Histoire du saturnisme

Histoire du saturnisme

L'histoire du saturnisme, maladie correspondant à une intoxication aiguë ou chronique par le plomb, remonte à la préhistoire. Des preuves de cette maladie existent en effet depuis l'âge du bronze, pour l'antiquité et toutes les périodes qui ont succédé.

Article principal : Saturnisme.

Les cas plus anciens de saturnisme ont été récemment démontrés chez l'homme et les animaux domestiques ou sauvages, grâce à des travaux d'écotoxicologie et de toxicologie rétrospective notamment basés sur l'analyse d'os ou de dents d’humains et animaux ayant vécu à ces époques.

Le saturnisme est une maladie qui reste d’actualité, dont l’histoire n’est donc pas terminée.

Sommaire

Le saturnisme au cours des âges

Préhistoire

Le plomb a compté parmi les premiers métaux exploités par l'Homme, comme le cuivre et l'étain qui servaient à produire le bronze dès la préhistoire, notamment en Asie Mineure (dans l'actuelle Turquie), et au Moyen-Orient (actuelle Jordanie) à l'âge de bronze il y 6000 à 8000 ans avant notre ère.
Cette exploitation s'est traduite très tôt par l'apparition d'intoxications chez l'homme et ses animaux domestiqués. Ces intoxications sont rétrospectivement détectées par les archéologues via l'analyse d'ossements anciens. On peut supposer qu'en tant que métal particulièrement malléable et facile à fondre, le plomb a servi à faire des bijoux portés à même la peau, qui ont dû être facteur particuliers de saturnisme (Le premier collier de cou en plomb est daté de 6000 à 8000 ans. Il a été découvert dans la ville antique d’Anatolia.

Antiquité et période byzantine

On cite souvent le saturnisme comme une des causes de déclin de l'empire romain, principalement à cause de vaisselles en plomb ou en étain riche en plomb qui auraient intoxiqué la noblesse dirigeante au point de gravement troubler son entendement. Le plomb est en effet susceptible d'entretenir des troubles mentaux graves chez ceux qui sont exposés à une intoxication chronique.

La toxicité du plomb est citée par les médecins de l’antiquité, notamment par Nicandre de Colophon qui, 2250 avant nos jours, citait la céruse de plomb parmi les poisons. Il a décrit l’anémie induite par l’intoxication au plomb, ainsi que les coliques de plomb[1].

Plus de 1000 ans plus tard, (Aulus Cornelius Celsus) dit Celse, dans l’un des tomes de son encyclopédie médicale , environ un siècle avant notre ère, listait la céruse de plomb (ou « blanc de plomb ») dans la liste des poisons pour l'homme. Contre sa toxicité du plomb, il estimait que la sève (jus) de noyer (ou de noix ?) mélangée à du vin, ou la mauve étaient de bons antidotes[2],[3],[4]. Malgré cette connaissance de la toxicité du plomb, Celse cite aussi de nombreuses autorités de l’époque en recommandant son utilisation dans de nombreux onguents, dont appliqués aux blessures pour arrêter l'hémorragie et réduire les risques d'infection ou d'inflammation[5].
Ceci n’a pas empêché l'élite nobiliaire romaine de s’intoxiquer en mangeant et buvant dans des vaisselles de plomb, ou d’utiliser le plomb dans certains maquillages, ou pire de sucrer le vin (à l’acétate de plomb obtenu par l'action du vinaigre sur le plomb), ce qui provoquait une forme de goutte dite « goutte saturnine » [6] , maladie fréquente chez les riches Romains.

A la même époque, Vitruve, ingénieur et architecte de Jules César, qui a aussi servi son successeur Auguste, a quand a lui rappelé dans un traité consacré à l'adduction en eau que « l'eau est beaucoup plus saine dans les tuyaux de terre cuite que dans des conduites en plomb. Elle semble être devenue préjudiciable à cause du plomb, et en effet la céruse et produite à partir du plomb, et elle est réputée nocive pour le corps humain » [7]

On a souvent cité les tuyaux de plomb comme source d'intoxication et de délabrement de l'élite romaine, mais il semble que l'eau était assez calcaire pour protéger les tuyaux de la corrosion par un dépôt de carbonates. Si les tuyaux neufs et leur fabrication et mise en place, les travaux de nouvelles adductions, et les réparations ont pu dans certains cas et momentanément contribuer à augmenter les teneurs en plomb de l'eau, ce serait donc plutôt à l'usage de vaisselle contenant du plomb, et peut-être aux onguents enrichis en céruse et minium de plomb qu'il faudrait attribuer le saturnisme et la goutte saturnine des riches Romains.
Le minium est connu dans l'antiquité ; Pline l'Ancien et Vitruve racontent qu'on l'a accidentellement découvert suite à l'incendie d'une villa. Pline précise que la céruse (blanc de plomb) chauffé dans des plats et brassé finit par changer de couleur et produire le « minium » . Le minium était alors utilisé pour imiter le cinabre, mais aussi et jusqu'à nos jours comme médicament ou comme remède traditionnel ou comme poison.

Le terme « minium » a d'abord à cette époque désigné le cinabre ou sulfure de mercure (HgS), puis le carbonate de plomb (céruse), ce qui explique des confusions historiques entre céruse, minium, vermillon, cinabre.

Haut Moyen Âge et Moyen Âge

Le plomb continue à cette époque d'être utilisé, notamment comme lests et dans l'architecture, on le trouve aussi comme contaminant de l'étain.
La goutte saturnine sévit encore, a priori toujours en raison de l’association de alcool-plomb, intoxiquant par exemple gravement l'empereur Charles Quint, et de nombreuses personnes âgées[8],[9]. On le trouve aussi dans les stériles des mines d'argent et d'autres métaux, d'où il contamine l'environnement.
Des indices (sols pollués) laissent penser qu'autour des faïenceries utilisant le plomb comme composé de l'émail, des cas de saturnismes ont probablement existé, de même que sur les sites métallifères exploités pour le plomb ou l'argent qui lui est souvent associé.
Le moine Théophile, à la fin du XIe siècle, décrit sa préparation à partir de la calcination de la céruse (opération qui dégage des vapeurs nocives).

De la Renaissance au XVIIIe siècle

Divers artisans sont à ces époques exposés au plomb, tout comme les mineurs.
Le sucrage du vin à l'acétate de plomb persiste et continue à intoxiquer les buveurs : Au XVIIe siècle, en Allemagne, Eberhard Gockel, médecin de la ville d’Ulm notait que chez ses patients, les moines qui ne buvaient pas de vin étaient en bonne santé alors que ceux qui en buvaient étaient victimes de douloureuses coliques (Colica Pictonum). Le coupable était ici encore le « sucre de plomb » (acétate de plomb obtenu en plongeant des blocs de litharge dans du vinaigre[10]

XIXe siècle

Cette période a connu une explosion des cas de saturnisme en raison d'une utilisation très accrue du plomb par les armées (munitions) et surtout sous forme de peinture à la céruse de plomb. La mode du néogothique a aussi relancé la fabrication de vitraux et d'ornements architecturaux en plomb, générant des épidémies de saturnisme chez les ouvriers du bâtiment et dans les usines de production de plomb.

Jean Leclaire, entrepreneur de peinture au milieu du XIXe siècle est décoré en 1849 de la Légion d'Honneur pour avoir introduit l'emploi du blanc de zinc en remplacement du céruse de plomb qui causait la terrible maladie des peintres.

XXe et XXIe siècles

Le saturnisme aigu touchait antérieurement principalement les mineurs et ouvriers de la métallurgie du plomb, ceux qui utilisaient de la vaisselle de plomb, et les ouvriers sertissant au plomb les vitraux. Mais avec l'avènement de la peinture au plomb très utilisée jusque dans le premier quart du XXe siècle, et qui le restera pour les peintures anti-rouille jusqu'à la fin du XXe siècle, et surtout avec l'invention et la diffusion massive de l'essence plombée, le saturnisme est resté très courant aux XIXe siècle et XXe siècle.

C'est d'ailleurs la première maladie à avoir été déclarée maladie professionnelle[réf. souhaitée].

Malgré l'interdiction du plomb dans les peintures et dans l'essence dans de nombreux pays, des cas graves de saturnisme persistent aujourd'hui dans de la plupart des grandes villes (habitat ancien où les enfants sont exposés aux peintures contenant du plomb) et régions industrielles.

Pollutions parfois millénaires et séquelles durables

De nombreuses sources discrètes de plomb existent encore (ici équilibrateurs de roues de voitures perdu sur la chaussée)

Des pollutions d'origine préhistoriques et antiques ont des effets qui perdurent aujourd'hui :
Ainsi une étude[11] récente a analysé des squelettes humains et animaux (os et/ou dents) âgés de 1500 à plus de 2000 ans dans un site archéologique qui est une ancienne et importante zone minière du Sud de la Jordanie.
Cette zone[12] aujourd'hui désertique a fourni du cuivre et du plomb dès l'âge du bronze, puis aux époques nabatéenne, romaine et byzantine. Autour des ruines romaines de la ville de Phaino, on a retrouvé les restes de 250 anciennes mines de cuivre où de nombreux prisonniers romains ont été envoyés comme esclaves. On y trouve encore des « stériles » pollués par du plomb et du cuivre, mais aussi du chrome, du cadmium et du manganèse).
Les chercheurs ont voulu savoir si une pollution par les métaux lourds avait déjà eu un impact sur l'homme et l'animal aux époques préhistoriques, romaines et byzantines. L'étude a effectivement détecté les phénomènes de bioaccumulation apparus semble-t-il précocement, il y a plusieurs milliers d'années, ces mines ayant été ouvertes dès 7000 ans avant J.-C., avec des pics successifs de production de cuivre au début de l'âge du bronze, durant l'âge du fer et lors de la période romaine[13].
L'étude a confirmé que la dent (plus stable que l'os) était un excellent support pour rétrospectivement étudier les pollutions récentes ou antiques, à condition de respecter un protocole précis, car la dentine et l'émail dentaire accumulent moins le plomb que la racine de la dent qui elle même en accumule plus que la mâchoire, avec des différences importantes selon l'âge, et l'animal considéré (herbivore, omnivore, carnivore, mammifère, insecte..) ; Par exemple, les molaires animales contemporaine analysées à proximité du site contenaient en moyenne 48 mg de cuivre par Kg dans la racine, soit presque deux fois plus que dans l'os de la mâchoire (28 mg/kg) et bien plus que celles d'un animal comparable vivant dans une zone peu polluée (4 mg/kg). Par contre pour le plomb, elle en contenaient 126 mg par kg, ce qui est moins que dans l'os de la mâchoire des mêmes individus (avec des teneurs de 268 mg/kg de plomb pour les mâchoires de chèvre et 270 mg/kg pour la symphyse mentonière (partie de la mâchoire inférieure humaine située juste au-dessus du menton), au lieu de 18 mg/kg chez un animal comparable vivant en zone non polluée.
Les dents, comme l'os de la mâchoire bioaccumulent beaucoup plus de plomb que de cuivre. Inversement l'os crânien ou de la cage thoracique bioaccumule beaucoup plus de cuivre que de plomb (et plus sur la face externe du crâne que sur la face interne dans les deux cas, ce qui pourrait traduire une contamination externe via le cuir chevelu)
L'étude a aussi montré que les squelettes de l'époque du bronze présentent des contaminations différentes de celles de la période byzantine.
Des traces d'arthrite des membres fréquentes sur les squelettes pourraient être attribuées à une intoxication par le plomb et le cuivre (qui peuvent agir en synergie et affecter la solidité de l'os, ou augmenter le risque de maladie de Parkinson[14]).
Par ailleurs, l'étude a montré que les chèvres et moutons élevés par l'homme sur cette zone étaient et sont encore aujourd'hui atteint de saturnisme (Plusieurs campements d'éleveurs Bédouins sont encore établis dans cette région, avec chèvres et moutons). Des analyses ont montré en 2000 des taux de plomb et de cuivre dans Gymnarrhena micranthia (plante locale consommée par les chèvres et moutons) de respectivement 40 et 60 mg/kg. A noter que les moutons sont plus contaminés que les chèvres, peut-être par ce qu’ils bio-accumulent plus, ou parce qu’on laisse plus de liberté à ces dernières et qu’elles peuvent choisir leurs aliments.
L’étude a aussi montré que dès la période préhistorique, les métaux toxiques ont été dispersés sur des distances importantes à partir des zones d'extraction et traitement du minerai. On peut clairement parler de bioaccumulation, puisque sur une zone où le taux de plomb est compris entre 20 et 30 mg/kg, les moutons de l'antiquité étudiés en avaient accumulé 524 mg/kg (mesure moyenne dans la mâchoire inférieure). Sur le même site, un os humain ancien en contenait 170 mg/kg (6 fois plus que le taux de plomb du sol dans la même couche archéologique ; valeur du sol qui n'a pas du beaucoup évoluer depuis 7000 ans car le plomb est a priori peu mobile dans ce type de zone très aride). Pour le cuivre le même os en contenait 177 mg/kg, là où la couche du sol n'en contenait « que » 44 mg/kg (4 fois moins). 177 mg/kg correspond à un taux de cuivre osseux plus de 40 fois plus élevé que le taux moyen estimé normal chez l’homme au XXe siècle (4.2 mg/kg[15]).
Les os humains de la période byzantine se sont montrés plus chargés en plomb et cuivre que ceux des hommes préhistoriques étudiés, de même que le taux de plomb des couches sédimentées à ces époques, ce qui montre une pollution et une contamination qui ont augmenté au cours du temps.
On peut aussi déduire de ces données que la vie et la mort des esclaves travaillant dans ces mines ont dû être extrêmement pénibles. D’après la teneur en plomb de leurs os, les humains qui ont vécu dans les oueds pollués par les mines de la région jordanienne de Feynan étaient plus contaminés par le plomb que les humains riverains d’une zone industrielle polluée de Haute Silésie (Pologne) morts en 1993 étudiés par Baranowska et coll. (1995) (analyse d’os du sternum). Elles sont également très supérieures aux teneurs signalées chez les travailleurs de la métallurgie en Suède (40 à 100 µg/gramme d'os par Ahlgren et ses collègues (1976) et Ahlgren et Mattsson (1979).
On peut comparer ces taux à ceux mesurés dans les squelettes humains de la période préhispaniques de Ténérife (Espagne) ; 0.7 à 18.83 ppm[16]

Voir aussi

Bibliographie

  • O. Kremp (2003) Conférence de consensus `Intoxication par le Plomb de l'enfant et de la femme enceinte, Prévention et prise en charge médico-sociale' mercredi 5 et jeudi 6 novembre 2003, Université catholique – Lille. Organisé sous la présidence de O. Kremp, avec la participation de la Société française de pédiatrie et Société française de santé publique Recommandations de la conférence

Liens externes

Notes et références

  1. Needleman H, « Lead poisoning », dans Annu Rev Med, vol. 55, 2004, p. 209–22 [lien PMID, lien DOI] 
  2. Celsus, de Medicina, V.27.12b
  3. Esmat A. Ali, « Damage to plants due to industrial pollution and their use as bioindicators in Egypt (Dommages induites par la pollution industrielle sur les plantes, et leur utilisation comme bio-indicateurs en Égypte) », dans Environmental Pollution, vol. 81, no 3, 1993, p. 251 [lien PMID, lien DOI] 
  4. Marta Marmiroli, « Evidence of the involvement of plant ligno-cellulosic structure in the sequestration of Pb: an X-ray spectroscopy-based analysis ((Preuves de l'implication des complexes ligno-cellulosique des plantes dans la séquestration du plomb ; étude basée sur la spectrographie aux rayons X) », dans Environmental Pollution, vol. 134, no 2, mars 2005, p. 217 [lien PMID, lien DOI] 
  5. Celsus, de Medicina, Book V, passim
  6. Lin JL, Huang PT., « Body lead stores and urate excretion in men with chronic renal disease », dans J Rheumatol, vol. 21, no 4, 1994, p. 705–9 
  7. Chapitre 6, paragraphes 10 & 11, du livre VIII de Vitruvius A propos de Vitruve
  8. Shadick NA, Kim R, Weiss S, Liang MH, Sparrow D, Hu H., « Effect of low level lead exposure on hyperuricemia and gout among middle aged and elderly men: the Normative Aging Study », dans J Rheumatol, vol. 27, no 7, 2000, p. 1708–12 
  9. Couper RTL. (2006). « The Severe Gout of Emperor Charles V » (La goutte sévère de l'empereur Charles Quint). N Engl J Med 355 (18): 1935–36.
  10. Josef Eisinger, "Lead and Wine - Eberhard Gockel and the Colica Pictonum" Accès à l’article via le NIH
  11. The heavy metal content of skeletons from an ancient metalliferous polluted area in southern Jordan with particular reference to bioaccumulation and human health F.B. Pyatt et al., Ecotoxicology and Environmental Safety 60 (2005) 295–300, mis en ligne le 24 juin 2004 (téléchargeable sur Science@direct
  12. Zone de Wadi Faynan située au nord-nord-est de la ville d'Aqaba à environ 70 km au au sud-est de la Mer Morte
  13. Hauptmann, A., Begemann, F., Heitkemper, E., Pernicka, E., Schmitt-Strecker, S., 1992. Early copper produced at Feinan, Wadi Araba, Jordan: the composition of ores and copper. Archaeomaterials 6, 1–33.
  14. Gorell, J.M., Johnson, C.C., Rybicki, B.A., 1999. Occupational exposure to manganese, copper, lead, iron, mercury and zinc and the risk of Parkinson’s disease. Neurotoxicology 20 (2–3), 239–247
  15. Scheinberg, I.H., 1979. Human health effects. In: Nriagu, J. (Ed.), Copper in the Environment. Pt. II, Human Health. Wiley, London, p. 17–39.
  16. Arnay-De-La-Rosa, M., Gonzalez-Reimers, E., Velasco-Vazquez, J., Galinda-Martin, L., Delgado-Ureta, E., Santolaria-Fernandez, F., Barros-Lopez, N., 1998. Comparison of bone lead in pre-Hispanic, 18th century and modern population of Tenerife. Sci. Total Environ. 209, 107–111.



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