Château la Nerte

Château la Nerte

Château la Nerthe


Château la Nerthe, à Châteauneuf-du-Pape

Le Château la Nerthe[1] est le plus ancien et l'un des plus grands domaines de Châteauneuf-du-Pape. Situé dans le sud-est de la zone d'appellation, son vignoble s'étend sur 90 hectares. Il jouxte celui des « Fines Roches », dans la même petite vallée, orientée nord-sud, qui traverse le « Domaine de la Solitude ». Sur un terroir composé d'un substrat de sable et d'argile, mais avec une couverture moindre de galets ronds que le proche « Château Fortia »[2], il produit des vins rouge et blanc châteauneuf-du-pape. Ses cuvées les plus prestigieuses sont : la « Cuvée des Cadettes »[3], pour le rouge, et le « Clos de Beauvenir  »[4], pour le blanc.

Sommaire

Étymologie

Elle est liée aux Tulle de Villefranche, une famille noble du Piémont, dont un des ressortissants, Jacques de Tulle, gentilhomme de la cour du comte de Savoie, faisait partie de la suite d'Amédée VII, le Comte Rouge, quand celui-ci descendit à Avignon pour rencontrer Charles VII en 1389. Celui-ci resta sur place et se maria[5]. Deux siècles plus tard, un de leurs descendants, Pierre de Tulle, prieur de la Nerte à Marseille, légua à son neveu et filleul Pierre la prtie des biens qui lui revenait sur le terroir de Châteauneuf-du-Pape. L'acte de donation, daté de 1593, fut rédigé pour « Pierre de la Nerte » et le filleul signa ainsi donnant ce nom à son nouveau domaine[6].

Historique

Renaissance

Ce terroir fut mentionné, pour la première fois, le 25 novembre 1560 sous le nom de « Beauvenir », lors de la vente qu'en fit Pierre Isnardi, docteur en droit, aux frères Pierre[7], Julien, Jean[8] et Claude de Tulle. L'acte préisait qu'il s'agissait « d'une bastide avec tout son affar et tènement, meubles, animaux et tout les fonds de terres pour le prix de 700 écus d'or »[5]. Le domaine, s'il ne l'était pas avant, fut planté en vigne à la fin du XVIe siècle, puisque un terrier déposé aux Archives départementales de Vaucluse fait état de « le vigne dudit Tulle »[6].

Période moderne

Le château actuel fut édifié, en 1736, à partir des plans qu'avaient faits l'architecte Jean-Baptiste Franque pour le marquis Jean-Dominique de Tulle. Puis, il fut complété par l'adjonction de nouveaux bâtiments en 1784[6].

Ce fut le marquis qui fit le premier le négoce de sa récolte. Il avait engagé un chargé d'affaires dont le courrier daté de 1731 a été conservés[9]. Dans un premier temps, cette initiative ne fut d'abord pas couronnée de succès. Le chargé d'affaires écrit :

« Je compte aller à la Nerte dans deux ou trois jours pour charrier votre vin ici[10] et empêcher qu'il ne se gâte. Si on trouve à en vendre à Châteauneuf, je le finirai. Monsieur de Capelle en prendra un tonneau, le Milord[11], trois tonneaux[6]. »

Une missive datée de quelques jours plus tard indique qu'il se désespère de vendre ce vin à Carpentras. Mais il réussit au delà de ses espérances puisque le marquis reçut une lettre de François-Marie Abbati, évêque de Carpentras, l'informant :

« Monseigneur Bichi a voulu voir le palais épiscopal, il est venu déjeuner à Saint-Félix[12]. Monseigneur qui aime le vin doux, trouva à son goût vostre vin de la Nerte. »

Information importante qui indique qu'alors, le vignoble de la Nerte était toujours planté en raisins muscats[13]. Quant à « Monseigneur », il s'agissait d'un important personnage venu de Rome, le neveu du cardinal Alexandre Bichi, qui avait été évêque de Carpentras de 1630 à 1657.

Dès lors, le vin de la Nerte fut lancé. En 1747, la marquise de Villefranche écrivit à son fils qui s'inquiétait des activités commerciales de son chargé d'affaires :

« Il compte vendre du vin à Beaune et à Lyon, à Gondrand, et je vois que notre vin prend faveur dans ce pays-ci, le prenant pour accommoder ceux de ce pays-là[6]. »

Un an plus tard, le vin était exporté via les ports de Marseille et de Hambourg à un négociant de Brême[6]. De 1772 à 1789, le marché s'élargit encore. L'abbé de Bayonne, auditeur de la Rote à Rome, passa commande, de même qu'un seigneur de la Cour du roi de Saxe et le duc de Crillon, qui se trouvait en Espagne, demanda qu'on lui envoya une barrique à Valencia. En France, il fut expédié au maréchal de Tonnerre, au duc d'Uzès, au duc de Chevreuse, au chevalier de Sade, au commandeur de Suffen, au cardinal de Luynes et au ministre Bertin[14].

En 1785 eut lieu une révolution avec la mise en bouteilles. Des négociants de Marseille reçurent deux paniers de quarante bouteilles à la suite d'une commande d'un de leur confrère de Gênes. Ce qui n'empêcha point le négoce traditionnel de se pérenniser puisque la même année, un transitaire du port de Sette réceptionna deux tonneaux[15] à affréter pour Londres[14].

Dès l'année suivante, l'exportation dépassa les frontières de l'Europe. Ce fut, en effet, en 1786, que, de Paris, le comte de Capelle, écrivit aux propriétaires, qu'il avait rencontré un négociant de Philadelphie « qui lui avait promis de faire son possible pour mettre le vin de La Nerte à la mode en Amérique ». Ce fut chose faite puisque la même année un fût put être expédié à Boston[14].

Période contemporaine

Sous l'influence des physiocrates, adeptes du « Laissez faire, laissez passer » mais d'une comptabilité rigoureuse, les premiers chiffres de production et d'exploitation apparaissent dès 1770. Grâce à eux ont sait que cette année-là, la récolte fournie 25 tonneaux, en 1778, elle s'éleva à 37, un an plus tard, elle explosa avec 71 tonneaux pour se stabiliser à 66 en 1781[14].

Cette dernière année, le tonneau, d'une contenance de 275 litres, s'était vendu 7 louis. En 1784, le vin mis en bouteille atteignit le prix de 10 sous[16] et l'investissement pour la période des vendanges a été noté. Les frais engagés furent :

3 journées pour préparer les cuves

2 livres, 8 sous

102 journées d'hommes

81 livres, 12 sous

101 journées de femmes

40 livres, 8 sous

24 journées pour presser le marc
et pour tirer le vin

19 livres, 4 sous

Total

143 livres, 12 sous

Aussi, en 1782, Michel Darluc, dans son « Histoire de Provence »[17] put écrire :

« Le vignoble du commandeur de Villefranche donne un très bon vin. On lui donne même la préférence sur celui de Châteauneuf-de-Gadagne[18]. »

En 1822, dans sa classification, le docteur André Jullien, qui considère La Nerte comme le meilleur vin du sud de Rhône, le place parmi les « vins de première classe » en expliquant :

« Les meilleurs vins se récotent dans le clos de la Nerte et de saint-Patrice. Colorés, ils ont du velouté et de l'agrément : le moment de les boire dans leur parfaite maturité est lorsqu'ils ont trois à quatre ans[19]. »

Et quand le mercredi 25 juin 1856 parut le premier numéro du « Moniteur Vinicole »[20], son fondateur Achille Larive, lança un « Appel aux propriétaires de crus ignorés »[21]. Il publia les résultats dans son édition du 10 septembre de la même année. Aux côtés des crus de Bourgogne et de Champagne, pour le « Comtat d'Avignon », il cita ceux du « Coteau Brûlé », à Sorgues[22], de « Lanerte » et de « Château-Neuf »[23].

Le commandant Joseph Ducos, propriétaire du château, mit sa pugnacité et sa fortune au service d'un vignoble dévasté par le phylloxéra. En 1893, il fit replanter et greffer grenache, mourvèdre, counoise, vaccarèse, cinsault, syrah, les premiers des treize cépages. Ce fut sur son initiative que le nom de la commune fut changé de Châteauneuf-Calcernier en Châteauneuf-du-Pape.

Pendant la deuxième guerre mondiale, le château devient le QG de l'État-Major de la Luftwaffe. Il fut occupé au cours du mois de juin 1943 et l'intérieur transformé de fond en comble pour les besoins du service. Les bâtiments à usage militaire, construits à proximité, furent bombardés le 14 août 1944 lors d'un raid de la Royal Air Force. L'aviation anglaise lâcha 22 bombes sur leurs cibles et réussit à éviter le château[24].

La Nerte devient la Nerthe

En avril 1985, les familles Motte et Leclerc, propriétaire du château, le cédèrent à deux négociants. Le premier, David et Foillard, installé à Sorgues était négociant en vin, le second, la société Richard, spécialisé dans la distribution. La direction du domaine fut confiée à Alain Dugas qui dirigeait déjà pour les négociants de Sorgues, le « Domaine de la Renjarde » à Sérignan-du-Comtat[2].

Robert Westmorland Mayberry, en commentant sa dégstation du millésime 1984, dans le chapitre I de son ouvrage, « Wines of the Rhone Valley », a pu remarquer :

« Il est clair que l'ajout du h au nom du château n'était pas le seul changement que les nouveaux propriétaires avaient eu à l'esprit. »

Une des conditions de l'achat fut que ce millésime, élaboré sous la direction d'un œnologue choisit par les futurs propriétaires, puisse comprter les treize cépages de l'appellation et que l'embouteillage ne se fit qu'après un passage en foudre. La tradition avait été revisité et d'emblée ce vignoble reprit sa place parmi les grands châteauneuf-du-pape[2].

Hommage de Frédéric Mistral et des félibres

Portrait de Frédéric Mistral par Paul Saïn

Le fondateur du Félibrige et prix Nobel de littérature, qui proclamait qu'à Châteauneuf-du-Pape, les vignerons élaboraient « un vin royal, impérial et pontifical »[25], glorifia celui de la Nerte dans « Le chant des félibres » :

« Alor que lou moust de la Nerto
Soutourlejo e ris dins lou got
Quand le moût de la Nerte
Vibre et rit dans le verre[24]. »

Cet hommage fut renouvelé par A. Jouannou, capistol de Provence, dans un poème qu'il adressa en 1932 à C. Bartoli, alors propriétaire de la Nerte :

« Bel ami, vosto Nerto es de sourco divino
E lou vin que bevien li troubadour
E ieu, per n'en chima de longo, se devino,
Que dounarieù, bessai, ma part de Paradis.
Bel ami, votre Nerte est de souce divine
Et le vin que buvaient les troubadours jadis.
ET moi, pour en boire longtemps, se devine
Que je donnerai, sans doute, ma part de Paradis[26]. »

Notes et références

  1. Le château a été orthographié La Nerte jusqu'à 1985. Robert Maybery, op. cit., p. 6, publie deux étiquettes du château, la première « millésime 1971 », est noté « Château La Nerte », la seconde « millésime 1984 » porte « Château La Nerthe ».
  2. a , b  et c Robert Mayberry, op. cit., p. 7.
  3. La « Cuvée des Cadettes »
  4. Le « Clos de Beauvenir »
  5. a  et b Robert Bailly, op. cit., p. 106.
  6. a , b , c , d , e  et f Robert Bailly, op. cit., p. 107.
  7. Pierre de Tulle était prieur de la Nerte à Marseille.
  8. Jean de Tulle fut évêque d'Orange de 1572 à 1608, son neveu et filleul Jean II de Tulle lui succéda de 1608 à 1640.
  9. Une partie se trouve aux Archives départementales de Vaucluse, l'autre à la Bibliothèque Municipale Ceccano d'Avignon.
  10. Robert Bailly indique qu'il s'agit de la ferme de Villefranche que le marquis possédait à Pernes-les-Fontaines.
  11. Robert Bailly indique qu'il s'agit de Lord Hay, comte d'Iverness, exilé à Sarrians, et dont le château est toujours connu sous le nom de Mylord.
  12. Saint-Félix était le château des évêques de Carpentras à Malemort-du-Comtat. R. Bailly, op. cit., p. 107.
  13. Les premières muscadières de Châteauneuf-du-Pape avaient été plantées à la fin de l'année 1364 sur ordre du pape Urbain V. Jean-Pierre Saltarelli, Les vins des papes d'Avignon, p. 77, Bulletin de la Société scientifique, historique et archéologique de la Corrèze, T. CXXIX, 2007.
  14. a , b , c  et d Robert Bailly, op. cit., p. 108.
  15. Le tonneau correspondait à une demi-queue du Comtat Venaissin qui contenait 275 litres.
  16. Robert Bailly, op. cit., p. 108, indique qu'en cette année 1784, il fut vendu un lot de 117 bouteilles pour 61 livres, 4 sous. Tandis que le salaire d'un vendangeur attaignait 16 sous par jour et celui d'une vendangeuse était réduit à 8 sous.
  17. Michel Darluc, Histoire naturelle de la Provence, contenant ce qu’il y a de plus remarquable dans les règnes végétal, minéral, animal, et la partie géoponique, T. 1, p. 232, Éd. J-J. Niel, Avignon, 1782.
  18. La commercialisation des vins du château la Nerthe, Robert Bailly, op. cit., pp. 57 à 59, indique que jusqu'au XVIIIe siècle, les vins de Châteauneuf-de-Gadagne rivalisaient avec ceux de Châteauneuf-du-Pape au point de vue de la qualité mais étaient vendus plus chers que ceux-ci.
  19. A. Julien, Topographie de tous les vignobles connus, Paris, 1822.
  20. Cet hebdomadaire pour le négoce en vins était sous-titré « Journal de Bercy et de l'Entrepôt »
  21. Le Moniteur Vinicole, n° 1, p. 2.
  22. Agricol-Joseph-François Fortia D'Urban, Antiquités et monumens du département de Vaucluse, Éd. Xhrouet, Paris, 1808
  23. Le Moniteur Vinicole, n° 12, pp. 46-47.
  24. a  et b Robert Bailly, op. cit., p. 109.
  25. J. Bordas, Avignon, capitale du bas Rhône, Mémoire de l'Académie de Vaucluse, T. VIII, 1943/1944.
  26. R. Bailly, op. cit., p. 138.

Bibliographie

  • Robert Bailly, Histoire du vin en Vaucluse. Domaines viticoles historiques, Éd. F. Orta, Avignon, 1972.
  • Robert W. Mayberry, Wines of the Rhone Valley, a guide to origins, Rowman & Littlefield Publishers, Totawa, New Jersey, U.S.A. , 1987.

Voir aussi

Liens internes

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