- Division d'un polynôme
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En algèbre, l'anneau K[X] des polynôme à une indéterminée X et à coefficients dans un corps commutatif K, comme celui des nombres rationnels, réels ou complexes, dispose d'une division euclidienne, qui ressemble formellement à celle des nombres entiers. Si A et B sont deux polynômes de K[X], il existe un unique couple (Q, R) de polynômes de K[X] tel que :
Ici l'expression deg S, si S désigne un polynôme, signifie le degré de S. Cette division confère à l'ensemble des polynômes une arithmétique analogue à celle des nombres entiers, avec pour conséquence, l'identité de Bézout, le lemme d'Euclide ou encore un équivalent du théorème fondamental de l'arithmétique, où les nombres premiers sont remplacés par les polynômes unitaires irréductibles (cf l'article arithmétique des polynômes).
Il existe une deuxième division, dite selon les puissances croissantes. Elle est utilisée pour les fraction rationnelles et permet une décomposition en éléments simples.
Sommaire
Division euclidienne
Préambule
En 1801, Carl Friedrich Gauss publie son premier livre de mathématique, appelé Disquisitiones arithmeticae. Il démontre en particulier l'existence d'une nouvelle figure constructible à la règle et au compas, le polygone régulier à 17 côtés[1]. La méthode qu'il utilise consiste à considérer un polynôme, non comme une fonction mais comme élément d'une structure, que l'on appelle maintenant anneau, doté d'une addition et d'une multiplication. Les éléments ne sont pas tous inversibles, rapprochant en cela cette structure de celle des nombres entiers. Cette analogie est rendue plus profonde si les coefficients des polynômes sont choisis dans un corps, c'est-à-dire un anneau tel que tous les éléments différents de 0 possèdent un inverse pour la multiplication. La structure dispose alors d'une division euclidienne à l'image de celle des entiers.
Sur un anneau commutatif, c'est-à-dire dont la multiplication est commutative, disposant d'une division euclidienne, on retrouve les résultats principaux de l'arithmétique élémentaire. Gauss s'exprime ainsi, en parlant de l'usage des techniques de la théorie algébrique des nombres (qu'il appelle arithmétique transcendante) pour les polynômes « ... n'appartient pas par elle-même à l'arithmétique, mais ses principes ne peuvent être tirés que de l'arithmétique transcendante. Ce résultat pourra sembler aussi inattendu que les vérités nouvelles qui en dérivent, et qu'il verront, j'espère, avec plaisir »[1].
Son objectif est de trouver les racines du polynôme cyclotomique, c'est-à-dire de la forme Xn - 1,où n est un entier strictement positif. Comme Q[X] possède une structure analogue à celle des entiers, on y retrouve l'équivalent des nombres premiers, appelés ici facteurs irréductibles. Ce résultat se démontre exactement comme pour les nombres entiers. Ces facteurs portent le nom de polynômes cyclotomiques. La démonstration qu'il propose (et qui se trouve dans l'article associé) utilise un autre anneau de polynômes, sur le corps Z/pZ, où p désigne un nombre premier. Cette structure dispose encore d'une division euclidienne et donc d'une arithmétique analogue à celles nombres entiers.
Augustin Louis Cauchy utilise l'anneau C[X] où C désigne l'ensemble des nombres complexes pour présenter[2] une démonstration du dernier théorème de Fermat en 1847. Si l'anneau utilisé est analogue à celui des nombres entiers, il dispose de quelques propriétés supplémentaires, cet tout élément inversible possède n racines nièmes de l'unité, ce qui lui permet de conclure et d'ouvrir une porte à de nouvelles méthodes de démonstrations.
Théorème et définitions
Dans le reste de l'article K désigne un corps commutatif, qui peut, par exemple être égal à Q celui des nombres rationnels, R celui des réels ou C celui des complexes. Le résultat principal du paragraphe découle d'un théorème :
Théorème de la division euclidienne des polynômes[3] — Soit A et B deux polynômes à coefficients dans K, il existe un unique couple (Q, R) tel que A est égal à B.Q + R et le degré de R est strictement plus petit que celui de B.
Ce théorème est à l'origine de quelques définitions :
Identité — La phrase : A est égal à B.Q + R et le degré de R est strictement plus petit que celui de B. est qualifiée d'identité de la division euclidienne.
Le couple (Q, R) de l'identité de la division euclidienne n'est unique que si l'on impose que le degré de R soit strictement plus petit que celui de B. Si A est égal à X3 - X2 + 1 et B à X2, uniquement la première égalité correspond à celle de l'identité de la division euclidienne, la deuxième possèderait un reste de degré égal à celui de B :
Quotient et reste — Le polynôme Q est appelé quotient de la division euclidienne et R reste de la division euclidienne.
Le degré, qui sert à définir la division euclidienne est appelé stathme (cf l'article Anneau euclidien).
DémonstrationLa démonstration est généralement faite en deux temps[4]. L'unicité est plutôt plus facile. Avec les notations du paragraphe précédent :
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- Le couple (Q, R), s'il existe, est unique :
La démonstration se fonde sur une propriété des degrés, le degré du produit de deux polynômes M et N est égal à la somme des degrés de chaque polynôme :
On suppose l'existence de deux couples (Q1, R1), (Q2, R2) résultat de la division euclidienne de A par B, on va montrer qu'ils sont égaux. On dispose des égalités :
Si la différence entre Q1 et Q2 n'était pas nulle, le premier terme de la somme (1) serait au moins de degré de B, noté n. Comme R1 et R2 sont de degrés strictement inférieurs à n, le terme de gauche de l'égalité (1) ne pourrait être nulle. On en déduit que Q1 et Q2 sont égaux, l'égalité (1) montre alors que R1 et R2 sont aussi égaux.
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- Il existe un couple (Q, R) satisfaisant l'identité de la division euclidienne :
Soient m et n les degrés de A et B. Les polynômes sont notés de la manière suivante :
Soit p = m - n. Si p est strictement négatif, c'est-à-dire si n est strictement plus grand que m, il suffit de prendre Q égal au polynôme constant 0 et R égal à A pour établir l'existence. Raisonnons par récurrence pour établir les autres cas. Si p est égal à 0, c'est-à-dire si n est égal à m :
Ce qui démontre la proposition pour p égal à 0. Supposons maintenant la propriété démontrée pour toute valeur inférieure à p - 1 et montrons la pour p. Un calcul analogue au précédent montre l'existence d'un polynôme R1 tel que :
La différence de degré entre R1 et B est inférieure ou égal à p - 1, l'hypothèse de récurrence montre l'existence de deux polynômes Q1 et R tel que :
En remplaçant la valeur de R1 calculée dans l'égalité (3) dans l'égalité (2), on obtient :
Ce qui établit la proposition.
Exemple et algorithme
La démonstration proposée pour montrer l'existence d'un couple satisfaisant l'identité de la division euclidienne offre aussi un algorithme de calcul, analogue à celui de la division euclidienne dans les entiers. Illustrons-le sur un exemple[3], avec les notations précédentes :
Dans un premier temps, on calcule le couple de polynômes (P1, R1) de l'égalité (2). Le polynôme P1 est un monôme égal à X3 et R1 vérifie l'égalité :
Ce que l'on écrit :
Le même calcul est effectué sur R1 pour calculer le couple (P2, R2)
Ce qui permet de compléter :
Une dernière étape permet de conclure :
L'identité de la division euclidienne est maintenant établie :
. Division selon les puissances croissantes
Théorème et définition
L'analyse utilise aussi une autre division, dite selon les puissances croissantes. Elle joue un double rôle, pour les fonctions rationnelles et les développements limités. Intégrer une fonction rationnelle est aisé une fois qu'elle est décomposée en éléments simples. L'algorithme de décomposition fait appel à la division selon les puissances croissantes. Pour calculer le développement limité d'une fonction, s'exprimant sous forme de fraction, la méthode la plus simple est parfois de calculer le développement limité du numérateur et du dénominateur. La division selon les puissances croissantes offre un développement limité de la fraction.
Le théorème établissant l'existence et l'unicité de cette division est un peu analogue au précédent, sur la division euclidienne :
Théorème de la division selon les puissances croissantes[5] — Soient A et B deux polynômes à coefficients dans K. On suppose que le terme constant de B n'est pas nul et on note p un entier supérieur ou égal à 0. Il existe un unique couple de polynômes (Q, R) tel que A soit égal à B.Q + Xp+1.R et tel que le degré de Q soit inférieur ou égal à p.
Le vocabulaire est le même que celui de la division euclidienne, on parle encore d'identité de la division selon les puissances croissantes, de quotient et de reste.
Démonstration[6]La démonstration est analogue à la précédente :
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- Le couple (Q, R), s'il existe, est unique :
On suppose l'existence de deux couples (Q1, R1), (Q2, R2) résultat de la division selon les puissances croissantes de A par B, on va montrer qu'ils sont égaux. On dispose des égalités :
Le polynôme Xp+1(R1 - R2) ne contient aucun terme de degré strictement inférieur à p + 1. Comme Q1 et Q2 sont de degrés inférieurs ou égaux à p leur différence est un polynôme de degré inférieur ou égal à p. Comme B contient un terme constant, si Q1 - Q2 n'est pas nul, B.(Q1 - Q2) est un polynôme contenant au moins un monôme non nul de degré inférieur ou égal à p. Ce monôme ne peut être annulé par le polynôme Xp+1(R1 + R2) car tous ses monômes sont au moins de degré p + 1. On en déduit que Q1 est égal à Q2 et, par conséquent que R1 est égal à R2.
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- Il existe un couple (Q, R) satisfaisant l'identité de la division euclidienne :
Cette fois ci, il est plus simple de voir les polynômes A et B dans l'autre sens, avec n désignant le maximum des degrés de A et de B :
On raisonne encore une fois par récurrence sur p. Si p est égal à 0 :
Le degré de Q est moins l'infini si a0 est nul, soit nul sinon. Il est toujours inférieur ou égal à 0, la valeur de p.
On suppose maintenant le résultat vrai pour toute valeur inférieure ou égale à p et montrons-le à l'ordre p + 1. L'hypothèse de récurrence montre l'existence d'un polynôme Rp tel que :
Il est encore possible d'appliquer la division selon les puissances croissantes à l'ordre 0 sur Rp :
En remplaçant la valeur de Rp dans l'égalité (2), on obtient :
en ayant posé
ce qui établit la proposition.
Exemple et algorithme
La méthode de calcul est exactement la même que celle du paragraphe précédent, il suffit d'ordonner le polynôme dans le sens inverse. Illustrons le avec les polynômes suivants :
On obtient, si p est égal à 3 :
Ce qui s'écrit :
Anneau commutatif unitaire intègre
Absence de division euclidienne
La démonstration de l'existence d'une division euclidienne dans un anneau de polynômes utilise le fait que le coefficient du monôme dominant (celui de plus haut degré) est inversible pour la multiplication. Une question naturelle est celle de l'existence d'une division euclidienne pour l'ensemble des polynômes à coefficients dans un anneau commutatif unitaire intègre comme par exemple celui des entiers. Un anneau est à l'image d'un corps, mais une propriété est manquante. Tous les éléments ne sont pas inversibles pour la multiplication, comme par exemple 2 pour les entiers. On suppose toutefois que l'anneau est intègre, c'est-à-dire que si le produit de deux éléments a.b est nul, alors soit a soit b est nul. On suppose aussi qu'il est unitaire, c'est-à-dire qu'il existe un élément neutre pour la multiplication. Ici A désigne un anneau commutatif unitaire intègre, si le lecteur n'est pas familier avec ce vocabulaire, il peut imaginer que A est soit Z, l'ensemble des entiers et les polynôme sont à coefficients entiers, soit A désigne R[Y], l'anneau des polynômes en une indéterminée Y et A[X] désigne l'anneau des polynômes en deux indéterminées à coefficients réels R[X,Y].
Cas d'un anneau commutatif unitaire intègre — Si A contient au moins un élément a non nul et non inversible pour la multiplication, l'anneau des polynômes à coefficients dans A ne dispose d'aucune division euclidienne.
Pour démontrer l'absence d'une division euclidienne, on peut remarquer que son existence impose de nombreuses conséquences arithmétiques sur la structure de l'ensemble (cf l'article Anneau euclidien). Ainsi, un ensemble de polynômes qui possède une division euclidienne, pas nécessairement construit sur le degré du polynôme, vérifie toujours l'identité de Bézout. Ceci signifie que si A et B sont deux polynômes qui n'ont aucun autre facteur commun que les éléments inversibles de l'anneau, il existe deux polynômes M et N tel que AM + BN soit égal à 1. L'existence de l'élément a montre un contre exemple à l'identité de Bézout.
On considère les deux polynômes X et le polynôme constant a. Le polynôme X est irréductible, c'est-à-dire qu'il n'admet aucun diviseur autre que les éléments inversibles de l'anneau et le produit d'un élément inversible et de lui-même. Les hypothèses de l'identité de Bézout sont bien vérifiées. On considère M et N deux polynômes à coefficients dans A et le produit P égal à aM + XN. Pour que ce P soit égal à 1, N est nécessairement égal au polynôme nul, sinon P est de degré supérieur ou égal à 1. Or, quelle que soit la valeur de M, le produit aM n'est pas égal à 1 car a n'est pas inversible. L'identité de Bézout n'est jamais vérifiée, ce qui montre l'absence de toute division euclidienne dans A[X].
Palliatifs
L'analyse de la démonstration de l'existence d'une division euclidienne montre que si M est un polynôme à coefficients dans A et si son monôme dominant possède un coefficient inversible, la division est possible. Ce qui signifie que quel que soit N, il existe unique un couple (Q, R) satisfaisant à l'identité de la division euclidienne de N par M.
Dans le cas général, il existe encore un résultat qui s'applique :
Proposition — Soit M et N deux polynômes à coefficients dans A. Il existe un élément λ de A et un unique couple (Q, R) satisfaisant à l'identité de la division euclidienne de λ.N par M :
Pour le démontrer, on construit K le corps des fractions de A, exactement comme on construit le corps des nombres rationnels sur l'anneau des entiers ou le corps des fractions rationnelles sur les polynômes. Les polynômes M et N peuvent aussi être vus comme des polynômes à coefficients dans K, de la même manière qu'un polynôme à coefficients entiers peut être aussi vu comme un polynôme à coefficients rationnels. Dans K[X], la division euclidienne est possible et il existe un couple Q1 et R1 de polynômes à coefficients dans K satisfaisant à l'identité de la division euclidienne de N par M et :
Soit λ un multiple des dénominateurs des coefficients de Q1 et R1, la multiplication de l'égalité précédente par λ montre que :
Comme λ est un multiple des dénominateurs des coefficients de Q1 et R1, par définition de Q et R, ce sont bien des polynômes à coefficients dans A. L'unicité est une conséquence de celle de la division euclidienne dans un anneau de polynômes à coefficients dans un corps. L'égalité de la division peut être vue comme l'identité de la division euclidienne de λN par M dans K, l'unicité de cette identité montre celle recherchée.
- Remarque 1 : Attention, ce n'est pas λ qui est unique, ce sont les polynômes Q et R, une fois λ choisi.
- Remarque 2 : Si A n'est pas commutatif, il existe encore certains résultats, ils sont décrits dans l'article Anneau non commutatif de polynômes.
Voir aussi
Notes et références
- C. F. Gauss, Recherches arithmétiques, 1801 Traduction M. Poullet-Delisle Éd. Courcier 1807 pages 429-489
- A. L. Cauchy Mémoire sur de nouvelles formules relatives à la théorie des polynômes radicaux, et sur le dernier théorème de Fermat Compte rendu de l'Académie t. XXIV (1847), p. 516
- Arithmétique dans K[X] de l'université Pierre-et-Marie-Curie. M. Bercovier,
- Division euclidienne par Les mathématiques.net Ces démonstrations s'inspirent de
- Division suivant les puissances croissantes par Bibm@th L'énoncé proposé ici se trouve à :V. & F. Bayart
- Division suivant les puissances croissantes, Laboratoire Jean Kuntzmann La démonstration proposée ici s'inspire de : B. Ycart,
Lien externe
F. & V. Bayart Division euclidienne par Bibm@th
Références
- Serge Lang, Algèbre [détail des éditions]
- J. Lelong-Ferrand, J. M. Arnaudiès Cours de mathématiques Tome 1 : Algèbre Dunod 2003 (ISBN 2100081977)
- P. Thuillier J.C. Belloc Mathématiques : Algèbre Masson 1973 (ISBN 2225375872)
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Wikimedia Foundation. 2010.