Concupiscence

Concupiscence

La concupiscence est un terme qui désigne, dans la théologie chrétienne, le penchant à jouir des biens terrestres soit, de manière plus générale, le désir des plaisirs sensuels, assimilant la concupiscence au « foyer du péché » (concupiscentiam vel fomitem[1]). La concupiscence est parfois confondue avec la seule libido freudienne, c'est-à-dire la forme primitive du désir sexuel. Cela peut être réducteur, car on parle aussi de concupiscence sur des sujets qui n'ont rien avoir avec la sexualité. [2]

Sommaire

Etymologie

Le terme de concupiscence est la traduction française du terme latin concupiscentia.

C'est un dérivé du verbe cupere qui signifie littéralementdésirer ardemment[3]. D'autres dérivés de ce verbe sont par exemple le nom Cupidon, dieu latin de lamour fou et du désir, ou encore le mot "cupidité".

Le terme de concupiscentia na pas été « inventé » avec le christianisme. Avant dêtre une notion centrale du christianisme, par les réflexions de Saint Augustin, le terme appartient au vocabulaire des païens qui en font léquivalent de ce que notre langue appelle la convoitise. La concupiscentia est, dans ce contexte, définie comme lélan qui amène lhomme à désirer avec ardeur. La concupiscence ne fait cependant pas encore lobjet dune attention particulière avant l'ère chrétienne et désigne originellement toute forme véhémente de désir humain.

La concupiscence et le christianisme

Dans le Nouveau Testament

L'apôtre Paul, peinture de Rembrandt (1635)

Si le terme de concupiscentia est important pour le christianisme c'est qu'il s'agit d'un des termes centraux pour l'étude des écrits de saint Paul.

Dès ses premiers écrits, les problématiques du désir, de la convoitise et de la tentation sont traitées par saint Paul. En effet, ayant vécu à la confluence du monde juif et du monde païen, l'apôtre eut très jeune la connaissance des textes qui y référaient chez les Anciens. Ainsi, l'œuvre de Platon sont exposées les notions de θυμός [4] (Thumos) et dεπιθυμία (Epithumia) traitant de cet idéal du désir ardent spécifique aux religions polythéistes du monde romain ne lui est pas étrangère.

Si, à proprement parler, Paul nutilisa pas le terme de concupiscence, puisque ce terme est dorigine latine et que lapôtre écrivait en grec il reste pour la postérité celui qui fut à lorigine de sa thématique. Paul, dans ses écrits qui se voulaient des guides pour les nouvelles communautés chrétiennes, sadressait dabord à une société chrétienne surtout préoccupée par lattente dune proche consommation des biens et cest dans un tel cadre que prit naissance la pensée de la concupiscence[5].


Cest par deux de ses épîtres que Paul introduisit la thématique de la concupiscence : lépître aux Galates et lépître aux Romains. Considérant que le salut est accessible à tout homme uni au Christ, par la seule force de lEsprit, c'est-à-dire de la foi, ces deux écrits ont en commun de montrer la voie chrétienne daccession au salut.

Dans l'épître aux Galates, rédigée dans les années 54-56, Paul exhorte à se laisser mener par lEsprit pour ne pas se laisser guider par la convoitise charnelle. les Païens n'attachaient à la concupiscence aucune importance morale, elle apparaît ici comme ce qui réside dans la chair de lhomme et contre laquelle il faut agir en suivant cet impératif moral « Laissez-vous mener par lEsprit et vous ne risquerez pas de satisfaire loisiveté charnelle. Car la chair convoite contre lEsprit et lEsprit contre la chair ». Paul affirme que la convoitise nagit quen lhomme car sopposant à la loi damour « Tu aimeras ton prochain comme toi-même » émanant de Dieu et accessible au seul Esprit. Dans la suite du passage il discute la convoitise de la chair, celle-ci est déclinée à la faveur dune énumération de ce qu'elle produit :

«  Fornication, impureté, débauche, idolâtrie, haines, discorde, jalousie, emportements, disputes, dissensions, scissions, sentiment denvie, orgies, ripailles »

, passions qui selon lapôtre interdisent à ceux qui les commettent dhériter du « royaume de Dieu », ajoutant « ceux qui appartiennent au Christ Jésus ont crucifié la chair avec ses passions et ses convoitises ».

Cette idée est reprise dans lépître aux Romains, puisque lapôtre oppose à nouveau lEsprit et la chair, affirmant : « je me complais dans la loi de Dieu du point de vue de lhomme intérieur ; mais japerçois une autre loi dans mes membres qui lutte contre la loi de ma raison et menchaîne à la loi du péché qui est dans mes membres » prouvant que « si je fais ce que je ne veux pas, ce nest plus moi qui accomplis laction mais le péché qui est en moi ». Ainsi sassied le thème de la force qui pousse à commettre le mal malgré lamour de Dieu et qui se trouve dans la chair. Cest à la lecture de ce passage des écrits de Paul que lÉglise catholique romaine a toujours considéré la concupiscence comme un effet du péché originel subsistant après le baptême. En soi, elle n'est pas considérée comme un péché mais comme ce qui y induit et comme la résultante du péché originel.


Linfluence des épîtres de saint Paul sur le texte que la tradition retient sous le nom de première épître de Jean na pas été démontrée formellement. Cependant, la première épître de Jean a été écrite postèrieurement aux épîtres de saint Paul, et il existe une communauté desprit entre les deux œuvres. A lidée de la convoitise de la chair, ce « péché qui habite en moi » et qui détourne lhomme du royaume de Dieu et du Seigneur, fait écho dans la première épître de Jean lassertion que « si quelquun aime le monde, lamour du père nest pas en lui car tout ce qui vient du mondela convoitise de la chair, la convoitise des yeux et lorgueil de la richesse- vient non pas du Père mais du monde »[6]. précisément lépître de Jean se démarque des épîtres pauliniennes cest que sont distingués trois types de convoitises : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et lorgueil de la richesse. Il est loisible dobserver que lapport de lépître de Jean à la question de la concupiscence ne sarrête pas . Bien que cela tienne dune contingence annexe à ses propres lignes, cest dans cette épître que siège lorigine de lutilisation chrétienne du terme latin de concupiscentia. Lépître fut écrite en grec, comme tous les livres du Nouveau Testament, mais voilà ce que donne la traduction latine :

« Concupiscentia carnis et concupiscentia occulorum est et superbia vitae quae non est ex Patre sed ex mundo est . »

Cest la traduction de lépître de Jean en latin, effectuée au début du second siècle qui sortit véritablement le terme concupiscentia de son usage païen, faisant de cette notion un terme central de la pensée chrétienne.

Postérité de la concupiscence dans la pensée chrétienne

Diffusion de la notion dans les premiers temps chrétiens

C'est d'abord aux premiers auteurs chrétiens que l'on doit la diffusion du concept de concupiscence. La thématique de la concupiscence fut d'abord usée à des fins pratiques, par souci de prolongation de l'entreprise paulinienne. A cet égard, l'œuvre de Tertullien est significative. Dans ses écrits, principalement les traités De Paenitentia (Sur la pénitence), De cultu feminarum (Sur la toilette des femmes) et Ad uxorem (Lettre à sa femme), il sagit dexposer pédagogiquement, à lusage des nouveaux chrétiens, les préceptes et les recommandations morales du christianisme le terme de concupiscence est souvent utilisé pour exhorter les chrétiens à suivre la bonne voie. Ainsi, dans Ad uxorem, Tertullien explique til qu’ « Il vaut mieux quun homme se marie parce quil est corrompu par la concupiscence ». Il importe de noter, comme le fait Robert Louis Wilken, quen temps que premier écrivain chrétien dexpression latine, Tertullien fut un acteur important de la mise en place du vocabulaire et de la pensée chrétienne s'affirme le caractère primordial de la concupiscence. A la suite de Tertullien la notion de concupiscence est utilisée chez Ambroise, évêque de Milan, à des fins pédagogiques ou pour formuler les impératifs moraux afin « que la cupidité soit mortifiée et que la concupiscence meure »[7] .

Concupiscence et libido chez saint Augustin

Statue de saint Augustin dans l'église saint Augustin de Paris

C'est avec un des Pères de l'Église, à savoir saint Augustin, que toute la force de la concupiscence en théologie et philosophie se développa. On peut distinguer deux temps dans la façon dont la concupiscence est traitée par saint Augustin. S'il consacra à la concupiscence plusieurs traités dont Du mariage et de la concupiscence, c'est surtout au sein des Confessions et de La Cité de Dieu que le thème est développé.

Concupiscence au sein des Confessions

Avant même que lui soient connues les épîtres de Paul, avant même quil soit guidé par Ambroise dans sa vie de chrétien, Augustin fut tiraillé par la question du mal et par la façon dont les passions simposent à lhomme. C'est dans les Livres I à IX des Confessions qu'Augustin énumère des états selon lui il fut victime de concupiscence. Aucun âge napparaît alors être épargné puisque lénumération commence par lanalyse du comportement des enfants nouveau-nés. Pour Augustin, le péché se manifeste dès les premières années dun homme lorsque bébé celui-ci convoite le sein maternel car (il s'adresse à Dieu):

« [...]nul nest pur de péché en votre présence, pas même le petit enfant dont la vie nest que dun jour sur la terre [...] En quoi ai- je donc péché alors ? Etait-ce un péché de convoiter le sein en pleurant ? Si je convoitais maintenant avec une pareille ardeur, non pas le sein nourricier mais laliment convenable à mon âge, on me raillerait et on me reprendrait à bon droit. Ce que je faisais était répréhensible […] Oui, cétait une avidité mauvaise.[8] »

Apparaît alors pour saint Augustin le caractère inné de la concupiscence allant en progressant, au fil des âges, changeant dobjet puisque par la suite du texte, commentant les fautes de son adolescence, qui le poussèrent à "forniquer" et à commettre des larcins, il témoigne

« Des vapeurs sexhalaient de la boueuse concupiscence de ma chair, du bouillonnement de ma puberté ; elles ennuageaient et offusquaient mon cœur ; tellement quil ne distinguait plus la douce clarté de laffection des ténèbres sensuelles […] ma débile jeunesse était plongée dans un abîme de vices […] Vous vous taisiez alors, jetant de plus en plus, de stériles semences, génératrices de douleur, avec une bassesse superbe et une lassitude inquiète.[9]. »

Ladolescence, avec lapprentissage de la raison va de pair pour saint Augustin avec la prise en compte du caractère mauvais de ce quil commettait alors. Dans ces lignes, se voit donc limportance,pour saint Augustin, de langoisse physique qui pousse lhomme à ressentir, au-delà des souffrances du corps la voie du péché qui se fixe sur tous les objets même lamour, puisque, raconte til

« Je souillais donc la source de lamitié des ordures de la concupiscence ; jen ternissais la pureté des vapeurs infernales de la débauche. Repoussant et infâme, je brûlais dans mon extrême vanité de faire lélégant et le mondain. Je me ruais à lamour je souhaitais être pris.[10] »

Même lorsquavec ses amis, il souhaita embrasser la foi chrétienne, Augustin ne pouvait concevoir de ne pas se marier car « Ce qui surtout me tenait prisonnier et me tourmentait violemment, cétait lhabitude dassouvir une insatiable concupiscence » [11]. Ainsi, un second trait de la concupiscence, au-delà du caractère inné, est que pour saint Augustin, et cest surtout de la concupiscence de lhomme qui attache aux femmes et à la satisfaction des appétits sexuels, la voie du salut, et de la connaissance de Dieu doit passer par labandon total de la concupiscence, cest-à-dire labstinence. Les Confessions toutefois ne sont pas à proprement parler le simple récit des fautes quil sagit de remettre au Seigneur afin daccéder au salut. Les Confessions ont été écrites aussi pour témoigner de la bonté divine et dun chemin personnel vers Dieu doublé dune réflexion philosophique sur le salut. Cest ce qui a poussé Augustin à ne pas seulement relater ses fautes mais à les comprendre sous la lumière de la connaissance de la concupiscence et cest ce qui le pousse, dans le Livre X à ouvrir sa réflexion sur les différentes concupiscences, conceptualisant par lidée présente dans la première épître de Jean quil existe plusieurs concupiscences, trois exactement:

« Cest pourquoi jai considéré mes faiblesses de pécheur dans les trois concupiscences, et jai invoqué votre droite pour ma guérison. Car le cœur blessé, jai vu votre splendeur et, forcé de reculer, jai dit : « Qui peut atteindre jusque  ? Jai été rejeté loin de laspect de vos yeux ». Vous êtes la vérité qui préside à toutes choses. Et moi, dans mon avarice, je ne voulais pas vous perdre, mais je voulais posséder à la fois, vous et le mensonge. Cest ainsi que personne ne peut mentir au point de ne pas savoir lui-même ce qui est vrai. Voilà pourquoi je vous ai perdu, car vous nadmettez pas quon vous possède avec le mensonge. [12] »

Dans ce Livre X, en philosophe, Augustin établit avec rigueur un système dans lequel, lidée « On ne trouve le bonheur quen Dieu » sassocie à celle que « Le bonheur est inséparable de la vérité, guide toute la réflexion » . Ce faisant, il établit une hiérarchie des passions éloignant de Dieu à partir des trois concupiscences héritées de la première épître de Jean. A la concupiscence de la chair, ‘concupiscentia carnis’, Augustin associe la volupté (Livre XXX) qui attache lhomme aux femmes par lattirance sexuelle, lintempérance, qui consiste en livrognerie ou en la gourmandise (Livre XXXI), les plaisirs de lodorat (Livre XXXII), les plaisirs de louïe (Livre XXIII). A la concupiscence des yeux, cetteconcupiscentia occulorumdu texte biblique, il associe la curiosité (XXXV). Lœil, nous le savons depuis les tragédies grecques, à travers ce devin qui vit la chute dŒdipe bien quaveugle, est le symbole de lattachement de lhomme aux perceptions des sens qui le pousse, métaphoriquement parlant, à être aveuglé ou extralucide. Cest de cet héritage que vient, pour Augustin, lassociation de la concupiscence des yeux à toute expérience sensuelle trompeuse qui pousse parfois, loin de Dieu, à être berné par de fausses vérités et à adorer de faux dieux, tout en adorant les spectacles et à tenter Dieu par la demande doracles. Enfin, Augustin étudie cettesuperbia vitae’, lorgueil dont il est dit que « lamour de la gloire est habile à se déguiser » (Livre XXXVIII). Pour Augustin, plus que toute autre, cest la concupiscence de lorgueil quil est impératif de rejeter, pour vivre au sein des disciples du Christ en toute humilité non feinte -car il y a de lorgueil à faire croire que lon vit humblement sans que ce soit véritablement le cas- ; cest aussi cette concupiscence qui pousse lhomme sacrilège à se croire légal de Dieu.

De manière générale, que la concupiscence soit pur ressenti et la notion explicative des fautes passées pour Augustin, son désir de fonder le christianisme rationnellement, qui se manifeste au livre X des Confessions, le pousse à considérer la concupiscence non plus comme cette notion si présente dans les sermons et les lettres des premiers chrétiens et en faire la pierre angulaire de toute une théorie du Salut.

Libido dans La Cité de Dieu

Civitas Dei (La Cité de Dieu), dans le prolongement des Confessions, continue ce travail de saint Augustin dexplication des préceptes du christianisme. Cependant, il ne sagit plus pour Augustin dexpliquer chaque concupiscence une à une, comme outil conceptuel ; il sagit encore moins dallier à cette analyse des considérations biographiques. La concupiscence, dans Civitas Dei, recouvre un domaine tout à fait original puisque dorénavant, ce qui importe à Augustin cest de montrer les conséquences à léchelle politique de ce « péché qui habite en nous ». Ce faisant il sarme de nouveaux concepts originaux. Ces concepts ne sont autres que la Libido sciendi, la Libido sentiendi et la Libido dominandi. Cette nouvelle conceptualisation est difficilement retranscrite par le français et ne doit pas se confondre avec la conception de Freud. La libido, dans lacception quen a Augustin, est cette tendance inhérente à lhomme qui le pousse à satisfaire sa concupiscence. Par libido sentiendi, il serait difficile de ne voir que la seule concupiscence de la chair, définie auparavant dans Les Confessions ; elle est plus sûrement la tendance à satisfaire les désirs des sens qui se manifeste aussi bien dans la luxure que dans la gourmandise, la paresse ou encore la curiosité qui pousse à aller, par exemple, au théâtre. La libido sciendi désigne ce quAugustin définissait avant comme la curiosité ou la vanité de lhomme lorsque celui-ci, reposant sur ses doctes connaissances, prétend appréhender, par sa seule raison, la vérité. Enfin, la libido dominandi nest rien dautre la volonté de puissance de domination sur lautre homme qui pousse à lorgueil.

La réflexion politique et théologique de la concupiscence s'attache à une forme de réalisme au sein de Civitas Dei. Pour saint Augustin, désormais, il ne sagit plus de la rejeter totalement comme auparavant mais de montrer que le salut des faibles peut sen accommoder sans pour autant la favoriser, en la jugulant au maximum. Il montre, par exemple, quil y a des moments dans la vie elle est inactive bien que présente, reprenant sa réflexion, initiée au Livre X des Confessions, sur la manifestation de la concupiscence dans le sommeil, sinterrogeant « Que si cette rebelle concupiscence, qui habite en nos membres de mort, se meut comme par sa loi propre contre la loi de lesprit, nest-elle pas sans faute dans le refus de volonté, puisquelle est sans faute dans le sommeil ? » [13]. Ainsi, la voie du salut nest pas le rejet de la concupiscence mais de ne pas lui accorder sa volonté. Ainsi, pour Augustin la femme violée na pas favorisé la concupiscence car, ayant à subir les violences dun homme, elle subit la concupiscence dune autre volonté que la sienne. Cette réflexion sur la concupiscence trouve un développement favorable au sein du Livre XIV de La Cité de Dieu car pour Augustin, de même quil ne se plaint pas de vivre dans un corps comme le font les platoniciens, celui qui vit selon Dieu ne vit pas insensiblement sur cette terre comme le voudraient les stoïciens. Ainsi, pour Augustin, nos excès et nos vices nexigent pas que nous nous élevions contre la nature et la chair, ce qui serait faire injure au Créateur. Il finit par voir dans la honte sexuelle et la désobéissance du désir à la volonté les conséquences du premier péché, celui dAdam tenté par Eve.

Actualisation du θυμός et de l'επιθυμία platoniciens par les scolastiques

Différences d'interprétation entre Catholicisme et Protestantisme

Adam et Eve par Cornelis van Haarlem, 1592

L'origine des différences de conception entre Protestants et Catholiques vient de la querelle qui opposa Luther à Erasme. Luther entre en conflit avec Érasme sur le point du libre arbitre[14] . En augustinien, Érasme soutient le libre arbitre, cest-à-dire la responsabilité de lhomme devant Dieu concernant ses actes. En quelque sorte, lhomme peut refuser la grâce de la foi. Au contraire, se fondant notamment sur le péché originel, Luther défend la prédestination, cest-à-dire le serf arbitre. Pour Luther, cest Dieu qui décide. De découle la différence fondamentale entre la conceptualisation protestante de la concupiscence et la conceptualisation catholique, venant du fait que pour les Protestants la concupiscence est un péché, tandis que les Catholiques la considèrent comme ce qui y mène non comme un péché en elle-même.

Cette différence est intimement liée aux traditions respectives concernant le péché originel. Les protestantismes considèrent que la nature première de lhumanité était intrinsèquement une tendance au bien; la relation particulière dAdam et de Eve, voulue par Dieu nétait pas due à un don surnaturel mais à leurs propres natures. Dès lors, dans linterprétation protestante, la chute hors du Paradis nest pas due à la destruction ou la perte dun don surnaturel, ce qui rendrait lhumanité non coupable, mais à la corruption de sa nature elle-même. Si la nature actuelle de lhomme est corrompue par rapport à sa nature première, il sen suit quelle nest pas bonne mais mauvaise. Ainsi, la concupiscence, qui a produit la déchéance hors du Paradis, est le mal même[15]. Le catholicisme, de son côté, enseigne[16] que la nature humaine ne contenait avant le péché originel aucune inclination au mal mais avait déjà besoin de la grâce pour demeurer dans l'état de "sainteté et de justice originel (Catéchisme de l'Eglise catholique § 399). Adam et Eve en faisant mauvais usage de leur libre arbitre perdirent la grâce originelle. A la suit du concile de Trente, le catholicisme enseigne que la nature humaine déchue nest pas intégralement corrompue par le péché originel bien que privée de la grâce sanctifiante et affectée par la concupiscence. Si le baptême restitue la grâce sanctifiante, toutefois la concupiscence ne peut pas au cours de la vie terrestre être complètement éradiquée et l'homme doit lutter sans cesse contre celle-ci (cf. Catéchisme de l'Eglise catholique § 405). «Au sens étymologique, la concupiscence peut désigner toute forme véhémente de désir humain. La théologie chrétienne lui a donné le sens particulier du mouvement de l'appétit sensible qui contrarie l'œuvre de la raison humaine. L'apôtre saint Paul l'identifie à la révolte que la chair mène contre l' esprit. Elle vient de la désobéissance du premier péché. Elle dérègle les facultés morales de l'homme et, sans être une faute en elle-même, incline ce dernier à commettre des péchésCatéchisme de l'Église catholique, § 2515</ref>.

On voit que le terme de concupiscence a une signification plus vaste dans la théologie protestante que dans la théologie catholique : c'est une convoitise généralisée qui marque tout notre être et pas une tendance qu'on peut combattre avec le soutient de la grâce de Dieu. De découle, plus globalement, que pour les traditions protestantes, la concupiscence est le type premier du péché et ce terme est utilisé de manière générale comme synonyme du péché, tandis que les Catholiques distinguent bien le péché et la concupiscence comme deux entités différentes.

Usage non-théologique de la concupiscence

Philosophie

À la suite de saint Thomas d'Aquin, Bossuet distingue les appétits concupiscibles et les appétits irascibles.

Dans Les Pensées, Pascal cite l'épître de Jean mais en la reformulant dans les termes de saint Augustin : libido sentiendi, libido sciendi, libido dominandi.

Dans Entre nous, Levinas parle d'« amour sans concupiscence ».

Usage courant

Notes et références de l'article

  1. Concile de Trente, Decretum de Peccato Originali
  2. http://qe.catholique.org/les-miracles/19287-les-miracles-nous-obligent-ils-a-croire
  3. Cf.Dictionnaire Latin-Français Gaffiot
  4. Platon, La République IV, 435c et suiv. Platon, Phèdre 246a et suiv. Le θυμός(le bon cheval dans le mythe) exercerait un pouvoir de médiation entre l'ε̉πιθυμητικόν et le λογιστικόν, entre la faculté de désirer et la faculté de raisonner. επιθυμία est littéralement : ce qui est au-dessous du θυμός . Il s'agit de la faculté de désirer, c'est-à-dire de toutes les forces qui visent le plaisir.
  5. Comme le note Emile Bréhier dans son Histoire de la philosophie, la fin des missions de saint Paul nétait pas de découvrir la nature de Dieu mais de travailler au salut de lhomme, fondant la légitimité de la conversion des Païens ou des Juifs de la Diaspora au christianisme sur « linconscience de leur propres fautes, cette inconscience dans le péché qui rend indispensable la tâche du prédicateur » (Emile Bréhier, Histoire de la philosophie, « Hellénisme et christianisme », PUF, p.447)
  6. Première épître de Jean, II,16
  7. Ambroise, Traité des devoirs, Livre III Passage « les propriétaires terriens et la spéculation sur le blé. »
  8. Les Confessions, Livre I, chapitre VIII
  9. Les Confessions, Livre II, chapitre II
  10. Les Confessions, Livre III, Chapitre I
  11. Les Confessions, Livre VI, Chapitre XII
  12. Les Confessions, Livre X, chapitre XLI
  13. La Cité de Dieu, XXV, Livre I
  14. Erasme, Essai sur le libre arbitre, 1524. Martin Luther, De servo arbitrio (Du serf arbitre), 1525
  15. "Notre nature n'est pas seulement vide et destituée de tous biens, mais elle est tellement fertile en toute espèce de mal, qu'elle ne peut être oisive [...] L'homme n'est autre chose de soi-même que concupiscence." Jean Calvin, Institution de la religion chrétienne,II, I, 8
  16. Catéchisme de l'Église catholique, § 375, 376, 398

Voir aussi

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  • concupiscence — [kən kyo͞op′ə səns] n. [ME & OFr < LL(Ec) concupiscentia < L concupiscens, prp. of concupiscere, to desire eagerly < com , intens. + cupiscere, to wish, desire < cupere, to desire: see CUPID] strong desire or appetite, esp. sexual… …   English World dictionary

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