Colorisation cinématographique

Colorisation cinématographique
Portrait de Greta Garbo pour La Courtisane, 1931.
La même image colorisée

La colorisation cinématographique est un procédé qui consiste à ajouter de la couleur aux films en noir et blanc, sépia, ou aux dessins animés. Les premières utilisations de cette technique remontent au début du XXe siècle, mais elle n'est réellement devenue aboutie que depuis le développement du numérique. La colorisation peut être utilisée pour différentes raisons, dont les effets spéciaux ou la restauration de films en couleur.

Le procédé est parfois critiqué lorsqu'il est utilisé pour la colorisation d'anciens films noirs et blancs, notamment de longs-métrages de fiction. Certains, comme la Writers Guild of America, ont protesté que l'utilisation de ce procédé était une forme « de vandalisme culturel »[1],[2].

Sommaire

Technique

Avec l'arrivée de la télévision couleur, vers 1965 il y avait une demande pour les anciens dessins animés qui permettait de financer la mise en couleur des classiques du noir et blanc. Pour cela les tracés originaux étaient reproduits sur celluloïd et on ajoutait ensuite la couleur à peu près comme pour un dessin animé couleur normal, c'est-à-dire image après image[3]. Avec l'informatique, les studios peuvent ajouter la couleur aux films en noir et blanc en teintant les film numériquement, les contours sont d'abord colorés puis la colorisation est complétée. Le procédé initial a été inventé par les canadiens Wilson Markle et Brian Hunt[4] et a été utilisé la première fois en 1970 pour ajouter de la couleur à des images monochromes du programme Apollo[5].

La colorisation commence généralement avec une épreuve monochrome du film ; on réalise une copie neuve tirée du négatif original, dont on tire une copie vidéo de haute qualité. Les techniciens, aidés par un ordinateur, identifient le niveau de gris de chaque objet de chaque image et notent tous les mouvements. Un ordinateur ajoute de la couleur à chaque objet, pendant que le niveau de gris reste le même[5]. Cette technique a été brevetée en 1991[6].

Les premières techniques de colorisation donnaient une image aux contrastes faibles et aux couleurs pâles, plates et délavées. Depuis les années 1980, la technologie s'est améliorée. Une des principales difficultés avec la colorisation est la quantité de travail demandée. Par exemple, pour colorier une image fixe, l'artiste commence par la diviser en zones, puis affecte ensuite une couleur à chaque zone. Cette approche, appelée « méthode par segmentation », demande un travail long et fastidieux afin d'obtenir des segments corrects.

Ce problème vient du fait qu'il n'y a jamais eu d'algorithme complètement automatique capable d'identifier précisément les limites des zones complexes ou floues, comme la limite entre le visage et les cheveux d'un personnage. La colorisation d'un mouvement nécessite de suivre le cheminement de ces zones d'une image à l'autre.

Plusieurs sociétés ont annoncé avoir créé des algorithmes de poursuite automatique de zones :

  • Legend Films[7] décrit le cœur de leur technologie comme la reconnaissance de motifs en premier plan et la composition du fond en arrière plan pour en faire des masques entre chaque image. Dans le processus, les fonds sont colorisés séparément dans un cadre composite qui rassemble toutes les données d'une scène, stockant aussi les décalages dus au mouvement de la caméra. Une fois le premier plan colorisé, le masque du fond est appliqué image par image.
  • Le procédé de TimeBrush Studios[8], fondé sur la technologie de Neural Net, produit, selon eux, des couleurs saturées et précises, avec des lignes claires et pas de débordements apparents, en étant rentable et convenant à la colorisation à faible budget ainsi qu'aux diffusions télévisées et aux projections au cinéma.
  • Une équipe de chercheurs de la Benin School of Computer Science and Engineering, à l'université hébraïque de Jérusalem, a créé une méthode interactive qui ne nécessite pas de détection manuelle précise ni de poursuite ciblée : elle fonctionne selon le principe simple que les pixels proches dans l'espace et le temps, et ayant un niveau de gris similaire, doivent avoir la même couleur[9].

La colorisation partielle

La plus ancienne forme de colorisation consistait à apporter des touches de couleur sur des films en noir et blanc par des colorants. Les tout premiers films d’Edison, dont la plus célèbre série Butterfly Dance, sont des exemples des premières colorisations, faites en peignant la pellicule avec de l’aniline.

Aux alentours de 1905, Pathé innova avec le « Pathéchrome », un procédé au pochoir où les pochoirs de chaque image étaient découpés dans du verre grâce à un Pantographe.

En 1916, le procédé de colorisation Handschiegl (d’après le nom de son inventeur Max Handschiegl) fut inventé pour le film Jeanne d'Arc (Joan the Woman) de Cecil B. DeMille. Un autre exemple ancien d’Handschiegl est le film Le Fantôme de l'Opéra de 1925, dans lequel le personnage de Lon Chaney porte une cape d’un rouge vif alors que le reste de la scène reste monochrome. La scène est en sépia et la cape a été peinte en rouge, soit par pochoir soit par matrice. Puis une solution de sulfure a été appliquée partout sauf sur les parties peintes, transformant le sépia en une couleur bleue.

La colorisation partielle est aujourd'hui utilisée avec les technologies numériques sur des séquences prises en couleur pour styliser des films publicitaires, des clips musicaux, ou des émissions de télévision et augmenter les possibilités artistiques.

La restauration

Un certain nombre d'émissions de télévision tournées en couleur au début des années 1970 étaient enregistrées sur des cassettes magnétiques qui ont été effacés pour des raisons économiques. Dans certains cas, des enregistrements en noir et blanc étaient produits pour l’exportation vers des pays qui n’avaient pas encore la télévision couleur.

Un exemple notoire est la série de la BBC en cinq épisodes Doctor Who intitulée Les Démons[10]. Un seul des épisodes a survécu en couleur, les autres n'existaient plus qu'en version noir et blanc. La seule version couleur était l'enregistrement vidéo de mauvaise qualité d'une version abrégée diffusée aux États-Unis. Dans les années 1990, la BBC a combiné son signal couleur au signal noir et blanc de la version Broadcast, obtenant une version couleur de très bonne qualité. Cette restauration a été considérée comme une grande réussite par les fans et les techniciens.

L'intégration

La colorisation est parfois utilisée pour intégrer des séquences de films anciens dans des films en couleur. Par exemple, le film américain Treize jours, réalisé par Roger Donaldson et sorti en 2000, utilise des séquences tournées en 1962 lors de la crise des missiles de Cuba, qui ont été colorisées.

Le long métrage en couleurs Capitaine Sky et le Monde de demain de Kerry Conran, sorti en 2004, qui utilise déjà massivement les effets spéciaux numériques, intègre aussi des scènes des années 1940 de Sir Laurence Olivier colorisées pour l’occasion.

Dans son long-métrage Aviator, Martin Scorsese a subtilement mélangé des plans de reportage en noir et blanc de la première du film Les Anges de l'enfer (1930) avec des plans de la première mis en scène en 2003 avec les acteurs de son film. La colorisation du noir et blanc a été conçue pour un rendu normal trichrome, puis l'ensemble, montage des images anciennes et de celles tournées pour le film, corrigé pour correspondre à un rendu technicolor bichrome, en rapport avec la technologie de l'époque. Scorsese a aussi utilisé des images colorisées de Jane Russell provenant du film en noir et blanc The Outlaw, ainsi que des scènes de combat aérien du film Les Anges de l'enfer.

Colorisation de longs-métrages et séries

Au milieu des années 1980, le procédé a suscité une controverse considérable, après que le film de 1937 Le Couple invisible (Topper) devint en 1985 le premier film en noir et blanc à être redistribué en couleur après colorisation[11].

Les défenseurs du procédé faisaient remarquer qu'il pourrait permettre aux films en noir et blanc de toucher un nouveau public n’ayant pas l’habitude de ce format. Les détracteurs se plaignaient que le procédé n'était pas au point, et que même s’il était amélioré, il ne pourrait transposer les compositions lumineuses choisies spécifiquement pour un rendu en noir et blanc, lesquelles ne seraient par forcément adaptées à la couleur[1]. Étaient également mentionnés des choix artistiques que le réalisateur de l’époque du tournage pourrait ne pas approuver, comme le clin d’œil visuel sur le personnage de Violette Bick dans La vie est belle, toujours habillée en violet dans la version colorisée.

Le magnat des médias américain Ted Turner fut autrefois un avocat de la colorisation, faisant travailler la société American Film Technologies de San Diego[12]. Quand il annonça à la presse qu’il envisageait de coloriser Citizen Kane[13], ses propos provoquèrent immédiatement des protestations du public. Orson Welles ayant gardé le contrôle des droits du film, il était néanmoins impossible de manipuler Citizen Kane sans sa permission express ou celle de son agent. Turner affirmera plus tard que c’était une plaisanterie faite pour taquiner les pourfendeurs de la colorisation et qu’il n’avait jamais eu l’intention de coloriser le film. En partie à cause de cette controverse, tous les films diffusés à la télévision ou en vidéo aux États-Unis et dont l'aspect a été modifié de quelque façon que ce soit (y compris le pan and scan) doivent mentionner que le film « a été modifié par rapport à la version originale »[14].

Vers le milieu des années 1990, cette polémique sur la colorisation avait disparu. À cause du coût élevé du procédé, Turner Entertainment avait cessé de coloriser les films de son catalogue. Avec la venue de la technologie DVD, la colorisation refit surface. Parce que le format DVD est beaucoup plus souple, les studios purent offrir aux spectateurs les deux versions sur un même disque, et donc, l’enregistrement de film colorisé sembla de nouveau rentable. Quelques sociétés ont même ressorti les premières versions colorisées des années 1980, par exemple, l'« intégrale » de Laurel et Hardy en coffret DVD[15].

Sony Pictures Entertainment fera réaliser de nouvelles versions colorisées de films des Three Stooges par West Wing Studios[16] pour leur distribution en DVD, relançant les controverses sur la colorisation, même si une version noir et blanc figure sur chaque disque[2]. Le studio a eu accès pour cela aux accessoires et décors originaux afin de parfaire les versions colorisées (les détracteurs diront que les couleurs étaient alors choisies pour leur rendu en noir et blanc[2]).

Un autre studio important de colorisation est Legend Films[7], leur processus automatisé breveté a été utilisé pour coloriser une centaine de films entre 2003 et 2007. Shirley Temple Black, Jane Russell, Terry Moore et Ray Harryhausen ont travaillé avec l’entreprise pour coloriser leurs propres films ou bien leurs films préférés. Deux films notables sur lesquels Legends Films a travaillé sont Reefer Madness, un film sur la consommation de cannabis pour lequel certaines combinaisons des couleurs ont été utilisées dans le but de créer un effet psychédélique chez le spectateur, et Plan 9 from Outer Space (1959), largement connu comme « le plus mauvais film jamais réalisé ». En 2007, Legend Films a colorisé La vie est belle (It's a Wonderful Life) pour Paramount Pictures et L'amour chante et danse (Holiday Inn), en 2008 for Universal Pictures.

En 2005, Sony Pictures Home Entertainment a sorti la première saison de Ma sorcière bien-aimée (Bewitched) en DVD. Comme cette série avait été tournée en noir et blanc, Sony a mis deux versions dans le coffret : une avec les épisodes originaux et une seconde avec les épisodes en couleurs. Une année plus tard, la deuxième saison de Ma sorcière bien-aimée et la première saison de Jinny de mes rêves (I Dream of Jeannie), une autre série appartenant à Sony, ont été commercialisées sur le même concept. Ces films ont été colorisés par Dynacs Digital, un studio de colorisation de Patna en Inde qui a depuis disparu.

Documentaires colorisés

La colorisation est parfois utilisée pour les films documentaires. L’émission de télévision The Beatles Anthology colorisa des séquences[17], notamment l’interprétation de All You Need Is Love de l’émission spéciale Our World (1967). Dans ce documentaire, cette scène commence en noir et blanc comme dans l’original avant de se fondre dans des couleurs psychédéliques apparemment réalistes. Dans ce cas, la palette de couleurs était basée sur des photos prises en même temps que le tournage, ainsi, d'une certaine manière, la couleur est effectivement « authentique ».

Cependant l'addition de couleurs artificielles dans un documentaire peut être aussi considérée comme de la tromperie, voire une fraude, si elle n'est pas signalée au public avant le visionnage.

La série documentaire World War 1 in Colour[18], diffusée à la télévision en 2003 puis sortie en DVD en 2005 (sorti en France sous le titre 1914-1918 la grande guerre : 6 heures d'archives entièrement colorisées), a utilisé des techniques de colorisation. Cette série avait été précédée par des documentaires en couleurs de la Seconde Guerre mondiale utilisant d’authentiques films couleur, mais comme le film couleur n'existait pas pour le cinéma au moment de la Première Guerre mondiale, la série est faite de séquences colorisées, et de photos. Un film français de Jean-François Delassus sur le même sujet, 14-18 : Le bruit et la fureur[19], lui aussi colorisé, sera diffusé en novembre 2008 sur La Une de la RTBF et sur France 2[20].

Le tournoi de golf US de 1960, diffusé à l’origine en noir et blanc et enregistré sur kinéscope, a été colorisé pour le documentaire Jim Nantz Remembers. Ce fut la première fois qu’un événement sportif majeur a été rediffusé colorisé.

Notes et références

  1. a et b (en) Essay: Casablanca In Color? I'm Shocked, Shocked! - Time, 12 janvier 1987
  2. a, b et c (en) Stooges DVD revives colorization debate - AP/MSNBC, 9 août 2004
  3. (en) Betty Boop - The Colorized Cartoon Database
  4. (en) The History of the Motion Picture - About.com
  5. a et b (en) Colorization - The Museum of Broadcast Communications (MBC)
  6. (fr) Brevet : CA 1291260 - Base de données sur les brevets canadiens, Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC)
  7. a et b (en) Site de Legend Films Inc.
  8. (en) Site de TimeBrush Studios
  9. (en) Coloring method for colorless scenes - IsraCast , 27 avril 2005
  10. (en) Doctor Who : The restoration team - BBC, 1er janvier 2004
  11. (en) Le Couple invisible (1937) - Trivia - IMDb
  12. (en) 10-K SEC Filing, filed by American Film Technologies Inc. - EDGAR Online, Inc., 25 janvier 2000
  13. (en) TURNER, TED - The Museum of Broadcast Communications (MBC)
  14. (en) Citizen Kane (1941) - Trivia - IMDb
  15. (en) Laurel & Hardy - The Collection (21-disc Box Set) - DVDBeaver
  16. (en) Site de West Wing Studios
  17. (en) Internet Beatles Album - Reference Library : Anthology Home Video
  18. (en) World War 1 in Colour - IMDb
  19. 14-18 : Le bruit et la fureur - Isabelle Rabineau, TopoLivres, 5 novembre 2008
  20. 14-18 : Le bruit et la fureur - France 2

Bibliographie

  • Anthony Slide, Nitrate Won't Wait: A History of Film Preservation in the United States, 1er août 2000 (ISBN 0-7864-0836-7) p.9
  • Gary R. Edgerton, The Germans Wore Gray, You Wore Blue, pour IEEE Spectrum, hiver 2000

Annexes

Articles connexes

Liens externes

  • Heidi - Comparaison de la colorisation analogique du film Heidi (1937) faite dans les années 1980 et d'une colorisation moderne réalisée par Legend films [vidéo]
  • Cerulean Fx - Un autre studio de colorisation californien



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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Colorisation cinématographique de Wikipédia en français (auteurs)

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