- Ali Bitchin
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Ali Bitchin, ou Bitchnin, ou Pegelin (et autres variantes), né, croit-on Piccini ou Piccinino, à Venise, est un "renégat" (chrétien converti à l'Islam) qui fait fortune à Alger en pratiquant le corso ; il est grand amiral d'Alger ; il est connu par une mosquée qu'il a fait construire à Alger (mosquée d'Ali Betchin) ; il est bien connu en particulier grâce au récit de captivité que publia Emanuel d'Aranda, son esclave pendant un an environ en 1640 et 1641 ; il arrive qu'Ali Bitchin soit considéré comme ayant été brièvement gouverneur d'Alger à cause d'une très brève et très hypothétique prise de pouvoir en 1645.
Sommaire
L'homme d'affaires
Bitchin laisse trace de lui dans la Régence d'Alger de 1620 environ à 1645, date de sa mort.
En 1622, il fait construire la mosquée Ali Bitchnin (devenue ensuite Notre-Dame des Victoires),
De 1621 à 1645, il est le chef suprême de la Taïfa (corporation des raïs), et se fait appeler Grand Amiral d'Alger.
Ses richesses sont immenses. Il possède un palais en ville, une maison de campagne, un "bain" (bagne privé), plusieurs galères et des milliers d'esclaves. Ce qui ne l'empêche pas de nourrir ses esclaves d'un simple morceau de pain ou de biscuit, et encore, pas tous les jours.
Son bagne, situé près de son palais et de sa mosquée, comporte une église, ainsi qu'une taverne, supposée tenue par ses esclaves, et fréquentée aussi par les soldats turcs (car, d'après les doctrines théologiqies en vigueur alors à Alger, un Musulman peut boire de l'alcool à condition de ne pas en vendre)[1]. Il est décrit en ces termes par Aranda[2]:
" De là, nous fûmes au bain de notre nouveau maître ; c'est la place destinée pour le logement et la demeure des esclaves des galères. Ledit bain était une rue de sa maison, la qualité duquel et la situation je vous décrirai en bref. Premièrement, il y avait l'entrée étroite, et on venait dans une grande voûte, qui recevait la lumière telle quelle par quelques treilles d'en haut, mais si peu qu'en plein jour et à midi, dans aucunes tavernes dudit bain, on devait allumer des lampes. Les taverniers sont esclaves chrétiens du même bain, et ceux qui viennent là pour boire sont des corsaires et soldats turcs, qui s'amusent à boire et à faire des pêchés abominables. En haut, c'est une place carrée entre les galeries de deux étages ; et, entre ces galeries, il y avait aussi des tavernes et une église de Chrétiens, capable de contenir 300 personnes, pour entendre la messe. Nous étions là 500 esclaves chrétiens appartenant à notre patron Ali Pegelin."
Il ne sort qu'entouré d'une cinquantaine de pages d'une grande beauté, richement vêtus.
L'honnèteté n'est pas au nombre des vertus qu'il apprécie. Un jour, un de ses esclaves lui ayant retrouvé un diamant qu'il avait perdu, il lui jette une piécette avec mépris et lui dit de s'en servir pour acheter une corde pour se pendre, puisqu'il a eu les moyens de tenir sa liberté et ne s'en est pas servi.
En revanche, il tient à ce qu'on sache qu'il tient sa parole en affaires[3].
Vie spirituelle
Il semblerait, d'après les observations de d'Aranda, que Bitchin ne fréquente guère sa propre mosquée.
Un temps, il a parmi ses esclaves le père Angeli, un prêtre gênois ; celui-ci est apprécié de tous : catholiques, luthériens, russes orthodoxes et même musulmans ; Ali Bitchin le fait venir pour lui demander quel sera son sort à sa mort[4]; après maintes hésitations, le prêtre ose répondre qu'il ira droit en enfer ; Bitchin lui ayant demandé s'il y avait un moyen de l'éviter, le prêtre ose lui suggérer d'être meilleur musulman : s'abstenir de voler, montrer quelque miséricorde, s'abstenir de se moquer du Coran ; mettre quelquefois les pieds à la mosquée ; s'abstenir, quand il est chez le Régent et que le cri du muezzin retentit, de se couvrir le visage d'un mouchoir pour montrer qu'il fait ce qu'il peut pour cacher son rire ; tout cela paraissant un peu compliqué, Bitchin décide que le diable fera de lui ce qu'il voudra le moment venu.
En parallèle des efforts du père Angeli pour rendre Bitchin meilleur musulman, ce dernier fait son possible pour que ses esclaves restent bons chrétiens ; celui qui parait vouloir se convertir à l'Islam est roué de coups, Bitchin craignant que cette conversion ne l'oblige à terme à affranchir l'esclave.
En 1639, Ali Bitchin n'est empêché que par la tempête de s'emparer du trésor de Notre Dame de Lorette. Il se console en pillant les côtes de la Calabre et de la Sicile, d'où il ramène un millier d'esclaves.
Le Grand Amiral
Etre à la tête de la corporation des raïs suffit à faire, de fait, l'homme le plus puissant de la ville, dans cette Alger où le pouvoir de la Sublime Porte est lointain, et où le pouvoir politique local tremble devant les janissaires, et ne peut les payer que grâce au produit des prises des raïs.
Bitchin est un grand amiral remuant. Il a épousé la fille du "roi" de Kouko, d'une tribu kabyle toujours prête à la révolte ; cette tribu lui fournit sa garde prétorienne.
Ses positions politiques sont claires : il est contre tout ce qui peut coûter aux grands propriétaires d'esclaves et aux raïs.
De Grammont écrit de lui : "En 1634, Sanson Le Page reconnaissait qu'il était inutile de chercher des accomodements contraires à la volonté d'Arabadji, de Cigala et d'Ali Bitchnin"
En 1637, il fait échouer des tractations avec la France en vue de la libération d'esclaves français et d'un renouvellement du Traité de Paix ; il dirige la destruction des établissements commerciaux français de La Calle et réduit en esclavage les employés ; d'une façon générale, Ali Bitchin s'emploie à détruire les traités de paix avec la France, qui l'empêchent d'exercer sa prédation sur les richesses des navires de Marseille.
Le désastre de Velone et ses suites
Vers 1638, c'est la défaite de Velone[5], un désastre personnel pour Bitchin au moins autant qu'une défaite turque contre Venise ; le sultan de Constantinople avait laborieusement obtenu que les raïs d'Alger participent à une expédition contre Venise ; une vingtaine de galères partent d'Alger sous la direction de Bitchin, la plupart lui appartenant ; huit galères tunisiennes viennent s'y joindre ; la flottille, moyennement enthousiaste pour faire la guerre du Sultan, commence par ravager les côtes de l'Adriatique, puis, à la suite d'une tempête, se réfugie dans le petit port de Velone et y séjourne plus que de raison ; elle y est surprise par les Vénitiens de Marin Cappello ; Bitchin parvient à fuir avec quelques galères, mais tout le reste est détruit : 1500 Algériens tués, 3500 esclaves chrétiens libérés, 12 galères et deux brigantins capturés par les Vénitiens, 4 galères coulées.
Après la défaite de Velone, qui a détruit nombre de ses galères, Bitchin devient un ferment de révolte contre le Sultan de Constantinople, suzerain de la Régence d'Alger. Il lui reproche, et les raïs avec lui, d'exposer leurs personnes et leurs biens dans des guerres dont il ne peut résulter nul profit pour eux, et de ne pas les indemniser de leurs pertes.
En 1640/1641, quand d'Aranda est esclave chez Bitchin, il a l'occasion de servir à un festin où son maître a invité le Pacha (représentant de Constantinople à Alger). Dans le contexte d'une Alger où le poison règle souvent les différends, le Pacha arrive avec vingt de ses propres esclaves ainsi qu'avec sa propre nourriture et sa propre boisson, ce dont Bitchnin ne se formalise pas[6].
En 1643, la Taiffa refuse de se joindre à une flotte rassemblée contre Venise, et déclare qu'elle fera désormais la guerre pour son propre compte.
Le Sultan envoie trois délégués demander la tête de Bitchnin, mais celui-ci allume une révolte ; les envoyés rembarquent, satisfaits d'en être sortis vivants. Bitchin est au faite de sa gloire, mais en réalité proche de sa fin.
En 1644/45, démarre le conflit qui se terminera par sa mort (voir section "La fin").
La fin
En 1644/45, les choses se précipitent pour Ali Bitchnin.
1644 : le Sultan de Constantinople envisage une attaque contre Malte[7] ; il demande l'aide de ses vassaux d'Alger qui la refusent ; l'affaire de Velone est encore dans tous les esprits ; la défection d'Alger oblige le Sultan à renoncer à l'attaque.
En Turquie, le Sultan Ibrahim veut la tête de Bitchin et de quelques autres raïs. Quand les deux envoyés du Sultan arrivent, une révolte éclate, fomentée par Bitchnin. Le Pacha Mohammed doit se réfugier dans une mosquée. Les envoyés turcs sont forcés de chercher asile chez Bitchnin lui-même, qui les renvoie à Constantinople couverts de présents, mais mission non accomplie, et "retournés" en ambassadeurs de Bitchin à Constantinople : ils sont convaincus, et ils le disent au Sultan, que l'apaisement à Alger passe par Bitchin..
Les choses se compliquent cependant encore pour ce dernier, car les Janissaires, voyant qu'il a neutralisé le pacha (enfermé dans sa mosquée) en "déduisent" qu'il est devenu le maître de la ville et doit en conséquence assurer leur solde. Il a trois jours pour réunir l'argent ; il se sauve chez un marabout, se fait porter malade pour obtenir un délai de paiement, obtient encore cinq jours de délai pas plus[8]. Avant l'expiration du délai, il sort de la ville avec toutes ses richesses et se réfugie à Kouko chez son beau-père.
C'est alors l'émeute contre lui, ou plutôt, contre ses biens, puisqu'il est absent. Alger craint qu'il ne revienne à la tête d'une troupe de Kabyles. Ses maisons sont pillées, ses galères sont gardées, ses esclaves sont dispersés en différentes mains, si bien que Saint Vincent de Paul, qui était en tractations pour leur libération, devra les rechercher un par un chez leurs nouveaux maîtres.
Puis, les choses s'arrangent : convaincu du caractère incontournable de Bitchin[9], le Sultan lui envoie de l'argent et les présents les plus flatteurs. Bitchnin revient à Alger où il est accueilli en triomphe.
Arrive aussi, cependant, de Turquie, un nouveau Pacha nommé Ahmed. Peu de temps après, Bitchnin meurt mystérieusement. Alger pense qu'il a été empoisonné et lui fait des funérailles royales.
Il arrive qu'Ali Bitchin soit considéré comme ayant été brièvement gouverneur d'Alger à cause de cette très brève et très hypothétique prise de pouvoir.
Notes et références
- D'Aranda, op cit, page 35
- Ouvrage cité en sources, page 18
- D'Aranda, op. cit., pages 248 et ss
- D'Aranda, op cit, pages 242 et suivantes
- Ernest Mercier, Histoire de la Berbérie tome III pages 229 et suivantes
- D'Aranda, op cit, page 247
- Mercier, Histoire de la Berbérie, tome III pages 236 et suivantes
- De Grammont, op. cit ; l'édition en ligne n'est pas paginée
- Mercier, op. cit.
Sources
- Revue historique tome vingt-cinquième mai-août 1884 Paris
- Emmanuel d'Aranda Relation de la captivité et liberté du sieur Emanuel d'Aranda
- de Grammont, Histoire d'Alger sous la domination turque
- Ernest Mercier, Histoire de la Berbérie, lisible sur le site Algérie-Ancienne
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