- Frontiere linguistique mosellane
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Frontière linguistique mosellane
En Moselle, la frontière linguistique marque la séparation entre la zone francique au Nord, et la zone romane au Sud. Il serait plus juste de parler de limite linguistique puisqu'elle n'a jamais été une frontière entre deux États. Elle a cependant été utilisée pour marquer la limite entre le bailliage de Nancy et le bailliage d'Allemagne du duché de Lorraine jusqu'au XVIIIe siècle.
Localisation
Le département de la Moselle peut approximativement être divisé en deux :
- au sud, on parle le lorrain, un ensemble de dialectes romans plus ou moins proches du français, y compris le vosgien de la montagne qui touche le pays de Saint-Quirin au sud-est. C'est le dialecte que parlait une petite moitié de l'ancien comté de Dabo dont le nom actuel est justement la prononciation vosgienne de Dagsbourg (Dàgschburri en francique rhénan). De même, Sarrebourg se nommait dans la même langue "Sâbo".
- au nord, on parle le francique lorrain, appartenant à la famille des langues germaniques : le francique luxembourgeois au nord-ouest, le francique mosellan au centre et le francique rhénan de Lorraine au sud-est. Cette région constitue la Moselle francique parfois appelée thioise.
La frontière linguistique suit approximativement une ligne rejoignant les villages de Volmerange-les-Mines (nord-ouest) et Walscheid (sud-est). Elle se prolonge en Lorraine belge, séparant la Gaume et l'Arelerland, et dans les Vosges, où elle suit la ligne de crête jusqu'au sud de l'Alsace.
Histoire
La frontière linguistique est très ancienne. Ses racines remontent en effet à l'époque de l'Empire romain avant les grandes invasions du Ve siècle.
Avant l'avènement de l'Empire romain, la Moselle actuelle était déjà habitée depuis près de cinq siècles par les Celtes médiomatriques. La population parlait le celte. Dès cette époque, des Germains de plus en plus nombreux venaient s'établir sur la rive gauche du Rhin. Après l'invasion romaine, seules les classes supérieures ont adopté le latin. Les peuples germaniques dont la population croissait rapidement implantèrent leur langue là où ils étaient établis.
Lors des grandes invasions, les Germains prirent le pouvoir dans la région. Plus précisément, les Alamans en Alsace et les Francs à l'ouest du massif Vosgien. Ces deux peuples parlaient des langues différentes: celle des Alamans était l'alémanique, qui a plus tard donné les dialectes alsaciens et celle des Francs le francique, qui est à l'origine des dialectes de la Moselle.
Les francs firent ainsi la conquête d'une grande partie de la France actuelle, mais se contentèrent de prendre le pouvoir politique sans imposer leur langue.
La limite linguistique n'est donc pas plus un vestige de l'annexion allemande de 1871 qu'un souvenir des invasions franques sur un territoire préalablement romain et dévasté par les barbares: ces interprétations relèvent de l'imagination ou des mythes qui se sont forgés dans le sillage des nationalismes passés. Tout cela est évoqué avec beaaucoup de précision dans le livre d'Alain Simmer, "L'origine de la frontière linguistique en Lorraine: la fin des mythes", Knutange, 1995:
"L'origine de la frontière linguistique est à revoir en fonction des acquis de la recherche archéologique. On savait déjà, par l'étude des nécropoles du haut Moyen Age,que les caractéristiques physiques des inhumés étaient les mêmes que celles de l'époque gallo-romaine. La fouille de nombreux habitats mérovingiens de Moselle a démontré récemment une écrasante pérennité d'occupation du sol avec le Bas-Empire: il n'y a donc eu aucune création de nouveaux villages dans l'Est entre les Ve et VIII e siècles. Les "invasions franques" sont à reléguer au placard de l'Histoire. Jamais la Moselle n'a connu de repeuplement germanique extérieur, hormis dans l'imagination de certains scientifiques allemands du début du siècle, obnubilés par un nationalisme ravageur,qui a,malheureusement,réussi à fausser la recherche historique passée.La frontière linguistique, les dialectes et la toponymie mosellanes ne peuvent qu'avoir une origine bien plus ancienne et sont l'héritage d'une époque où la province de Belgique Première pratiquait une langue germanique ancestrale, tout comme d'autres régions du Sud de la Gaule parlaient le basque ou le gaulois."
Il semble bien que sur la majorité du territoire de la Moselle les trois langues celtique, germanique et romane ont coexisté sur une bande relativement large pendant assez longtemps: la limite ne s'est fixée qu'entre le VIe siècle et Xe siècle. On pourra se référer à l'ouvrage de Paul Lévy Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine pour approfondir le sujet.
Vers l'an 1000 elle suivait une ligne Audun-le-Tiche, Moyeuvre, Vigy, Mainvillers, Mulcey, Réchicourt-le-Château, Turquestein-Blancrupt avant de longer la crête des Vosges jusqu'au sud de l'Alsace. Elle est restée remarquablement stable au cours des siècles.
Quelques événements ont cependant contribué au recul du francique:
- la guerre de Trente Ans, car la région est tellement dévastée qu'il faut faire appel à des colons picards et savoyards pour repeupler la région en particulier le secteur de Dieuze
- une ordonnance de Louis XIV en 1685 n'autorise que le français pour les actes officiels mais elle ne peut plus être appliquée après le retour du duc Léopold sur ses terres lorraines.
- sous le règne de Stanislas, beau-père de Louis XV, Antoine-Martin Chaumont de La Galaizière promulgue un texte qui impose le français dans les actes officiels en Lorraine
- la Révolution française, divisée à ses débuts (voir les cahiers de doléance de Forbach), impose l'usage du français après la prise de pouvoir des jacobins.
- Napoléon III prend des mesures radicales pour faire progresser le français au détriment du francique (politique scolaire en particulier)
Des travaux de 1881 observent une progression de la zone romane sur deux secteurs:
- une avancée vers le nord de quelques kilomètres entre Hayange et Vigy
- vers le nord est sur 15-20 km dans le Saulnois: de Dieuze à Albestroff et de Réchicourt-le-Château à Sarrebourg.
Le recul prend une ampleur décisive lorsqu'après la seconde guerre mondiale le francique est teinté d'une connotation péjorative en raison de sa parenté avec l'allemand. D'après l'INSEE, l'usage du francique aurait beaucoup régressé depuis quelques décennies, et ne se maintiendrait que près de la frontière politique. Par ailleurs, Albestroff est signalé, notamment chez Louis Lévy, comme étant en zone francophone.
Bibliographie
- Petite histoire de la langue francique - Kurze Geschichte der fränkischen Sprache / Gérard Boulanger, Jean-Louis Kieffer, Hans Joachim Kühn 52 pages, bilingue français - allemand, avec cartes géographiques, édité par Gau un Griis en 1997.
- La Lorraine francique : culture mosaïque et dissidence linguistique , par Daniel Laumesfeld, aux éditions L'Harmattan. « Cet ouvrage de synthèse - le premier publié en France sur la langue et la culture franciques - rassemble des données linguistiques, sociolinguistiques, historiques, économiques, géographiques, sociales et politiques, pour plaider la cause de la minorité francique de Lorraine. Anecdotes vécues et chapitres érudits se succèdent au service d'une pensée généreuse qui ne demande que la liberté de choisir sa langue et sa vie dans la différence et le respect mutuel. Une langue et une culture qui méritent d'être découvertes à l'heure de l'Europe, dans la mesure où le Luxembourg est de langue nationale Francique ». Publié en 1996. 316 pages.
- Paul Lévy, Histoire linguistique d'Alsace et de Lorraine, éditions Manucius, Houilles, 2004 (1re édition 1929).
- Hughes, S.P., (2005) University of Antwerp, Belgium - Bilingualism in North-East France with specific reference to Rhenish Franconian spoken by Moselle Cross-border (or frontier) workers
- Le platt lorrain de poche par Jean-Louis KIEFFER - éditions Assimil [1]
- Alain Simmer, L'origine de la frontière linguistique en Lorraine: la fin des mythes , Knutange, 1995.
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