École d'économie autrichienne

École d'économie autrichienne

École autrichienne d'économie

L’École autrichienne d’économie, dite parfois École de Vienne, est une école de pensée économique hétérodoxe qui prend comme point de départ l'individualisme méthodologique; elle rejette l’application à l’économie des méthodes employées par les sciences naturelles et s’intéresse aux relations causales entre les événements, dont l’origine est l’action des individus, objet d'étude de la praxéologie.

Hors l'individualisme méthodologique, l'école autrichienne développe une conception subjective de la valeur et l'importance du marché comme révélateur des préférences individuelles et régulateur de la société. Ses partisans défendent généralement des idées libérales en matière économique et plus généralement d’organisation de la société.

On la fait généralement débuter en 1871 avec la publication par Carl Menger de ses Principes d'économie. Ses principaux représentants sont Carl Menger, Eugen von Böhm-Bawerk, Ludwig von Mises, Friedrich Hayek et Murray Rothbard. Le terme « école autrichienne » a été utilisé pour la première fois vers 1870 par les économistes allemands de l'école historique, comme terme de mépris envers les thèses de Carl Menger, opposées aux leurs.

Sommaire

Historique

On considère habituellement que la tradition autrichienne est issue de Carl Menger, généralement associé à Léon Walras et William Stanley Jevons dans l’invention du marginalisme. En réalité, ces trois auteurs ont soutenu des positions différentes sur de nombreux sujets, et sont à l’origine de trois écoles de pensée distinctes. L'école autrichienne découle ainsi spécifiquement des idées de Menger et elle prend corps progressivement, sous le nom d'école de Vienne ou d'« école psychologique »[1].

Plus anciennement, la tradition autrichienne se rattache à une tradition ancienne qui passe par les scolastiques espagnols du XVIe siècle, (École de Salamanque) et les économistes classiques français comme Jean-Baptiste Say ou Frédéric Bastiat.

Sous l’impulsion de Carl Menger et de ses deux premiers disciples Eugen von Böhm-Bawerk et Friedrich von Wieser, la tradition économique autrichienne connaît un essor remarquable dans les trois premières décennies du vingtième siècle, pour se diviser ensuite en plusieurs courants. Wieser s’oriente rapidement vers un rapprochement avec la théorie walrasienne de l’équilibre général, voie sur laquelle le suivront des auteurs comme Schumpeter et Hayek qui fut son étudiant avant de travailler pour Mises à l'Institut für Konjunkturforschung ("Institut de Recherches sur la Conjoncture" devenu institut allemand pour la recherche économique) que celui-ci avait créé.

Puis, fuyant la montée du nazisme dans les années trente, les économistes autrichiens trouvent refuge dans le monde anglo-saxon, et beaucoup se rapprochent plus ou moins des thèses dominantes dans les pays d’accueil, principalement la Grande Bretagne et les États-Unis.

D’autres, au premier rang desquels Ludwig von Mises, restent fidèles à la pensée de Carl Menger en ce qu’elle se distingue de celle de Jevons et Walras, et ont des disciples locaux fidèles qui assurent la persistance jusqu’à nos jours d’une école autrichienne spécifique.

L’École autrichienne s’est développée à travers un certain nombre de controverses portant sur la nature même de la discipline économique. La première de ces controverses connue sous le nom de Methodenstreit, oppose Menger à l’École historique allemande menée par Gustav von Schmoller, qui soutient qu’il n’existe pas de lois générales des phénomènes économiques. Sur l’autre aile, elle se double d’une opposition permanente à Léon Walras et aux néoclassiques, initialisée par Menger et poursuivie par Böhm-Bawerk et Mises. La troisième, lancée par Menger contre la conception objective de la valeur, se prolonge contre Marx et le socialisme avec Böhm-Bawerk, Mises et Hayek. Enfin la quatrième, contre Keynes et les macro-économistes, est lancée par Mises et développée par Hayek. Ces controverses sont encore vivaces et mettent la tradition autrichienne en conflit avec presque toutes les autres écoles de la pensée économique contemporaine.

La conception autrichienne de l’économie

Surtout connue (et combattue) pour ses positions politiques libérales, qui condamnent l'intervention de l’État dans l’économie, l’École autrichienne se caractérise en réalité principalement par ses positions épistémologiques et méthodologiques concernant la nature de la discipline économique.

La matière qu’étudie l’économie est faite de phénomènes sociaux complexes résultant de l’action des êtres humains, qui consiste à mettre en œuvre des moyens pour atteindre des fins, les relations entre fins et moyens aussi bien que les fins elles-mêmes étant établies par chaque individu et faisant intervenir son libre arbitre et sa raison.

L’École autrichienne affiche donc une conception du jugement de valeur comme acte de la pensée, ce qui a conduit à la qualifier de "subjectiviste". La valeur d’un objet singulier - et non pas d'une classe d'objets - est le jugement qu’un être pensant porte sur la capacité de cet objet à servir ses projets, et c'est là son seul lien avec les attributs matériels de la chose. La valeur ne se prête donc à aucune mesure ni comparaison, ni addition entre les individus, réalité que d'autres économistes reconnaissent verbalement, mais sans en tirer toutes les conséquences. Elle varie suivant les projets, les personnes qui forment ces projets et la disponibilité des substituts.

Chaque acte économique a un très grand nombre d’effets, et chaque phénomène économique observable résulte de la conjonction des effets d’un très grand nombre de causes. Il en résulte que l’économie est une discipline différente des sciences physiques : l’expérimentation y est impossible, mais l'introspection nous permet de connaître directement les faits fondamentaux de l'action, dont découlent la plupart des lois économiques : seule la complexité de leurs interactions fait donc obstacle à l’analyse.

Pour les économistes autrichiens, la méthode de raisonnement applicable à l’économie est donc de partir de notre connaissance de nous-mêmes en tant qu’êtres humains agissants pour en dériver par simple déduction logique les lois qui régissent les phénomènes. Cette méthode « a priori » soutenue par la logique, est semblable à celle des mathématiques. Elle s’oppose à la méthode expérimentale ou hypothético-déductive des sciences physiques (dualisme méthodologique).

Par exemple, la proposition « l’homme agit » est incontestablement vraie puisque nier que l’homme agit serait déjà une action (contradiction performative ou pratique). Dans L’Action humaine, Mises montre que cet « axiome de l’action » implique nécessairement les catégories de fin, de moyen, de causalité, d’incertitude, de préférence temporelle, et, de proche en proche, de valeur, de coût, d’intérêt, etc., et engendre enfin toute la théorie économique.

Mais ces lois économiques sont purement qualitatives et décrivent les effets d’une cause prise isolément. Les phénomènes concrets, qui résultent de la conjonction d’une infinité de causes indépendantes, sont essentiellement imprévisibles. En particulier, le raisonnement mathématique leur est inapplicable.

Cette conception est appelée « réalisme abstrait » : abstrait car elle prend en compte les caractéristiques des êtres humains réels et de leurs actions une par une et non dans leur ensemble ; réaliste parce que les caractéristiques retenues sont effectivement présentes chez les humains réels, contrairement aux hypothèses constitutives de l’homo œconomicus de la théorie néoclassique. Pour les « autrichiens », une explication d’un phénomène économique n’est valide que si elle rattache logiquement ce phénomène à ses causes ultimes, qui sont par définition les choix volontaires d’êtres pensants (individualisme méthodologique). La tradition autrichienne récuse donc la distinction entre microéconomie et macroéconomie : elle reconnaît comme contradictoires et tient pour dépourvus d'intérêt les agrégats comme le niveau général des prix, le taux d’inflation ou le produit intérieur brut, ainsi bien sûr que les relations fonctionnelles postulées entre ces statistiques.

Les positions substantielles

L’École autrichienne étudie les processus de changement en plus des tendances à l'ajustement, considérant les états d’« équilibre » comme des constructions imaginaires utiles au raisonnement, notamment pour dégager les effets de l'incertitude, mais irréalisables et même impensables et naturellement incapables de justifier aucune norme. Ses apports originaux se situent principalement dans les domaines où elle se sépare de l’économie néoclassique, c’est-à-dire ceux où le passage du temps, l’incertitude, les limitations intrinsèques de l’esprit humain et son libre arbitre jouent un rôle crucial, en particulier :

Il faut néanmoins se garder de voir ces apports comme de simples variantes ou des compléments par rapport aux autres théories, en oubliant que la tradition autrichienne repose sur des bases épistémologiques différentes, qui impliquent des incompatibilités et des contestations radicales.

À titre d'exemple, voici un résumé de la théorie autrichienne des cycles économiques, qui repose sur les conceptions autrichiennes du capital, de l’entrepreneur, de la valeur, du marché et de l’intérêt, illustre le mode de raisonnement des économistes autrichiens, et conduit à des préconisations radicalement opposées à celles de l’économie « orthodoxe ».

Dans la conception autrichienne, le capital est un ensemble structuré de biens utilisés dans les processus de production et non une masse homogène résumée par un équivalent monétaire macroscopique. À chaque processus de production est associé un ensemble de biens capitaux particuliers, et chaque bien capital occupe une place particulière dans le processus de production. La liste des biens et la population des producteurs ne sont pas exogènes ; leur formation et leur évolution sont des sujets fondamentaux de la théorie économique.

Une entreprise est un assemblage spécifique de moyens de production, notamment de biens capitaux, pour produire des biens ou services spécifiques. Ces assemblages n’existent pas a priori mais doivent être construits par des agents économiques. Créer et faire fonctionner de tels assemblages constitue la fonction d’entrepreneur. Cette fonction est distincte à la fois de celle d’apporteur de travail et de celle d’apporteur de capitaux (avec lesquelles elle peut se combiner).

Pour comparer des plans d’actions alternatifs, l’entrepreneur utilise un outil appelé « calcul économique », qui consiste essentiellement à estimer la différence entre les revenus tirés de la production et le coût des ressources utilisées dans cette production, la différence constituant le profit de l’entrepreneur. Ce calcul utilise les prix de marché observés ou prévus. Il peut être effectué ex ante pour établir les plans d’action de l’entreprise ou ex post pour en estimer les effets réels, cette utilisation ex post étant la base de la comptabilité.

Si les prix résultent du libre fonctionnement du marché, la théorie autrichienne considère qu’ils représentent correctement la valeur que la société attache aux différents biens. Le profit de l’entrepreneur est alors un indicateur de la valeur que la société attache à l’activité de l’entreprise, en même temps que la rémunération de l’activité propre de l’entrepreneur.

Les entrepreneurs vont normalement lancer tous les projets dont la rentabilité prévisionnelle est supérieure au taux d’intérêt du marché, et notamment procéder aux investissements nécessaires, complétant ainsi la structure du capital par l’acquisition de moyens de production plus ou moins spécifiques.

Or l’entrepreneur ne peut prévoir ni le comportement futur des consommateurs, ni celui des autres producteurs, qui sont soumis à une incertitude radicale non probabilisable. Les résultats réels peuvent donc être différents des résultats attendus, et le profit attendu peut ne pas se matérialiser. Dans un marché libre, cela indique que les consommateurs préfèrent les biens consommés par cette production aux biens qui en résultent. L’assemblage spécifique de moyens de production qui constitue l’entreprise doit alors être défait et les moyens, en particulier le personnel, rendus disponibles pour d’autres usages dans la mesure du possible.

Dans le cas normal, les conséquences de cet échec sont limitées à l’entreprise, à son environnement immédiat et au marché des biens concernés. Pour qu’il y ait crise généralisée, il faut que les calculs de tous les entrepreneurs soient faussés, ce qui ne peut résulter que de manipulations de la monnaie et/ou des taux d’intérêt qui servent de référence aux calculs de tous.

Dans la théorie autrichienne, les taux d’intérêt observés sur le marché ont plusieurs composantes, dont le « taux originaire » qui traduit la préférence pour le présent des agents, c'est-à-dire leur propension à consommer aujourd’hui plutôt qu’à l’avenir. Un taux faible indique une faible préférence pour le présent, c'est-à-dire à la fois une forte tendance à épargner et l’intention de consommer beaucoup dans le futur.

Dans un marché libre, le taux s’établira à un niveau cohérent avec les intentions réelles des consommateurs. Si le taux d’intérêt est artificiellement maintenu trop bas, soit directement par décision des autorités, soit par création monétaire abondante, les entrepreneurs croient que les consommateurs veulent investir plus que ce qu’ils souhaitent réellement. Ils vont donc engager des projets d’investissements qui ne sont pas justifiés par les intentions réelles des consommateurs, et qui devront donc tôt ou tard être abandonnés. Et comme cette erreur de prévision touche tous les entrepreneurs, l’abandon des projets entraîne une crise généralisée.

Les autrichiens voient donc les cycles économiques comme formés d’une phase ascendante d’investissements provoqués par des manipulations de la monnaie et de l’intérêt, mais non justifiés par la demande réelle, suivie d’une phase descendante où les investissements réalisés à tort sont obligatoirement abandonnés, entraînant baisse des revenus et chômage, mais nécessaire pour rétablir une structure de capital cohérente avec la demande. Les crises économiques apparaissent ainsi comme la conséquence inévitable des booms artificiels. Ils en déduisent que toute intervention étatique pour empêcher ou retarder la crise est contre-productive, et que le seul moyen d’empêcher les crises est de ne pas créer de boom artificiel par la manipulation des taux d’intérêt et de la monnaie. Ils recommandent notamment de laisser le marché fixer librement les taux d’intérêt.

Sur les moyens de limiter la création monétaire, les économistes de la tradition autrichienne se divisent en deux camps. Outre les taux de change flottants, les uns recommandent le régime de l’étalon-or et la limitation des crédits consentis par les banques au montant de leurs actifs. Les autres recommandent le système de la banque libre, considérant que des banques libres de leurs décisions mais supportant pleinement les conséquences de leurs actions, concurrentes entre elles pour l’émission et le maintien en circulation de signes monétaires et sans possibilité de recours à une banque centrale, seraient obligées par leurs clients et par la concurrence de maintenir un taux de réserve relativement élevé qui les garantirait contre le risque .

Les positions politiques

La théorie économique ayant pour but de décrire les effets des politiques et des institutions, les économistes autrichiens ont eu l'occasion de montrer que les interventions de l'Etat en économie n'ont que des effets destructeurs et le plus souvent contraires aux intentions de leurs auteurs. C'est ce qui a conduit la plupart des économistes de l’École autrichienne à soutenir le libéralisme dans le domaine économique.

Cela les a conduits à redécouvrir les philosophes politiques libéraux, comme Locke l'inspirateur de Murray Rothbard. Cependant Ludwig von Mises tout en exposant le caractère illusoire de la plupart des propositions étatistes, ne croyait pas à la possibilité d'une philosophie morale rationnelle et prônait la neutralité axiologique chère à Max Weber.

Principaux économistes autrichiens

Précurseurs

Œuvres fondatrices

  • Carl Menger : Principes d’économie (Grundsätze der Volkswirtschaftslehre, 1871)
  • Carl Menger : Recherches sur les méthodes des sciences sociales, en particulier de l’économie politique (Untersuchungen über die Methode der Sozialwissenschaften, und der politischen Ökonomie insbesondere, 1883)
  • Eugen von Böhm-Bawerk : Théorie positive du capital (Kapital und Kapitalzins, 1884)
  • Ludwig von Mises : La théorie de la monnaie et du crédit (Theorie des Geldes und der Umlaufsmittel, 1912)
  • Ludwig von Mises : L'Action humaine, traité d'économie (Human Action, a Treatise on Economics, 1949)
  • Murray Rothbard : Man, Economy, and State (1962) suivi de Power and Market (1963)

Notes et références

  1. Israel Kirzner (1987). "Austrian School of Economics," The New Palgrave: A Dictionary of Economics, v. 1, pp. 145-51

Voir aussi

Bibliographie

  • Thierry Aimar (2005), Les apports de l'école autrichienne d'économie. Subjectivisme, ignorance et coordination, Paris: Vuibert, 315 p., (ISBN 2711775194)
  • Thierry Aimar, « l'actualité théorique de la pensée économique autrichienne », Sociétal, 3e trimestre 2006, p.25-30
  • Stéphane Longuet, Hayek et l'école autrichienne, Nathan, 1998, (ISBN 2091901156)

Liens externes



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