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Frédéric Bastiat
Frédéric Bastiat (Bayonne, 30 juin 1801 - Rome, 24 décembre 1850) est un économiste, homme politique et polémiste libéral français. Entré tardivement dans le débat public, il marque la France du milieu du XIXe siècle en prenant part aux débats économiques : il collabore régulièrement au Journal des Économistes et entretient une polémique virulente avec Proudhon. Il participe à la vie politique française et est élu à l'Assemblée sur les bancs de la gauche. Il développa une pensée libérale, caractérisée par la défense du libre-échange ou de la concurrence et l'opposition au socialisme et au colonialisme. Relativement tombé dans l'oubli en France, il bénéficie d'une renommée internationale, en particulier grâce à ses Harmonies économiques[1]. Il est considéré comme un précurseur de l'école autrichienne d'économie et de l'école des choix publics[2].
Sommaire
Biographie
Sa famille était originaire de Mugron, dans les Landes, où il vécut la plus grande partie de sa vie, et où se trouve aujourd'hui une statue le représentant[3]. Il était le fils d'un négociant aisé qui mourut alors qu'il avait 9 ans. Sa mère étant morte deux ans plus tôt, il vivra alors avec ses grand-parents paternels.
Il quitte l'école à 17 ans pour rejoindre le commerce familial. Selon Thomas DiLorenzo c'est ce qui lui permettra de bien connaître les mécanismes essentiels du marché[4]. Sheldon Richman constate également qu'il grandit dans le contexte des guerres napoléoniennes qui sont marquées par un fort interventionnisme étatique[5]. Dans les années 1820, il entre dans la franc-maçonnerie à la loge La Zélée[6]. Il en devient garde des sceaux en 1822, et orateur en 1823[réf. nécessaire]. En 1846, il est élu membre correspondant de l'Institut de France.
Économiste et pamphlétaire, il eut une carrière publique très brève (à peine 6 ans) : il débuta par des articles dans le Journal des Économistes en 1844, crée et devient en 1846 rédacteur en chef d'un journal libre échangiste publié à Paris, et fit paraître plusieurs ouvrages dans lesquels il combattait à la fois le système prohibitif et le socialisme.
Il est élu député des Landes en 1848 et réélu en 1849. Il siège à chaque fois à gauche mais vote avec les conservateurs ou les socialistes selon les lois. Il s'en revendique dans sa profession de foi électorale de 1849, déclarant : « On a rapproché mes votes de ceux de l'extrême gauche. Pourquoi n'a-t-on pas signalé aussi les occasions où j'ai voté avec la droite ? »[7]. À l'Assemblée il était vice président de la commission des finances.
À l'Assemblée et en dehors, il n'a de cesse de combattre le protectionnisme et le socialisme, ainsi que de promouvoir le libre-échange et les droits de l'individu. Il sera en particulier l'un des plus fervents défenseurs des idées de Richard Cobden et les ligues anti Corn Laws. Sa première contribution au Journal des économistes sera d'ailleurs en défense du libre-échange et fustige les politiques colonialistes[8]. Il créa l'Association pour la liberté des échanges et écrit un livre sur Richard Cobden.
Il avait été également conseiller général à partir de 1831 et juge de paix du 28 mai 1831 au 30 novembre 1846. Il contracte la tuberculose durant le tour de France qu'il avait entrepris pour promouvoir les idées libérales.
Il ne peut plus siéger régulièrement à l'Assemblée et part en Italie pour tenter de se rétablir. Il meurt à Rome en 1850, déclarant sur son lit de mort que Gustave de Molinari était son fils spirituel. Il a été inhumé en l'église Saint-Louis-des-Français de Rome.
Pensée
La pensée de Bastiat est une pensée fondamentalement individualiste et libérale. Il défend de manière constante la liberté de l'individu face à toute autorité, écrivant :
« Il y a trop de grands hommes dans le monde; il y a trop de législateurs, organisateurs, instituteurs de sociétés, conducteurs de peuples, pères des nations, etc. Trop de gens se placent au-dessus de l'humanité pour la régenter, trop de gens font métier de s'occuper d'elle »— Frédéric Bastiat, La Loi (1850)
Défense du libre-échange
Écrivain au style direct, ses écrits (articles ou pamphlets) manient les comparaisons pédagogiques et les fables satiriques, et visent à débusquer les principaux mythes ou sophismes entretenus autour de l'État (cette grande fiction à travers laquelle tout le monde s'efforce de vivre aux dépens de tout le monde), du socialisme (la spoliation légale), de la richesse (le profit de l'un est le profit de l'autre), de la solidarité (il m'est tout à fait impossible de concevoir la Fraternité légalement forcée, sans que la Liberté soit légalement détruite, et la Justice légalement foulée aux pieds), de l'impôt, de l'interventionnisme, etc. Il utilisait sinon régulièrement les pamphlets et la polémique, en particulier contre Proudhon avec lequel il polémiquera 13 semaines dans le journal La voix du peuple.
La satire de Bastiat la plus célèbre (qui vise le protectionnisme) est sa pétition au Parlement français de la part des fabricants de chandelles[9], qui demandent à être protégés « de la compétition ruineuse d'un rival étranger » qui leur livre une concurrence déloyale en fournissant sa lumière à des prix trop bas (ce fournisseur est... le soleil !). Cette pétition s'achève par la demande d'une « loi qui ordonne la fermeture de toutes fenêtres, lucarnes, (…) par lesquelles la lumière du soleil a coutume de pénétrer dans les maisons ».
Concernant le libre-échange, il défend d'une part le libre-échange réciproquement choisi mais montre également comment il est plus intéressant de pratiquer le libre échange, même face à des pays protectionnistes. Toute protection est spoliatrice pour Bastiat, alors qu'à l'inverse le libre-échange permet un effet multiplicateur de richesses.
Le consommateur au coeur de l'économie
Il se place du côté de l'individu consommateur et non du producteur (Théorie de l'abondance contre théorie de la disette). Selon Jacques Garello, c'est le seul économiste du XIXe avec Richard Cobden à préfigurer les théories du consommateur développées au XXe siècle par Ludwig von Mises, Friedrich Hayek ou Pascal Salin[10].
L'action de l'État
Il développa à d'autres reprises cette thèse selon laquelle l'action étatique est le résultat des demandes des groupes de pression. On lui doit ainsi la définition célèbre de l'Etat :[11]
« L’État, c'est la grande fiction à travers laquelle tout le monde s’efforce de vivre aux dépens de tout le monde »— Frédéric Bastiat, Journal des débats
Bastiat a une vision minarchiste de l'Etat, qui doit assurer la justice et la sécurité et laisser les individus interagir librement. Il écrit ainsi :
« N’attendre de l’État que deux choses : liberté, sécurité. Et bien voir que l’on ne saurait, au risque de les perdre toutes deux, en demander une troisième. »— Frédéric Bastiat, Harmonies économiques
En matière économique, il insiste souvent sur la distinction entre ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas (on parlerait aujourd'hui des coûts cachés ou des effets pervers). Ce thème, élargi pour critiquer l'activité interventionniste de l'État, est développé à l'origine dans sa parabole du Sophisme de la vitre brisée.[12] L'argent dépensé pour réparer une fenêtre cassée apportera du travail au réparateur ; ce dernier pourra augmenter ses dépenses, ce qui produira plus d'affaires pour d'autres. Ce qu'on ne voit pas ici, c'est que l'argent aurait aussi été dépensé, et simplement autrement, si la fenêtre n'avait pas été cassée. La fenêtre cassée a seulement détourné de l'argent vers d'autres dépenses. Selon Bastiat, un État peut agir parfois de la sorte en prenant aux plus actifs pour subventionner des groupes d'intérêt, des associations corporatistes ou assister les inactifs. Il souligne que cela ne créera jamais de richesses pour la société, voire que cela en détruira probablement.
Conception subjective de la valeur
Il a développé une conception subjective de la valeur dans la lignée de Jean-Baptiste Say et de Turgot et en opposition aux travaux d'Adam Smith ou de David Ricardo qui recherchaient un fondement objectif de la valeur. L'école autrichienne d'économie reprendra cette veine subjective dans ses travaux. A de nombreux égards Bastiat préfigure d'ailleurs cette école de pensée économique : théorie du capital, théorie subjective de la valeur, praxéologie, etc[13].
Sécurité sociale
Il est un des premiers à dénoncer les dérives possibles des futurs systèmes d'assurance maladie. Fervent défenseur des caisses de secours mutuel, il s'oppose à toute nationalisation de ce système avec force, déclarant par exemple dans ses Harmonies économiques : « Les abus iront toujours croissants et on en recalculera le redressement d'année en année, comme c'est l'usage jusqu'à ce que vienne le jour d'une explosion. Mais alors, on s'apercevra qu'on est réduit à compter avec une population qui ne sait plus agir par elle-même, qui attend tout d'un ministre ou d'un préfet, même la subsistance, et dont les idées sont perverties au point d'avoir perdu jusqu'à la notion du Droit, de la Propriété, de la Liberté et de la Justice »[14].
Autres positions
Il a également pris part dans le débat d'idées en combattant la peine de mort, l'esclavage et défendant le droit syndical, s'opposant en cela aux socialistes. Ainsi, dans un discours sur la répression syndicale à l'Assemblée du 17 novembre 1849, il déclare à propos de la législation interdisant le droit de grève : « Vous avouez vous-mêmes que, sous l’empire de votre législation, l’offre et la demande ne sont plus à deux de jeu, puisque la coalition des patrons ne peut pas être saisie, et c’est évident : deux, trois patrons déjeunent ensemble, font une coalition, personne n’en sait rien. Celle des ouvriers sera toujours saisie puisqu’elle se fait au grand jour »[15]
Influence
Il acquiert une importante notoriété en son temps, tant en France qu'à l'étranger. Ainsi, Gustave Flaubert d'écrire à George Sand le 7 octobre 1871 : « Dans trois ans tous les Français peuvent savoir lire. Croyez-vous que nous en serons plus avancés ? Imaginez au contraire que, dans chaque commune, il y ait un bourgeois, un seul, ayant lu Bastiat, et que ce bourgeois-là soit respecté, les choses changeraient ! ». Dans les mêmes années, le Cardinal Pecci, futur Léon XIII, dira de lui : « Un célèbre économiste français (Frédéric Bastiat) a exposé comme en un tableau les bienfaits multiples que l'homme trouve dans la société et c'est une merveille digne d'être admirée »[16].
Actuellement, sa renommée et son influence sont surtout importantes à l'étranger alors qu'il reste méconnu en France. Ainsi, jusque récemment, on ne trouvait certaines de ses œuvres (dont La Loi[17]) que sur Internet et en anglais, alors qu'il les avait écrites en français. Ceci a changé avec la floraison de sites en langue française qui, désormais, permettent d'accéder en version originale aux textes et discours de Frédéric Bastiat.
Frédéric Bastiat était régulièrement cité par Ronald Reagan[18] et Margaret Thatcher comme l'un des économistes les ayant influencés le plus. Ainsi Margaret Thatcher déclarait-elle : « En me replongeant dans les écrits de Bastiat, j'ai découvert une défense de la liberté et de l'autonomie individuelle à la fois élégante et puissante », ou bien « Bastiat nous a rappelé que le sens du pouvoir va des individus vers le haut, et non de l'État vers le bas. C'est un message de tous les temps. » De même Alain Madelin lui reconnaît une influence majeure : « Fondamentalement, Bastiat nous rappelle que la pensée libérale, avant d'être une pensée économique, est aussi et surtout une pensée philosophique, juridique et politique de la libération de l'homme. »
Nombre d'économistes se sont aussi construits dans la continuité ou en réaction à ses idées : Dans ses réponses à Keynes, Friedrich Hayek citait régulièrement Bastiat tandis que Karl Marx critiquera les théories de l'économiste notamment dans la postface de la deuxième édition du Capital (1872) et dans les Théories sur la plus-value[19].
Un prix annuel[20], le prix Bastiat, est décerné en sa mémoire par le International Policy Network ; il récompense un article de presse illustrant et défendant les libertés économiques et sociales.
Œuvres
Les œuvres complètes de Frédéric Bastiat dans l'édition Guillaumin de 1862 sont disponibles en ligne sur Wikipedia Commons.
- Tome premier, Correspondance, mélanges
- Tome deuxième, Le libre-échange]
- Tome troisième, Cobden et la Ligue ou L'agitation anglaise pour la liberté des échanges
- Tome quatrième, Sophismes économiques. Petits pamphlets.] Contient : Sophismes économiques; Propriété et loi ;Justice et fraternité; L'État; La Loi ; Propriété et spoliation; Baccalauréat et socialisme ; Protectionnisme et communisme
- Tome cinquième, Sophismes économiques. Petits pamphlets. Contient : Spoliation et loi; Guerre aux chaires d'économie politique ; correspondance avec F. C. Chevé et avec Pierre Joseph Proudhon ; Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas; Abondance ; Balance du commerce ; Paix et liberté ou le budget républicain ; Discours sur l'impôt des boissons ; Discours sur la répression des coalitions industrielles ; Réflexions sur l'amendement de M. Mortimer-Ternaux ; Incompatibilités parlementaires
- Tome sixième, Harmonies économiques
- Tome septième, Essais, ébauches, correspondance
Des éditions sont également disponibles sur Gallica et sur Google livresBibliographie
- Gérard Minart, Frédéric Bastiat: 1801-1850: le croisé du libre-échange, Ed.L'Harmattan, Paris, 2004, (ISBN 978-2747560306)
- Jacques Garello, Aimez-vous Bastiat, Ed.Romillat, Paris, 2004, (ISBN 978-2878940664)
- Robert Leroux, Lire Bastiat : Science sociale et libéralisme, Éditions Hermann, 2008, (ISBN 2705667156)
Références
- ↑ Pascal Salin explique cela par la trop grande clarté de ses écrits, reprenant une citation de Bastiat: « Le public est ainsi fait qu'il se défie autant de ce qui est simple qu'il se lasse de ce qu'il ne l'est pas » (in Midi à quatorze heures, ébauche de pamphlet reprise dans Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, Romillat, 1993
- ↑ Maurice Baslé et Alain Gélédan, Histoire des pensées économiques, Sirey, 1993, p.108
- ↑ Anecdote amusante, sa maison natale est désormais la perception de la ville, Source : Biographie de Frédéric Bastiat sur Catallaxia
- ↑ (en)Frédéric Bastiat sur le Mises Institute
- ↑ (en)Biographie de Frédéric Bastiat par Sheldon Richman
- ↑ Interview dans L'Express de Jean Crouzet, historien, auteur d'ouvrages sur la maçonnerie bayonnaise.
- ↑ Profession de foi électorale de 1849
- ↑ Son titre était De l'influence des tarifs français et anglais sur l'avenir des deux peuples. Il y explique pourquoi l'Angleterre, grâce à la liberté du commerce, dépassera bientôt la France, retardée par son protectionnisme
- ↑ Première série des Sophismes économiques, chap. VII.
- ↑ Jacques Garello, Les Echos, 2001
- ↑ L'État, Journal des Débats, numéro du 25 septembre 1848
- ↑ Ce qu'on voit et ce qu'on ne voit pas, chap. I.
- ↑ (en)Frederic Bastiat (1801-1850): Between the French and Marginalist Revolutions, Thomas DiLorenzo, Ludwig von Mises Institute
- ↑ Bastiat et la sécurité sociale
- ↑ Frédéric Bastiat, Discours sur la répression des coalitions, in Œuvres complètes de Frédéric Bastiat, 5e tome, p.501
- ↑ Citations reprises par Jacques Garello dans Aimez-vous Bastiat, Romillat, 2004
- ↑ Pourtant tiré à plus d'un million d'exemplaires et dont 15 000 exemplaires sont pourtant vendus chaque année aux États-Unis
- ↑ Reagan disait même de lui qu'il était son économiste préféré.
- ↑ Lettre à Kugelmann, Karl Marx
- ↑ voir Bastiat prize
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