Roger Vailland (Leduc)

Roger Vailland (Leduc)
Roger Vailland
Un homme encombrant
Auteur Alain Georges Leduc
Genre Essai Biographie
Pays d'origine Drapeau de France France
Éditeur L'Harmattan
Collection Socio-anthropologie dirigée par Pierre Bouvier
Date de parution 2008
Couverture photo H. Varenne
Nombre de pages 230
ISBN 978-2-296-06511-6

Cet ouvrage intitulé Roger Vailland un homme encombrant de Alain Georges Leduc, écrivain, romancier et co responsable de l'association Les amis de Roger Vailland, est un essai biographique publié en 2008 sur l'œuvre et la personnalité de Roger Vailland.

Alain Georges Leduc a une grande pratique de Roger Vailland puisqu'il a obtenu le prix Roger-Vailland, en 1991, pour son second roman, Les Chevaliers de Rocourt, et depuis lors, ne cesse explorer l'homme et son œuvre.

Sommaire

Présentation et Contenu global

Alain Georges Leduc, un des meilleurs spécialistes de Roger Vailland, trace un portrait sans concession de l'écrivain et de son œuvre. Vailland s'adonna toute sa vie aux paradis artificiels chers à Baudelaire, attiré par "le dérèglement de tous les sens" cher à Rimbaud, comme lui aimait boire, adorait les femmes et « le grouillement des terrasses de café. Et plaçait très haut son exigence d'écriture. »

C'est aussi un homme de paradoxe alliant rigueur et surréalisme, communiste et libertin, dominé par des addictions mais amateur de sport et bourreau de travail quand il le fallait. Portrait contrasté donc d'un homme complexe à qui, écrit Alain Georges Leduc « on doit une mise à nu du bonheur et de l'abjection. »

Le libertin rationaliste

Scène de la bourgeoisie qu'il exécrait

Ce "libertin au regard froid"[1] selon l'expression de Sade qu'il affectionnait, se veut un homme libre, un homme du XVIIIe siècle, proche de ses modèles Casanova et Bernis qui se rencontrent à Rome[2] et Laclos qui va participer à la Révolution. Il exècre le XIXèle siècle, « ce qui me ferait plutôt plaisir, c'est écrivain du XXIe siècle » écrit-il en 1957.

Il se veut rationaliste athée[3], ne pouvant qu'être mal à l'aise avec ce fatras d'utopistes flirtant avec l'ésotérisme qu'ont souvent été beaucoup de surréalistes. En 1925, il se résout finalement à prendre un 'travail alimentaire' comme journaliste à Paris-Midi. Il a la plume facile, éclectique, polygraphe, et janvier 1931, est affecté à la section politique étrangère, voyant ainsi la montée des périls dans ses voyages en Abyssinie, Espagne, Portugal et Suède[4].

Le 11 mars 1929, André Breton et sa bande règle leurs comptes avec les membres du Grand Jeu, comme coupable désigné ils choisirent Roger Vailland estimé le plus dangereux. Il en sortira écrasé et « sa vocation ajournée » ajoute Alain Georges Leduc . Il dit aussi « qu'on ne s'improvise pas historien. L'anachronisme est le pire des charançons à qui entend moudre un bon blé. » Vailland sait déjà que le nazisme ne remet pas en cause la société capitalisme, au contraire. Déjà Jean Malaquais ait refusé un front uni contre le fascisme. Il rejoint la position du philosophe Herbert Marcuse qui pense que l'état totalitaire ne s'oppose pas au libéralisme mais en est bien la prolongement en période de crise. Dans les années trente, la vie de Vailland est ainsi faite d'un travail qu'il n'aime pas et de nuits de fête, surtout au Tabou dont il est l'un des fondateurs. Ce n'est pas pire que les frasques des surréalistes, du chassé-croisés des femmes entre André Breton et Emmanuel Berl dont parle l'auteur. Lui, pense sa vie comme un roman, une vie « traversée par la volonté, comme chez Hemingway, de faire le poids. D'en avoir ou pas. »

En 1940, ce dilettante met du temps à choisir, Pétain peut-être pas si mal que ça, aurait-il dit lors de son arrivée à Lyon où son journal s'était replié. À ce moment-là, il perçoit plutôt la guerre comme une esthétique[5] et finit par rejoindre la Résistance contrairement à un Breton planqué aux États-Unis. Cependant, il joue toujours au bravache, fier face aux Allemands sur le pont de Remagen ou en cavale au Château-Marion dans la Bresse. Son arme : l'orgueil, car si « Aragon n'est pas un lâche mais un faible, (il) avale toutes les couleuvres du Parti communiste, contrairement à Vailland qui ne peut s'y résoudre. (trop fier, trop macho). »

Esthétique et politique

Les mécanismes chers à Vailland : ici une presse à injecter

Comme en matière de littérature, en peinture Roger Vailland se tiendra à bonne distance du réalisme cher aux communistes. Plutôt qu'un affrontement, il s'abstient d'intervenir pour mieux affirmer ses goûts car « pour avoir une pensée, il vaut mieux avoir des goûts. Être soi, c'est dons affirmer ses goûts personnels. » Et ses goûts sont éclectiques, « Vélasquez comme figuratif, Soulages comme abstrait, l'un et l'autre pour les mêmes raisons  » lâche-t-il dans une interview. Avec Soulages, c'est une histoire d'amitié et il écrira sur sa technique et sa conception de l'art. Comme il le fera aussi avec son ami le sculpteur Costa Coulantianos.

Sur le plan politique, Alain Georges Leduc pense que « Roger Vailland n'est pas un écrivain communiste (comme on l'a dit trop souvent), c'est un écrivain qui a été communiste à un moment donné de sa vie, qui s'est battu avec les communistes dans les maquis puis sur le terrain social. » Il n'a que faire des dogmes culturels du Parti communiste, il s'intéresse d'abord à ses personnages, « qui sont construits, qui ont une épaisseur » comme Madru aux manettes de sa locomotive dans Un jeune homme seul. « Il godille dans le réel, phagocyte son modèle » écrit Alain Georges Leduc, même s'il fait parfois penser à Zola[6]. « S'il y eut plusieurs façons d'être communiste, Vailland et Aragon n'incarnèrent pas la même. »

Vailland, le rigoureux, le rationnel, a toujours été fasciné par la technique, le "trabucco" de La Loi[7], le bowling de La Truite ou même celle de son ami Soulages. Son admiration pour Laclos tenait aussi bien à l'inventeur du boulet creux qu'à cet autre boulet expédié à l'aristocratie pour dénoncer ses mœurs. Vailland l'a très bien analysé dans son essai Laclos par lui-même, d'où son admiration pour l'homme et ses Liaisons dangereuses.

Le lien entre l'homme libertin et l'homme de rigueur, on le trouve dans une lettre inédite de Vailland[8] qui écrit : « C'est bien vrai que l'érotisme que m'ont vivement reproché certains de nos camarades, n'est pas pour moi fuite mais tentative d'approcher, de réintégrer tout le réel... » Le réel va d'une certaine façon le rattraper en 1956 où il écrit de Prague : « Nous nous faisons un monde dans lequel Shakespeare serait un petit enfant. » Ce lien transparaît dans les propos de Guillaume Bridait que rapporte Alain Georges Leduc : « Le bolchevik n'a pas d'autre but que de permettre un jour au libertin de vivre pleinement sa vie dans une société libérée des tabous de la morale bourgeoise. » C'est bien l'idée de Roger Vailland que l'homme et la femme soient des êtres libres et égaux qui puissent devenir souverains[9].

Constantes et contradictions

L'orchidée de Boroboudour

Le prix Goncourt : une bonne surprise qu'il paiera cher. On va le traîner dans la boue, les attaques fusent, Jean Paulhan parle de 'livre préfabriqué', Marguerite Yourcenar en rajoute... Pourtant, Vailland étudie les rapports de force qui se tissent entre les classes en se basant sur des habitants du sud de l'Italie. Là aussi, l'argent règle les rapports entre les individus. Rien de nouveau : déjà dans le roman précédent, Marie-Jeanne valait 325.000 francs. Il est tiraillé entre les critiques de droite qui voudraient le récupérer et « incompréhension sinon dénigrement à gauche » répond Jean Sénégas dans le revue Révolution.

Au-delà de La Loi, on reconnaît la justesse et la clarté de son style, « sa capacité, ajoute Alain Geoges Leduc, extrêmement sensible d'analyse... le dindon de 325.000 francs, le bœuf écorché de Beau Masque ou l'orchidée de Boroboudour. » Pour Vailland, forme va avec maturité : « L'écrivain, quand il a atteint la maturité et quand il a quelque chose à dire, la forme devient la préoccupation essentielle. » Mais la licorne, métaphore de la femme qui lui est chère, se transforme parfois dans ses romans en femmes dominatrices comme Maris-Jeanne dans 325.000 francs ou Frédérique, la Truite aussi à sa manière, dans un autre genre.

Le journaliste mal dans sa peau d'avant-guerre fait place à un journaliste libéré qui part en reportage en Europe de l'Est ou en Indonésie, écrit pour les journaux de gauche comme Action et La Tribune des Nations. Il se veut homme d'action, manifeste contre la guerre de Corée, visite une exploitation agricole ou une aciérie, dénonce dans ses articles le racisme contre les arabes ou les juifs. Puis il s'éloigne des communistes, ne reprend plus sa carte d'adhérent à partir de 1959[10] mais il s'en éloigne par étapes sans claquer la porte. Il prend ses distances et du parti, et de la politique mais malgré tout écrira-t-il dans ses Écrits intimes, « quand on a pris l'habitude de brûler au feu de la politique, si le foyer s'éteint, on reste infirme. » Pour Alain Georges Leduc, Roger Vailland n'est pas désengagé mais dégagé : « Il faut dégager à temps » écrit-il dans La Fête. André Stil dans L'humanité dimanche va d'ailleurs éreinter ce roman mais cette attitude hostile ne l'atteint plus, il préfère la compagnie des militants de la base. Plus communiste mains toujours marxiste, il met en scène dans La Truite, flux de capitaux, mondialisation et chevaliers d'industrie; dès 1964, il pressentait cette évolution. En fait, il a toujours voulu dégager les tendances, être "en avance d'une longueur" sur les évolutions et, le communisme n'en étant plus capable, il cherche d'autres voies. Peu de temps avant sa mort, il s'intéressait à la vie dans les cités ou à l'existence des révolutionnaires d'Amérique latine et projetait d'y vivre. Les projets ne manquaient d'aller fouiner là où bouillonnaient les prodromes des changements futurs.

« Le reclus de Meillonnas »

Maison à Meillonnas

Chantre du libertinage et marxiste, 'dégagé ou désengagé' qui fait L'éloge de la politique[11], homme souverain qui a bien du mal à exercer sa souveraineté dans la vie et dans La Fête, ce sont ses contradictions qui font la richesse de Vailland et la densité de ses romans.

La contradiction suprême qui explique largement sa désaffection actuelle, est que lui, le communiste, -même s'il l'a été peu de temps- était surtout reconnu par des écrivains classés à droite. Alain Geoges Leduc a fait une enquête et trouvé de nombreux exemples comme Roger Nimier qui au-delà de leurs polémiques, « appréciait son style, sa façon d'écrire » et considérait Drôle de jeu comme « une leçon de liberté littéraire. » Beaucoup ont répondu positivement à Leduc parmi lesquels Michel Déon, Jacques Laurent, Michel Tournier ou Paul Guth qui lui trouve « une alliance exquise entre le libertinage élégant et le classicisme, entre la rigueur des traditions et le modernisme le plus aigu[12]. »

Ses contradictions, Roger Vailland les assument crânement - avec parfois une certaine provocation- libre, isolé, contrairement à un Aragon bien casé dans les profondeurs du Parti et n'hésitant pas à se contredire au gré de l'évolution de son parti[13].

Roger Vailland note en 1962 dans ses Écrit intimes : « Maintenant je consomme : consommer, consumer, se consumer, je me sers de tout pour achever de mettre en forme ma matière. » Et il ajoute cette phrase à un moment charnière où il est en pleine recherche, entre La Fête et La Truite, relisant ses essais pour en faire la somme[14] : « Une bonne mort, elle vient quand on n'a plus de désirs, de désir, on est consommé par soi-même, consumé, il ne reste même plus de cendres. »

Dans son dernier texte Éloge de la politique[15] publié en décembre 1964, il réclame « une bonne, belle, grande utopie » et même s'il n'a plus guère envie de formuler « des recettes pour les marmites de l'avenir, » il semble que ce ne soit pas de mise pour le moment.

Bibliographie

Ouvrages de référence de Roger Vailland 
À propos de ce livre
  • Roger Vailland un écrivain encombrant ?, Marc Le Monnier, site Roger Vailland - Voir Marc Le Monnier
  • Vailland vu au prisme de l'Histoire, Élizabeth Legros, revue Liberté hebdo, novembre 2008
  • Interview de Leduc
Autres ouvrages et divers 

Notes et références

Notes
Références
  1. Il consacrera pas moins de six ouvrage au libertinage : Éloge du Cardinal de Bernis, Esquisse pour un portrait du vrai libertin, Laclos par lui-même, Le regard froid, préfaces des mémoires de Casanova et des Liaisons dangereuses
  2. Voir son livre Éloge du Cardinal de Bernis
  3. rejetant à la fois le sentimentalisme de l'humanisme comme il écrira dans ses Écrits intimes et bien sûr toute religiosité, et avant tout le christianisme (voir son livre Le Saint-Siège)
  4. Voir son essai Suède40
  5. Voir son article publié le 11 janvier 1942 et intitulé La Conquistadora
  6. « Zola, archétype du roman réaliste, est alors apparu comme un extraordinaire réservoir de symboles, de figures mythiques et de fantasmes » a écrit Élizabeth Legros
  7. « Cet ensemble de mâts lancés en éventail au-dessus de la mer et soutenant un gigantesque filet polygonal. »
  8. Lettre reçue par monsieur Louis Thbaut et transmise à Alain Georges Leduc par son fils
  9. Sur ce concept fondamental chez Vailland, voir l'essai de Franck Delorieux Roger Vailland, libertinage et lutte des classes
  10. Le responsable de la fédération communiste de l'Ain Émile Machurat écrit au comité central le 16 juin 1959 que Roger et Élisabeth Vailland « n'ont pas repris leur carte du parti 1959 dans leur cellule habituelle de Meillonnas. » (Archives du Parti communiste de Bobigny, pièces 12 à 19)
  11. Voir Écrits journalistiques chapitre IV
  12. Voir aussi Les Cahiers Roger Vailland n°3
  13. À ce sujet, Alain Georges Leduc reprend cette citation d'Antoine Vitez : « La question de la sincérité n'a pas de sens pour qui se sent appartenir à un ordre. »
  14. Il en fera un recueil publié l'année suivante sous le titre Le Regard froid
  15. Paru dans le Nouvel Observateur et repris dans ses Écrits intimes page 809

Sites externes


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