Épictète

Épictète

Épictète, en grec ancien Ἐπίκτητος / Epíktêtos, qui signifie « homme acheté, serviteur », (Hiérapolis, Phrygie, 50Nicopolis, Épire 125 ou 130) était un philosophe de l’école stoïcienne.

Sommaire

Biographie

Epictète est probablement né à Hiérapolis (sud-ouest de la Phrygie). Emmené à Rome, il passe son enfance comme esclave au service de Epaphrodite (un affranchi de l’empereur Néron) dont la tradition fait un maître cruel (il lui aurait cassé la jambe, d'où le surnom donné d'Épictète le boiteux). Il aurait prévenu son maître en disant "la jambe va casser" sans plus de plainte, et une fois le malheur arrivé, aurait conclu par un "je t'avais prévenu"[1].

Épictète réussit cependant à assister aux conférences du stoïcien Musonius Rufus. Par la suite, il est lui aussi affranchi dans des conditions qui restent indéterminées, même si on suppose en général que c'est à la mort de son maître. Il se met alors à l'étude de la philosophie et du stoïcisme en particulier. Mais en 89 ou 94, il doit quitter Rome à la suite d'un édit contre les philosophes, dicté par l'empereur Domitien qui s’accommode mal de l’influence du stoïcisme parmi les opposants à son régime tyrannique[2].

Épictète se retire à Nicopolis d'Épire où il vit dans la pauvreté en compagnie d'une femme et d'un enfant qu'il a adopté. A Nicopolis, il ouvre une école stoïcienne qui connaît un grand succès. Pendant plusieurs années, il enseigne sous la forme de discussions et de remises en question. Ses contemporains semblent avoir la plus grande estime pour la qualité de son enseignement. Selon Spartianus, il revient ensuite à Rome où il devient familier de l'empereur Hadrien, mais le fait est incertain[3]. Selon la Souda, il vit jusqu'au règne de Marc-Aurèle, mais d'après Aulu-Gelle, Épictète est déjà mort quand celui-ci arrive au pouvoir[4]. Il est conjecturé qu'il enseigna à Julius Rusticus[5], qui devint plus tard l'enseignant de Marc-Aurèle et l'introduisit à la philosophie Stoïcienne par l'intermédiaire d'Épictète.

Épictète n'a laissé aucun écrit, mais l'un de ses disciples, Arrien, a recueilli ses propos regroupés en deux ouvrages: Les entretiens (διατριβαί [diatribai]) et Le manuel (Enchiridion) qui résument sa doctrine sous la forme d’aphorismes. Son héritage a été conservé à travers un unique manuscrit, datant du XIe ou XIIe siècle, et conservé à la bibliothèque d'Oxford.

Voici le déroulement des cours d'Épictète, tel qu'Émile Bréhier l'a reconstitué:

« La séance commençait par une leçon technique, faite par le maître ou par un disciple : commentaire d'un texte de Chrysippe ou de Zénon ou encore exercice de logique ; après quoi, souvent à l'occasion d'une question posée par un auditeur, le maître se laissait aller à une improvisation, libérée de toute forme technique, dans un style souvent brillant et imagé, plein d'anecdotes, ayant recours à l'indignation et à l'ironie[6]. »

Doctrine

La philosophie d’Epictète se veut pratique, comme un ensemble de règles permettant de mettre en application de grandes valeurs morales. La droiture d’esprit qu’il préconise lui fait rejeter les effets de style des orateurs, les joutes pseudologiques des sophistes et la recherche effrénée des honneurs. Si l'étude de la logique est importante, c'est en tant qu'elle est au service de la morale pratique. Il n'y a là aucun rejet de la réflexion, puisque c'est elle qui fait que la raison n'est pas une faculté comme les autres, et que l'homme, né comme un animal, est destiné à devenir le spectateur du cosmos et l'interprète des intentions de la Providence.

La question principale à laquelle tente de répondre la philosophie d’Épictète est de savoir comment il faut vivre sa vie. Face à cette première interrogation, tous les autres grands questionnements de la philosophie sont de peu d’importance à ses yeux. À cette fin Épictète se pose tout d’abord la question de l’existence, ou non, d’une ‘nature des choses’ qui est invariable, inviolable et valable pour tous les hommes sans exception. Sa réponse est claire: la ‘nature des choses’ existe et il la formule, au début de son Manuel, en disant que, de toutes les choses du monde, certaines sont en notre pouvoir exclusif tandis que d’autres ne le sont pas. Nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinaisons, nos aversions — en un mot, toutes nos actions — appartiennent à la première classe des choses et il les appelle ‘prohairetiques’. Le corps, les biens, la réputation, les dignités — en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions — appartiennent à la deuxième classe des choses et il les appelle ‘aprohairetiques’. Qu’est-ce donc la ‘prohairesis’? Épictète nous montre que la prohairesis est la faculté qui nous fait différents de tous les autres êtres vivants. Elle est la faculté qui nous permet de désirer ou d’avoir de l’aversion, de ressentir un besoin impulsif ou de la répulsion, de dire oui ou non, selon nos jugements. Les choses prohàiretiques sont libres par leur nature justement parce que la liberté de notre prohairesis est absolue: elle ne peut être restreinte ni par la douleur, ni par la mort, ni par quoi que ce soit qui lui est extérieur. Si notre prohairesis fait que nous nous accommodons d’un fait quelconque c’est qu’elle a ainsi décidé.

Ainsi, bien que nous ne soyons pas responsables des représentations qui naissent librement dans notre conscience, nous sommes absolument et sans aucun doute responsables de la manière dont nous faisons usage de celles-ci. D’après Epictète il est primordial de garder à l’esprit qu’en dehors de notre prohairesis il n’existe ni bien ni mal, et qu’il est vain de tenter de modifier la nature des choses. Quel est donc le critère qui nous permet de respecter dans n’importe quelle situation la nature des choses? Epictète nous explique que ce critère est un jugement qu’il faut apprendre par la philosophie et il appelle ce jugement ‘dihairesis’. Face à tout ce qui est aprohairetique (événements, objets, individus, etc.) quelle est alors l’attitude qu’il faut avoir? Il faut avoir l’attitude du bon joueur d’échecs, c’est-à-dire le courage de jouer et de vaincre.

Et si on perd la partie? Perdre aussi fait partie de la nature des choses. Si on perd la partie, la dihairesis qui nous guide nous empêche de faire quelconque réclamation pour ce qui advient et qui ne dépend pas de nous. En effet, il faut accepter ce que les événements et le destin nous apportent, tant que ceci n’est pas de notre ressort. L’Homme est partie intégrante d’un système qui le dépasse. Plutôt que de s’opposer vainement au sort qui lui est réservé, il l’accepte et dit merci pour l’occasion qu’il a eu de jouer, car il comprend le divin qui est en lui et fait raisonner sa vie au diapason de ses jugements guidés par la dihairesis. Cela signifie que, pourvu qu’on ait sauvegardé la liberté de notre prohairesis et respecté les règles du jeu, même si on a perdu le match d’un jour, le vrai match a toujours été gagné.

Pour le stoïcien rien ne sert de vénérer la nature, les dieux ou d’autres maîtres. Seuls des principes rationnels doivent permettre de comprendre • ou simplement accepter - le mouvement du monde et des hommes. C’est par une analyse rationnelle qu’il détermine ce qui ne dépend pas de lui, et c’est grâce à cette même raison qu’il définit ses jugements sur le monde.

Les modèles historiques auxquels Epictète fait penser sont Diogène et Socrate. D’après ses Discours on peut tracer le portrait de ce qui serait pour lui le stoïcien accompli. Ce sage serait libre et heureux même s’il n’avait ni pays, ni maison, ni terres, ni femme, ni enfant, ni esclaves, et même si son lit était le sol et son seul toit était le ciel. Il souffrirait sans se plaindre les moqueries et les coups jusqu’à aimer son bourreau comme un frère ou un père. Il est l’égal des héros et des dieux car il a vaincu ses démons intérieurs : la souffrance, la peur, le désir

Citations

  • Devise d'Épictète : "Supporte et abstiens-toi" (apéchou kai épéchou) (Aulu-Gelle, Nuits attiques, XVII, 19).
  • On dit qu'il rédigea ainsi sa propre épitaphe : « Je suis Épictète, esclave, estropié, pauvre comme Irus et cependant aimé des dieux[4] ».
  • « Tu es citoyen du monde et partie de ce monde, non pas une des parties subordonnées, mais une des parties dominantes, car tu es capable de comprendre le gouvernement divin et de réfléchir à ses conséquences" (Entretiens. Livre 2. Chapitre 10).
  • « IV. SOUVIENS-TOI donc que, si tu crois libres les choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui dépendent d'autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. Au lieu que si tu crois tien ce qui t'appartient en propre, et étranger ce qui est à autrui, jamais personne ne te forcera à faire ce que tu ne veux point, ni ne t'empêchera de faire ce que tu veux ; tu ne te plaindras de personne ; tu n'accuseras personne ; tu ne feras rien, pas même la plus petite chose, malgré toi ; personne ne te fera aucun mal, et tu n'auras point d'ennemi, car il ne t'arrivera rien de nuisible. » - Le manuel -
  • « XI. ACCUSER les autres de ses malheurs, cela est d'un ignorant ; n'en accuser que soi-même, cela est d'un homme qui commence à s'instruire ; et n'en accuser ni soi-même ni les autres, cela est d'un homme déjà instruit. » - Le manuel -
  • « XIX. Si tu veux avancer dans l'étude de la sagesse, ne refuse point, sur les choses extérieures, de passer pour imbécile et pour insensé. » - Le manuel -
  • « XLVIII. Les dieux ont créé tous les hommes afin qu'ils soient heureux ; ils ne sont malheureux que par leur faute. » - Les entretiens -
  • Ne dis pas : "Je fais de la philosophie", dis : "Je m'affranchis".
  • « Raisin vert, raisin mûr, raisin sec. Tout n'est que changement, non pour ne plus être mais pour devenir ce qui n'est pas encore. »

Postérité

Marc Aurèle le cite ou l'évoque à plusieurs reprises[7]. Son exemple est également mis en exergue par Origène comme modèle de martyr païen (épisode de la jambe cassée)[1]. Il est cependant à peu près oublié durant le Moyen Âge même si des écrits apocryphes circulent parfois (Dialogue d'Hadrien et d'Épictète). L'ouvrage d'Arrien n'est traduit en latin qu'à partir de 1453 et la première édition en grec paraît en 1535[8]. Une première traduction française[9] paraît en 1567 à Poitiers sous la plume d'André de Rivaudeau.

Blaise Pascal écrit en 1655-1656 les Entretiens avec Monsieur de Sacy sur Épictète et Montaigne où il rend hommage au philosophe.

La pensée politique d'Alain est très marquée par la lecture d'Epictète.

Bibliographie

Œuvres

  • Arrien, Les Entretiens (διατριϐαί [diatribaí])
  • Arrien, Le Manuel d'Épictète (Ἐγχειρίδιον Επικτήτου [Enchiridion Epiktetou])
  • Les Commentaires d'Epictète, ouvrage inconnu, cité par Marc-Aurèle en I.VII et vraisemblablement perdu.

Études

  • Simplicios, Commentaire sur le Manuel d'Épictète, Leyde, Brill, 1996
  • J-B. Gourinat, Première leçons sur le Manuel d'Épictète, Paris, PUF, 1998
  • Th. Colardeau, Étude sur Épictète, Paris, 1903
  • Pierre Dulau, "Commentaire du Manuel d'Epictète", Paris, Gallimard, Folioplus philosophie, 2009.
  • J.J. Duhot, Épictète et la sagesse stoïcienne
  • Joseph Moreau, Épictète ou le secret de la liberté, Paris, Seghers, 1964

Notes et références

  1. a et b Origène, Contre Celse, livre VI
  2. Paul Petit, Histoire générale de l’Empire romain, Seuil, 1974, (ISBN 2020026775), p. 120
  3. Histoire Auguste, Vie d'Hadrien, 16
  4. a et b Aulu-Gelle, Nuits Attiques, livre II, 18
  5. Manuel d'Épictète, Flammarion, coll. « GF », Paris, 1997 (ISBN 978-2-0807-0797-0), p.9
  6. Émile Bréhier, Les Stoïciens, Paris, Gallimard, 1962, coll. "Tel", t. II, p. 803. Bréhier renvoie également à son Histoire de la philosophie, t. I, p. 422.
  7. Marc Aurèle, Pensées pour moi-même, livre VII, 19
  8. Épictète, Gabriel Germain, Points sagesses, p147-151
  9. André de Rivaudeau La traduction française du Manuel d'Épictète

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