- Jehan-Rictus
-
Gabriel Randon, dit Jehan-Rictus, né à Boulogne-sur-Mer le 23 septembre 1867 et mort à Paris le 6 novembre 1933, est un poète français, célèbre pour ses œuvres composées en langue populaire.
Sommaire
Biographie
Origines
Gabriel Randon ne fut reconnu ni par son père, ni même par sa mère, même si ceux-ci se chargèrent de l'élever.
Sa mère s'appelait Gabrielle Randon (Domitille-Camille-Gabrielle-Adine Randon de Saint-Amand sur son état-civil de naissance). Elle avait 21 ans à la naissance de l'enfant. Elle était la fille d'un militaire en retraite, Joseph-François-Théodore Randon de Saint-Amand, et de sa jeune épouse, une britannique, laquelle avait d'abord été sa gouvernante, Rosavinia-Fetillia Collington. Gabrielle Randon perdit son père très jeune et fut élevée à Londres.
Son père, Mandé Delplanque, était d'une famille de Boulogne, y « tenait un gymnase ou établissement »[1]. Il vivait en partie à Londres.
Notons que le « de Saint-Amand » n'indiquait nullement une appartenance à l'aristocratie : c'était un ajout récent. De même le maréchal Jacques Louis Randon, dont certains ont fait le grand-père du poète, n'en était qu'un cousin très éloigné.
Enfance et adolescence
L'enfant passa ses trois premières années en nourrice chez des paysans du Pas-de-Calais. Puis ses parents l'emmenèrent avec eux à Londres, quand il s'y replièrent lors de la guerre de 1870. Sa mère, cependant, souhaitait s'établir à Paris. Elle rêvait d'y réussir comme comédienne, et aussi de retrouver les traces de la famille Randon. Elle tenta de s'y installer une première fois avec l'enfant lorsqu'il avait 5 ans, puis s'y établit définitivement alors qu'il en avait 8[2].
C'était une caractérielle et elle avait pris son fils en grippe. L'enfant contera plus tard leur cohabitation dans son roman Fil de Fer. La situation s'empira aux approches de l'adolescence, d'autant plus que le père s'était définitivement éclipsé, compromettant la situation matérielle de son ex-compagne et de leur fils.
Gabriel quitta l'école en 1882[3] (il avait 14 ans) pour être apprenti dans des maisons de commerce.
Vers l'âge de 16 ou 17 ans, il se sépara définitivement de cette mère avec qui il était en conflit permanent.
La jeunesse « symboliste » de Gabriel Randon (1885-1895)
Livré à lui-même, sa situation se dégrada rapidement. Il se montra incapable de se stabiliser dans aucun des divers petits métiers qu'il se trouva. Il s'était mis à fréquenter le Montmartre des artistes et des anarchistes, écrivant des poèmes (d'une facture encore classique) qui furent parfois publiés dans des « jeunes revues ».
En 1889, il se retrouva même sans toit, conduit à côtoyer les clochards et vagabonds de Paris. Il en tirera plus tard l'inspiration de ses Soliloques du Pauvre.
En décembre 1889, grâce à l'appui de José-Maria de Heredia, il entra à Hôtel de ville de Paris où, pendant plus de deux ans, il occupa divers postes d'employé de bureau. C'est là qu'il se lia d'amitié avec Albert Samain. Les deux poètes s'aidèrent pour faire entendre leurs voix dans les milieux littéraires.
Vers 1892, il fut également renvoyé de l'administration et renoua avec la précarité. Pour s'en sortir, il essaya de s'orienter vers le journalisme, avec peu de succès.
Le succès de « Jehan Rictus » (1895-1914)
Puis lui vint l'idée de composer des poèmes où un clochard s'exprimerait dans le français populaire de l'époque. En novembre 1895, il débuta au cabaret montmartrois des Quat'z'Arts 62 boulevard de Clichy, sous le pseudonyme de Jehan Rictus. (Sur la fin de sa vie, l'auteur insistait pour qu'on mette un trait d'union à son pseudonyme, ce que de nombreux éditeurs, critiques, etc. ont omis, considérant « Jehan » comme un prénom et « Rictus » comme un faux patronyme.)
Il remporta un franc succès dans ce métier de chansonnier à partir de février 1896 grâce à son poème le plus connu, Le Revenant, où un sans-abri croit rencontrer le Christ. Dès lors il fut amené à réciter ses poèmes, non seulement dans les cabarets mais dans des fêtes syndicales et politiques, et dans des dîners mondains. Il fréquenta également le Lapin Agile, où il rencontra Guillaume Apollinaire, Max Jacob.
En 1897 parut en souscription son premier recueil, Les Soliloques du pauvre. Vite épuisé le livre fut réédité par le Mercure de France.
Un nouveau recueil Doléances parut en 1900, suivi en 1902 de la plaquette les Cantilènes du malheur, contenant surtout La Jasante de la Vieille où l'auteur fait parler la mère d'un guillotiné comme elle est venue se recueillir à la fosse commune où son fils a été inhumé.
Une édition refondue des Soliloques parut en 1903. Paré de nombreuses illustrations de Steinlen, c'est son livre le plus connu.
L'unique roman de l'auteur, Fil de fer, parut en 1906. Jehan-Rictus y évoque son enfance à la Poil de carotte.
La liste de ses œuvres compte également des volumes d'intérêt bien moindre : une pièce de théâtre en un acte, Dimanche et lundi férié ou le Numéro gagnant, jouée en 1905, un essai pamphlétaire Un bluff littéraire : le cas Edmond Rostand en 1903, une pantomime la Femme du monde en 1909.
Parurent chez l'auteur en 1907 deux plaquettes de poèmes isolés : la Frousse et les Petites Baraques.
Il contribua également à des revues : légendes pour L'Assiette au Beurre vers 1903, poèmes dans Comœdia, articles dans les Hommes du Jour. Il fallut attendre 1914 pour que paraisse son second recueil poétique majeur, ..le Cœur populaire, qui réunit ses principaux poèmes en argot ne faisant pas partie des Soliloques. Après cela, il ne publia quasiment plus.
Vingt ans de léthargie (1914-1933)
Il revint sur le devant de la scène dans les années 1930, quand son amie la romancière Jeanne Landre publia Les Soliloques du Pauvre de Jehan Rictus, le premier livre à être consacré au poète, mais un fâcheux ouvrage tendant à établir une « légende Jehan Rictus ». Cet ouvrage affirme par exemple qu'il serait petit-fils de Jacques Randon, comte et maréchal de France (en réalité il était petit-fils d'un cousin germain de Jacques Randon).
Autre exagération : la pauvreté du poète. En réalité il parvenait à vivre correctement, presque bourgeoisement, de diverses ressources : droits d'auteurs, subsides publics et privés[4].
Il faut également éviter de voir en lui un anarchiste, encore moins un homme de gauche. Certes, il s'était passionné pour les idées anarchistes à ses débuts, ce que l'on retrouve dans de nombreuses pages des Soliloques, il prêta son concours à de nombreuses manifestations révolutionnaires, en tous cas jusqu'en 1914, et il fut toute sa vie sincèrement préoccupé du sort des plus démunis. Par contre, il abandonna rapidement les espoirs révolutionnaires, rejoignant même certaines idées du quotidien L'Action française après 1918 (même si, contrairement à ce qui a été écrit, il ne fut jamais membre de ce parti, ni « camelot du Roy »). Notamment il était favorable à la restauration de la monarchie, tout en regrettant la médiocrité du personnel politique monarchiste.
Ce changement resta essentiellement privé, l'auteur n'ayant presque rien fait paraître après 1914. Le seul poème où il apparaît est Conseils, qui clôt le Cœur populaire.
D'autre part, la Guerre le fit revenir sur le pacifisme qu'il prônait jusqu'alors.En avril 1931, il enregistra chez Polydor trois disques 78 tours de ses poèmes.
Il mourut à Paris en 1933 à l'âge de 66 ans. S'il n'avait plus rien publié depuis 1914, son œuvre continuait à être connue ; ainsi la chanteuse Marie Dubas avait fait dans les années 1930 une interprétation de La Charlotte qui eut un grand succès (mais que l'auteur désapprouva).
Il laisse un immense journal intime inédit.
Extraits
Extraits de "... le Cœur populaire"
- Farandole des pauv's P'tits fanfans morts
- Nous, on est les pauv’s tits fan-fans,
- les p’tits flaupés, les p’tits foutus
- à qui qu’on flanqu’ sur le tutu
- les ceuss’ qu’on cuit, les ceuss’ qu’on bat,
- les p’tits bibis, les p’tits bonshommes,
- qu’a pas d’bécots ni d’suc’s de pomme,
- mais qu’a l’jus d’triqu’ pour sirop d’gomme
- et qui pass’nt de beigne à tabac.
- Les p’tits vannés, les p’tits vaneaux
- qui flageol’nt su’ leurs tit’s échâsses
- et d’ qui on jambonn’ dur les châsses :
- les p’tits salauds, les p’tit’s vermines,
- les p’tits sans-cœur, les p’tits sans-Dieu,
- les chie-d’-partout, les pisse-au-pieu
- qu’il faut ben que l’on esstermine.
- Nous, on n’est pas des p’tits fifis,
- des p’tits choyés, des p’tits bouffis
- qui n’ font pipi qu’ dans d’ la dentelle,
- dans d’ la soye ou dans du velours
- et sur qui veill’nt deux sentinelles :
- Maam’ la Mort et M’sieu l’Amour.
- (...)
Extraits des Soliloques du pauvre
- L'Hiver
- Merd' ! V'là l'Hiver et ses dur'tés,
- V'là l'moment de n'pus s'mett' à poils :
- V'là qu'ceuss' qui tienn't la queu' d'la poële
- Dans l'Midi vont s'carapater !
- V'là l'temps ousque jusqu'en Hanovre
- Et d'Gibraltar au cap Gris-Nez,
- Les Borgeois, l'soir, vont plaind' les Pauvres
- Au coin du feu... après dîner !
- ...
- Et qu'on m'tue ou qu'j'aille en prison,
- J'm'en fous, je n'connais pus d'contraintes :
- J'suis l'Homme Modern', qui pousse sa plainte
- Et vous savez ben qu'j'ai raison !
- Le Printemps
-
-
- La journée
-
- Bon, v’là l’Printemps ! Ah ! salop’rie,
- V’là l’monde enquier qu’est aux z’abois
- Et v’là t’y pas c’te putain d’Vie
- Qu’a se r’nouvelle encore eun’fois !
- La Natur’ s’achète eun’ jeunesse,
- A s’ déguise en vert et en bleu,
- A fait sa poire et sa princesse,
- A m’fait tarter, moi, qui m’fais vieux.
- ...
Œuvres
- Les Soliloques du Pauvre [L'Hiver] (plaquette, 1895)
- Les Soliloques du Pauvre (1897, révisé en 1903 et en 1921)
- Doléances (1900)
- Cantilènes du malheur (1902)
- Un bluff littéraire, le cas Edmond Rostand (pamphlet) (1903)
- Dimanche et lundi férié, ou le Numéro gagnant (pièce en un acte), 1905
- Fil-de-fer (1906, roman)
- Les Petites Baraques (plaquette, 1907)
- La Frousse (plaquette, 1907)
- ..le Coeur populaire (1914, révisé en 1920)
- Posthume
- Lettres à Annie, 1955
- Éditions modernes
- Les Soliloques du pauvre (2009), édition critique par Denis Delaplace, à partir des éditions de 1897, de 1903 et des éditions postérieures, avec une introduction, des notes, une partie des illustrations de Steinlen et un dictionnaire-glossaire final, Paris, éditions Classiques Garnier, 345p.
- Fil-de-fer (2011), Rennes, La Part Commune, ISBN 978-2-84418-212-8
Notes et références
- Lettre de Jehan Rictus publiée dans le Cicerone du 12 mai 1910
- Jehan Rictus a résumé son enfance en plusieurs endroits de son journal intime, le Journal quotidien, notamment cahier 115, p. 185.
- Victor Hugo (voir son Journal quotidien, cahier 4, p. 96) mais travaillait chez son deuxième employeur (« chez des marchands de rubans juifs ») lors de l'enterrement de Gambetta, le 6 janvier 1883 (Journal quotidien, cahier 107, p. 30). Il était encore scolarisé le 26 février 1882, car il assista avec d'autres enfants des écoles aux cérémonies des 80 ans de
« Si je m'élève contre ceux qui ont prétendu que Rictus vécut les dernières années de sa vie dans la pauvreté ou la misère et avance qu'il n'était même pas gêné, on sera en droit de me demander des explications. [...] » (Gaston Ferdière, Jehan-Rictus, son œuvre, p. 32)
« Le poète des Soliloques du Pauvre, en dépit de la légende, ne mourut ni besogneux ni méconnu. [...] » (Théophile Briant, in Le Goéland, n° 38, 1er novembre 1938)
Lien externe
Catégories :- Écrivain français du XXe siècle
- Poète français
- Autodidacte
- Argot
- Le Libertaire
- Montmartre
- Légion d'honneur
- Naissance en 1867
- Naissance à Boulogne-sur-Mer
- Décès en 1933
Wikimedia Foundation. 2010.