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Compagnie du Saint-Sacrement
La Compagnie du Saint-Sacrement était une société catholique fondée en 1627 par Henri de Levis, duc de Ventadour. Sa mission : faire « tout le bien possible et éloigner tout le mal possible ». Elle est nommée en l'honneur de l'Eucharistie, qui est la source et le sommet de la vie de l'Église. La création et l'œuvre de la Compagnie s'inscrivent dans le mouvement de Réforme catholique née de la volonté réformatrice du Concile de Trente au milieu du XVIe siècle et dans le contexte de la naissance de l'École française de spiritualité.
C'est l'une des moins connue des Compagnies européennes fondées au XVIIe siècle mais son existence rappelle l'importance des questions religieuses, en matière d'évangélisation des colonies, à l'époque.
Sommaire
Rôle et action
René de Voyer de Paulmy d'Argenson, une des personnalités éminentes de la Compagnie, et source importante pour faire l'histoire de la Compagnie, nous dit que celle-ci « prit pour ses armes une figure de la sainte Hostie dans un soleil ».
Son but officiel était de « s'appliquer pour le besoin du prochain dans toute l'étendue de la charité » . Ainsi, en 1656, c'est sous la pression de la Compagnie que Mazarin crée l'hôpital général de Paris. Bossuet exprime, au fond, en 1652, le projet de la Compagnie du Saint-Sacrement : « bâtir Jérusalem au milieu de Babylone »[1]. Outre la charité active et l'activité missionnaire, elle entendait par la voix des confrères réprimer les mauvaises mœurs et limiter la liberté des protestants à la limite des droits garantis par l'édit de Nantes. Si elle cultivait le secret c'est qu'elle considérait qu'il était : « l'âme de la Compagnie… Il permet notamment de libérer les œuvres des méfaits de l'amour propre »[2] tel Dieu caché en Jésus-Christ, véritable modèle à suivre. La Compagnie relance aussi la dévotion à l'Enfant-Jésus, modèle de charité silencieuse et de christocentrisme mystique, notamment sous la direction de Gaston de Renty lié au Carmel de Beaune et à Mère Marguerite du Saint-Sacrement[3].
Mais la Compagnie était avant tout pour ses membres un moyen de sanctification. Les actions menées discrètement par chaque confrère étaient vouées à cela. En outre, la Compagnie fonctionne comme une véritable confrérie, les confrères vivants s'adonnant à la prière pour le salut des confrères défunts, et les morts agissant en intercession dans le Ciel.
La Compagnie pratiquait la « correction fraternelle » : chacun choisissait un ami parmi ses confrères « pour se faire avertir de ses défauts et pour recevoir par son moyen les salutaires secours de la correction fraternelle. »[4].
Implantation et réseau
La première Compagnie créée fut celle de Paris entre 1627 et 1629 à l'initiative du duc de Ventadour qui devait ensuite devenir prêtre. Mais la compagnie parisienne draina par la suite de nombreuses filiales créées un peu partout en France par des dévots. Les créations en province s'échelonnent de 1629 aux années 1660.
La Compagnie parisienne statuait et les Compagnies provinciales étaient appelées à respecter la politique et les statuts de celle de Paris. L'organisation du réseau était centralisée et bien ramifiée.
Recrutement
L'appartenance sociale des confrères montre que cette société était élitiste. On trouve peu de confrères issus de la Cour, mais beaucoup de gens de robe et des professions libérales. On y trouve autant de clercs que de laïcs.
La Compagnie a compté parmi ses membres de nombreuses personnalités marquantes du XVIIe siècle :
- Bossuet, qui tenta de limiter le libertinage de Louis XIV et poussa Louise de La Vallière à entrer au couvent ;
- Vincent de Paul ; prêtre, canonisé en 1737,
- le prince de Conti après sa conversion vers 1655 à la suite d'une vie débauchée ;
- le baron Gaston de Renty qui fut notamment supérieur de la Compagnie dans les années 1640 ;
- le prélat François Fouquet, frère du surintendant Nicolas Fouquet, lequel soutient financièrement la compagnie ;
- Guillaume de Lamoignon, Premier Président du Parlement de Paris ;
- Gabriel Calloet-Kerbrat, avocat général au parlement de Bretagne ;
- René de Voyer d'Argenson, grand serviteur de l'État de par ses fonctions et l'un des fondateurs et des membres les plus actifs de la Compagnie ;
- Jean-Jacques Olier, curé de la paroisse parisienne de Saint-Sulpice, véritable paroisse modèle ;
- Guy Colombet, prêtre et créateur d'hôpitaux à Saint-Étienne ;
- Bédien Morange, vicaire général du diocèse de Lyon[5] ;
- Charles Démia, créateur d'écoles primaires à Lyon.
Comme pour se libérer de ce recrutement souvent très mondain, la Compagnie du Saint-Sacrement efface en son sein les préséances liées au rang social. Si le prince de Conti arrive en retard lors d'une séance, il n'a qu'à s'asseoir là où il reste de la place. La Compagnie se donne ainsi l'impression de renouer avec l'Église primitive. Néanmoins, les valets qui accompagnaient les confrères, le jeudi, se faisaient catéchiser dans une pièce à part[6]. Ce trait condense l'ambivalence de cette société qui, malgré de louables efforts, se ressentait de ses origines nobiliaires.
Suppression de la Compagnie
Au début, Richelieu, Louis XIII, et le pape soutinrent sa création, l'œuvre de la Compagnie s'inscrivant dans la volonté de réforme religieuse poursuivie évidemment aussi par le pouvoir royal et le pape. Mais elle fut bientôt l'objet d'une grande suspicion. Mazarin soupçonna une « cabale des dévots », le « parti dévot » regroupant notamment nombre d'anciens frondeurs d'être favorable au roi d'Espagne contre lequel la France était en guerre. Le pouvoir, avec Colbert également, commença donc à craindre la Compagnie comme un « État dans l'État » qui prenait des directives sans en rendre compte au roi.
En 1660, Mazarin tenta de supprimer la Compagnie en interdisant toutes les sociétés secrètes, mais celle-ci résista. René de Voyer d'Argenson : « Du 26e de septembre [1664], jour de dimanche. J'appris que le Cardinal Mazarin avoir dit à la princesse de Conti, sa nièce, qu'il avoit fait un grand coup d'Etat, d'avoir rompu les assemblées de la Compagnie du Saint Sacrement; que la Ligue avoit eu de moindres commencements et qu'il ne seroit pas digne de son ministère, s'il n'avoit détruit toutes ces cabales de dévots. »[7] La Compagnie fut finalement officiellement dissoute par Louis XIV en 1666 après la mort de la reine-mère, qui avait été un ferme soutien de la Compagnie, étant dévote elle-même.
La Compagnie du Saint-Sacrement est surtout connue par ses attaques du Tartuffe de Molière. Ce dernier en effet s'y opposa à sa façon en écrivant cette pièce. Molière y dénonce, à première vue, les "faux dévots" et l'hypocrisie religieuse à travers le principal personnage de Tartuffe qui profite, sous couvert de la fausse vertu religieuse, de la faiblesse des esprits et prend la direction des consciences. Aujourd'hui, par la contextualisation, les observateurs admettent que les attaques de Molière ne sont pas tournées véritablement contre de très hypothétiques "faux dévots", mais contre les excès des vrais dévots. La pièce ne représente-t-elle pas dès lors une critique de l'Église et donc des valeurs de son temps? Nous savons que la Compagnie n'en finissait pas de s'en prendre aux blasphémateurs, aux duellistes, aux libertins, aux marchands de viande qui ne respectaient pas le carême, aux tenanciers de cabarets... Tous les moyens étaient bons y compris la délation… Elle condamnait également l'usage du tabac, les chansons des colporteurs, les toilettes trop décolletées. Ainsi, à Marseille en 1647 : « Fust résolu de travailler a supprimer ceste grande immodestie des nudités des femmes »[8]. C'est bien le :
- « Couvrez ce sein que je ne saurois voir :
- Par de pareils objets les âmes sont blessées,
- Et cela fait venir de coupables pensées ».
La reine Anne d'Autriche, principal soutien de la Compagnie, fit interdire la pièce à partir de 1664, mais Molière put finalement rejouer Tartuffe sans problème à partir de 1669, suite à la dissolution officielle de la Compagnie et du soutien du roi, alors tout à ses amours avec la marquise de Montespan, qui succédait dans le lit royal à la douce Louise de la Vallière avant d'être elle-même copieusement trompée par son amant qui - en plus- remplissait scrupuleusement ses devoirs conjugaux...
Controverses historiographiques
La mauvaise réputation de la Compagnie s'est maintenue dans l'historiographie. Elle a été accusée de faire le jeu de l'Inquisition, de faire couler le sang, d'être intégriste ou encore de soutenir un ordre moral austère.
L'action de la Compagnie est donc controversée. Sa pratique du secret a poussé le pouvoir royal contemporain comme la Troisième République à la mettre en cause comme tendant à la subversion de l'ordre politique. Les détracteurs de la Compagnie arguent du fait que celle-ci aurait soutenu un ordre politique subversif car inféodé à l'Espagne ultra catholique et à Rome. L'historien Michel Vergé-Franceschi[9] a notamment argumenté dernièrement en défaveur de la compagnie en la personne de Nicolas Fouquet, qui aurait été le véritable chef de ce parti dévot, ce qui aurait finalement légitimé son arrestation par Louis XIV en septembre 1661. Il n'est en revanche pas prouvé qu'il ait été un confrère de la compagnie... Alain Talon, qui a étudié spécifiquement l'œuvre de la Compagnie, souligne quant à lui que le but de la compagnie était avant tout d'agir sur la société, non sur la politique de l'État que la Compagnie respectait. Pour lui, la pratique du secret par les confrères n'était qu'un moyen d'agir tel le Père caché en la personne du Christ permettant l'imitation du Christ par les confrères et ainsi la sanctification.
Notes
- ↑ Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement, 1629-1667, Paris, 1990, éd. du Cerf, p. 117.
- ↑ Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement..., p. 65.
- ↑ L'école française de spiritualité, Raymond Deville, Paris, Desclée, 1987, p.25.
- ↑ Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement..., p. 69.
- ↑ Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Belin, 2004, p. 75.
- ↑ Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement..., pp. 94 et 100.
- ↑ René Ier Voyer, comte d’René de Voyer d'Argenson, Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement, Marseille, Saint-Léon, 1900, BN numérisé, p. 278.
- ↑ Raoul Allier, La compagnie du Très Saint Sacrement de l'Autel à Marseille, Paris, Librairie Honoré Champion, 1909, p. 68.
- ↑ M. Vergé-Franceschi, Colbert. La politique du bon sens, Paris, Payot, 2003.
Bibliographie
- Raoul Allier, La cabale des dévots, 1627-1666, Paris, Colin, 1902.
- Raoul Allier, La compagnie du Très Saint Sacrement de l'Autel à Marseille, Paris, Librairie Honoré Champion, 1909.
- René Ier Voyer, comte d'Argenson, Annales de la Compagnie du Saint-Sacrement, Marseille, Saint-Léon, 1900.
- Raymond Deville, L'école française de spiritualité, Paris, Desclée de Brouwer, 1987.
- Jean-Pierre Gutton, Dévots et société au XVIIe siècle. Construire le Ciel sur la Terre, Paris, Belin, 2004.
- Alain Tallon, La Compagnie du Saint-Sacrement, 1629-1667, Paris, 1990, éd. du Cerf.
Lien externe
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