]. Le Directoire veilla au remplacement de ceux qui étaient renversés, mais Bonaparte cessa bientôt de les entretenir et fit même abattre une partie de ceux qui sélevaient dans différents endroits de Paris. Sous le Consulat, toutes ces lois tombèrent en désuétude, et les arbres de la liberté qui survécurent au gouvernement républicain perdirent leur caractère politique. Mais la tradition populaire conserva le souvenir de leur origine.

Diffusion hors de France

Les soldats de la République plantèrent des arbres de la liberté dans tous les pays quils traversaient. Dans un recueil de lettres inédites de Marceau, publiées par Hippolyte Maze, le jeune général républicain écrit à Jourdan, à la date du 6 brumaire an III : « que larbre de la liberté a été planté hier à Coblence devant le palais de lÉlecteur ». De même en Suisse pendant l'occupation française, de nombreux arbres furent plantés en signe d'allégeance à la France, puis arrachés au départ de ses armées[13].

Lexemple de la mère patrie fut suivi jusque dans les colonies, qui les dressèrent jusquesur les marchés desclaves. Napoléon Bonaparte alla jusqu'à en planter à Milan, bien que la réaction de la population fut plus mitigée, allant jusqu'à l'arrachage de cet arbre justifiant une répression violente[14].

Dautres arbres furent plantés dans les colonies (à Pondichéry) et dans des pays étrangers : un palmier de la liberté à Shangaï par Sun Yat-Sen en 1912[15]

Le devenir des arbres de la liberté au XIXe siècle

L'arbre de la liberté d'Oradour-sur-Glane, qui a survécu à l'incendie du village en 1944
Parfois, il n'en reste qu'une plaque commémorative, comme à Paimpol au centre-ville, place du Martray.

Abattage à la Restauration

À la rentrée des Bourbon, il existait encore un grand nombre darbres de la liberté dans toute la France, qui avaient été appelés arbres Napoléon sous lEmpire[16]. Le gouvernement de Louis XVIII donna des ordres rigoureux pour déraciner ces derniers emblèmes de la Révolution. En grande partie abattus ou déracinés sous la Restauration les arbres de la liberté devinrent donc très rares dans les villes, mais on en voyait encore dans les communes rurales.

Renouveaux

Après les Trois Glorieuses, quelques communes plantèrent encore de nouveaux arbres de la liberté, mais lenthousiasme fut vite comprimé, et il y eut peu de ces plantations. Il nen fut pas de même après la révolution de février, cet usage fut renouvelé. Les encouragements des autorités provisoires ne manquèrent pas aux plantations darbres de la liberté ; le clergé se prêta complaisamment à les bénir. Un ancien ministre de Louis-Philippe offrit même un jeune arbre de son parc parisien pour le planter devant sa porte avec cette inscription : « Jeune, tu grandiras. » Certaines villes, telles que Bayeux, conservent toujours, à lheure actuelle, un arbre de la liberté en pleine vigueur.

Une réaction violente fit abattre presque tous les arbres de la liberté de Paris au commencement de 1850, par lordre du préfet de police Carlier, et faillit faire couler le sang dans les rues de la capitale. Cependant, de lavis dun journal légitimiste, « les arbres de la liberté gênaient très peu les passants, et nous ne voyons pas en quoi les hommes dordre pouvaient se trouver contrariés par ces symboles. Un arbre offre une belle image de la liberté sans violence, et ne saurait menacer en rien les idées dinégalités sociales, puisque dans les développements dune plante tous les rameaux sont inégaux précisément parce quils sont libres ».

Le retour de la République, en 1870, fut loccasion de planter de nouveaux arbres. Cependant, le contexte (guerre franco-prussienne de 1870, puis Commune de Paris, et enfin république conservatrice) ne sy prêtait guère. Les plantations sont plus fréquentes en 1889 (centenaire de la prise de la Bastille), puis en 1892 (centenaire de la Première République française). Dautres arbres sont plantés en 1919-1920, pour célébrer la victoire du droit et la libération de lAlsace et de la Moselle, et dautres en 1944-1945, à loccasion de la Libération. Les autres anniversaires (1948, 1989) sont dautres occasions. Il arrive aussi quon replante un nouvel arbre quand lancien meurt[15].

Citation

« Larbre de la liberté doit être revivifié de temps en temps par le sang des patriotes et des tyrans. »

— Thomas Jefferson, Lettre à W. S. Smith, 13 nov. 1787.

Sources

  • Elphège Boursin, Augustin Challamel, Dictionnaire de la révolution française, Paris, Jouvet et cie, 1893, p. 32-3.
  • Adolphe Chéruel, Dictionnaire historique des institutions, mœurs et coutumes de la France, t. 1, Paris, Michel Lévy, 1853, p. 656.
  • William Duckett, Dictionnaire de la conversation et de la lecture, Paris, p. 745.

Notes

  1. http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/mots_0243-6450_1987_num_15_1_1350
  2. France, dictionnaire encyclopédique, Philippe Le Bas, 1840
  3. Robert Petit, opcit., p. 28
  4. cf son Histoire des arbres de la liberté, cité par Robert Petit, Les Arbres de la liberté à Poitiers et dans la Vienne, Poitiers : Éditions CLEF 89/Fédération des œuvres laïques, 1989, p. 25
  5. Citations françaises
  6. Quelques éléments dhistoire pour comprendre Bédoin.
  7. Monument aux victimes de la Révolution, Bédoin, Vaucluse
  8. Claude Javogues (1759 - 1796)
  9. Petite notice sur la contre-révolution en Forez
  10. Crommelin family
  11. La lettre de Hochkirch
  12. Recueil de pièces authentiques servant à l'histoire de la révolution à Strasbourg, 1795
  13. Arbres célèbres
  14. Album littéraire et musical de la Minerve, Volume 3, 1848
  15. a et b Robert Petit, opcit., p. 187-188
  16. Albert Ceccarelli, La Révolution à lIsle sur la Sorgue et en Vaucluse, Éditions Scriba, 1989, 2-86736-018-8, p 76

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