Le Torero hallucinogène

Le Torero hallucinogène
Le Torero hallucinogène
Artiste Salvador Dalí
Année 1970
Type Huile sur toile
Dimensions (H × L) 398,8 cm × 299,7 cm
Localisation Salvador Dali Museum, St. Petersburg, États-Unis

Le Torero hallucinogène est une huile sur toile de Salvador Dalí, datant de 1970, elle est exposée au Salvador Dali Museum de St Pertersburg (Floride, États-Unis).

C'est une œuvre majeure du peintre sur laquelle il travailla 2 ans. Elle regroupe une grande partie des thèmes visuels de Dalí, éclatés en un foisonnement de détails et finalement rassemblés dans la grande figure bien cachée du torero suivant la méthode paranoïaque-critique, chère à l'auteur.

Dans la chronologie des œuvres majeures de Dalí, le Torero hallucinogène s'intercale entre la Pêche aux thons et la décoration du Teatre-Museu Gala Salvador Dalí.

Sommaire

Origine du tableau

Selon Dalí lui-même, c'est dans le dessin représentant la Vénus de Milo sur une boite de crayons à dessin de la marque britannique Venus Esterbrook achetée à New York qu'il découvrit l'image du torero s'intriquant dans celle de la Vénus. Ni Gala, ni personne de son entourage ne parvenait à visualiser la figure, pourtant évidente pour le peintre[1].

Description des différents éléments du tableau

  • Une arène délimite par son arrondi le sommet du tableau. Le thème tauromachique est également installé par la figure du taureau mort et le titre de l'œuvre. 12 gradins sont limités par un mur d'arcades, régulièrement disposées. Notons qu'on ne retrouve aucune signalisation caractéristique à l'intérieur du ruedo, ni callejon, ni burladero. L'impression est plutôt celle d'un sobre amphithéâtre antique. Une ombre arrondie divise la piste, correspondant aux traditionnelles zones "Sol y Ombre" des arènes. L'ombre délimite le bord gauche de la montera du torero.
  • La figure de la Vénus de Milo est omniprésente. Son buste entier apparaît 21 fois dont 4 fois de dos. On dénombre également un buste sans tête, 7 têtes isolées et un drapé à droite dont l'aspect minéral évoque les rochers du Cap de Creus. La représentation de la célèbre statue grecque, avec ses ombres très découpées, est à la base même de l'idée du tableau, les deux grandes figures principales formant l'essentiel du visage caché du torero. Si Dalí s'est toujours présenté comme l'héritier des grands maîtres de la renaissance italienne, il n'a pas non plus négligé dans son œuvre la statuaire antique  : Dématérialisation près du nez de Néron (1947), Figure rhinocérontique de l'Illisos de Phidias (1954), Le Colosse de Rhodes (1954) ou Athlète cosmique (1969). La Vénus de Milo était déjà apparue chez Dalí en 1936 dans un détournement surréaliste qu'il avait réalisé avec la complicité de son ami Marcel Duchamp : La Vénus de Milo aux tiroirs (1936).
  • Le personnage aux deux bras levés semble lancer en l'air une forme double arrondie en un geste énigmatique. Un examen attentif révèle qu'il s'agit en fait de la répétition légèrement déformée de l'ombre de la Vénus de Milo (plus facile à distinguer sur le buste central, au drapé vert). Pour s'en convaincre, le visage de la Vénus apparaît dans l'élément le plus supérieur.
  • Le visage de Gala apparaît dans une auréole dorée en haut à gauche du tableau. Son aspect sévère, voire réprobateur a été interprété par l'aversion que Gala portait à la tauromachie.
  • À l'opposé du tableau, en bas à droite, un petit garçon au cerceau en habit marin contemple la scène. C'est l'exacte réplique de même petit garçon qui regarde sans émotion apparente l'horrible figure du Monstre du sex-appeal de 1934. Il s'agit de Salvador Dalí lui-même. Que représente la forme allongée que tient le petit garçon de sa main droite ? L'enfant est déjà présent dès les premiers croquis de préparation du tableau[1] alors qu'il n'y a alors, outre le visage du torero que 4 Vénus de Milo, et la figue aux deux mains en l'air sur la gauche. Il s'agit donc d'une figure essentielle dans la signification de l'œuvre. Une des clés de l'œuvre s'annonce : Le torero, "celui qui va mourir" est une fois de plus l'image obsédante pour Salvador Dalí de son frère mort avant sa naissance dont il porte le prénom.
  • Une myriade de mouches couvre plusieurs parties du tableau, en haut à droite, à gauche et en bas à droite et l'intérieur de la silhouette aux bras levés. Certaines mouches (en bas à gauche) sont représentées avec un parfait réalisme et permet de reconnaître Lucilia sericata ou mouche verte dont les larves pullulent dans les cadavres. D'autres mouches sont schématisées par un rond noir et deux ailes. Dalí adorait les mouches de Port Lligat, il les laissait couvrir son corps et les considérait comme "les fées de la Méditerranée"[2]. Michel Déon raconte qu'il se faisait un délice de la lecture de l'Éloge de la mouche par Lucien de Samosate.
  • Les autres disques ou boules sans ailes, parfaitement alignées et quadrillées sont-ils aussi des mouches, ou des atomes ? D'autres nappes de boules géométriquement disposées se retrouvent chez Dalí : d'abord dans Galatée aux sphères (1952) puis dans le Portrait de mon frère mort (1963) où les points forment la trame d'impression d'un portrait de son éternel double. On retrouve plus tard les boules alignées dans l'Harmonie des sphères (1978) ou Jason portant la Toison d'or (1981),
  • Le Buste de Voltaire (dans le drapé rouge de la plus grande Vénus de Milo) apparaît une nouvelle fois dans l'œuvre de Dalí. Le visage émacié du philosophe est celui de la sculpture de 1795 représentant Voltaire assis par Jean-Antoine Houdon. Mais en y regardant de plus près, le visage est formé par la silhouette de deux femmes marchant, en habit du XVIIe hollandais et un troisième personnage de dos, à droite. L'image apparaît la première fois en 1940 dans le Marché d'esclaves avec apparition du buste invisible de Voltaire, puis dans la Disparition du buste de Voltaire (1941), Résurrection de la chair (1945). C'est sans aucun doute une des plus grandes réussites visuelles de Dalí, parfaite exemple de la méthode paranoïaque-critique.
  • L'image du taureau mort est traitée par des ombres en grisaille. On reconnait l'ultime moment de la faena où le taureau s'écroule, la tête encore droite, attitude très caractéristique. Les banderilles pendent sur le côté droit de l'animal. Une mouche verte auréolée d'or forme l'œil gauche du taureau et le rend particulièrement vivant.
  • Un carré de disques colorés rayonnent sur le dos de l'animal. De quoi s'agit-il ? Le centre semble indiquer l'endroit précis où l'épée du matador a apporté la mort. La structure est globalement identique à l'image constituant Galatée aux sphères de 1952. Une image y est vraisemblablement cachée, laquelle ?
  • Une autre image aussi traitée en grisaille au centre du bas du tableau reste énigmatique. On croit reconnaître une silhouette animale : un cheval mort étendu ? Celui du picador ? ou l'âne du chien andalou ? Mais aussi ceux de le Miel est plus doux que le sang (1926), Cenicitas (1928) ou l'Âne mort (1928).
  • La petite crique d'eau bleue est aisément identifiable avec sa petite barque de pêcheur : c'est l'inévitable crique de Portlligat, centre de la vie du peintre, incessamment reproduite. Mais c'est aussi une flaque de sang sortant des flancs du taureau agonisant.
  • 3 formes sombres allongées semblent représenter les ombres des 3 Vénus alignées en bas. Il s'agit en réalité de la silhouette voutée du personnage féminin de L'Angélus de Jean-François Millet, autre référence essentielle de Dalí.
  • Deux roses : une simple sur le drapé de la plus grande Vénus et une autre plus sophistiquée à droite. Elles rappellent la grande Rose méditative de 1958 et la Madone à la rose mystique de 1963.
  • Le coin en bas à gauche intrique plusieurs figures en un ensemble mystérieux : un nouveau buste de la Vénus de Milo, un autre buste de femme sans tête, une forme géométrique pyramidale, une autre cylindrique.
  • Deux anges entourent l'arcade centrale de l'arène. Dalí en a déjà peint dans l'Ange de Port Lligat (1952) ou Paysage de Port Lligat (1959).
  • Citons également un croissant de dernier quartier de lune à gauche.

La figure principale du torero

Mais la figure du torero doit encore se révéler : l'arrondi clair de l'arène forme la montera, le chapeau rond typique. l'œil droit est formé d'une tache blanche accolé à une pupille noire formée par la joue droite de la Vénus, d'où coule une larme irisée. L'œil gauche se distingue dans l'ombre, entre le bras et la poitrine de la plus grande Vénus. L'ombre sous le nez est l'ombre du sein gauche de la Vénus centrale, la bouche barre son abdomen. Le flanc droit de la grande Vénus de droite forme le bord de la pommette et de la joue gauche du torero. La chemise blanche est formée par les drapés des deux Vénus centrales et l'ombre verte représente la cravate. Un petit bouton fermant la chemise est même visible. C'est enfin le corps du taureau mort qui mime les chatoiement de la veste de l'habit de lumières (chaquetilla).

Le visage grave, triste, presque émacié est celui de Manolete, célèbre matador espagnol des années 40, tué par le taureau Islero le 29 août 1947 dans les arènes de Linares.

Les thèmes : mort et résurrection

Ainsi, la mort est omniprésente dans ce tableau dont elle est bien le thème principal : mort et sang du taureau dans l'arène, mort et larme du toréro, hommage au frère mort, les anges de la mort, les mouches cadavériques, cheval mort (?) et la femme de l'angélus dont Dalí était persuadé qu'elle priait pour son fils mort.

Mais cette mort est aussi intimement lié à la résurrection : Le taureau mort est immédiatement remplacé par un suivant dans l'arène, les mouches pondent une promesse de vie dans le cadavre, et Dalí est la résurrection de son frère homonyme mort avant lui.

Le torero dans ce sens, victime expiatoire d'un spectacle public, pourrait être une figure christique, en cohérence avec les thèmes chrétiens très développés par Dalí dans les années 1950 : la Cène (1955), Corpus Hypercubus (1954) et bien sûr le célèbre Christ de saint Jean de la Croix (1952).

Notes et références

  1. a et b Robert Descharnes et Gilles Néret, Salvador Dalí 1904-1989, Taschen, 2006, (ISBN 3-8228-5007-1)
  2. Journal d'un génie, éditions La table ronde, 1964, (ISBN 2-07-073811-6)

Lien externe

voir le tableau


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