- Hétérosexualité
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L'hétérosexualité est l'attirance d'un individu vers des individus de sexe opposé. Une femme vers un homme et vice-versa, ou dans le monde animal, un mâle vers une femelle et vice-versa.
Sommaire
Définitions
Du grec Heteros (différent). Le terme "hétérosexuel" n'apparaît qu'après la formation du mot "homosexuel", auquel son créateur, Karl-Maria Kertbeny, opposait d'abord le terme "normalsexuel". Bien que trouvé dans ses lettres dès 1868, l'adjectif n'est pas publié avant 1880, en langue allemande. En français, l'adjectif apparaît en 1891, et le nom "hétérosexualité" en 1894. L'abréviation hétéro existe aussi, dans un contexte plus familier.
Le terme d’hétérosexualité est utilisé pour désigner :
- L’orientation sexuelle d’une personne vers des personnes du genre opposé. Par exemple, on parlera de l’hétérosexualité d’une femme lorsque celle-ci éprouve une attirance sexuelle (et éventuellement affective) envers un homme.
- La condition d’une personne qui se définit, en termes d’identité sexuelle comme hétérosexuelle.
- Les relations sexuelles entre personnes de sexe opposé.
L'hétérosexualité, évidente en biologie par le désir de l'étreinte sexuelle (très dissociée, chez l'humain, de l'instinct de reproduction) et la conformation physique des spécificités sexuelles, ne s'y réduit pas dans toutes les sociétés humaines. Les causes exactes de l’hétérosexualité comme comportement social, qui peuvent être liées à cette biologie, ne sont pas plus établies, en l’état actuel des connaissances, que celles des autres orientations sexuelles.
Aptitude à la reproduction
L’hétérosexualité diffère de l’homosexualité par le choix d'objet, dans le langage psychanalytique. Toutes deux sont toutefois aussi construites l'une que l'autre, et s'il est facile de définir l'hétérosexualité par opposition et comme le négatif de l'homosexualité, il est plus difficile de la définir en elle-même. Le critère de la reproduction paraît central, même si elle est loin d'être systématique. La psychanalyse conservatrice présente l’hétérosexualité comme un état final du développement sexuel, en conformité avec la finalité reproductrice montrée comme une téléologie, un but ultime.
L'histoire de l'hétérosexualité se confond dans une certaine mesure avec l'histoire de la famille, et des politiques démographiques (natalisme, populationnisme) qui promeuvent massivement l'hétérosexualité. Comme les soins des enfants étaient traditionnellement dévolus aux femmes, faisant souvent de la maternité leur unique identité, les féministes ont souvent vu dans l'hétérosexualité un appareil à reproduire les inégalités entre femmes et hommes (voir patriarcat).
Mais la stérilité, la contraception comme les formes de conjugalité sans sexualité (tantrisme, amour platonique ou chasteté), réduisent significativement la portée de ce critère : être hétérosexuel ne revient pas forcément à se reproduire. De plus, les formes d'homoparentalités mettent à mal l'idée d'un monopole hétérosexuel de la famille. Si la seule reproduction reste l'apanage de la rencontre d'un gamète mâle et d'un gamète femelle, suivant les sociétés l'éducation des enfants n'est pas forcément réservée aux parents biologiques.
Initiation et vie de couple
À l’adolescence, l’apparition des caractères sexuels secondaires suscite une forte différenciation. L’angoisse devant la sexualité et les tabous favorisent les flirts sans passage à l’acte. À cette occasion, les expériences homosexuelles sont davantage tolérées en tant que tâtonnements avant une hétérosexualité voulue comme indépassable. L’intérêt pour l’autre sexe est une norme, qui prend la forme d'une socialisation constante. Les personnes ayant une autre orientation tardent souvent à s’assumer.
La fidélité semble un critère déterminant, mais il s'avère fragile : l'adultère, la longue tradition du cocufiage en Occident et le recours à la prostitution le confirment, aux côtés de la polygamie et de l'union libre. La conjugalité, si elle est en général déniée aux personnes non-hétérosexuelles, est bien plus répandue, et les mouvements pour le mariage homosexuel attestent de la force de la conjugalité hors de la sphère hétérosexuelle, que ce soit sous forme de couple exclusif ou « ouvert ». En dehors de la conjugalité et du couple, le célibat concerne les personnes de toute orientation.
Complémentarité : sexe et genre
Le critère de la complémentarité en féminin/masculin, qui repose sur la pensée de la "différence des sexes", un essentialisme que l'on retrouve d'Aristote à Françoise Héritier, est tout aussi illusoire : des hommes efféminés ou des femmes masculines peuvent être hétérosexuels. Le sexe et le genre ne se recoupent pas forcément : une femme attirée par une femme masculine reste homosexuelle. Il y a de nombreuses manières de vivre son hétérosexualité, loin du machisme, en fonction de ses préférences de genre et de pratiques sexuelles.
Ainsi, l'identité sexuelle, suivant l'identité sexuée adoptée, peut se révéler étonnante, comme ces exemples tirés d'autobiographies ou de fiction : lorsque François Coupry intitule un de ses ouvrages Je suis lesbien (1978), ce que reprend un des personnages du film Les Passagers de Jean-Claude Guiguet, un homme hétérosexuel se considérant comme une femme. Le pendant en est Marie-Aude Murail, qui dans son premier livre autobiographique Passage s'identifie à un garçon, attiré par les garçons : un gay, donc. On parle alors de PoMosexualité. Plus encore, le cas des transsexuel/les, qu'ils aient des désirs homosexuels ou hétérosexuels, vient renouveler les conceptions de l'hétérosexualité, selon que l'on prend en compte leur sexe de départ ou leur sexe d'arrivée. La virilité n'est donc pas forcément le contrepoint complémentaire de la féminité.
Porosité des sexualités
De plus, l'hétérosexualité comme l'homosexualité sont considérées comme des monosexualités exclusives. Mais la bisexualité vient perturber ces orientations monolithiques et rendre floues leurs frontières. La bisexualité dérange (voir biphobie) et les bisexuels sont souvent à tort classés parmi les homosexuels ou les hétérosexuels. La contrainte à l'hétérosexualité, sous forme de pressions sociales, tolère en fait souvent la bisexualité à condition qu'elle reste discrète, tout en décourageant l'homosexualité au moyen de la discrimination et des violences homophobes. (Voir Mouvement de libération gaie.)
L'échelle d'Alfred Kinsey permet d'appréhender la sexualité humaine en termes de "continuum", la sexualité d'une bonne partie de la population relevant d'une orientation dominante plus ou moins teintée par des fantasmes ou des expériences "autres". Les trois orientations se recoupent, et ces allosexualités s'opposent conjointement à l'autosexualité et à l'asexualité.
Une identité privilégiée
L'hétérosexualité est généralement la seule orientation sexuelle acceptée et répandue dans les sociétés hétérocentristes. La particularité de l'hétérosexualité sur les autres orientations sexuelles est d'être naturalisée par les discours dominants (notamment religieux) et de passer pour la seule sexualité, les autres étant vues comme des déviances. La contrainte à l'hétérosexualité et les inégalités entre les sexes sont des formes d'oppression liées à l'hétérosexualité [1]. L'hétérosexualité a pu être vue comme un système coercitif, lorsqu'elle était imposée, ou quand elle favorisait les inégalités entre les sexes[2],[3].
Dans les sociétés patriarcales, l'un des privilèges de l'hétérosexualité est la prétention à l'universalité, et le recours à un point de vue épistémologique supérieur sur les autres sexualités. Certains intellectuels cultivant ce point de vue présentent parfois l'hétérosexualité comme menacée par les mouvements de reconnaissances LGBT : rien n'est moins sûr. Ces mouvements ne visent pas à la disparition de l'hétérosexualité, ou à affaiblir, du point de vue de la reconnaissance sociale le mariage ; et l'hétérophobie reste un fanstasme. Majoritaire, l'hétérosexualité n'est pas seulement protégée : les politiques publiques concourent bien souvent à discriminer les autres sexualités.
Dans les sociétés patriarcales, où la répression sexuelle s'exerce sur toutes les formes d'expression sexuelles du plaisir amoureux, l’état hautement désirable que représente l’hétérosexualité amène à un paradoxe. Pour quelques homosexuels ayant intégré l’homophobie, aux États-Unis d'Amérique, tous les moyens sont bons pour devenir hétérosexuels : thérapies de reconversion, traitements aversifs, électrochocs… [4],[5]. La difficulté de se « convertir » et les forts taux d’ « échecs » (il arrive que la tentative débouche sur le refus de toute sexualité) démontrent que devenir exclusivement hétérosexuel n’est pas une évidence, même si on le désire.
Homosexualité, bisexualité et hétérosexualité interagissent et entretiennent des échanges constants. La mise en évidence du caractère arbitraire et conventionnel de l'hétérosexualité[6] sous sa fausse évidence ne vient pas remettre en cause des sentiments, des pratiques et une culture de toute façon dominants, mais permet de lui restituer son caractère social et de la constituer en objet d'étude historique[7]. Les nombreux rites de séduction, d'expression du désir et les multiples formes de conjugalité apparaissent comme autant de richesses insoupçonnées.
Références
- Sens Public : Mouvement féministe, mouvement homosexuel : un dialogue
- La révolution d'un point de vue
- Multitudes Web - Multitudes queer
- Facts About Changing Sexual Orientation
- Wayne Besen - Author, Activist, Columnist, Public Speaker
- Jonathan Ned Katz, L’Invention de l’hétérosexualité (The Invention of Heterosexuality, New York, Plume/Penguin, 1995), Paris, EPEL, 2002 ; Chrys Ingraham (dir.), Thinking Straight: The Power, the Promise, and the Paradox of Heterosexuality, Londres, Routledge, 2004.
- Louis-Georges Tin, L'Invention de la culture hétérosexuelle, Autrement, 2008.
Compléments
Bibliographie
- Élisabeth Badinter, XY. De l’identité masculine, Paris, Odile Jacob, 1992, Le Livre de poche, 1994.
- Wayne R. Besen, Anything but Straight: Unmasking the Scandals and Lies Behind the Ex-Gay Myth, Harrington Park Press, 2004.
- André Burguière, Christiane Klapisch-Zuber, Martine Segalen et Françoise Zonabend (dir.), Histoire de la famille, trois tomes, Paris, Le Livre de poche, 1994.
- Catherine Deschamps, Laurent Gaissad et Christelle Taraud (dir.), Hétéros, discours, lieux, pratiques, PAris, EPEL, 2009.
- Alain Giami, " Cent ans d'hétérosexualité", Actes de la Recherche en Sciences Sociales, 1999, Volume 128, Numéro 128, pp. 38-45.
- Marcela Iacub, L'Empire du ventre, pour une autre histoire de la maternité, Paris, Fayard, 2004.
- Chrys Ingraham (dir.), Thinking Straight: The Power, the Promise, and the Paradox of Heterosexuality, Londres, Routledge, 2004.
- Stevi Jackson, Heterosexuality in Question, Londres, Sage, 1999.
- Jonathan Ned Katz, L’Invention de l’hétérosexualité (The Invention of Heterosexuality, New York, Plume/Penguin, 1995), Paris, EPEL, 2002.
- Jean-Claude Kaufmann, La Trame conjugale, Paris, Nathan, 1992 ; et La Femme seule et le prince charmant, Nathan, 1999 (rééd. Pocket).
- Sabine Melchior-Bonnet et Aude de Tocqueville, Histoire de l'adultère, la tentation extra-conjugale de l'Antiquité à nos jours, La Martinière, 2000.
- Sabine Prokhoris, Le Sexe prescrit, la différence sexuelle en question, Paris, Flammarion, 2000.
- Adrienne Rich, Compulsory Heterosexuality and Lesbian Existence, Londres, OnlyWomen Press, 1981.
- Eve Kosofsky Sedgwick, "Construire des significations queer", Didier Eribon (dir.), Les études gay et lesbiennes, Paris, Centre Pompidou, 1998.
- Anne-Marie Sohn, Du premier baiser à l'alcôve, la sexualité des Français au quotidien, 1850-1950, Paris, Aubier-Montaigne, 1998.
- Louis-Georges Tin, L'Invention de la culture hétérosexuelle, Paris, Autrement, 2008.
- Monique Wittig, La Pensée straight, Paris, Balland modernes, 2001.
Voir aussi
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