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La Grande Illusion
Pour les articles homonymes, voir La Grande Illusion (homonymie).La Grande Illusion Réalisation Jean Renoir Acteurs principaux Jean Gabin : Maréchal
Pierre Fresnay : de Boëldieu
Erich von Stroheim : von Rauffestein
Dita Parlo : ElsaScénario Charles Spaak, Jean Renoir Dialogues Charles Spaak, Jean Renoir Décors Eugène Lourié Photographie Christian Matras Montage Marguerite Renoir Production Frank Rollmer, Albert Pinkévitch Société de production R.A.C Format 35 mm noir et blanc Genre Drame Durée 113 Sortie 9 juin 1937 Langue(s) originale(s) français Pays d’origine France La Grande Illusion est un film français de Jean Renoir sorti en 1937. Ce film, considéré comme un chef d'œuvre du cinéma français et du cinéma mondial, est animé par un point de vue humaniste et pacifiste, à la veille de la Seconde Guerre mondiale. Il défend l'idée que le nationalisme et l'antisémitisme sont une profonde erreur qui divise les peuples, et veut montrer ce qui peut séparer mais aussi réunir les hommes (principalement les classes sociales, le pays d'origine, les références culturelles). Ce film fut interdit en Allemagne par le régime nazi, et en France par les autorités d’occupation le 1er octobre 1940.
Sommaire
Synopsis
Pendant la Première Guerre mondiale, l'avion du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu est abattu par le commandant von Rauffenstein, un aristocrate connaissant par hasard la famille du capitaine de Boëldieu. Les deux officiers français sont envoyés dans un camp en Allemagne. Là, ils retrouvent de nombreux prisonniers français, de tous grades et issus de différents milieux sociaux. Ensemble, les prisonniers organisent différentes activités, partagent leurs maigres ressources et vivent au rythme des nouvelles de l'armée française qui prend et perd successivement des positions sur le front nord, notamment lors de la bataille de Douaumont. La chambrée, outre Maréchal et Boëldieu, regroupe également le lieutenant Demolder un amoureux des lettres, le lieutenant Rosenthal, fils d'une riche famille juive dans les finances, un ingénieur du cadastre et Cartier, un sergent populaire et volubile. Ils décident de s'échapper du Stalag en creusant un tunnel dans des conditions périlleuses. La veille de leur évasion, le sort veut qu'ils soient transférés dans un autre camp.
Les mois passent, et Maréchal et Boëldieu après diverses tentatives d'évasion avortées sont transférés dans un ultime camp fortifié en montagne, où ils ont la surprise de découvrir qu'il est dirigé par von Rauffenstein, maintenant infirme après une grave blessure et inapte au service actif. Ils retrouvent également, par hasard Rosenthal. Les deux officiers aristocrates se respectent et fraternisent plus ou moins, sous le regard de Maréchal l'ouvrier et de Rosenthal le fils de banquier juif, ayant en commun leur milieu et leur éducation. Poursuivant leur projet d'évasion, Maréchal et Boëldieu montent un stratagème raffiné pour s'échapper, mais un certain honneur personnel vis-à-vis à la fois de von Rauffenstein et Maréchal, pousse Boëldieu à se sacrifier pour couvrir la fuite de Maréchal et Rosenthal. L'évasion des deux compères réussit, mais Boëldieu est abattu par accident par von Rauffenstein, forcé de tirer sur celui qui était devenu son ami.
Dans leur fuite vers la Suisse au travers la campagne allemande, sous le froid, la neige et mourant de faim, Maréchal et Rosenthal sont accueillis dans une ferme allemande dont les hommes sont morts à la guerre : c'est Elsa, une jeune fermière, qui élève désormais seule sa fille et mène au mieux l'exploitation. Rosenthal et Maréchal décident de passer quelques semaines là pour reprendre des forces et attendre de meilleurs jours pour reprendre leur route. Maréchal, inévitablement, tombe amoureux d'Elsa, laquelle revit à la présence des pas d'un homme dans sa maison. Le soir de Noël, ils passent la nuit ensemble. Le jour du départ arrive, Maréchal avec Rosenthal reprend sa route vers la Suisse, tout en promettant à Elsa de revenir après la guerre, s'il vit encore. Ensemble, ils arrivent finalement en Suisse.
Le scénario initial prévoyait une séquence supplémentaire : en se séparant, Maréchal et Rosenthal se donnaient rendez-vous dans un grand restaurant parisien pour fêter la victoire. Au jour dit, les deux chaises restaient vides, sans qu'on sache s'ils avaient renoncé à continuer à fraterniser, la paix revenue, ou s'ils avaient été tués ou épargnés.
Commentaire
Le titre de ce film reprend littéralement le titre d'un essai de Norman Angell, La Grande Illusion, paru en France en 1910 et ayant connu un succès mondial. Angell écrit dans cet ouvrage que « la Grande Illusion des Peuples est de croire que le Fer et le Feu seuls les sauvegardent alors que la Force du Crédit Universel muselle les canons ». Pour lui donc, toute nouvelle guerre est impossible, c'est une « grande illusion »[1]. En 1933, le Prix Nobel de la paix lui est décerné pour une nouvelle version de son essai, dans laquelle il développe une thèse selon laquelle un pays qui entre en guerre ne peut en tirer aucun bénéfice.
Ce film est l'occasion de peindre une galerie de portraits fortement typés, comme toujours chez Renoir (deux aristocrates, un titi parisien, un couturier et fils de banquier juif, un acteur, un instituteur, un ingénieur, etc.) lors de la Première Guerre mondiale.
Jean Renoir qui était dans le 3e escadron du 1er régiment de dragons sous les ordres du Capitaine Louis Bossut, sciemment ou non, a pris ce dernier comme modèle dans La Grande illusion pour le rôle du Capitaine de Boëldieu.
Cette époque, qui marque la fin de l'aristocratie, décrit les rapports de force et les affinités entre les différentes classes sociales au-delà des frontières et des conflits. La Grande Illusion n'est d'ailleurs ni un film d'aventures, ni même un film de guerre (il n'y a aucune scène de combat).
Il s'agit du premier film à traiter d'une évasion et fut une source d'inspiration de la Grande Évasion. Caractéristique assez rare, l'histoire ne montre aucun personnage négatif : combattants ou gardiens, les Allemands sont de bons bougres ; les prisonniers alliés font leur devoir avec conscience mais sans héroïsme excessif, Boëldieu excepté mais la chose est amenée de manière très vraisemblable et quelque peu péjorative (il est une relique du passé). Tels qu'ils sont présentés, les camps de prisonniers de 1914-1918 ne donnent pas l'impression d'un épouvantable enfer (au moins les camps d'officiers).
La signification du titre du film a longtemps suscité des discussions : la « grande illusion » s'applique-t-elle à la durée de la guerre, dont personne ne s'attendait à ce qu'elle soit si longue ? Ou concerne-t-elle les relations entre les personnages (le rapprochement factice des classes sociales par la guerre, l'entente entre aristocrates malgré le conflit de leurs patries respectives) ? L'illusion dont parle le titre serait celle des frontières, qui ne séparent pas des nations ou des territoires, mais qui sont avant tout sociales. Dès les premiers plans, les individus se reconnaissent : les deux aristocrates peuvent s'entendre malgré la guerre (ils fréquentent les mêmes lieux et parlent plusieurs langues avec facilité), et les deux ouvriers sympathisent en souvenir de leur passé (Maréchal emploie tout de suite un langage populaire pour évoquer l'usine dans laquelle lui et l'Allemand ont travaillé). Enfin, dans le dernier plan dans la neige, aucune image ne montre que la frontière suisse a été dépassée. Une troisième hypothèse voudrait que l'illusion soit celle de la « Der des Der » qu'évoque Maréchal, aussitôt contredit par Rosenthal. En effet le film date de 1937, alors que le nationalisme est à son comble et que l'accession d'Hitler au pouvoir en 1933 laisse déjà présager une nouvelle guerre.
La Grande Illusion a tout de suite été considérée comme un chef-d'œuvre, probablement le meilleur film de toute la production française, non seulement en France mais aussi à l'étranger, y compris chez les Anglo-Saxons. Jusque vers 1970, il était toujours dans la liste des 10 meilleurs films de tous les temps.
Fiche technique
- Titre : La Grande Illusion
- Réalisateur : Jean Renoir
- Scénario et Dialogues : Charles Spaak, Jean Renoir
- Conseiller technique : Carl Koch
- Assistant réal. : Jacques Becker, Robert Rips
- Chef opérateur : Christian Matras
- Second opérateur : Claude Renoir
- Assistant opérateur : Jean-Serge Bourgoin, Ernest Bourreaud
- Décors : Eugène Lourié,
- Ingénieur du son : Joseph de Bretagne
- Scripte : Gourdji (Françoise Giroud)
- Photographe de plateau : Sam Levin
- Montage : Marguerite Renoir, assistée de Marthe Huguet. (Un nouveau montage de restauration a été réalisé en 1958 par Renée Lichtig)
- Musique : Joseph Kosma (Éditions Smyth)
- Directeur de production : Raymond Blondy
- Régisseur général : Pierre Blondy, assisté de Robert Rips (chef de plateau) et de Maurice Barnathan (régie extérieure)
- Accessoiristes : Alexandre Laurié, Raymond Pillon
- Maquillage : Raffels (Raphaël's)
- Costumes : René Decrais
- Habilleuse : Suzy Berton
- Directeur d'orchestre : Émile Vuillermoz
- Chansons : Frou-frou de Juliette Méaly interprétée par Jean Gabin[2], et Si tu veux Marguerite[3] de Vincent Telly et Albert Valsien interprétée par Julien Carette
- Production : Frank Rollmer, Albert Pinkévitch pour Réalisations d'Art Cinématographique (R.A.C.)
- Tournage : Hiver 1936-1937
- Affiche : Bernard Lancy
- Sortie : le 9 juin 1937 au Marivaux, Paris
- Format : Noir et blanc - Mono - Pellicule 35 mm - Tirage : Laboratoire Franay L.T.C
- Distribution : R.A.C, puis Cinédis, Filmsonor Gaumont
- Genre : comédie dramatique
- Durée : 113 minutes
- Pays : France
Distribution
- Jean Gabin : lieutenant Maréchal
- Marcel Dalio : lieutenant Rosenthal
- Pierre Fresnay : capitaine de Boëldieu
- Erich von Stroheim : capitaine puis commandant von Rauffenstein
- Dita Parlo : Elsa
- Julien Carette : Cartier
- Gaston Modot : ingénieur au cadastre
- Jean Dasté : instituteur
- Sylvain Itkine : lieutenant Demolder, dit Pindare
- Werner Florian : Kantz, dit Arthur
- la petite Peters : Lotte
- Georges Péclet : Charpentier
- Habib Benglia : Sénégalais
- Claude Sainval : capitaine Ringis
- Roger Forster : Maisonneuve
- Jacques Becker : officier anglais qui casse sa montre
- Carl Koch : gendarme de campagne
- Pierre Blondy : un soldat
- Albert Brouett : prisonnier
- Georges Fronval
- Karl Heil
- Michel Salina
- Claude Vernier
Trame sonore
La trame sonore contient plusieurs mélodies bien connues à l'époque des cultures française, anglaise et allemande :
- Frou-Frou (1897) avec des paroles écrites par Montréal et Blondeau, et musique composée par Henri Chatau, chantée par Lucile Panis[2].
- Il était un petit navire, joué par Boëldieu avec sa petite flûte, ou penny whistle, pour distraire les gardes de l'évasion de Rosenthal et Maréchal et plus tard, lors d'une altercation sur la route, ils se la crient l'un l'autre.
- Frère Jacques
- It's a Long Way to Tipperary
- Si tu veux Marguerite (1913) d'Harry Fragson[3]
- La Marseillaise
Autour du film
Les acteurs
- Jean Renoir a confié les rôles principaux à trois figures emblématiques de l'époque : Pierre Fresnay en aristocrate déclinant, Jean Gabin en titi parisien gouailleur et Erich von Stroheim en officier très rigide, trait accentué par sa minerve.
- À l'origine le rôle de Boëldieu était écrit pour Louis Jouvet. Le changement fut probablement heureux, Jouvet étant peut-être un peu trop austère et pince-sans-rire pour incarner un aristocrate qui doit savoir montrer du détachement et une certaine nonchalance même dans des circonstances tragiques.
- Le film devait initialement s'appeler Les Aventures du lieutenant Maréchal, ce personnage étant le seul présent du début à la fin. Le scénario d'origine se concentrait sur les relations du lieutenant Maréchal et du capitaine de Boëldieu. À la suite d'un malentendu avec Erich von Stroheim, Jean Renoir dut réécrire le scénario alors que le tournage était commencé pour lui donner un rôle plus important car il ne devait faire, à l'origine, qu'une apparition.
- La petite Peters, qui interprète le rôle de Lotte, ne vit jamais le film : elle fut emportée par la grippe quelques semaines avant sa sortie[réf. nécessaire].
- À noter la présence de Sylvain Itkine dans le rôle de l'officier prisonnier amateur de Pindare. Membre d'un réseau de renseignements pendant l'Occupation, il fut arrêté par la Gestapo en été 1944 et mourut sous la torture[4].
Le tournage
- Les scènes d'intérieur ont été tournées aux studios de Billancourt et Éclair à Épinay-sur-Seine. Les scènes d'extérieurs ont été tournées à Neuf-Brisach, à la caserne de Colmar, au château du Haut-Kœnigsbourg, dans une ferme près de Ribeauvillé et à Chamonix pour la dernière séquence (sans Jean Gabin parti sur un autre film).
- Claude Renoir, qui travaillait auprès de son oncle Jean Renoir depuis 1932, fut contraint de quitter le tournage en Alsace pour raison de santé et fut remplacé durant trois semaines par son assistant Jean-Serge Bourgoin.
Anecdotes
- Petite étourderie : une carte affichée sur un mur montre l'Allemagne avec ses frontières d'après 1919 (l'action semble se passer dans l'année 1916 car elle fait allusion à la perte puis la reprise de Douaumont ; elle s'étale sur plusieurs mois, compte tenu des changements de camps et tentatives d'évasion des personnages, sans compter le séjour à la ferme qui couvre Noël 1916 ou 1917).
- Il n'y a jamais eu d'escadrille MF 902 (celle de Maréchal) mais cette dénomination correspond bien au système en vigueur en 1914-1918 car Renoir, qui fut aviateur, a pris soin d'utiliser un numéro non attribué, la série n'ayant pas atteint 600.
Après la sortie
- L'esprit pacifiste (revendiqué par Jean Renoir) et de fraternisation entre les peuples du film durent au film d'être interdit pendant la Seconde Guerre mondiale.
- Lors de sa présentation publique, le film fut amputé de 18 minutes, il ne fut projeté en version complète qu'au cours d'un festival organisé à Bruxelles en 1958.
- Au lendemain de la première au cinéma Marivaux, le film a été projeté sans interruption de 10 heures à 2 heures du matin. Le film a fait salle comble à chaque séance et a battu tous les records de fréquentation : 1,55 millions de francs en quatre semaines, 200 000 spectateurs en deux mois dans une seule salle, meilleure recette de l'année 1937.
- Il semblerait que le Duce, qui, en privé, appréciait le film et en aurait possédé une copie, serait intervenu pour écarter le film de la récompense suprême de l'exposition internationale d'art cinématographique de Venise. Son régime allait interdire l'œuvre dès octobre. Hitler, qui regardait beaucoup de films, le jugea très bon mais le fit interdire pour les mêmes raisons que la censure française : son esprit pacifiste très persuasif. Il essaya d'en faire détruire copies et négatifs, mais en vain ; de toute façon, l'étourderie des Français fut beaucoup plus efficace[style à vérifier] et on crut des années durant l'original perdu, plus personne ne sachant où on l'avait mis à l'abri. Il est maintenant conservé à la Cinémathèque de Toulouse, après avoir été retrouvé en Russie (les autorités de l'URSS l'ayant récupéré en Allemagne lors de la Seconde Guerre mondiale).
- Le film fut projeté exceptionnellement à la Maison-Blanche à Washington pour l'anniversaire de Mme Roosevelt.
- Le film est resté trente-six semaines à l'affiche d'une salle new-yorkaise.
Récompenses
- Prix du meilleur ensemble artistique à l'exposition internationale d'art cinématographique de Venise (Ve Mostra de Venise).
- Prix du meilleur film étranger décerné par la critique américaine en 1938.
Notes et références
- ↑ Norman Angell, La Grande Illusion, Librairie Hachette, Paris, 1910, cité par Philippe Simonnot, L'erreur économique : Comment économistes et politiques se trompent et nous trompent, Denoël, coll. « Médiations GF », Paris, 15 janvier 2004, 412 p. (ISBN 2207253147 et ISBN 978-2207253144), p. 52.
- ↑ a et b Frou-frou de Juliette Méaly en 1897
- ↑ a et b Si tu veux Marguerite par Fragson en 1913
- ↑ Commentaire du film sur le DVD
Liens externes
(fr+en) La Grande Illusion sur l’Internet Movie Database.
- La Grande Illusion sur AlloCiné
- Fiche technique du film ainsi que d'autres de Renoir, avec quelques citations et commentaires.
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