Horum omnium fortissimi sunt Belgae

Horum omnium fortissimi sunt Belgae

Horum omnium fortissimi sunt Belgae (en français « De tous les peuples [de la Gaule], les Belges sont les plus braves. ») est une locutions latines . Elle est parfois réduite à la formule Fortissimi sunt Belgae (« Les Belges sont les plus braves. »).

Cette phrase est extraite des Commentaires sur la Guerre des Gaules de Jules César[1].

Sommaire

Contexte

La citation de César doit être replacée dans sa phrase :

« Toute la Gaule est divisée en trois parties, dont l'une est habitée par les Belges, l'autre par les Aquitains, la troisième par ceux qui, dans leur langue, se nomment Celtes, et dans la nôtre, Gaulois. Ces nations diffèrent entre elles par le langage, les institutions et les lois. Les Gaulois sont séparés des Aquitains par la Garonne, des Belges par la Marne et la Seine. Les Belges sont les plus braves de tous ces peuples, parce qu'ils restent tout à fait étrangers à la politesse et à la civilisation de la province romaine, et que les marchands, allant rarement chez eux, ne leur portent point ce qui contribue à énerver le courage : d'ailleurs, voisins des Germains qui habitent au-delà du Rhin, ils sont continuellement en guerre avec eux[2]. »

Conquête de la Gaule belgique

Édition de 1783 des Commentaires sur la Guerre des Gaules

Jules César, chef militaire dévoré d’ambition, cherche la notoriété pour, un jour, prendre le pouvoir seul à Rome. Il a donc besoin de gagner les batailles qu’il mène au nom du Sénat et du Peuple de Rome et ses victoires doivent être acquises de façon éclatante de manière à renforcer sa popularité auprès des Romains. Il importe donc de déshumaniser ses adversaires, de les représenter comme des monstres, des animaux. Bien sûr, Jules César rend hommage, dans ses Commentaires sur la Guerre des Gaules, à la force, la résistance et la vaillance des peuples qu’il a à combattre mais il révèle également leur côté bestial, cruel et irrationnel : « ils se jettent au combat sans stratégie cohérente, se vendent au plus offrant, renient leurs engagements selon leurs fantaisies, ne montrent aucune prudence lorsqu’ils exposent leurs femmes et enfants aux représailles de l’occupant, sont dirigés par des chefs qui les exploitent sans pitié, etc. »[3]. La description d'une telle sauvagerie, fut-elle réelle ou exagérée, est destinée à renforcer la gloire du conquérant romain.

Plus loin dans son ouvrage, il présente les Belges qu’il a vaincus comme des individus déloyaux et des traîtres et les nomme même à plusieurs reprises « barbares » [4]. Lorsque César écrit les Commentaires sur la Guerre des Gaules, il s’agit d’un moyen de propagande en sa faveur : la férocité des peuplades germaniques, la détermination bestiale des Belges à mourir plutôt qu'à se rendre,... Tout cela est une mine d’arguments particulièrement bienvenus pour valoriser la victoire de César[5]. On comprend donc mieux le poids des paroles de César, et « l'éloge de César » retrouve ainsi toute sa signification : celle du courage mais aussi celle de la barbarie, de la sauvagerie et de la bestialité[6]. Or toutes ces nuances dépréciatives disparaissent lorsqu’on retire la citation de sa phrase et de son contexte historique.

Quelles sont les populations réellement désignées par César ?

Carte de la Gaule

Parmi les Bellovaques, les Suessions, les Nerviens, les Atrébates et la dizaine d'autres nations belges qui ont créé une vaste coalition d’opposition à César et ses alliés belges[7], seules trois ou quatre d’entre elles vivaient effectivement sur le territoire actuel de la Belgique[8]. En réalité, la plupart des tribus belges habitaient dans ce qui constitue aujourd’hui le nord de la France (jusqu’à la Seine), le sud des Pays-Bas et la Rhénanie allemande[8]. Le territoire et les peuples concernés sont donc plus vastes que ceux de la Belgique actuelle.

Références à cette citation

Statue d'Ambiorix érigée sur la Grand-place de Tongres au XIXe siècle.

Dès la fin de l'Ancien Régime, les habitants des Pays-Bas autrichiens (qui se donnaient déjà le nom de Belges), cherchant dans le passé des traces du caractère propre de leur peuple, ont utilisé cette phrase pour le définir, sans se soucier du fait que les Belgae de César correspondaient très peu aux Belges du XVIIIe siècle. Le premier à utiliser cette phrase dans ce but est Willem Verhoeven de Malines dans son Introduction générale à l'histoire de Belgique (1781)[9]. Charles-Lambert Doutrepont, une figure marquante de la Révolution brabançonne, fait également référence à la sentence de César dans ses écrits. Celle-ci sera largement utilisée pendant cette période[10].

Au XIXe siècle, la Belgique prit part au mouvement romantico-nationaliste qui gagnait l’Europe et cette définition a priori élogieuse du « peuple belge » devint, dès cette époque, un des mythes fondateurs du Royaume de Belgique. Cette citation de Jules César, écartée de son contexte historique et retirée du reste de la phrase devint, pour les historiographes de la Belgique de 1830, le fondement justifiant et légitimant l’indépendance de cet État[11].

S’il est vrai que César loue les « qualités martiales » du peuple belge, pour mettre en garde la société romaine contre la décadence de ses mœurs, il n’en reste pas moins que la citation de César a été réutilisée dans un sens nationaliste par certains historiens belges du XIXe siècle. Ainsi ils ont procédé à des coupes dans le texte originel de César et ont donc escamoté la suite de la phrase à des fins idéologiques (voir ci-dessous), de sorte qu’on ne connait généralement plus que deux formes raccourcies de la citation initiale :

  • « De tous les peuples de la Gaule, les Belges sont les plus braves » (Horum omnium fortissimi sunt Belgae) ;
  • « Les Belges sont les plus braves » (Fortissimi sunt Belgae).

Formes qui ne peuvent paraître qu’élogieuses et qui travestissent la description acerbe que César fait réellement des Belgae.

L’affirmation de la bravoure des Belges est, pour Baudouin Decharneux, une sorte « de prix de consolation visant à lever les angoisses d’un petit pays incapable de résister à quiconque et dont le plus grand titre de gloire fut d’adapter avec constance la fragilité de son existence aux tribulations de l’histoire[12]. » Voici un exemple parmi tant d’autres de la mythologie nationaliste belge inculquée aux enfants : en 1931, V. Colbert écrit dans ses Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires : « Admirons la bravoure de nos ancêtres. L’union fait la force était déjà leur devise. A la voix de leur chef, ils ont marché contre les innombrables légions de César, ils ont arrosé de leur sang le sol sacré de la Patrie »[13]. La description de la conquête de la Gaule belgique est donc limitée à la bataille opposant les Légions romaines aux Nerviens, c’est-à-dire, au seul peuple plus ou moins réellement localisé dans l’espace territorial actuel du Royaume de Belgique[14]. La carte de la Gaule Belgique qui illustre l’ouvrage de Colbert montre, en pointillé, les frontières du nouveau royaume belge, comme si l’actuelle Belgique était déjà en germe sous César[14].

L'intrigue de la bande dessinée Astérix chez les Belges (d'Albert Uderzo et René Goscinny) est basée sur cette citation de César.

Notes

  1. Jules César, Commentaires sur la Guerre des Gaules, livre premier, 1
  2. En latin : Gallia est omnis divisa in partes tres, quarum unam incolunt Belgae, aliam Aquitani, tertiam qui ipsorum lingua Celtae, nostra Galli appellantur, Hi Aquitanis omnes lingua, institutis, legibus inter se differunt. Gallos ab Aquitanis Garumna flumen, a Belgis Matrona et Sequana dividit. Horum omnium fortissimi sunt Belgae, propterea quod a cultu atque humanitate provinciae longissime absunt, minimeque ad eos mercatores saepe commeant atque ea quae ad effeminandos animos pertinent important, proximique sunt Germanis, qui trans Rhenum incolunt, quibuscum continenter bellum gerunt.
  3. Baudouin Decharneux, « De tous les peuples de la Gaule les Belges sont les plus braves », dans Anne Morelli (dir.), Les Grands Mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, éditions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1995 (ISBN 2-87003-301-X), p. 22.
  4. Jules César, Commentaires sur la guerre des Gaules, Livre I, XXXI ; L. II, XXIV ; L. V, XXXIV, etc.
  5. Baudouin Decharneux, op. cit., p. 22.
  6. Pour Baudouin Decharneux, la « bravoure » des Belges serait « une composante de leur condition de barbares », de « sauvages indomptés » et « bestiaux » (cf. Baudouin Decharneux, op. cit., p. 22).
  7. Plusieurs tribus belges, tels les Rèmes ou les Éduens, se sont alliées à César pour l'aider à envahir la Gaule belgique
  8. a et b Baudouin Decharneux, op. cit., p.25
  9. Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique des origines à 1918, tome 1, Les Racines de la Belgique, éditions Racine, Bruxelles, 2000 (ISBN 2-87386-218-1), p. 16-17.
  10. Jean Stengers, op. cit., p. 140-141.
  11. Baudouin Decharneux, op. cit., p. 21.
  12. Baudouin Decharneux, op. cit., p. 31.
  13. V. Colbert, Leçons d’histoire aux élèves du degré moyen des Écoles Primaires et des sections préparatoires des Écoles moyennes, Lambert-de-Roisin, Namur, 1931
  14. a et b Baudouin Decharneux, op. cit., p. 28.

Voir aussi

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Articles connexes

Bibliographie

  • Baudouin Decharneux, « De tous les peuples de la Gaule les Belges sont les plus braves », dans Anne Morelli (dir.), Les Grands Mythes de l'histoire de Belgique, de Flandre et de Wallonie, éditions Vie Ouvrière, Bruxelles, 1995, p. 21-33 (ISBN 2-87003-301-X)
  • Jean Stengers, La déconstruction de l'État-nation: Le cas belge, in Vingtième Siècle. Revue d'histoire, no. 50 (Avril-juin 1996), pp. 36-54.
  • Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique - Les racines de la Belgique jusqu'à la Révolution de 1830, Bruxelles, Racine, 2000, 304 p. (ISBN 9782873862183) 
  • Eliane Gubin, Jean Stengers, Histoire du sentiment national en Belgique - Le grand siècle de la nationalité belge 1830-1918, Bruxelles, Racine, 2002, 240 p. (ISBN 9782873862497) 
  • Sébastien Dubois, L'invention de la Belgique: genèse d'un Etat-nation, 1648-1830, Bruxelles, Racine, 2005, 440 p. (ISBN 2873864028) 
  • Herman van der Linden, « Histoire de notre nom national », dans Bulletin de la classe des lettres et des sciences morales et politiques (Académie Royale de Belgique), vol. 16, no 5, 1930, p. 160-174 
  • (en) Joseph Theodoor Leerssen, « Image and Reality - Belgium », dans Europa Provincia Mundi, Amsterdam, Joseph Theodoor Leerssen & Karl Ulrich Syndram, 1992, 281-292 p. (ISBN 9051833814) 

Wikimedia Foundation. 2010.

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