Croix-de-feux

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Croix-de-feu

L'association des Croix-de-Feu ou Association des combattants de l'avant et des blessés de guerre cités pour action d'éclat (1927-1936) était une ligue d'anciens combattants nationalistes français, dirigée par le colonel François de La Rocque. Considérée par ses opposants et des historiens anglo-saxons, à tort selon la majorité des historiens français actuels, comme une expression d'un fascisme hexagonal, elle est dissoute en 1936, donnant naissance au Parti social français (1936-1940), plus grand parti de masse de la droite française.

Sommaire

Fondation et débuts (1927-1931)

L'Association des combattants de l'avant et des blessés de guerre cités pour action d'éclat est fondée le 26 novembre 1927 par Maurice d'Hartoy pour regrouper des anciens combattants français décorés de la Croix de Guerre 1914-1918 pour leur bravoure. Les aspirants à l'adhésion devaient apporter la preuve formelle de leurs distinctions et mérites militaires. La présidence d'honneur, fonction honorifique, fut confiée à l'écrivain et journaliste Jacques Péricard.

A partir de 1929, une association jumelle, les Briscards, permit aux anciens combattants ayant passé au moins six mois au feu de venir grossir les rangs des Croix-de-Feu sans avoir été forcément décoré ou blessé.

La création du mouvement répond à l'origine au désir de revivre l'esprit de fraternité des tranchées et de réparer un acte jugé ignominieux (la tombe du soldat inconnu ayant été souillée lors d'une manifestation en août 1927). L'historien spécialiste des droites françaises René Rémond évoque la volonté de « rassembler le meilleur des anciens combattants, dans le souvenir et la camaraderie, de former une chevalerie du courage militaire, de jeter les fondements d'une sorte de nouvelle légion d'honneur[1] ». L'insigne du mouvement Croix-de-Feu est une tête de mort superposée sur un croix orthogonale de six langues de feu et diagonalement de deux glaives.

La doctrine est résumée dans le Manifeste Croix-de-Feu.

L'association est hébergée, à sa création, dans l'immeuble du Figaro par François Coty, parfumeur et patron de presse, et compte approximativement 500 membres en 1928.

Les principales activités du mouvement Croix-de-Feu se répartissent en trois types : les réunions patriotiques, les défilés du souvenir au cours des cérémonies sous l'Arc de Triomphe et des pèlerinages sur les champs de bataille.

Évolution sous François de la Rocque (1931-1936)

Indépendance du mouvement

Fin 1929, Maurice d'Hartoy se retire et François de la Rocque, recommandé par les maréchaux Foch, Fayolle et Lyautey, est sollicité pour prendre la direction de l'association. Il en devient vice-président en 1930, puis président général en 1931. La direction de la Rocque entraîne de nombreux changements au sein de l'association, tant dans sa structure qu'idéologiquement, et constitue un véritable tournant dans l'existence des Croix-de-Feu. Fondé comme une amicale du souvenir, le mouvement devient politique et se réclame d'une démarche sociale et patriotique anti-allemande.

La Rocque est l'artisan de l'indépendance financière et politique des Croix-de-Feu. Il décide de quitter l'immeuble du Figaro et organise le transfert du siège de l'association rue de Milan, à Paris.

Un nationalisme volontairement "modéré"

Le langage extrémiste qui s'immisçait parfois dans certains tracts du temps d'Hartoy est banni et laisse place à l'esprit de "réconciliation nationale" . Les Croix-de-Feu demeurent donc fidèles à l'esprit patriotique, s'opposant ainsi à l'internationalisme du parti communiste et aux ligues d'extrême gauche et extrême-droite, qui viendront fréquemment troubler les défilés. La Rocque est également le maître d'œuvre du développement organique de l'association. Il organise la propagande afin de privilégier les principes symbolisés par la fraternité combattante de ses membres (égalité, fidélité et respect) et transforme "Le Flambeau", l'organe de presse mensuel du mouvement, en hebdomadaire.

L'ambition politique de l'association prend de l'ampleur et se précise dans l'ouvrage de François de La Rocque "Service Public", paru en novembre 1934. Il met en avant la nécessité de brasser les classes (fait constaté au sein des Croix-de-Feu) et de généraliser le modèle de coopération entre classes qui a prévalu durant la Grande Guerre. La pierre angulaire de la "mystique Croix-de-Feu" est donc la réforme, tant institutionnelle que sociale :

  • Droit de regard de l'ouvrier sur la gestion de l'entreprise.
  • Profession organisée : coopération des industries par type d'activité et réunion des travailleurs par branches.
  • Association capital-travail
  • Salaire minimum.
  • Congés payés.
  • Extension des loisirs populaires.
  • Vote des femmes.
  • Réforme des procédés de travail parlementaire.

Vers un recrutement de masse

Le programme politique et social du mouvement est défini à partir de 1931. Les Croix-de-Feu proposent le reclassement des pouvoirs dans la constitution de la IIIe République, notamment le renforcement de la Défense nationale face au "danger allemand" (articles de La Rocque dans la Revue Hebdomadaire et la Revue de Paris), et le développement de la collaboration entre le Capital et le Travail. Afin de créer la base d'une action sociale, il mène également une stratégie d'élargissement du recrutement à d'autres catégories de sympathisants par la création d'un réseau d'associations :

  • Les Fils et Filles de Croix-de-Feu (décembre 1932).
  • Les Volontaires Nationaux (octobre 1933), auxquels appartiendront François Mitterrand (de 1935 à 1936) et Jean Mermoz (membre du comité directeur en juillet 1935).
  • Le Regroupement national autour des Croix-de-Feu (novembre 1933), réunit les sympathisants et lecteurs du Flambeau.
  • Les Sections Féminines (mars 1934).
  • Les Groupes Universitaires (février 1935).

Sous la direction de La Rocque, le mouvement Croix-de-Feu et son faisceau d'associations parentes voient leur importance numérique croître : 500 membres en 1928, 60 000 fin 1933, 150 000 dans les mois qui suivirent la manifestation du 6 février 1934 et 400 000 fin 1935. Dans son étude fouillée sur le mouvement, l'historien toulousain Guillaume Gros annonce même le chiffre de 500 000 adhérents.[2] Les Croix-de-Feu représentent alors un puissant mouvement de masse et se posent en arbitre des partis, sans vouloir pour le moment participer aux élections.

Les œuvres sociales

Le lieutenant-colonel de la Rocque diversifie également les activités du faisceau d'associations en privilégiant les activités sociales :

  • Colonie des enfants Croix-de-Feu (1930).
  • Service d'entraide et de placement en région parisienne réservé aux membres (1931).
  • Mouvement social des Croix-de-Feu (1934): intervention auprès des victimes de catastrophes diverses et actions de bienfaisance de proximité (soupe, entraide matérielle)
  • Service de Préparation et d'Éducation Sportive, dit SPES (1936) : fait participer des enfants déshérités à des activités sportives.
  • Travail et Loisirs : association à vocation sociale et artistique dirigée par la mère de Jean Mermoz.

La dissolution (1936)

Après les mesures d'interdictions sur les groupes de combat et milices privées prévues à la loi du 10 janvier 1936 en réponse aux émeutes du 6 février 1934, les Croix de feu et le Mouvement social français, sont dissous, malgré un sursis du Conseil d'État, par un décret pris en conseil des ministres le 18 juin 1936, sous le gouvernement du Front populaire.

Les Croix-de-Feu étaient évidemment visées par la loi, en dépit de leur républicanisme faisant contraste avec la plupart des ligues d'extrême-droite réactionnaires ou fascisantes, dont La Rocque réprouvait l'activisme et l'anti-républicanisme systématique. La capacité du mouvement à mobiliser des foules nombreuses et organisées et le programme d'action sociale, très proche de celui du Front populaire, pouvaient séduire de nombreux militants parmi la classe ouvrière. Au delà de ce danger politique, c'est toutefois la forme d'organisation qui inquiétait les gouvernants.

Des cendres du MSF va naître le Parti social français ou PSF.

Débats sur les Croix-de-Feu

L'importance du débat

La question de l'appartenance des Croix-de-Feu aux ligues d'extrême-droite est épineuse et René Rémond qualifie même le cas de « pièce maîtresse de la controverse sur le fascisme en France » (ibidem, édition de 1982). En effet, si les Croix-de-Feu sont une ligue nationaliste et paramilitaire, puisqu'ils en possèdent certains attributs secondaires (sauf les principaux, à savoir les armes et les uniformes) : stricte discipline, mouvement fortement centralisé, délibérations secrètes, service d'ordre (les Dispos), ils se distinguent radicalement des mouvements d'extrême-droite antiparlementaristes en affichant plusieurs fois leur légalisme et leur indépendance.

Des différences déterminantes avec le fascisme

Le refus de s'allier avec l'extrême-droite

Pour contrer le slogan de l'Action française, « Politique d'abord ! », élaboré par Charles Maurras, La Rocque fait adopter à son mouvement la devise « Social d'abord ! ».

En décembre 1932, ils refusent de s'associer aux manifestations nationalistes diligentées par l'Action française et les Jeunesses patriotes contre le paiement de la dette contractée auprès des États-Unis.

Lors des manifestations du 6 février 1934 consécutives à l’Affaire Stavisky, le colonel de la Rocque se refuse à attaquer le parlement[3] alors qu'il dispose de la force numérique suffisante pour le faire. "Fidèle à la stratégie de la tension entretenue par ses troupes, le colonel de La Rocque aligne ce jour-là environ 8 000 Croix-de-Feu sur les 12 000 à 15 000 membres revendiqués pour Paris et sa banlieue."[4] Il se situe cependant au bord de la Seine avec ses forces, à seulement quelques centaines de mètres des combats.

Les autres ligues vouent également La Rocque aux gémonies, parlant volontiers de trahison, et ne décolèrent pas lorsque les Croix-de-Feu refusent d'adhérer au Front National (des ligues), constitué fin février 1934, ou de participer aux élections de 1936 pour lutter contre le Front populaire (ce refus provoque le départ de plusieurs militants en 1935, surnommés "les maréchaux", qui rejoignent le PPF de Doriot en 1936).

La condamnation du totalitarisme et de l'antisémitisme

La Rocque passe chez ses opposants pour l'incarnation du fascisme français, en dépit d'une hostilité affirmée et répétée à l'antisémitisme et au nazisme : sa défense de la nation française primait pour lui devant tout autre type d'idées, spécialement si elles provenaient de l'étranger. L' antisémitisme observé au sein de sections du Parti Social Français, en particulier en Alsace et Moselle et en Algérie a été chaque fois condamné dans les termes les plus fermes par le colonel de La Rocque. Selon de nombreuses sources, notamment René Rémond et les auteurs du rapport parlementaire sur le DPS (partie III, page 14 [1]), cette accusation, encore relayée de nos jours par ceux qui affirment qu'un fascisme français a existé dans les années 30, est fausse. Le mouvement Croix-de-Feu n'a jamais été mû par une idéologie fasciste et La Rocque dénonçait d'ailleurs la religion d'État, le racisme et la lutte des classes comme les principaux obstacles à la « réconciliation nationale » tant souhaitée (discours du 23 mai 1936).

Le Grand Rabbin Jacob Kaplan, encore profondément marqué par la Première Guerre mondiale, organise le 14 juin 1936 avec les Croix-de-feu une cérémonie religieuse à la mémoire des anciens combattants juifs, faisant suite aux cérémonies organisées chaque année depuis 1933. Pour cela, il sera très critiqué par la Licra (Ligue contre le Racisme et l’Antisémitisme), et par de nombreux intellectuels de gauche. De même La Rocque sera attaqué par l'extrême droite qui l'accusera d'être l'allié de la communauté Juive.

Controverse entre historiens français et étrangers

Malgré ces éléments, certains historiens, tels que Zeev Sternhell ou Robert Soucy, continuent dans leurs écrits à catégoriser Les Croix de Feu comme l'exemple d'une mouvance fasciste française.

La polémique sur Les Croix de Feu se situe au cœur de la controverse entre historiens français (René Rémond, Michel Winock ou Pierre Milza en tête) et historiens étrangers (Zeev Sternhell, Nolte) :

  • Les premiers récusent l'existence d'un "fascisme français" autre que mineur,
  • les seconds considèrent que la France est le pays de naissance idéologique du fascisme au XIXe siècle (ligues anti-dreyfusardes) et que c'est tout naturellement que durant les années 30 les ligues ont pris cet aspect. Le fait qu'elles n'aient pas accédé au pouvoir relevant pour ces derniers d'un « accident de l'histoire » : la France étant selon eux le berceau du fascisme (bonapartisme). Le lien entre le bonapartisme politique assez sensible de La Rocque et le fascisme est toutefois contesté par les historiens Français.

En réponse à Zeev Sternhell, Pierre Milza affirme ainsi que : « La Rocque et ses amis chassent sur les terres du parti radical et s'efforcent, en affichant un anticommunisme de choc et un anticapitalisme moins timide qu'il ne l'avait été jusqu'alors dans le milieu Croix-de-Feu, d'attirer à lui les déçus du Front populaire. Ce combat sur deux fronts a valu à La Rocque d'être considéré par la gauche comme le fasciste numéro un — ce que certes il ne méritait pas mais a été le point de départ d'une légende tenace — de dresser contre lui la droite conservatrice et modérée, qu'il avait bien servie mais qu'inquiétaient désormais ses ambitions électorales, enfin de faire figure aux yeux des véritables ennemis du régime, fascistes et monarchistes, de renégat et de sauveur du parlementarisme honni. Cela n'empêchera pas le Parti social français (PSF), assagi et rallié au principe démocratique des élections, de devenir au cours des deux années qui précèdent le déclenchement de la guerre — avec un effectif qui doit tourner autour du million d'adhérents et son réseau serré de sections et de fédérations — la première grande formation moderne de la droite française. » [5]. Selon Milza, ce n'est pas tant la non-accession au pouvoir des ligues qui serait un éventuel accident de l'histoire mais bien la montée, avortée par le déclenchement de la guerre du PSF (c'est-à-dire d'un parti légal, créé dans un cadre institutionnel républicain), vers le pouvoir parlementaire.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Sources

  • René Rémond, La droite en France, Aubier-Montaigne, 1968.
  • Jacques Nobécourt, Le Colonel de la Rocque, ou les pièges du nationalisme chrétien, Fayard, Paris, 1996.
  • René Rémond, "La République souveraine - histoire de la vie politique en France de 1879 à 1939-", Fayard, 2002
  • Michel Winock, Le siècle des intellectuels, Seuil, 1999.
  • Michel Winock: "La Rocque et les Croix de Feu", in "Vingtième siècle", Presses de la Fondation Nationale des Sciences Politiques, avril-juin 2006, numéro 90
  • David Shapira: "Jacob Kaplan, un rabbin témoin du XXe siècle," Éditions Albin Michel, 2007

Sources directes

  • François de la Rocque, Pour la conférence du désarmement. La Sécurité française, Impr. De Chaix, 1932.
  • François de la Rocque, Service public, Grasset, 1934.
  • François de la Rocque, Le Mouvement Croix de feu au secours de l'agriculture française, Mouvement Croix de feu, 1935.
  • François de la Rocque, Pourquoi j'ai adhéré au Parti social français, Société d'éditions et d'abonnements, Paris, décembre 1936.
  • Mouvement social français de Croix-de-Feu, Pourquoi nous sommes devenus Croix-de-Feu (manifeste), Siège des groupes, Clermont, 1937.
  • François de la Rocque, Union, esprit, famille, discours prononcé par La Rocque au Vél'd'hiv, Paris, 28 janvier 1938, Impr. Commerciale, 1938.
  • Paul Creyssel, La Rocque contre Tardieu, F. Sorlot, Paris, février 1939.
  • François de la Rocque, Paix ou guerre (discours prononcé au Conseil national du PSF, suivi de l'ordre du jour voté au Conseil ; Paris, 22 avril 1939), S.E.D.A., Paris, 1939.
  • François de la Rocque, Discours, Parti social français. Ier Congrès national agricole. 17-18 février 1939., SEDA, 1939.
  • François de la Rocque, Disciplines d'action, Éditions du Petit Journal, Clermont-Ferrand, 1941.
  • François de la Rocque,Au service de l'avenir, réflexions en montagne, Société d'édition et d'abonnement, 1949.
  • Croix-de-Feu, Le Complot communo-socialiste, l'insurrection armée dans l'unité d'action, Grasset, 1935.
  • Amis de la Rocque, Pour mémoire : La Rocque, les Croix de feu et le Parti social français, Association des amis de La Rocque, Paris, 1985.

Notes

  1. La droite en France, Paris, Aubier, 1968, volume I, p. 219.
  2. G. Gros, Le Temps des Croix-de-Feu, Montauban, revue Arkheia, n°20, 2008.
  3. Michel Winock
  4. G. Gros, Le Temps des Croix-de-Feu, Montauban, revue Arkheia, n°20, 2008.
  5. Fascisme français, passé et présent, Flammarion, 1991, p 141-142

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