Histoire de la gauche francaise de 1919 a 1939

Histoire de la gauche francaise de 1919 a 1939

Histoire de la gauche française de 1919 à 1939

Sommaire

La sortie de la Première Guerre mondiale

Au sortir de la Première Guerre mondiale, la France s’interroge, exsangue malgré la victoire. La guerre a en profondeur modifié le paysage démographique français, avec de plus en plus de citadins, d’ouvriers, mais aussi une augmentation du nombre d’étrangers employés, afin de remplacer les morts des tranchées. Ces changements démographiques donnent une importance nouvelle aux milieux de gauche, dont la guerre a modifié le paysage politique et idéologique. En effet, en 1905 à Paris, le congrès du Globe signe l’unification du socialisme français (union du PSDF et du PSF), donnant suite au congrès socialiste international d'Amsterdam de 1904. La SFIO, « parti du mouvement ouvrier », naît à ce moment là. Mais en 1914, la grande majorité de la SFIO accepte de cautionner la guerre, trahissant ainsi ses principes internationalistes et pacifistes. De plus, l'assassinat en 1914 de Jean Jaurès, le rassembleur des gauches, « l’espoir » encore tout récent de la Révolution russe, le traumatisme des tranchées, la possibilité d’une révolution spartakiste outre Rhin, d’une grève générale en France, modifient et divisent la gauche, entre partisans de la Révolution et réformistes. Ainsi aperçoit-on déjà, en 1919, la division au sein de la gauche, division qui se concrétise au moment du Congrès de Tours, en décembre 1920 et la scission idéologique profonde qui en découle. Véritable cassure dans l’histoire des gauches entre le passé mythique de la Première Internationale ou des discours de Jaurès, et l’avenir incertain et troublé par les divisions, la scission de Tours apparaît comme un point de départ d’une nouvelle époque.

Ainsi, comment évolue alors la gauche, entre clivages et unions, jusqu’à la déclaration de guerre de septembre 1939, fin d’une époque ?

Il semblerait qu’au delà de la division politique des années 20 entre révolutionnaires et réformistes, apparaisse une continuité pour la gauche, face aux nouveaux dangers des années 30.

Le Congrès de Tours (1920)

Ainsi, le Congrès de Tours apparaît comme un point de départ pour les gauches modernes et leurs divisions. En effet, durant le congrès, la SFIO se divisa en trois camps. Le premier, majoritaire, rassemblait les partisans de l'adhésion à la IIIe Internationale communiste. Il s'agissait surtout des plus jeunes dirigeants du parti soutenus par un très grand nombre de membres et regroupés autour du Comité de la troisième internationale (Boris Souvarine, Fernand Loriot, etc.). Le second camp était mené par une minorité acceptant l'adhésion, mais seulement sous certaines conditions. Ceux-ci, ne pouvant mettre en avant leurs revendications, se regroupèrent avec le troisième camp, mené par Léon Blum, et la majorité des élus, qui refusait totalement l'adhésion et souhaitait rester au sein de la IIe Internationale. La SFIO se sépara donc en deux, concrétisant l’opposition de deux idées de la gauche : Celle d’une gauche révolutionnaire ennemie de la classe bourgeoise incarnée par la Section Française de l’Internationale Communiste (SFIC) aux ordres de la IIIe Internationale, et celle d’une gauche plus modérée, réformiste, incarnée par la minorité de la Section Française de l’Internationale Ouvrière (SFIO) regroupée autour de Blum, et qui fait scission.

D’abord, la SFIC est une section de la IIIe Internationale, rassemblant les partisans de Lénine et de la Révolution. L’un des grands fondements de l’idée communiste d’après guerre est d’ailleurs la référence à la Révolution russe, la passion encore romantique des communistes français pour cette « grande lueur venue de l’Est » dont parle Jules Romain. En effet, les leaders communistes français sont invités à Moscou par Lénine, Cachin accompagne Frossard dans la Russie rouge. Un autre grand fondement du communisme du début des années 20 est également la révolte contre la guerre, comme en témoigne l’ouvrage de Barbusse, « le feu, journal d’une escouade ». Les communistes rendent les nations bourgeoises responsables des massacres de 14-18, et d’anciens combattants deviennent de célèbres militants communistes, tels que Vaillant Couturier. Le communisme de la SFIC prône en effet un refus total de l’ordre bourgeois, assimilé à l’ordre des « planqués » de la grande guerre, ou au conformisme de droite incarné pour les communistes par Barrès.

La division de la Gauche (1924-1934)

D’ailleurs, dans une optique d’opposition à l’ordre bourgeois, les communistes critiquent le Cartel des gauches en 1924, et refusent d’avoir à choisir entre socialistes et radicaux, ou, comme ils disent, d’avoir à choisir entre « la peste et le choléra ». Ainsi constate-t-on une politique de lutte contre toute incarnation (de gauche comme de droite) de l’ordre bourgeois, mais aussi une soumission aux directives de la IIIe Internationale. En effet, dès 1924, la politique des communistes français change, suivant les directives de l’Internationale de Moscou. En effet, le parti se marginalise et se sectarise. On éloigne du Parti des membres fondateurs (Boris Souvarine), des syndicalistes-révolutionnaires (Pierre Monatte), des intellectuels « trotskistes » comme Alfred Rosmer et Pierre Naville. Les communistes s’isolent d’une grande partie de leurs soutiens dans l’opinion publique, et les effectifs des membres du Parti passent de 110 000 en 1920 à seulement 30 000 en 1933. Le Parti est donc sur un déclin de sectarisme et d’isolement et, après la mort de Lénine en 1924 et la montée en puissance de Staline à la fin des années 20, on ne chante plus le romantisme des révoltes de 1917, mais la « collectivisation » et les combinats naissants en URSS. Cet isolement est qualifié par Jean Touchard de « sectariste ».

Par ailleurs le parti organise de grandes luttes anti-colonialistes, et va même jusqu’à adresser une lettre d’encouragement et de fraternité aux insurgés du Rif marocain contre l’occupant français. Pour André Breton, Louis Aragon ou Paul Éluard, le Parti d’alors est la forme organisée d’une révolte absolue contre la société. De jeunes philosophes comme Paul Nizan rejoignent également le Parti. Aragon voyage en URSS, et entretient des relations indirectes par le biais de sa femme Elsa Triolet avec le poète soviétique et ami de Staline, Maïakovski. Dès les années 20, le Parti influence donc déjà certains intellectuels. Ainsi a-t-on vu comment le communisme, avant et après la bolchévisation du Parti en 1924, est un Parti fermé, ou tout du moins qui compte marquer des frontières très précises avec les socialistes.

Les socialistes de la SFIO sont plus modérés que les communistes, et refusent la soumission à Moscou. La SFIO est un parti de pouvoir, et qui compte s’emparer de ce dernier par la voie légaliste. Léon Blum, en janvier 1926, pose à ce propos la distinction entre conquête et exercice du pouvoir. D’ailleurs, la SFIO prend le pouvoir en 1924 avec une large partie des radicaux se réclamant de gauche. En effet, une partie de la formation radicale peut être considérée comme de gauche. C’est par exemple le cas de Édouard Herriot, à l’époque du Cartel des gauches, ou encore de Daladier, qui incarne pour les radicaux l’ouverture à gauche. Si les socialistes et les radicaux gouvernent en tandem le Cartel des gauches, il existe une crise quasi-continuelle entre les deux formations, qui traduit une crise de la SFIO, criante à la fin des années 1920 et au début des années 1930. En effet, les socialistes s’interrogent sur le rôle de l’État dans l’idéologie du parti, ou encore sur les rapports à tenir avec la société capitaliste et les classes moyennes. C’est également une crise idéologique, avec la création d’un mouvement « néo-socialiste » de Marcel Déat et Adrien Maquet. Mais les interrogations des socialistes sur la place de l’État dans l’idéologie de la SFIO, sur la position à adopter vis à vis du capitalisme, poussent certains à réfléchir à d’autres modes d’action, tels que la planification, comme l’envisagent les partisans du groupe « révolution constructive ». A gauche du parti, les tendances « Bataille socialiste » et « Gauche révolutionnaire » (de Marceau Pivert) militent pour une révolution prolétarienne. Ainsi constate-t-on une crise profonde au sein de la SFIO, une crise au fond non seulement des attitudes à adopter face aux communistes, mais aussi face à la montée des ligues et du fascisme.

L'antifascisme (1934-36)

En effet, la montée des « périls fascistes » et de la poussée ligueuse, concrétisée par les émeutes du 6 février 1934, est pour la gauche l’occasion de réaliser le danger que constituent certaines ligues d’extrême droite. C’est aussi l’occasion de vives réactions de la part de toute la gauche, qui se traduisent aussi bien par une recherche de l’union des socialistes et des communistes, que par de nouveaux espoirs. D’abord, les années 1934 et 1935 sont pour les communistes les années de la réintégration de la collectivité nationale, mais aussi de l’antifascisme (Comité de vigilance des intellectuels antifascistes ou CVIA). En effet, les émeutes du 6 février, mais aussi la montée de l’extrême droite en France poussent les communistes à signer un pacte d’unité d’action avec les socialistes en juillet 1935. En 1935 également, la CGTU, qui avait fait scission avec la CGT peu après le congrès de Tours, est réintégrée à la CGT. En 1935 s’effacent alors quelques uns des dommages créés par la scission de décembre 1920. On assiste donc à un rapprochement des socialistes et des communistes, mais qui ne se justifie pas seulement, pour les communistes en tous cas, par la menace de l’extrême droite. En effet, il y a à partir de 1933 et 1934, un changement de la ligne politique de la IIIe Internationale, face à l’arrivée de Hitler au pouvoir, mais aussi face à Mussolini. Le parti communiste doit alors sortir de son isolement et de la logique de révolution, afin de rallier à lui le plus de sympathisants possible, et barrer la route aux mouvements d’extrême droite. Servi par la crise de 1929, qui touche la France à partir de 1931 et 1932, le PCF se fait le défenseur des « petites gens », victimes de la crise et de la paupérisation ambiante. De plus, Thorez, premier secrétaire du PCF, opère un tournant nationaliste, et exalte désormais la Marseillaise.

Désormais, socialistes et communistes marchent ensemble. Mais ce rapprochement se vit essentiellement au niveau des dirigeants de la gauche. Les militants, eux, se trouvent solidaires les uns des autres, socialistes, communistes, trotskistes ou anarchistes, face à la matérialisation de la lutte contre le fascisme, la guerre d'Espagne. Des sympathisants de toutes les mouvances de gauche, des sociaux-démocrates aux anarchistes, rejoignent les rangs des milices du POUM, de la CNT ou plus tard des Brigades internationales. La guerre civile espagnole a de lourdes conséquences psychologiques sur les militants, qui prennent alors conscience des dangers réels du fascisme, mais aussi de l’espoir que suscite une possible victoire. Espoir au sud des Pyrénées, mais aussi au nord, avec la victoire du Front Populaire.

Le Front populaire (1936)

En effet, ce Front populaire qui gagne les élections du 3 mai 1936, concrétise la victoire de la gauche unie, des radicaux aux communistes, même si ces derniers (sur ordre de Moscou ?) ne prennent pas part au gouvernement. Le Front populaire, qui entre en fonction en début juin 1936 et qui succède à des cabinets de droite comme celui de Laval en 1935, doit faire face à une grève spontanée qui rassemble plus d’un million et demi de travailleurs, et qui témoigne de la situation économique de la France de 1936. Le 8 juin, les accords de Matignon sont signés entre le gouvernement et les syndicats, et le PCF engage tout son poids pour que les grévistes retournent le plus vite possible au travail. Cet engagement, resté célèbre par la phrase de Maurice Thorez « Il faut savoir terminer une grève », traduit une volonté d’apaisement du climat social en France de la part de tous les dirigeants de la gauche, communistes compris. Et au delà des actes politiques, les réformes et l’action du Front populaire entretiennent l’espoir des sympathisants de gauche. Non pas l’espoir au sens de l’espoir de la révolution prochaine, mais l’espoir au sens d’André Malraux, d’un avenir meilleur malgré les périls en Espagne et la virulence de l’opposition (Roger Salengro est poussé au suicide par les déclarations de journaux d'extrême droite). C’est enfin l’espoir d’une communion de la gauche par delà les clivages idéologiques, car comme le disait André Gide avant son voyage en URSS, « dans communisme, il y a communion ». Enfin, le Front populaire concrétise la réconciliation des idées de gauche avec l’idée de collectivité nationale par la prise de pouvoir légaliste.

Ainsi voit-on, même si dès 1937 le Front populaire doit faire face aux lourdes difficultés de l’exercice du pouvoir avant de choir tout à fait, même si les communistes sont politiquement isolés par leur approbation de la signature du pacte Molotov-Ribbentrop en 1939, que l’expérience de 36 s’inscrit comme l’aboutissement de la politique adoptée par la Gauche dès 1934, surtout face à la droite. Enfin, l’évolution de la gauche tout au long de l’entre-deux-guerres, malgré les profondes divisions issues de la guerre de 14, d’Octobre 17 ou du Congrès de Tours, aboutit finalement à l’alliance (relative) de toutes les gauches au sein d’une majorité de Front Populaire, alliance que l’on ne retrouve entre socialistes et communistes que bien plus tard, en 1946, puis sous l’ère Mitterrand, et enfin avec la gauche plurielle de 1997.

Sources de l'article

Le texte de l'article initial était, selon son contributeur anonyme, issu d'une "Dissertation d'histoire du XXe siècle, Sciences Po". Ses sources sont donc inconnues. Cependant, il semble bien que toutes les informations contenues dans l'article soient issues de la bibliographie citée.

Bibliographie

Sur la gauche en général en France, voir cette récente publication :

Un classique qui reste incontournable :

  • Touchard, J., La gauche en France depuis 1900, Seuil, 1977.

Voir aussi :

  • Lefranc, G., Le Mouvement socialiste sous la IIIe République, Payot, 1963.
  • Berstein, S., Histoire du parti radical, 2 vol., Presses de la fondation nationale des sciences politiques, 1980-1982.

Sur le PCF, voir la bibliographie de la page Histoire du parti communiste français.

Voir aussi

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