- Identité de polarisation
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En mathématiques, les identités de polarisation concernent l'algèbre multilinéaire. Elles correspondent à une caractérisation des formes bilinéaires symétriques, des formes hemitiennes et des formes sesquilinéaires. Si E est un espace vectoriel, ces formes sont des applications de ExE dans le corps des scalaires (réels ou complexes). Elles sont intégralement caractérisées par leur comportement sur la diagonale, c'est-à-dire par la connaissance d'une telle forme φ sur l'ensemble des points (x, x) où x est un élément quelconque de E. L'application qui à x associe φ(x, x) est la forme quadratique associée.
Il existe ainsi une équivalence entre les formes bilinéaires symétriques et les formes quadratiques. Une identité de polarisation permet d'exprimer une forme bilinéaire symétrique ou une forme sesquilinéaire (à gauche) à partir de la forme quadratique associée.
Sommaire
Identités de polarisation
Les Identités de polarisation sont de deux types différents, celles qui s'appliquent sur les formes bilinéaires et celles pour les formes sesquilinéaires.
Formes bilinéaires symétriques
Le contexte des identités de polarisation est celui d'un espace vectoriel E quelconque sur un corps K commutatif et de caractéristique différente de deux. Soit φ une forme quadratique sur E, non nécessairement définie et non nécessairement positive (si le corps K est ordonné).
Définition — On appelle identités polaires, chacune des trois égalités suivantes, qui définissent l'unique forme bilinéaire symétrique ψ de ExE dans K telle que ψ(x,x) = φ(x) :
En particulier, soit E un espace préhilbertien réel dont la norme d'un vecteur x est notée : et le produit scalaire de deux vecteurs x et y : . Les deux égalités suivantes sont vérifiées :
Ces résultats proviennent de la propriété suivante, si ψ est une forme bilinéaire de ExE quelconque :
Et l'application qui à (x, y) associe ½(ψ(x, y) + ψ(y, x)) est symétrique.
Formes sesquilinéaires et formes hermitiennes
Si le corps K sous-jacent à E n'est pas R mais est, comme lui, muni d'une valeur absolue, la notion de norme conserve un sens. Si K est l'ensemble des nombres complexes, la « valeur absolue » est le module. De ce point de vue, la notion de forme sesquilinéaire est l'analogue, sur un espace vectoriel complexe, de celle de forme bilinéaire sur un espace vectoriel réel. Dans ce paragraphe E est un espace vectoriel complexe.
Soit f une forme sesquilinéaire à gauche (non nécessairement hermitienne) sur E. On note φ(x) = f(x,x) la forme quadratique associée :
Définition — On appelle formule de polarisation[1] ou forme polaire de φ[2] l'égalité suivante, permettant de retrouver la forme sesquilinéaire à gauche f de ExE dans C :
Ici i désigne l'unité imaginaire.
- Formes hermitiennes
- On ne trouve une forme hermitienne que si la forme f de départ était hermitienne (à gauche).
- Si la fonction φ est réelle, , et si φ( − x) = φ(x), la formule de polarisation montre que f est nécessairement hermitienne :
- .
La dernière remarque sur les formes bilinéaires symétriques s'applique encore si E est un espace préhilbertien complexe et avec les notations du paragraphe précédent (et une forme hermitienne à gauche) :
Autres formules, cas des formes sesquilinéaires à droite
- Si la forme de départ était sesquilinéaire à droite, la formule de polarisation serait la suivante :
- Il existe d'autres formules de polarisation (données ici pour une forme sesquilinéaire à droite[2]) :
Pour une forme hermitienne positive (la positivité n'est pas obligatoire), à partir des formules précédentes, on obtient en isolant la partie réelle :
Pour la partie imaginaire d'une forme hermitienne (positive) à droite :
Correspondance entre formes bilinéaires symétriques et formes quadratiques
L'application qui, à une forme bilinéaire symétrique (resp. une forme sesquilinéaire à gauche) associe sa forme quadratique est un monomorphisme d'espaces vectoriels. La forme polaire correspond à l'isomorphisme réciproque.
Normes issues d'un produit scalaire
Il est possible d'aller plus loin à l'aide de la règle du parallélogramme.
Cas réel
Dans ce paragraphe E désigne un espace vectoriel réel. Si φ est une forme quadratique, elle vérifie l'égalité suivante dite, règle du parallélogramme :
Il est naturel de se poser la question de savoir ce qu'il en est d'une norme quelconque satisfaisant cette égalité :
Théorème de Fréchet-Von Neumann-Jordan cas réel[3] — Soit N une norme de E. N dérive d'un produit scalaire si et seulement si elle respecte l'identité du parallélograme. Ce produit scalaire est alors unique, et est donné par l'identité de polarisation :
Il n'est pas nécessaire d'imposer à N d'être une norme. Il suffit qu'elle soit strictement positive sur tout vecteur de E non nul, nulle pour le vecteur nul et continue.
Démonstration-
- Si λ est un scalaire et x un vecteur de E, alors :
Montrons dans un premier temps que l'image de -x par N est celle de x :
On vérifie que N(0.x) est égal à zéro, N(1.x) est égal à N(x) et par récurrence, N(n.x) =n.N(x) en effet :
Si y est égal à n.x, alors les résultats précédents montrent que :
Les trois derniers résultats montrent que :
La continuité de N, ainsi que le fait que l'ensemble des nombres rationnels est dense dans R montre le résultat recherché.
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- Si x et y sont deux vecteurs de E tel que N(x + y)2 = N(x)2 + N(x)2, alors pour tout λ et μ réels, N(λx + μy)2 = λ2N(x)2 + μ2N(x)2 :
Si λ est nul, la proposition est une conséquence directe de la proposition précédente. Montrons que la proposition est vraie si λ est égal à un. Elle est vraie si μ est égal à zéro ou un. Supposons qu'elle est vraie jusqu'à p et montrons-la pour p + 1:
Ce qui montre le résultat par récurrence. Un raisonnement analogue au précédent montre que le résultat est vrai pour tout réel. Si λ est différent de zéro:
On en déduit :
L'expression de l'application N est donc simple dans le cas où x et y sont orthogonaux c'est-à-dire si le carré de l'image de la somme de x et y est égal à la somme des carrés des images.
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- Si x et y forment une famille libre, alors il existe deux vecteurs orthogonaux et normés e1 et e2 tel que l'espace engendré par ces deux vecteurs contient x et y :
le vecteur x est non nul car il appartient à une famille libre. Soit e1 le vecteur égal à 1/N(x).x. Considérons l'application f du segment [-1, 1] dans E définie par :
Considérons la fonction g du segment [-1, 1] dans R définie par :
Ici φ désigne l'identité polaire associée à la fonction N :
La fonction g est continue, de plus g(-1) = -1 et g(1) = 1, il existe donc une valeur λ0 tel que g(λ0) est égal à zéro. Définissons e2 comme un vecteur normalisé et colinéaire à f(λ0). La proposition précédente montre que la famille (e1, e2) vérifie les propriétés requises.
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- L'application φ est bilinéaire symétrique définie positive si E est de dimension deux :
La proposition précédente montre l'existence d'une base (e1, e2) orthonormée. Soit x (resp. y) un vecteur de E, Soit α1 et α2 (resp. β1, β2) les coordonnées de x (resp. y) dans la base, alors :
La deuxième proposition montre que :
La dernière égalité montre le caractère bilinéaire et symétrique de l'application φ. Le carré de N est bien la forme quadratique associée, ce qui montre le caractère défini positif.
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- L'application φ est bilinéaire symétrique définie positive :
Soit x1, x2 et y trois éléments de E et λ un scalaire. Montrons que :
Si les trois vecteurs sont liées la proposition précédente permet de conclure car sur l'espace engendré par les trois vecteurs, φ est bilinéaire symétrique. Sinon, soit x le vecteur x1 + λ.x2 et (f1, f2) une base orthonormale de l'espace vectoriel engendré par x et y tel que f1 et x1 soient colinéaires. Alors φ est bien une application bilinéaire définie positive dans l'espace engendré par x et y, on en déduit :
Comme x et f1 sont colinéaires et que x est combinaison linéaire de x1 et x2, ces quatre vecteurs sont dans un espace vectoriel de dimension deux. La restriction de φ à cet espace est bilinéaire symétrique, donc :
Le caractère symétrique de φ provient de la définition d'une forme polaire, φ est définie positive car N2 est sa forme quadratique associée. Cas complexe
Dans ce paragraphe E désigne un espace vectoriel complexe préhilbertien. L'identité du parallélogramme est encore valable pour la norme.
La situation est ici encore analogue à celle des espaces réels. La norme d'un produit scalaire hermitien le caractérise. Toute norme satisfaisant l'égalité du parallélogramme est issue d'un produit scalaire.
Théorème de Fréchet-Von Neumann-Jordan cas complexe — Soit N une norme de E. N dérive d'un produit scalaire hermitien si et seulement si elle respecte l'identité du parallélograme. Ce produit scalaire est alors unique, et déterminé par l'identité de polarisation.
Remarque : suivant le choix de la formule de polarisation, on obtient une forme hermitienne à gauche ou à droite (avec unicité dans chacun des deux cas).
DémonstrationLa méthode est analogue à celle du cas réel. Dans un premier temps, on montre que ce résultat est vrai en dimension un, puis deux puis dans le cas général. Comme le cas réel est déjà traité (la démonstration est donnée dans l'article Espace euclidien), si E est considéré comme un espace vectoriel réel noté ER il est équipé d'un produit scalaire <.,.>R dont la norme dérive.
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- Le résultat est vrai si la dimension de E est égale à un .
Soit e1 un vecteur de norme égal à un. Soit λe1 et μe1 deux vecteurs quelconques de E. Définissons le produit scalaire complexe <.,.>C par :
Comme N est une norme et que N(e1) est égal à un, le produit scalaire précédent convient.
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- Le résultat est vrai si la dimension de E est égale à deux :
Soit e1 un vecteur défini comme précédemment. Remarquons que e1 et i.e1 sont orthonormaux pour <.,.>R. En effet :
Le théorème de Pythagore est vérifié sur les vecteurs e1 et i.e1, ce qui montre qu'ils sont orthogonaux pour le produit scalaire <.,.>R. Ce résultat est vrai pour les produits scalaires réels mais faux dans le cas complexe. Soit f l'application de ER qui au vecteur a associe i.a. La fonction f est un endomorphisme de ER, c'est de plus une isométrie donc un automorphisme orthogonal. L'espace vectoriel E1R engendré par e1 et i.e1 est stable par f, son orthogonal pour <.,.>R est stable par f, en effet, soit y un élément de l'orthogonal. Comme f est une isométrie et que f2 est égal à l'homothétie de rapport -1 :
Il suffit en effet de remarquer que f(x) est élément de E1R et donc qu'il est orthogonal à y. Cette propriété est générique à tous les endomorphismes normaux. Soit e2 un vecteur de l'orthogonal de E1R et de norme un. On remarque que la famille (e1, i.e1, e2, i.e2) est une base orthonormale de ER. Définissons <.,.>C comme le produit scalaire tel que la base (e1, e2) soit orthonormale. Soit x un vecteur quelconque de E. Alors il existe quatre réels α1, α2, β1 et β2 tels que :
L'unicité provient du fait que ce produit scalaire est aussi donné par la forme polaire.
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- Le résultat est vrai quelle que soit la dimension de E :
La démonstration est calquée sur celle des espaces euclidiens. Soit φ l'application de ExE dans R définie par :
Soit x1, x2 et y trois éléments de E et λ un nombre complexe. Montrons que :
Si les trois vecteurs sont liés, la proposition précédente permet de conclure car sur l'espace engendré par les trois vecteurs, φ est un produit scalaire. Sinon, soit x le vecteur x1 + λ.x2 et (f1, f2) une base orthonormale de l'espace vectoriel engendré par x et y tel que f1 et x1 soient colinéaires. Alors φ est un produit scalaire sur l'espace vectoriel engendré par x et y d'après la proposition précédente. Un calcul à l'aide des coefficients de Fourier sur la base orthonormale permet de montrer que :
Comme x et f1 sont colinéaires et que x est combinaison linéaire de x1 et x2, ces quatre vecteurs sont dans un espace vectoriel de dimension deux. La restriction de φ à cet espace est un produit scalaire, donc :
Un calcul analogue montre que le produit est semilinéaire par rapport à la deuxième variable. Le caractère hermitien défini positif provient du fait que la forme sesquilinéaire dérive de la forme polaire d'une norme[4]. Notes et références
- Bourbaki, EVT, chapitre V, page 2
- Ramis, Deschamp, Odoux, Cours de mathématiques spéciales, tome 2, page 103
- Haïm Brezis, Analyse fonctionnelle : théorie et applications [détail des éditions] p 87 Cette dénomination est indiquée dans :
- Cette démonstration se trouve aussi dans la référence précédente
Sources
- N. Bourbaki, EVT, chapitre V, page 2
- Ramis, Deschamp, Odoux, Cours de mathématiques spéciales, tome 2, éd. Masson
- Haïm Brezis, Analyse fonctionnelle : théorie et applications [détail des éditions]
- K. Yosida Functional Analysis Springer 1980 (ISBN 3-540-10210-8)
Liens externes
- Forme quadratique,polarisation par V. et F. Bayart dans Bibmath.net
- Espaces préhilbertiens par C.Antonini, J.F. Quint, P. Borgnat, J. Bérard, E. Lebeau, E. Souche, A. Chateau, O. Teytaud dans les mathématiques.net 2001
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