- Claude Pettelet
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Les Martyrs de Vingré
Les Martyrs de Vingré sont six poilus, le caporal Paul Henry Floch, les soldats Jean Blanchard, Francisque Durantet, Pierre Gay, Claude Pettelet et Jean Quinault, appartenant au 298e RI, connus pour avoir été fusillés pour l'exemple pendant la Première Guerre mondiale le 4 décembre 1914 et réhabilités par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921[1].
Sommaire
Les faits
Le 27 novembre 1914, après une préparation d'artillerie qui démolit une partie de leur tranchée, les soldats du 298e RI furent surpris par une attaque allemande qui fit plusieurs prisonniers[2]. Une demi-section française dut alors se replier dans les boyaux. Le bombardement terminé, elle retourna dans la tranchée conquise par les Allemands et les en délogea, reprenant le contrôle de son emplacement. Mais à l'issue de cette escarmouche, une dizaine de soldats du 298e étaient restés prisonniers de l'ennemi. Les deux escouades (24 hommes) qui avaient momentanément abandonné leur tranchée furent alors prévenues d'abandon de poste en présence de l’ennemi. Lors de l'enquête sommaire, les soldats indiquèrent avoir reculé sur ordre du sous-lieutenant Paulaud, et s’être repliés dans une tranchée à l’arrière de la tranchée où l’attaque allemande s'était déroulée. Le sous-lieutenant Paulaud soutient ne pas avoir donné cet ordre de repli, au contraire il accable les 24 soldats. Le 3 décembre, le conseil de guerre spécial du 298e RI, à l'issue d'un tirage au sort désigne six d’entre eux qui sont fusillés pour l'exemple le 4 décembre 1914, suivant les directives données à ce conseil par le général Étienne de Villaret pour aider les combattants à retrouver le goût de l'obéissance[3].
La dernière lettre du caporal Henry Floch à sa femme Lucie résume bien les faits [4]:
" Ma bien chère Lucie, Quand cette lettre te parviendra, je serai mort fusillé. Voici pourquoi : le 27 novembre, vers 5 heures du soir, après un violent bombardement de deux heures, dans une tranchée de première ligne, et alors que nous finissions la soupe, des Allemands se sont amenés dans la tranchée, m’ont fait prisonnier avec deux autres camarades. J’ai profité d’un moment de bousculade pour m’échapper des mains des Allemands. J’ai suivi mes camarades, et ensuite, j’ai été accusé d’abandon de poste en présence de l’ennemi.
Nous sommes passés vingt-quatre hier soir au Conseil de Guerre. Six ont été condamnés à mort dont moi. Je ne suis pas plus coupable que les autres, mais il faut un exemple. Mon portefeuille te parviendra et ce qu’il y a dedans. Je te fais mes derniers adieux à la hâte, les larmes aux yeux, l’âme en peine. Je te demande à genoux humblement pardon pour toute la peine que je vais te causer et l’embarras dans lequel je vais te mettre…
Ma petite Lucie, encore une fois, pardon. Je vais me confesser à l’instant, et espère te revoir dans un monde meilleur. Je meurs innocent du crime d’abandon de poste qui m’est reproché. Si au lieu de m’échapper des Allemands, j’étais resté prisonnier, j’aurais encore la vie sauve. C’est la fatalité.
Ma dernière pensée, à toi, jusqu’au bout.
Henry Floch "
Le Journal de marche du régiment, signale l'exécution à la date du 4 décembre :
L'exécution des 6 condamnés à mort a lieu à 7h30, à 200m à l'ouest du calvaire de Vingré, situé à l'embranchement des deux chemins allant à Nouvion. Assistent à la parade d'exécution les quatrième compagnie de réserve du 298e, deuxième compagnie du 216e et une compagnie du 238e. Les troupes sont commandées par le Lieutenant-Colonel Pinoteau. Les condamnés qui ont passé la nuit dans la prison du poste de police sont amenés à 7h30 par un piquet de 50 hommes et fusillés. Après l'exécution qui se passe sans incident, les troupes défilent devant les cadavres et rentrent dans leurs cantonnements.
Lettres des condamnés
- Voici ce que le soldat Jean Quinault écrit à sa femme la veille de son exécution :
"Je t'écris mes dernières nouvelles. C'est fini pour moi. J'ai pas le courage. Il nous est arrivé une histoire dans la compagnie. Nous sommes passés 24 au conseil de guerre. Nous sommes 6 condamnés à mort. Moi, je suis dans les 6 et je ne suis pas plus coupable que les camarades, mais notre vie est sacrifiée pour les autres. Dernier adieu, chère petite femme. C'est fini pour moi. Dernière lettre de moi, décédé pour un motif dont je ne sais pas bien la raison. Les officiers ont tous les torts et c'est nous qui sommes condamnés à payer pour eux. Jamais j'aurais cru finir mes jours à Vingré et surtout d'être fusillés pour si peu de chose et n'être pas coupable. Ça ne s'est jamais vu, une affaire comme cela. Je suis enterré à Vingré ... ".
- Extraits de la lettre de Jean Blanchard à sa femme Michelle[5]
3 décembre 1914, 11 heures 30 du soir
Ma chère Bien-aimée, c'est dans une grande détresse que je me mets à t'écrire et si Dieu et la Sainte Vierge ne me viennent en aide c'est pour la dernière fois, ....
Je vais tâcher en quelques mots de te dire ma situation mais je ne sais si je pourrai, je ne m'en sens guère le courage. Le 27 novembre, à la nuit, étant dans une tranchée face à l'ennemi, les Allemands nous ont surpris, et ont jeté la panique parmi nous, dans notre tranchée, nous nous sommes retirés dans une tranchée arrière, et nous sommes retournés reprendre nos places presque aussitôt, résultat: une dizaine de prisonniers à la compagnie dont un à mon escouade, pour cette faute nous avons passé aujourd'hui soir l'escouade (vingt-quatre hommes) au conseil de guerre et hélas! nous sommes six pour payer pour tous, je ne puis t'en expliquer davantage ma chère amie, je souffre trop, l'ami Darlet pourra mieux t'expliquer, j'ai la conscience tranquille et me soumets entièrement à la volonté de Dieu qui le veut ainsi; c'est ce qui me donne la force de pouvoir t'écrire ces mots, ma chère bien-aimée, qui m'as rendu si heureux le temps que j'ai passé près de toi, et dont j'avais tant d'espoir de retrouver. Le 1er décembre au matin on nous a fait déposer sur ce qui s'était passé, et quand j'ai vu l'accusation qui était portée contre nous et dont personne ne pouvait se douter, j'ai pleuré une partie de la journée et n'ai pas eu la force de t'écrire...
Oh ! bénis soient mes parents qui m'ont appris à la connaître ! Mes pauvres parents, ma pauvre mère, mon pauvre père, que vont-ils devenir quand ils vont apprendre ce que je suis devenu ? Ô ma bien-aimée, ma chère Michelle, prends-en bien soin de mes pauvres parents tant qu'ils seront de ce monde, sois leur consolation et leur soutien dans leur douleur, je te les laisse à tes bons soins, dis-leur bien que je n'ai pas mérité cette punition si dure et que nous nous retrouverons tous en l'autre monde, assiste-les à leurs derniers moments et Dieu t'en récompenseras, demande pardon pour moi à tes bons parents de la peine qu'ils vont éprouver par moi, dis-leur bien que je les aimais beaucoup et qu'ils ne m'oublient pas dans leurs prières, que j'étais heureux d'être devenu leur fils et de pouvoir les soutenir et en avoir soin sur leurs vieux jours mais puisque Dieu en a jugé autrement, que sa volonté soit faite et non la mienne. Au revoir là-haut, ma chère épouse.
Jean
La double peine
La famille du soldat fusillé pour l'exemple était doublement touchée du deuil. En effet la honte d'avoir eu un frère, un père, un époux condamné pour sa lâcheté était très difficile à supporter. Cela s'ajoutait inéluctablement au poids du deuil. De plus les femmes des fusillés restaient démunies financièrement ne recevant pas la pension attribuée aux veuves de guerre.[6]
Le frère de Henry Floch, Emile Floch indique lors de l'inauguration du monument de Vingré en 1925[7] : "Nous avons vécu dans une atmosphère affreuse de la suspicion illégitime et la honte injustifiée".
Le fils de Claude Pettelet a du être retiré de l'école, son éducation sera confiée à un précepteur. La veuve Pettelet ayant reçu des insultes et des menaces, elle sort dans la rue avec un pistolet pour se protéger[8].
La réhabilitation
En février 1919, les veuves des soldats Blanchard et Durantet entreprirent les premières démarches pour la réhabilitation de leurs conjoints en écrivant au docteur Laurent, député de Roanne. Mais c’est avant tout la détermination et l’acharnement de Claudius Lafloque, un ancien du 298e RI, qui permit de faire avancer la requête (échange de correspondances avec le ministère de la Justice, obtention de nombreux témoignages mettant en accusation directe le sous-lieutenant Paulaud, etc.).
Avec l’aide d’un avocat, le ministère, mis sous pression, finit par accepter la révision du procès. L’audience devant la Cour de Cassation eut lieu les 30 novembre et 1er décembre 1920 et le verdict fut rendu le 29 janvier 1921. Il cassait le jugement du 4 décembre 1914, et rétablissait les familles des fusillés dans leur plein droit y compris pour le paiement des arrérages de pension depuis 1914.L'arrêt de la cour de cassation du 29 janvier 1921 a été publié au Journal Officiel du 18 février 1921[9]
« Attendu que le sous lieutenant Paulaud… peut-être considéré comme ayant été un des principaux témoins de l’accusation qu’au moment de la panique le chef de section, sous-lieutenant Paulaud, sorti de son abri voisin, leur avait donné l’ordre de se replier sur la tranchée de résistance ; que cet officier était parti lui-même précipitamment et l’un des premiers dans cette direction.Attendu que le lieutenant Paupier, qui commandait la compagnie et se trouvait dans la tranchée de résistance a déclaré qu’en effet le sous-lieutenant Paulaud était arrivé l’un des premiers au moment de la panique de cette tranchée… Attendu qu’il importe de constater que le sous-lieutenant Paulaud lui-même a exprimé sa conviction de l’innocence des condamnés, quelques instants après leur exécution, et qu’il a affirmé à nouveau cette conviction à diverses reprises dans ces dernières dépositions.
Pour ces motifs :
CASSE et ANNULE le jugement du Conseil de Guerre spécial de la 53e division d’infanterie, en date du 3 décembre 1914, qui a confirmé le caporal Floch, les soldats Gay, Pettelet, Quinault, Blanchard et Durantet à la peine de mort.
Décharge leur mémoire de cette condamnation. »A la suite de ce jugement, le lieutenant Paulaud fut inculpé pour faux témoignage par le ministère de la Guerre et jugé les 4 et 5 octobre 1921 devant le conseil de guerre de la 13e Région militaire. Le commissaire du gouvernement requit 3 ans de prison et sa destitution mais, 7 ans après les faits, les preuves de sa culpabilité étant difficiles à établir, il fut finalement acquitté au grand mécontentement des anciens combattants. Selon l'historien Nicolas Offenstadt c'est le seul officier qui passa en jugement pour son rôle dans une exécution[10].
En juillet 1929, Emile Floch, frère du caporal Floch, porta plainte pour forfaiture contre les officiers jugés responsables de la condamnation de 1914 : le général Étienne de Villaret, le colonel Pinoteau et le commandant Guignot, mais cette plainte fut classée sans suite.
Lieux de mémoire
- Édifié sur le lieu de l’exécution, le monument de Vingré, fut inauguré le 5 avril 1925, en présence de nombreux anciens combattants du 298e RI. Il avait été financé par souscription à la suite d'une campagne de presse orchestrée par la Ligue des Droits de l'Homme et avec l’aide des départements de la Loire et de l’Allier. Rendant hommage à la mémoire des six martyrs, il est inscrit sur le monument : « Dans ce champ sont tombés glorieusement le caporal Floch, les soldats Blanchard, Durantet, Gay, Pettelet et Quinault du 298e R.I., fusillés le 4 décembre 1914, réhabilités solennellement par la Cour de Cassation le 29 janvier 1921. - Hommage des anciens combattants du 298e R.I. à la mémoire de leurs camarades morts innocents victimes de l'exemple»[11].
- Une rue des Martyrs-de-Vingré existe à Saint-Étienne, elle est située au cœur de l'actuel secteur piétonnier. Cette rue s'appelait auparavant rue des Réhabilités-de-Vingré.
- Le 4 décembre 2004, pour le 90e anniversaire de l’exécution, une plaque a été apposée sur le monument par le Président du Conseil Général de l’Aisne portant les noms des six fusillés et les faisant “citoyens d’honneur du département de l’Aisne”[12].
- Dans la petite commune d’Ambierle où ont été réinhumés Jean Blanchard et Francisque Durantet, une stèle (don de l’association laïque des Amis des Monuments Pacifistes de Saint-Martin-d’Estreaux et de la Loire, avec le soutien du Conseil Général de la Loire) rend également hommage aux six fusillés de Vingré.
Biographie des six soldats
- Jean Blanchard né le 30 septembre 1879 à Ambierle située dans le département de la Loire et la région Rhône-Alpes. Il s'est marié à Ambierle en 1912 avec Michelle Desiage, il a exercé le métier de cultivateur avant d'être rappelé sous les drapeaux en 1914. Il est enterré dans le vieux cimetière d'Ambierle.
- Francisque Durantet né le 5 octobre 1878 à Ambierle dans la Loire. Il s'est marié à Ambierle en 1906 avec Claudine Drigeard, ils auront deux fils. Il a exercé le métier de cultivateur. Il est enterré dans le vieux cimetière de Ambierle[13].
- Paul Henry Floch né le 31 mai 1881 à Breteuil. Il était greffier de justice de paix à Breteuil.
- Pierre Gay né le 30 novembre 1884 à Tréteau dans l'Allier. Il est le fils de François Gayet et Anne Luminet. Pierre Gay était marié à Marie Minard le 28 septembre 1912 à Tréteau[14].
- Claude Pettelet né le 13 février 1887 à La Guillermie dans l'Allier[15].
- Jean Quinault:(Sa fiche de décès indique qu'il s'agit de Jean QUINAUD, né le 14 mars 1886 à Saint Victor, Allier - Voir Mémoire des Hommes) Il vécut à Huriel située dans le département de l'Allier et la région Auvergne. Son nom est inscrit sur le monument aux morts de Huriel[16]. Sa tombe à Vallon-en-Sully dans l'Allier porte l'inscription "Martyr de Vingré"[17].
Notes et références
- ↑ Source Anovi
- ↑ Bizarrement les JMO du 298e RI, mis en ligne sur le site mémoire des hommes, ne commencent qu'a partir du 11 aout 1915 le JMO 26 N 743/8 du 11 août-15 septembre 1915
- ↑ Selon les témoignages recueillis lors des différentes audiences du procès en réhabilitation en 1920. Voir aussi "Je t'écris de Vingré, correspondance de Jean Blanchard", Éditions Soissonnais 14-18, 2006 (pages 129 à 134)
- ↑ Conseil Général de l'Aisne
- ↑ Source Anovi
- ↑ Circulaire du 7 juin 1916
- ↑ Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999), Nicolas Offenstadt, Odile Jacob, 1999, p.63
- ↑ Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999), Nicolas Offenstadt, Odile Jacob, 1999, p.63 : Entretien de Offenstadt avec Jean Claude Pettelet petit fils du fusillé
- ↑ Vestiges 1914 1918
- ↑ Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999), Nicolas Offenstadt, Odile Jacob, 1999, p. 76
- ↑ Mémorial GenWeb
- ↑ Bulletin d’information édité par le Conseil Général de l’Aisne
- ↑ Mémorial Genweb
- ↑ Mémorial GenWeb
- ↑ Mémorial Genweb
- ↑ Mémorial GenWeb
- ↑ Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective (1914-1999), Nicolas Offenstadt, Odile Jacob, 1999, p. 85
Voir aussi
Bibliographie
- Nicolas Offenstadt, Les Fusillés de la Grande Guerre et la mémoire collective, 1914-1999 Odile Jacob Novembre 1999.
- Denis Rolland, La grève des tranchées, Paris, Imago, 2005.
- Je t'écris de Vingré (Correspondance de Jean Blanchard, fusillé pour l'exemple le 4 décembre 1914), éditions du Soissonnais 14-18, 2006.
- Général André Bach, Fusillés pour l'exemple 1914-1915, Éditions Tallandier - 2003.
- Henri Andraud, Les Fusillés de Vingré, Éditions des imprimeries et papeteries commerciales, Clermont-Ferrand, 1922.
- Historique du 298e Régiment d'infanterie pendant la Grande Guerre 1914-1918, Imprimerie Souchier, Roanne, 1921.
- Robert Attal et Denis Rolland, La justice militaire en 1914 et 1915 : le cas de la 6e armée, Bulletin de la Fédération des Sociétés d'Histoire et d'Archéologie de l'Aisne, 1996.
- Jean-Antoine Forges, Les Fusillés de Vingré, collection Histoire et Généalogie (N° 2). Ceux du Roannais, 2004.
- Pierre Yrondy, Un crime : les fusillés de Vingré, L'oiseau de Minerve, Paris, 1999.
- R.-G Réau, Les Crimes des conseils de guerre, Éditions du Progrès, Tours, 1925.
- Les fusillés pour l'exemple, numéro spécial du Crapouillot, août 1934
- Marie Pamart, La Mémoire des fusillés de Vingré. Mémoire de maîtrise en Histoire contemporaine, Université Paris I - Sorbonne, 2003.
- Roger Monclin, Les damnés de la guerre. Les crimes de la justice militaire (1914-1918), Paris, Mignolet & Storz, 1934
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