- Antoine Claude
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Antoine François Claude dit Monsieur Claude, né à Toul, le 17 octobre 1807 ; date et lieu de décès inconnus (Vincennes ? ; après 1880). Sa vie n’est guère autrement connue qu’à travers ses « Carnets de notes »[1]. Aussi ne peut-on y voir de vrais mémoires bien construits. « Rien ne permet de douter de leur authenticité. Cependant, certains passages paraissent bien avoir été remaniés après sa mort, avant publication[2] ». Les éditions qui en furent extraites sont diversement composées.
Sommaire
Biographie
Sous la Monarchie de juillet
Issu d’une famille peu aisée, il bénéficie pourtant d’une excellente instruction et, à dix-neuf ans, il quitte sa ville natale afin de chercher fortune à Paris et ne plus être à la charge des siens. Il y sera aidé par un ami de la famille qui le placera comme « saute-ruisseau » dans une étude d’avoué. Il y reste trois ans et obtient, malgré le peu d’intérêt qu’il trouve à ce métier, le grade de second clerc. C’est alors, raconte-t-il, qu’en 1829, le hasard allait donner une autre direction à sa carrière en le mettant, au cours d’agapes, en présence d’un certain Lacenaire dont il devine instinctivement, sous des traits de bon vivant pris de boisson, toute la noirceur. Lacenaire se vantait, à ce moment précis, devant les convives, d’avoir tué en duel le neveu de Benjamin Constant. Claude prédit, alors, que ce personnage n’entrerait jamais comme prévu dans le notariat et qu’il ne pourrait s’empêcher de commettre forfait après forfait. Ses collègues d’abord incrédules furent bientôt surpris, à travers l’actualité brûlante, de la justesse de son jugement. Sa perspicacité unanimement reconnue suscite l’intérêt du greffier d’instruction criminelle auprès du tribunal de la Seine, qui, nonobstant sa jeunesse, lui propose d’entrer dans ses bureaux. Claude qui n’avait pas encore l’âge de vingt-cinq ans requis pour la fonction, arrivait sur un terrain où il allait se montrer supérieurement doué.
Sous Louis-Napoléon
Entré dans la police en 1832, nommé commissaire le 3 janvier 1848, d’abord à Meaux, puis à Passy, son premier coup d’éclat est de faire arrêter des factieux mazzinistes. Malheureusement, son activité sera de courte durée à cause de la chute, fin février, de Louis-Philippe. Il se voit rapidement incriminé, à travers les services accomplis sous l’ancienne magistrature, de l’obligation d’avoir eu « à frapper, sous Louis-Philippe, des coupables qui, sous la nouvelle République, devenaient tout à coup des héros ». Il est bientôt démis de ses récentes fonctions sur ordre ministériel et se retrouve sur le pavé, désemparé par ce tournant politique qu’absorbé par son travail de limier, il n’a pas vu venir. Il est bientôt secouru par le protecteur qui l’avait jadis accueilli à Paris[3] et qui le prend comme secrétaire. Il a ainsi l’occasion d’apprendre que cet ami fait partie d’un réseau clandestin bonapartiste qui a combattu Louis-Philippe et veut rétablir l’Empire.
La jeune République qui fit de Louis Napoléon son président ne dure que trois ans, le temps d’amener ce dernier au trône impérial en novembre 1852. Son protecteur devient sénateur, et Claude en tire toutes les conséquences : « Sans la révolution qui me délogea de mon poste de commissaire, je n’aurais jamais été le vigilant limier des plus grands criminels du Second Empire ; je ne me serais jamais mêlé à ses drames dont la Cour d’assises n’a laissé transpirer qu’une partie des mystères ». Sa carrière, de ce fait, est relancée, et Monsieur Claude – c’est ainsi qu’il fut constamment appelé, au point d’avoir fait oublier son prénom - travaille désormais sur la capitale : « En trois ans, je devins commissaire de police du quartier de Ménilmontant, commissaire du quartier Saint-Martin, commissaire des Halles et commissaire des théâtres de Paris ». Mais c’est l’affaire Orsini qui le promeut en haut de la hiérarchie : officier de paix, commissaire aux délégations judiciaires et, enfin, chef de la sûreté, poste qu’il occupera de 1858 à la fin de sa carrière en 1875. La Préfecture de police de Paris avait autorité sur tout le département de la Seine (en pratique, la région parisienne). La Sûreté générale ou Sûreté publique qui contrôle l’ensemble du territoire, dépendait, sous le Second empire, du Ministère de l’Intérieur. La Préfecture de Paris, « la Sûreté » tout simplement pour les Parisiens, en était redevenue dès 1852 un service séparé, avec une section politique et une section judiciaire.
Aux côtés d'Adolphe Thiers
La chute du Second empire lui imposera un douloureux intermède en le plaçant, comme le précédent changement de régime, dans une situation compliquée. Fidèle au pouvoir régulier établi à Versailles, il se trouve en relation étroite avec un homme qu’il connaissait depuis 1848, Adolphe Thiers, chef d’un gouvernement républicain de Défense nationale, proclamé le 4 septembre 1870. Ils ont à faire face à l’insurrection de la Commune, et le général Valentin est nommé au commandement de la Préfecture de police, poste où s’étaient déjà succédé rapidement trois autres. Claude revint travailler dans la zone parisienne où des individus qui étaient recherchés, hier, par la police, se sont hissés maintenant au premier plan de la révolte, en prenant de plus en plus d’ascendance et de pouvoir. Il a pour mission de surveiller les mouvements populaires et d’en faire parvenir des rapports à M. Thiers. Finalement, le limier de l’Empereur est arrêté par ceux-là même, écrit–il, qu’il avait naguère appréhendés.
Il est enfermé à la Santé où, en raison de son activité passée, il craint quotidiennement pour sa vie. La chance veut que la plupart de ses geôliers soient des gens qui le connaissent pour avoir précédemment été sous ses ordres et ne lui font donc pas subir de sévices. Seules, les décisions imminentes des nouveaux chefs de la Préfecture, Rigault et Ferré - celui-là même qui, d’après Claude, donnera l’ordre d’incendier le Palais de justice - anciens parias qui ont décidé sa mort, l’angoissent. Mais il va apprendre bientôt que les insurgés et le personnel de la prison ont commencé d’être infiltrés par des agents versaillais et qu’il peut compter alors sur quelques complices pour être provisoirement soustrait à la vindicte populaire. Début avril, les « Fédérés » de la Commune en marche contre le pouvoir gouvernemental de Versailles, échouent et se replient sur Paris qu’ils occupent solidement ; et ce n’est que les derniers jours de mai que les troupes régulières vont reprendre Paris rue par rue, pendant la Semaine sanglante.
Après avoir échappé de justesse aux représailles des Fédérés qui avaient armé jusqu’aux détenus « ordinaires », et à leur tentative de faire exploser la prison et tuer leurs otages, il est enfin libéré, le 24 mai, par les gardes nationaux. Mais Claude ne rencontre partout en traversant Paris qu’un spectacle de désolation : ruines, barricades, mitraillages, monceaux de cadavres et incendies : « Si je ne rêvais pas, j’étais fou ». Comme le Palais de justice, les Finances, les Tuileries et l’Hôtel de ville avaient été détruits, il eut la surprise de retrouver le corps de son bâtiment de la Préfecture encore intact et quelques fidèles employés qui l’avaient défendu contre le feu et la fureur des hommes. Soulagement de peu de durée puisqu’il apprend bientôt que sa maison a été réduite en cendres par les Fédérés. Mais il a encore la consolation de constater que sa famille et ses gens qu’il croyait un moment perdus se sont mis à l’abri et sont tous sains et saufs.
Rétabli pleinement dans ses fonctions, le policier est tout de suite à pied d’œuvre. En effet, après les terribles événements de l’année 1871, la situation est inquiétante. Les prisons, vidées par l’insurrection, ont éparpillé dans la population quantité de malfaiteurs qui profitent du désordre. Leurs dossiers ayant été détruits, leur condamnation est problématique. Les factions politiques, leurs espions et leurs sicaires s’entre-déchirent. « Je n’avais pas assez d’agents pour démêler la vérité du mensonge dans ces accusations sans nombre inspirées le plus souvent par des vengeances personnelles ». Claude doit souvent s’interposer pour ramener à plus de mesure la police qui tend à la répression la plus dure pour complaire aux tenants de l’ordre.
Démission
Monsieur Claude ne cède pas à la tentation d’être élevé au poste de sous-préfet de police, projet formé par l’amitié de Thiers spécialement pour lui, car il préfère se tenir éloigné des sphères politiques pour rester dans ses capacités, c'est-à-dire dans la fonction qui est la sienne depuis toujours : être exclusivement au service de la justice. Ainsi avait-il récusé, n’écartant pas « la possibilité d’un abus, par la résurrection d’un puissant ministère de la police susceptible de devenir un instrument tout préparé pour un coup d’État », l’organisation de la Préfecture de police par le gouvernement entre une section militaire, alors commandée par le général Valentin, et une section civile qui aurait eu lui-même pour chef. « […] connaissant l’esprit absolu de M. Thiers, c’était ma crainte de voir mon administration dévoyée ou divisée par une importance qui en faisait moins la servante de la magistrature que la garde prétorienne d’une dictature ». Mais Claude reconnaissait que la fusion des polices en un seul pouvoir pouvait être une solution d’avenir, tant le banditisme avait désormais « un plus vaste théâtre ouvert à ses crimes, par nos voies de communication qui le dérobe à l’action de la justice », car déjà apparaissait à cette époque, selon ses propres mots, « l’internationalisme du vol et du meurtre ». Thiers accepte mal, en cette année 1875, la démission d’un chef de la police sur lequel il comptait pour briguer une nouvelle fois la présidence de la République. Ce fut une déception de plus pour cet ardent politicien, déjà bien âgé pour affronter une si rude tâche, et qui mourra deux ans plus tard à quatre-vingts ans.
Une retraite bien méritée
Claude aura connu les grandes affaires judiciaires de son époque : Lacenaire, Lafarge, Orsini, Collignon, La Pommerais, Avinain, Lemaire, Troppmann, Victor Noir… Les derniers jours d’activité du policier qui ne se sent plus autant protégé à cause de la faiblesse de ses protecteurs, ne seront pas d’abord de tout repos. Les vengeances tenaces des anciens de la Commune viendront le tourmenter. « Parce que l’homme, dès qu’il occupe une fonction de l’État, ne peut fuir impunément les envieux, les jaloux ou les martyrs qu’il fait par la loi, ni les haines que l’application de la loi lui attire ». Il se retire à Vincennes, âgé de soixante-huit ans, et pour combler son temps libre trouve un emploi d’inspecteur principal dans la « Compagnie des Petites-Voitures »[4]. Cette sinécure pourrait justifier l’expression « être rangé des voitures »[5]. Pourtant, ce serait mal connaître monsieur Claude qui est un homme hyperactif : « Il n’entrait ni dans mon caractère, ni dans mes habitudes d’émarger sans agir ». Au sein de cette compagnie qui est un service public sous tutelle de la Préfecture, Claude contribue à de profondes réformes pour la sécurité et sera à l’occasion le conseiller du préfet de Police, Renault, dont le service est débordé devant une délinquance « dix fois plus nombreuse que les gardiens de la paix ».
Par sa circonspection, ses réflexes professionnels, la vigilance de son garde de corps - un ancien subalterne qui s’était installé en voisin – et son ancien réseau de « coqueuses », Claude va échapper à une dernière vengeance, un dernier attentat. Puis le temps passant et l’âge venant, il deviendra un modeste retraité, enfin au repos complet : « On ne reconnaissait plus en moi ce redoutable policier dont le vif bonheur consiste aujourd’hui à se réchauffer au soleil, à assister […] aux parties de boules des inoffensifs joueurs de cochonnet »[6].
Un policier en avance sur son temps
« Ma vie a été un véritable roman ». Claude fait partie de cette caste d’hommes qui peuvent ainsi résumer leur vie. Pourtant, s’il y a chez lui un plaisir du devoir accompli, il n’y a aucune autosatisfaction. Avec franchise, il a calculé ses succès mais aussi ses échecs, tout de même un peu dépité d’avoir poursuivi un but inaccessible en raison du nombre croissant de criminels mais aussi « en raison des conditions sociales qui ont paralysé mes efforts, de l’instabilité de nos institutions dont j’ai failli devenir la victime ». Mais, à aucun moment, il n’a abdiqué, toujours prêt à traquer le criminel. Chez lui, pas d’arrivisme non plus. Il n’a jamais été ni amer ni cynique, ni implacable, guidé par son sens profond de l’humanité et sa foi républicaine : « la police devrait être préservatrice et non provocatrice ». De Paris et de ses banlieues, il donne les tableaux les plus pittoresques comme les plus sinistres : maisons borgnes, masures délabrées, bouges, vide-bouteilles, fossés, égouts, caves ; ou encore les souterrains du Trocadéro ; le Bois de Boulogne (« véritable forêt de Bondy ») ; le quartier des Allemands (aux Buttes-Chaumont), un repaire de Prussiens ; les carrières d’Amérique (Quartier de Belleville), une nouvelle Cour des Miracles où nichent les Enfants de la loupe, les Filendèches et, beaucoup moins innocents, les Romanichels et les Hirondelles (des marginaux qui logent sous les ponts et dans les ruines)…
C’est surtout sa faculté d’adaptation qui étonne en lisant ses souvenirs, car il aura vécu les heures les plus mouvementées de l’histoire de son pays, en surfant sans sombrer sur tous les scandales et tous les complots. Il a commencé sa carrière quand Vidocq était près de terminer la sienne. Claude va critiquer ses méthodes, moins parce qu’elles sont fatalement révolues, qu’à travers le recrutement insensé de l’ancien bagnard qui, ne dédaignant pas la brutalité, s’appuyait sur des individus plus que douteux, toujours prêts à manger à tous les râteliers et qui apportaient plus de problèmes que de solutions. Quitte à n’en avoir pas suffisamment, Claude choisit des hommes dévoués à leur tâche, sûrs, intègres, et à la fibre républicaine, même si leurs noms, La Fouine, Le Requin, Bagasse, Œil-de-lynx… semblent plus sortir des Mystères de Paris que de la réalité. « À ce titre, il est bien le premier inventeur des Incorruptibles »[7]. La stratégie de Vidocq se basait sur la « filature » et « l’îlot[age] » tandis que pour Claude les moyens de locomotion, qui commenceront pour lui par le développement du chemin de fer, l’internationalisme et le cosmopolitisme réduisent désormais quasi à néant leur efficacité. Claude est un visionnaire et se concentre sur la psychologie, la manipulation, et, plus surprenant encore, il aborde ses enquêtes avec une méthode toute rationnelle : examen minutieux des traces, des empreintes ; confrontation du criminel et de la victime ; observation attentive des individus, la forme de leur crâne, leur faciès, leurs expressions, leur démarche… Bref, « en cela, il est encore le précurseur, sinon l’inventeur de la police scientifique moderne »[8].Notes
- La première édition connue en plusieurs volumes a commencé en 1881, chez l’éditeur Jules Rouff
- Introduction par François Clermont-Tonnerre (Éditions de Crémille-Éditions de Saint-Clair, 1968)
- il ne le nomme toujours que par les initiales M. de L…
- cette société créée en 1855 est un loueur de voitures de place (les fiacres). Elle avait obtenu de la ville de Paris des emplacements de stationnement privilégiés.
- d’après la trouvaille de François Clermont-Tonnerre qui a titré ce chapitre (édition de Crémille)
- On ne connaît pas où, quand, comment Antoine Claude, devenu anonyme, termina ses derniers moments de paix.
- F. de Clermont-Tonnerre (préface)
- F. de Clermont-Tonnerre (préface)
Bibliographie
Mémoires de Monsieur Claude :
- Éditions Jules Rouff; 1881-1885 ; en 10 volumes
- Le Club Français du Livre (version abrégée) ; 1962 ; 320 pages
- Les Amis de l'Histoire (version abrégée) ; 1968 ; 370 pages
- Éditions Arléa (version abrégée ?) ; 1999 ; 490 pages
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