Le marchand de Venise

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Le Marchand de Venise

Le Marchand de Venise

Illustration de Le Marchand de Venise

Couverture de la première édition in quarto (1600)


Auteur William Shakespeare
Genre Tragi-comédie
Pays d'origine Angleterre
Lieu de parution Londres
Éditeur Thomas Heyes
Date de parution 1600 (in-quarto)
Date de la 1re représentation avant 1598

Le Marchand de Venise est une pièce de théâtre de William Shakespeare écrite entre 1594 et 1597. Classée comme comédie dans le premier in-folio de 1623, elle partage certains aspects avec les autres comédies romantiques de l'auteur, mais contient également des passages d’une grande intensité dramatique.

Le personnage du titre est le marchand Antonio. Pour rendre service à son protégé Bassanio, il emprunte de l'argent à l'usurier Shylock. Certain de pouvoir le rembourser, il signe un contrat où il autorise son créancier à lui prélever une livre de chair en cas de défaut de paiement. Malheureusement il ne peut faire face à son échéance et Shylock, qui veut se venger des humiliations que lui ont fait subir les chrétiens, insiste pour que le contrat soit appliqué à la lettre.

Le portrait du Juif Shylock suscite de nombreuses interrogations et des interprétations très diverses, les uns y voyant un bouc émissaire, reflet des préjugés de Shakespeare et de son époque, les autres le porte-parole éloquent d’une communauté qui revendique un traitement humain.

Cette ambigüité fait que la pièce est parfois considérée comme l'une des « pièces à problème » de Shakespeare, au même titre par exemple que Mesure pour mesure.

Sommaire

Synopsis

Ce qui suit dévoile l'intégralité du livre.
Shylock et Jessica, par Maurycy Gottlieb (1856-1879)

Bassanio, jeune Vénitien, désire se rendre à Belmont pour demander la main de Portia. Il emprunte 3 000 ducats à son ami le marchand Antonio. Comme tous ses navires sont en mer, Antonio emprunte la somme à un usurier juif, Shylock. Ce dernier déteste Antonio, qui prête sans usure et le malmène constamment. Il lui impose une condition : en cas de défaut de paiement, Shylock sera libre de prélever une livre de chair sur Antonio. Bassanio essaye de le dissuader d'accepter le marché, mais Antonio, surpris par ce qu'il prend pour de la générosité de la part de l'usurier, signe le contrat.

Désireux d’éviter à sa fille un mariage malheureux, le père de Portia a élaboré une épreuve à laquelle doivent se soumettre les prétendants à sa main ; ils doivent choisir entre trois coffrets, en or, en argent et en plomb et s'engager à quitter les lieux s'ils font le mauvais choix. Deux candidats échouent mais Bassanio, aidé par Portia, choisit le bon coffret.

La nouvelle arrive à Venise que les navires d’Antonio sont perdus, le laissant incapable de rembourser son emprunt dans les délais. Shylock est plus que jamais déterminé à se venger des chrétiens depuis que sa fille Jessica a fui sa maison pour se convertir et rejoindre Lorenzo, emportant une bonne part de ses richesses. Le contrat en main, Shylock fait arrêter Antonio et le traîne devant le doge.

À Belmont, Portia et Bassanio viennent de se marier, ainsi que leurs amis Gratiano et Nerissa, la suivante de Portia. Ils reçoivent une lettre qui leur apprend les difficultés d’Antonio. Bassanio et Gratiano retournent à Venise avec de l'argent prêté par Portia pour sauver Antonio. À l'insu de Bassanio et Gratiano, Portia et Nerissa se rendent à Venise déguisées en hommes.

Kate Dolan incarnant Portia, peinte par John Everett Millais (18291896)

À la cour du doge, Shylock refuse l'offre de Bassanio, qui lui propose de lui rembourser 6.000 ducats (le double de la somme empruntée) en échange de la dette d’Antonio et exige sa livre de chair. Le doge, qui souhaite sauver Antonio mais sans établir de précédent dangereux en dénonçant le contrat, demande l'avis de Balthazar, jeune « docteur de la Loi » ; Balthazar est en fait Portia déguisée, et son clerc n’est autre que Nerissa. Portia exhorte Shylock à la pitié, mais il s'obstine et la Cour l'autorise à prélever sa livre de chair.

Au moment où Shylock va trancher, Portia observe que le contrat spécifie une livre de chair, ni plus ni moins : si une goutte de sang coule, il sera en tort. Shylock accepte alors le remboursement en argent mais Portia rappelle qu'il y a renoncé, et que, pour sa tentative d'assassinat sur Antonio, ses propriétés seront confisquées et sa vie remise à la merci du doge. Celui-ci gracie Shylock et un compromis est trouvé grâce à la générosité de chacun.

Bassanio ne reconnaît pas Portia et pour remercier le « docteur de la Loi » d'avoir sauvé son ami, lui offre ce qu'il voudra. Balthazar-Portia refuse mais devant son insistance, lui demande son anneau et ses gants ; il remet ses gants sans hésitation, mais refuse de donner l'anneau, cadeau de Portia. « Balthazar » insistant, il cède et Lorenzo fait de même avec le clerc.

De retour à Belmont, Portia et Nerissa réclament leurs anneaux et font mine de se fâcher. Mais tous se réconcilient avec des excuses et de nouveaux serments et tout finit bien lorsqu’Antonio apprend que ses navires sont rentrés à bon port.

Personnages principaux

  • Le doge de Venise
  • Antonio, le mélancolique « marchand de Venise », protecteur de Bassanio
  • Bassanio, protégé d’Antonio, prétendant puis époux de Portia
  • Leonardo, son serviteur
  • Lorenzo, ami de Bassanio, amoureux de Jessica
  • Gratiano, personnage jovial, ami des précédents
  • Salerio, Solanio, Salarino : jeunes vénitiens, amis d’Antonio.
  • Shylock, vieil usurier juif
  • Jessica, sa fille, amoureuse du chrétien Lorenzo
  • Lancelot Gobbo, son serviteur avant de devenir celui de Lorenzo
  • Le vieux Gobbo, père de Lancelot
  • Tubal, autre usurier juif, ami de Shylock
  • Portia, maîtresse de Bassanio
  • Nerissa, sa dame de compagnie
  • Le prince du Maroc, le prince d'Aragon : prétendants à la main de Portia

Date et sources

Publication

On pense que le Marchand de Venise a été écrit entre 1596 et 1598. La pièce est mentionnée par Francis Meres en 1598, ce qui indique qu'elle était sur scène à cette date. L'allusion de Solanio à son navire, l'André (I,i,27), est considérée comme une allusion au navire espagnol Saint-André, capturé par les Anglais à Cadix en 1596. Par ailleurs, une date entre 1596 et 1597 correspond bien au style de la pièce.

La pièce est inscrite au Registre des Libraires par James Roberts le 22 juillet 1598 sous le titre « Le Marchand de Venise, également appelée le Juif de Venise »[1]. Le 28 octobre 1600, Roberts cède ses droits à Thomas Hayes, qui publie la même année, le premier in quarto : «La Très excellente histoire du Marchand de Venise. Avec l'extrême cruauté de Shylock le juif vis à vis dudit marchand en prélevant exactement une livre de chair sur son corps [..][2] ». Une réédition pirate paraît en 1619 dans le « faux folio » de William Jaggard : par la suite, le 8 juillet 1619, l'héritier de Thomas Hayes, son fils Laurence Hayes, réclame et obtient une confirmation de ses droits sur la pièce. L'édition de 1600 est la base du texte publié dans le Premier Folio en 1623, et considéré, généralement, comme fidèle et fiable.

Sources

L'intrigue principale du Marchand de Venise est inspirée d'un conte italien de Giovanni Fiorentino, « Giannetto de Venise et la dame de Belmonte », paru dans Il Pecorone (Le Niais) en 1558 à Milan[2] ; on y trouve la dame de Belmont, l’emprunt gagé sur une livre de chair pour permettre à l'amant de se rendre à Belmont, l’impossibilité de rembourser, l'opiniâtreté du créancier, le retour in-extrémis de l'ami à Venise, suivi par son épouse déguisée en juge, le procès où l’usurier est ironiquement confondu par la lettre même du contrat[3]. Cet ouvrage ou sa traduction n’ayant pas été inscrits dans le registre des Libraires, les critiques ne savent pas si Shakespeare en connaissait une version italienne, une traduction manuscrite, ou une version orale[3]. Cependant d’autres critiques ont noté l’existence du motif de la livre de chair dans une multiplicité d’autres sources[4]. Shakespeare aurait pu lire le roman d’Anthony Munday, Zelauto (1580), mettant en scène l’usurier Truculento, insistant pour que sa créance lui soit remboursée avec les yeux de ses deux jeunes débiteurs[5]. Il connaissait peut-être la traduction anglaise d'un texte français d’un certain Alexandre Sylvain, The Orator, parue en 1596[2], dont la version anglaise pourrait encore être de Munday [6]. L’ouvrage est intéressant en ce qu’il présente l'épisode de la livre de chair (Déclamation 95) sous forme d’un débat juridique qui développe d’un côté le point de vue du créancier, et de l’autre celui du débiteur chrétien[6].

L’histoire d'amour entre Jessica et Lorenzo se trouve déjà dans un récit de Masuccio Salernitano qui date de 1470, et dans Le Juif de Malte de Christopher Marlowe qui date de 1589 et jouit toujours d’une grande popularité dans les années 1590 ; Shylock emprunte un certain nombre de traits à Barabas, le héros de la pièce de Marlowe.

L’épreuve des trois coffrets, quant à elle, figurait dans la Gesta Romanorum[2], inépuisable mine d’exempla pour les élisabéthains. Une traduction anglaise en avait été publiée par Wynkyn de Worde vers 1510-1515, (St John's College, Cambridge). L’imprimeur londonien Richard Robinson en publia plusieurs éditions soit-disant remaniées entre 1577 et 1600, sous le titre Certain Selected Histories for Christian Recreations, qui connut un grand succès. « La trente-deuxième histoire » est le récit de l'épreuve imposée par l'empereur à la juen fille inconnue que son fils veut épouser. Il lui montre trois récipeints couverts, l'un en or, l'autre en argent et le troisième en plomb, avec une inscription en forme d'énigme ; la jeune fille prend son temps mais fait le bon choix [7]. Les autres sources qui auraient pu inspirer Shakespeare sont La Confessio Amantis de John Gower, qui raconte comment un souverain éprouva ses courtisans en leur soumettant deux coffrets identiques, l’un rempli d'or, l’autre de foin, pour leur montrer que les apparences ne sont rien[8]. Un récit semblable figurait dans le Décaméron de Boccace[8].

La scène de psychomachie comique où l'on voit le clown Lancelot tiraillé entre son bon ange et son démon remonte au théâtre médiéval (Acte II, sc. ii, 1-31).

Certains critiques pensent que Shakespeare aurait pu réécrire une pièce ancienne pour la remettre au goût du jour. Ils se basent sur le fait qu’un critique du théâtre et des débordements qu’il était supposé occasionner, Stephen Gosson, avait publié en 1579 A School of Abuse (L'École des abus), diatribe qui épargnait deux œuvres, dont une pièce intitulée Le Juif. Cette pièce aurait eu pour sujet « la cupidité de ceux qui font des choix mondains[9] et l'esprit sanguinaire des usuriers » ; la référence aux choix dictés par la cupidité pourrait correspondre à la scène des trois coffrets, et celle qui mentionne « les usuriers sanguinaires » pourrait être une description du prototype de Shylock[10].

Mises en scène

Une allusion au vaisseau espagnol capturé en juin 1596 lors du siège de Cadix (I, i, 27) donne une idée du contexte dans lequel la pièce a été composée, ce qui permet de faire l'hypothèse qu'elle a été jouée pour la première fois entre 1596 et 1598[2].

La première représentation attestée eut lieu à la cour de Jacques Ier, au printemps 1605, suivie d'une autre quelques jours plus tard. Il n’existe aucune trace d’autres représentations au XVIIe siècle[11]. En 1701, George Granville mit en scène une adaptation de la pièce qui remporta un vif succès sous le titre Le Juif de Venise, avec l’acteur Thomas Betterton dans le rôle de Bassanio. Cette adaptation à laquelle était rajouté un intermède dansé ou « mascarade » fit autorité pendant une quarantaine d'années. Les passages de comédie basse mettant en scène le clown Gobbo avaient disparu, Granville se pliant aux bienséances du théâtre classique. En revanche il avait rajouté une scène de prison entre Shylock et Antonio, ainsi qu’une scène de banquet. Le rôle de Shylock était tenu par Thomas Dogget, qui en fit une figure comique, voire burlesque, qui laissa Nicholas Rowe, un des premiers biographes de l’auteur, assez dubitatif[12]. Mais le succès populaire fut tel que le rôle en resta profondément marqué.

En 1741, Charles Macklin revient au texte original avec une représentation très réussie au théâtre royal de Drury Lane, ouvrant la voie à Edmund Kean 70 ans plus tard.[13].

Analyse

Venise et Belmont

La pièce développe deux intrigues parallèles dans deux décors radicalement différents. Le monde de Venise est celui où s'exercent le pouvoir politique (le doge) et économique (le marchand Antonio et le prêteur Shylock). C'est le décor citadin de la comédie urbaine satirique dont Thomas Middleton se fera une spécialité, et de la comédie bourgeoise des humeurs de Ben Jonson, avec son mélancolique (Antonio), et son avare (Shylock) stéréotypés. Venise est le monde des tensions entre communautés religieuses (Acte I, sc i, 54-80) ; les affaires sont soumises non aux lois immuables du beau, du bon et du vrai, mais aux caprices de la rumeur[14] et de la fortune : « Toute ma fortune est en mer » (acte I, sc. 2, 177)[15]. L'activité principale est celle du négoce maritime, avec ses corollaires moralement ambigus : l'usure et la spéculation. Conformément aux théories d'Hippocrate sur l'influence plus ou moins bénéfique du climat sur l’équilibre des humeurs, celui de Venise exacerbe la « dyscrasie », rendant Antonio plus mélancolique, Gratiano plus gai et Shylock plus opiniâtre. C'est aussi un monde bruyant de consommation sexuelle (Acte II, sc ii, 176-185), le monde à l'envers du carnaval (acte II, sc. v, 30-36), avec ses fêtes, ses flambeaux et ses travestis (Acte II, sc. iv) : même la « sage, belle et sincère » Jessica s'y déguise en garçon et s'enfuit avec la cassette de son père (Acte II, sc. iv) tandis que Portia et Nerissa s'y rendent déguisées en avocat et en clerc (Acte III, sc. iv). La loi en vigueur, faite pour protéger le commerce international (Acte III, sc. iii, 25-35), n’est tempérée par aucune compassion.

Le monde de Belmont, en revanche, est le lieu magique de la comédie romantique où règne la mesure (acte I, sc. 2, 5-11), le bon sens et la perfection que décrira Baudelaire dans L’Invitation au voyage : « Là, tout n’est qu'ordre et beauté, / Luxe, calme et volupté. » Pas de soucis d'argent (grâce à la façon avisée dont le père de Portia a arrangé ses affaires avant de mourir), pas de querelles religieuses (c'est là que filent le parfait amour la juive convertie Jessica et le chrétien Lorenzo), pas de mensonges ou de faux-semblants (l’épreuve des trois cassettes), pas de rébellion puisque tous se soumettent aux règles (Acte II, sc. ix, 17) ou quittent les lieux, pas d'injustice puisque l’épreuve des trois cassettes fait en sorte que chacun soit récompensé selon son mérite. L'harmonie entre le macrocosme et le microcosme est telle qu'on y entendrait presque résonner la musique des sphères célestes quand jouent les musiciens (Acte V, sc. i, 54-88). Contrairement à la rigidité qui régit la loi et les contrats à Venise, Belmont tolère une grande souplesse dans l'application des règles et s’il faut choisir entre la piété filiale et l’amour conjugal, Portia fait le choix de Cordelia (Le Roi Lear) et de Desdémone (Othello) en trichant pour que Bassanio choisisse le bon coffret.

Ces deux mondes ne sont pas séparés. De Venise remonte jusqu’à Belmont l'argent mal acquis de Shylock dérobé par Jessica. De Belmont redescend en échange l'argent de la charité pour sauver Antonio, et lorsque la charité n’y suffit pas, la raison qui en poussant jusqu'à l'absurde les conséquences du contrat passé entre Shylock et Antonio ramène ceux qui sont chargés d'exécuter la loi au bon sens. C’est l’esprit de la loi, non sa lettre, qu’il convient d’appliquer.

Controverse sur le caractère anti-sémite de la pièce

La pièce est toujours jouée aujourd'hui, mais elle pose un certain nombre de problèmes aux metteurs en scène en raison du conflit entre chrétiens et juifs qui est au centre de son intrigue. Œuvre anti-sémite ou œuvre sur l'anti-sémitisme, la critique n’a toujours pas tranché de façon satisfaisante.

Une œuvre judéophobe

La société élisabéthaine n'était pas exempte de cette haine des juifs qui se manifestait depuis le XIIe siècle dans l'Europe du nord et de l'ouest [16]. Les juifs anglais avaient été chassés au Moyen Âge et leur retour ne fut autorisé qu’avec l'avènement au pouvoir d'Oliver Cromwell. Les juifs présentés sur la scène élisabéthaine étaient des personnages caricaturaux, avec un nez crochu et une perruque rousse, dans le rôle d’usurier rapace. C’est notamment le cas de Barabas dans la pièce de Christopher Marlowe, The Jew of Malta.

Sur la couverture du quarto il est indiqué que la pièce était jouée sous de titre du Juif de Venise, ce qui suggère un parallèle avec celle de Marlowe. Une des interprétations possibles de la pièce est que Shakespeare voulait opposer la compassion des chrétiens au désir de vengeance du juif auquel fait défaut la grâce qui permet de comprendre la nature du pardon. Il est également possible qu’à l'époque de Shakespeare la conversion forcée de Shylock soit apparue comme un heureux dénouement, puisqu’il se rachetait ainsi de son hérésie et de sa haine envers Antonio.

Une œuvre ambigüe

Sir Herbert Beerbohm Tree dans le rôle de Shylock, par Charles Buchel (1895-1935).

Comme d’autres lecteurs contemporains, Philippe Sollers note que le texte trouve quelques excuses au désir de vengeance qui anime Shylock, « poussé à bout par les insultes [..] des patriciens »[17]. Le procès n’est qu’une parodie de justice puisque Portia n’a aucune autorité légale.

Citation

Shakespeare a mis l'un de ses discours les plus éloquents dans la bouche de Shylock :

« Un Juif n'a-t-il pas des yeux ? Un Juif n'a-t-il pas des mains, des organes,
des dimensions, des sens, de l'affection, de la passion ; nourri avec
la même nourriture, blessé par les mêmes armes, exposé
aux mêmes maladies, soigné de la même façon,
dans la chaleur et le froid du même hiver et du même été
que les Chrétiens ? Si vous nous piquez, ne saignons-nous pas ?
Si vous nous chatouillez, ne rions-nous pas ? Si vous nous empoisonnez,
ne mourrons-nous pas ? Et si vous nous bafouez, ne nous vengerons-nous pas ? »

— William Shakespeare, Le Marchand de Venise, Acte III, scène 1[18]

Postérité

La citation ci-dessus se retrouve dans le film de Roman Polanski, Le Pianiste, de la bouche du frère Henryk, avant que la famille ne soit déportée.

Gabriel Fauré écrivit une musique de scène pour une représentation de la pièce, donnée en 1889 au théâtre de l'Odéon. Il transforma par la suite cette dernière en une suite orchestrale intitulée Shylock.

Le monologue de Shylock occupe une place importante dans To be or not to be d'Ernst Lubitsch. Déclamé par un acteur juif devant un auditoire nazi, il constitue à la fois une dénonciation de l'antisémitisme du IIIe Reich, ainsi qu'un moyen de diversion permettant aux personnages principaux de s'enfuir en Angleterre.

L'auteur américaine de romans policiers Faye Kellerman a placé l'intrigue d'un de ses romans dans le Londres des années 1590. Shakespeare y fait la rencontre de la belle Jessica Lopez, fille de Rodrigo Lopez, juif converti et médecin de la Reine Élisabeth. Selon l'auteur celui-ci était sans aucun doute connu du public au moment où la pièce fut écrite et aurait servi de prototype à Shylock. Lopez avait été accusé par Robert Devereux de conspirer avec les émissaires espagnols pour empoisonner la reine (dans le roman il aide des juifs espagnols à fuir). Il avait été arrêté le 1er janvier 1594, condamné en février, et exécuté le 7 juin[19].

Dans OSS 117 : Rio ne répond plus de Michel Hazanavicius, le nazi Von Zimmel reprend à sa façon le monologue de Shylock en remplaçant « Juif » par « Nazi ».

Notes

  1. The Merchant of Venice, or Otherwise Called The Jew of Venice
  2. a , b , c , d  et e William Shakespeare (trad. François Laroque, préface de François Laroque), Le Marchand de Venise [« The Merchant of Venice »], Librairie Générale Française, coll. « Livre de Poche / Théâtre de poche », Paris, 2008, 187 p. (ISBN 9782253082576) , préface, p. 9
  3. a  et b William Shakespeare, The Merchant of Venice: Texts and Contexts, Classic Books Company, 2001 (ISBN 0742652882) , appendice pages 298-305
  4. Shakespeare_2001, pages 295-314
  5. Donna B. Hamilton, Anthony Munday and the Catholics, 1560-1633, Ashgate Publishing, Ltd, 2005, 268 pages p. (ISBN 0754606074) , p. 18
  6. a  et b Shakespeare_2001, p. 310-311
  7. Shakespeare_2001, p. 305
  8. a  et b Shakespeare_2001, p. 318
  9. Par opposition à des choix spirituels
  10. Shakespeare_2001, p. 320
  11. Charles Boyce, Encyclopaedia of Shakespeare, New York, Roundtable Press, 1990, p. 420.
  12. Nicholas Rowe, Some Acount of the Life &c. of Mr. William Shakespear, 1709 , page 7
  13. F. E. Halliday, A Shakespeare Companion 1564-1964, Baltimore, Penguin, 1964; pp. 261 and 311-12.
  14. Acte III, sc. i, 8 : « reste à sa voir si la rumeur est une honnête femme »
  15. Les aléas de la mer avaient donné lieu à une représentation spéciale de la fortune, la fortune de mer, Fortuna marina
  16. Philipe Burrin, Nazi Anti-Semitism: From Prejudice to Holocaust, The New Press, 2005 (ISBN 1565849698)  p. 17.
  17. Philippe Sollers, Dictionnaire amoureux de Venise, Plon, Paris, 2004 , p. 414
  18. Hath not a Jew eyes? Hath not a Jew hands, organs
    dimensions, senses, affections, passions; fed with
    the same food, hurt with the same weapons, subject
    to the same diseases, heal'd by the same means,
    warm'd and cool'd by the same winter and summer
    as a Christian is? If you prick us, do we not bleed?
    If you tickle us, do we not laugh? If you poison us,
    do we not die? And if you wrong us, shall we not revenge?
  19. Faye Kellerman, The Quality of Mercy (roman historique), ps. 606-607, New York, Morrow, 1989. L'auteure affirme : « de nombreux spécialistes de Shakespeare pensent que Lopez a servi de prototype à Shylock »

Références

  • Adler, Jacob, A Life on the Stage: A Memoir, translated and with commentary by Lulla Rosenfeld, Knopf, New York, 1999, ISBN 0-679-41351-0.
  • Rob Smith, Cambridge Student Guide to The Merchant of Venice. ISBN 0-521-00816-6.

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