Discours de Bruges

Discours de Bruges

Le discours de Bruges est un discours prononcé par le Premier ministre britannique Margaret Thatcher le 20 septembre 1988 au Collège d'Europe à Bruges en Blegique à loccasion de louverture de lannée académique, devant près de huit cent personnes dont le Premier ministre belge, Wilfried Martens. Cest le début dune tournée pendant laquelle elle en profite pour exposer sa vision de lEurope, expliquant comment elle doit évoluer si lon souhaite réussir en matière d'économie, de défense, de qualité de vie et dinfluence dans le monde. Dans son discours, l'Europe doit fonctionner selon la méthode coopérative, doit être l'outil de la création du marché commun et les États membres doivent se placer dans une logique internationaliste. Margaret Thatcher sadresse principalement à ses partenaires européens en les avertissant que leurs choix pour lEurope ne sont pas les bons mais son discours a aussi un certain usage interne. Elle se veut donc persuasive, son objectif étant dimposer une nouvelle doctrine pour lEurope.

Sommaire

L'Europe doit fonctionner selon la méthode coopérative

Tout dabord, l’« Europe des patries » est le modèle auquel adhère Margaret Thatcher et dans lequel la Grande-Bretagne a parfaitement sa place. Mme Thatcher affirme que « notre [La Grande-Bretagne] destin est en Europe, car nous sommes membre de la Communauté ». Le Premier ministre fait cette remarque parce que cela nallait pas forcément de soi pour tous, puisque comme elle le souligne dans lintroduction de son discours, la presse dressait d'elle un portrait très anti-européen à tel point quon pourrait la comparer, selon elle, à Gengis Khan, un Empereur Mongol du XIIe siècle réputé barbare sanguinaire et destructeur. De plus, elle introduit une rupture avec les gouvernements travaillistes précédents qui avaient souvent menacé les partenaires européens de retrait de la Communauté. Ce quelle souhaite, cest rester mais moduler lEurope selon ses propres convictions. Ainsi, en 1984 elle diffusa un document, Europe the future, dans elle livrait sa « vision » de lavenir de la construction européenne. Elle explique ensuite dans le texte ce que ne doit pas être lEurope. « Nous Européens, ne pouvons pas nous permettre de gaspiller notre énergie dans des querelles internes ou dans dobscurs débats institutionnels ». Elle récuse ici les débats en cours sur la mise en place dun nouveau traité qui devrait notamment opérer des réformes institutionnelles allant dans le sens dune plus grande intégration européenne. Elle soppose aussi à la création dune banque européenne centrale et dune monnaie unique, dont la mise en œuvre est à létude par le Comité dexperts de Jacques Delors. La « dame de fer » refuse ces mesures car son désir est dachever le Marché unique mais nullement de se diriger vers lUnion économique et monétaire (lUEM), c'est-à-dire une politique monétaire européenne commune, ce qui signifierait une nette perte de souveraineté en matière. Dans ses mémoires, elle explique que lEurope « conçue pour être une libre association de nations souveraines et une communauté favorisant le libre échange par un assouplissement de réglementations, dérivait vers le centralisme et létatisme ». Elle ajoute à ce propos, que les « forces du fédéralisme et de la bureaucratie se renforçaient dans lombre : une coalition de gouvernements socialistes et de chrétiens démocrates en France, Espagne Italie et Allemagne aspiraient à accélérer le rythme de lintégration et une Commission pourvue de pouvoirs discrétionnaires sétait mise à manipuler ses propres décisions » . Pour prouver les excès du centralisme, elle avait, pendant lété précédant ce discours demandé à son administration de lui exposer en détail comment la Commission repoussait les frontières de sa compétence dans des secteurs nouveaux (culture, éducation, santé et sécurité sociale). Elle conclut -dessus qu'« au nom dun "idéal" européen, le gaspillage européen, la corruption, larbitrage atteignaient des niveaux que navait prévu aucun. » Il est donc plus que nécessaire pour elle de réagir et de réorienter lEurope sur le droit chemin.

Ensuite, la Communauté est l’ « outil » permettant la création du Grand marché commun, condition nécessaire, selon Mme Thatcher, à la prospérité des peuples et à la puissance de lEurope.

La création d'un marché commun

Elle prône dans un premier temps « lEurope des entreprises ». Elle se livre, pour ceci, à une apologie du libre-échange. La Grande-Bretagne en est le modèle : « La Grande-Bretagne a montré lexemple en ouvrant son marché aux autres », « La Cité de Londres (…) est le plus grand centre financier dEurope, et celui qui a le mieux réussiCe qui est donc nécessaire pour lEurope, cest la libre circulation des capitaux, la libre prestation des services bancaires, financiers, dassurance, et dinvestissement, labolition du contrôle des changes et lutilisation plus grande de lécu. Elle cherche donc à substituer progressivement à lunion douanière originale, une vaste zone de libre échange mais sans se diriger pour autant vers une Union économique et monétaire (UEM) ou une « Union européenne » réclamée notamment par la France et qui devraient être pour certains létape suivante. Mme Thatcher affirme que « les éléments de base existent : le traité de Rome ». Pour elle, le droit communautaire originaire suffit, il suffit de prendre les directives nécessaires pour traduire son contenu qui pour elle na pas encore été totalement « mis en pratique ».

Les États européens doivent se placer selon une logique internationaliste

Enfin, lobjectif final de Margaret Thatcher est daboutir à l’ « internationalisme » cela dabord en matière économique par la construction dune zone de libre échange de plus en plus large. Cest à ce souci quavait répondu dans un premier temps la construction de lAELE, puis de façon plus générale la politique commerciale commune. Mais, elle explique dès le début de son discours que le destin de la Grande-Bretagne est soit en Europe mais « cela ne signifie pas quil se limite à lEurope ». Le grand marché doit donc à terme sétendre au reste du monde. Les préférences britanniques vont bien vers un système international ouvert et libéral, telle que le prévoit le GATT. Cest pourquoi le Premier ministre britannique a souvent dénoncé ce quelle appelle « le protectionnisme » français ou européen. À ce propos elle écrit dans ses mémoires : « Jaurais eu plus de sympathie pour [les idées de François Mitterrand] si la France navait pas été si farouchement protectionniste » . Elle entend ici lattitude de la France concernant par exemple la Politique agricole commune (PAC). En effet, à cette époque, lUnion européenne consacre 70% de son budget à ce programme, dont les paysans français sont les principaux bénéficiaires. Dans son discours elle argumente quil « faut réformer les politiques communes qui sont manifestement mauvaises ou inefficaces ». Ceci est une attaque implicite envers la politique commune à laquelle il faut également appliquer les principes du libéralisme économique. La « Dame de fer » veut sattaquer à ce quelle désigne le « racket protectionniste des pays riches car la liberté de commerce permet aux pays pauvres délever leur niveau de vie et celle de leurs habitants ». Le libéralisme économique est donc à pratiquer à grande échelle car cest le seul moyen efficace pour aboutir à une prospérité globale mais aussi à la paix parce que les liens économiques entre les nations renforcent la compréhension mutuelle en même temps que les intérêts mutuels. Pour aller réaliser ce projet, elle voit lEurope comme loutil qui peut étendre le modèle libéralisme et la prospérité par la voie de lélargissement, alors que les défenseurs de lEurope fédérale sont des « internationalistes aux vues étroites » qui placent les intérêts de la Communauté au-dessus des intérêts de la grande communauté internationale. Pour elle, une telle position « affaiblit et fait même perdre toute raison dêtre à des institutions internationales comme lOTAN et le GATT » . Elle avait ainsi dans ce sens salué le dernier élargissement à lEspagne et le Portugal de 1986 qui avait dailleurs permis à ses entreprises automobiles de pénétrer le marché espagnol. Cela allait en effet dans le sens dun marché commun toujours plus large. Dès que possible, elle voudrait également élargir la Communauté aux pays de lEst. Cest ce quelle entend lorsquelle dit « la Communauté nest pas une fin en soi » (l. 13). Lidéal à terme, cest que le Marché unique sétende au maximum. Pour elle lEurope était une entité plus large que la Communauté, elle sétendait jusquà lOural et « devait certainement inclure lEurope nouvelle de lautre côté de lAtlantique »

Cependant, il est important de voir lintérêt de la Grande-Bretagne à faire partie de la Communauté européenne car elle lui assure, le cas échéant une protection contre les offensives américaines (acier) ou contre les demandes du Tiers Monde (textile). Elle sait donc jouer à la fois de son intégration dans lEurope pour « concurrencer les États-Unis, le Japon et les autres puissances économiques » soit rééquilibrer sa relation avec le géant américain mais aussi sallier aux États-Unis pour forcer la Communauté européenne à souvrir par lintermédiaire du GATT et à respecter lalliance atlantique.

En matière de défense, la Grande-Bretagne ne souhaite pas que lEurope concurrence lOTAN. Dans ce texte, le Premier ministre britannique fait plusieurs fois référence à la défense et à la sécurité ( « la sécurité de son peuple », « sécurité », « défense »). Certes, la Grande-Bretagne ne sest pas opposée à la réactivation de lUnion de l'Europe occidentale, formée en 1954 après léchec de la CED (Communauté Européenne de Défense), par les six et le Royaume-Uni. LUEO a donné un cadre juridique permettant le réarmement allemand, mais on peut se demander sil ne sagissait pas surtout dune façon commode de surveiller le couple franco-allemand. Dans le sens de Margaret Thatcher, il faut continuer à sengager auprès des États-Unis et reconnaître le rôle mondial quils assument. L'UEO ne doit pas être une solution de rechange à lOTAN mais le moyen de renforcer la contribution de lEurope à la défense commune de lOuest. Ainsi, la Grande-Bretagne montre un soutien sans faille à lOTAN dont elle accepte la politique de croissance des armements, la maîtrise de larme nucléaire par les États-Unis... De plus, son amitié sincère avec le Président Reagan renforce cette « relation spéciale ». Elle acceptera ainsi contre lavis de ses partenaires européens de suivre les États-Unis dans leur sortie de lUNESCO en 1985.

Conclusion

Le discours de Bruges sinscrit dans une campagne de Thatcher pour diffuser sa doctrine sur le futur de lEurope. Celle-ci doit demeurer une coopération entre États-nations et constituer loutil qui introduira le marché unique par une série de déréglementations permettant la libre circulation . Elle répond par directement à la déclaration du Président de la Commission, Jacques Delors qui prône au contraire une plus forte intégration en augmentant les pouvoirs des institutions européennes par un transfert de compétences des États. Lidée de Thatcher à terme savère délargir le Marché commun car le libéralisme économique est pour elle le seul moyen efficace permettant plus de prospérité et favorisant la paix. En matière de défense, elle souhaite que lEurope reste allié avec les États-Unis afin que le bloc occidental soit toujours plus puissant. Ce discours laisse de plus transparaître lintérêt que la Grande-Bretagne voit à jouer à la fois sur sa pleine intégration dans lEurope et sur la préservation de sa relation spéciale avec les Américains, ce qui lui permet non seulement de gagner en autonomie par rapport à lAmérique mais également de profiter dune vaste zone de libre échange.

Quelles ont été les conséquences de ce discours ? Sur un plan interne, les « Eurofanatiques » nauront plus du tout confiance en Thatcher et feront tout pour provoquer sa chute. Sur le plan européen, elle ne parviendra pas à empêcher ses partenaires de créer lUnion monétaire et de rédiger un nouveau traité qui instaurera une série de mesures contraires à ses vues.

Bibliographie

Voir aussi

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