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Ziggourat
Une ziggourat, ou ziggurat, est un édifice religieux mésopotamien à degrés constitué de plusieurs terrasses supportant un temple construit à son sommet. Le terme vient de l'akkadien ziqqurratu(m) (sumérien U6.NIR), dérivé du verbe zaqāru, « élever », « construire en hauteur »[1]. Il s'agit du monument le plus spectaculaire de la civilisation mésopotamienne, dont le souvenir a perduré bien après sa disparition par le récit biblique de la Tour de Babel, inspiré par la ziggurat de Babylone. Depuis la mise au jour des grandes capitales mésopotamiennes, plusieurs de ces bâtiments ont pu être analysés, même s'il n'en reste plus qui soit intact, et que beaucoup sont dans un état très délabré. Peu de descriptions des ziggurats proviennent de la civilisation mésopotamienne, que ce soient des textes ou des images. On en trouve également des mentions chez des auteurs grecs (Hérodote et Ctesias). Si l'aspect général des ziggurats nous est maintenant connu, il existe toujours des points d'ombre quant à leur fonction et surtout leur signification.
Sommaire
Développement et localisation des ziggurats
Les temples sur terrasse
Historiquement, les ziggurats sont probablement les héritières des édifices cultuels qui sont bâtis sur des terrasses en basse Mésopotamie[2]. Cette filiation a longtemps reçu des critiques, mais elle paraît aujourd'hui admise, même si les ziggurats présentent des caractères propres qui en font des édifices originaux.
Le plus ancien exemple de temple sur terrasse est attesté à Eridu durant la période d'Obeid, vers 5000. Il s'agit d'un temple de plan ordinaire, mais construit sur une plateforme. Cette tradition se prolonge au IVe millénaire (période d'Uruk), avec notamment le « Temple blanc » du quartier Kullab d'Uruk, un édifice de 18 mètres sur 7 remarquablement conservé, bâti sur une terrasse de 13 mètres de haut, déjà précédé par des édifices semblables datant de la période d'Obeid. Le temple sur terrasse le mieux conservé a été exhumé à Tell Uqair, en basse Mésopotamie, datant de la fin de la période d'Uruk et de la période de Djemdet Nasr (fin du IVe millénaire)[3]. Il est constitué de deux terrasses superposées sur lesquelles est bâti un temple encore en partie conservé. La première terrasse, décorée de pilastres et de cônes d'argile formant une mosaïque, s'élève sur 5 mètres. Sa façade principale est rectiligne, mesure 57 mètres de long, avec un escalier à chaque extrémité. Les autres côtés sont courbes. La seconde terrasse est rectangulaire et haute de 1,60 mètres, et supporte le temple mesurant environ 18 x 22,50 mètres.
Au IIIe millénaire (Dynasties archaïques), un temple sur terrasse est bâti dans le second quartier sacré d'Uruk, l'Eanna. Un autre édifice similaire de la même période est le « Temple ovale » de Khafadje, dans la vallée de la Diyala, dont il ne reste que la terrasse rectangulaire décorée de pilastres de 25 x 30 mètres, encore haute de 4 mètres, disposant d'un escalier perpendiculaire menant au temple qui se trouvait à son sommet et qui a aujourd'hui complètement disparu. L'édifice tire son nom des deux enceintes ovales qui l'isolent du reste de la ville. D'autres temples sur terrasse de la même époque sont attestés en haute Mésopotamie et en Syrie, notamment à Tell Brak et peut-être à Mari. Certains sites du plateau iranien du IIIe millénaire présentent des constructions monumentales comprenant plusieurs terrasses superposées : à Tureng Tepe, Tepe Sialk, Konar Sandal en Iran et jusqu'à Mundigak en Afghanistan et Altyn-depe au Turkménistan. Bien qu'ils soient parfois encore appelés « ziggurats » par leurs fouilleurs, rien ne prouve que ces édifices aient un lien avec les temples sur terrasse mésopotamiens, dont ils divergent par bien des aspects. Les liens entre les deux types de constructions restent de toute manière peu étudiés, notamment parce que les terrasses iraniennes sont encore mal connues.
Les premières ziggurats sous la Troisième dynastie d’Ur
C'est sous la Troisième dynastie d'Ur (XXIe siècle) que sont construits les premiers édifices qui sont clairement des ziggurats[4], même si le terme ziqqurratu(m) n'est pas attesté pour cette période. Il arrive parfois que l'on considère que des monuments construits précédemment comme des ziggurats, comme c'est le cas pour la « ziggurat d'Anu » d'Uruk, ou encore le « Temple rouge » de Mari, qu'il semble néanmoins préférable de considérer comme des temples sur terrasse préfigurant les ziggurats plutôt que comme des ziggurats.
Ces constructions ont été initiées par le fondateur de la dynastie, Ur-Nammu (2112-2094), et poursuivies par son fils et successeur Shulgi (2094-2047). Quatre ziggurats au moins ont été construites, dans les quatre principaux centres religieux du pays de Sumer, d'où provenait la dynastie : Ur, Uruk, Eridu et Nippur. Ces édifices sont construits selon le même principe : trois terrasses empilées qui supportent un temple, auquel on accède par deux escaliers latéraux parallèles à la base et un grand escalier central perpendiculaire. Elles sont dédiées aux divinités tutélaires de ces cités. Ces constructions ont nécessité la mise au point de nouvelles techniques de construction, et la mobilisation de nombreux travailleurs. Cela s'inscrit dans la politique de grands travaux mis en œuvre par les souverains de ce véritable Empire dominant alors toute la Mésopotamie, et servi par un appareil bureaucratique et une foule de dépendants qui atteint des quantités jamais atteintes auparavant. L'édification des premières ziggurats sous cette dynastie est un moment-clé de l'histoire de l'architecture mésopotamienne.
Les ziggurats des IIe et Ier millénaires
Après l'effondrement de la Troisième dynastie d'Ur vers 2004, la construction de ziggurats se poursuit sous l'impulsion des rois d'origine amorrite des États de la basse Mésopotamie du début du IIe millénaire, qui ont l'habitude de reprendre les traditions héritées de leurs prestigieux prédécesseurs sumériens. Si les rois d'Isin, premiers dominateurs de la région après la chute d'Ur, ne bâtissent pas de ziggurat dans leur capitale, ceux de Larsa le font. Après le XVIIIe siècle, les rois de Babylone qui sont les nouveaux maîtres du sud mésopotamien en bâtissent une dans leur capitale ainsi que dans les villes voisines de Sippar (à Abu Habbah, le sanctuaire du dieu-soleil Shamash), Borsippa et peut-être Kish. Les ziggurats des rois d'Ur sont toujours entretenues.
Le modèle des ziggurats se répand vers le nord de la Mésopotamie. Une ziggurat est construite à Tell Rimah (sans doute l'antique Qattara) et à Assur pour le dieu tutélaire de la ville, Assur. Il y en a peut-être une autre à Tell Leilan (Shekhna/Shubat-Enlil).
Durant la seconde moitié du IIe millénaire, de nouvelles ziggurats sont bâties, alors qu'on continue d'entretenir les précédentes. En Babylonie, un des deux rois kassite nommé Kurigalzu (sans doute le premier) en érige une dans sa nouvelle capitale éponyme, Dur-Kurigalzu (Aqar Quf)[5]. En Assyrie, deux ziggurats sont bâties dans le temple double d'Anu et Adad à Assur (ce qui fait en tout trois ziggurats identifiées par l'archéologie dans cette ville), et une autre à Kar-Tukulti-Ninurta, capitale fondée par le roi éponyme durant la seconde moitié du XIIIe siècle. Au même moment, on en construit une dans le royaume élamite (dans le sud-ouest de l'Iran actuel), dans la nouvelle ville fondée par le roi Untash-Napirisha, Dur-Untash (Chogha Zanbil)[6]. Les dernières nouvelles ziggurats sont l'œuvre de deux rois assyriens de la première moitié du Ier millénaire, eux aussi fondateurs d'une nouvelle capitale pour leur royaume. Assurnasirpal II en fait bâtir une à Kalkhu (Nimrud) vers 870, et Sargon II à Dur-Sharrukin (Khorsabad) à la fin du VIIIe siècle.
On sait par les textes qu'il existait des ziggurats dont on n'a pas retrouvé les traces, même sur des sites fouillés comme Suse et Ninive. Il y en avait aussi sur des sites non identifiés, comme Akkad, dont le site n'a pas été identifié. On dispose de deux tablettes faisant la listes des ziggurats qui existaient, dont les exemples datent de la période néo-assyrienne et de la période néo-babylonienne, mais qui sont probablement des copies de tablettes plus anciennes[7]. Elles listent respectivement 22 et 23 ziggurats (dont plusieurs pour un même site, notamment Nippur où ce n'est pas confirmé par l'archéologie) pour les sites de basse Mésopotamie uniquement. En haute Mésopotamie, une inscription du roi assyrien Salmanazar Ier (1275-1245) commémore la restauration de plusieurs temples dont des ziggurats, parmi lesquelles celles dédiées à Ishtar à Arbelès (Erbil) et à Talmushshu (localisation inconnue), dont on ne dispose pas d'autres attestations[8]. Il pourrait donc en tout il y avoir eu une trentaine de ziggurats construites en Mésopotamie et en Élam entre la fin du XXIe siècle et le VIIIe siècle, en sachant qu'il pouvait en exister d'autres dans des sites non fouillés et non attestées par les textes. De plus, il y a parfois des divergences chez les archéologues pour savoir si la construction en présence est une ziggurat ou un temple sur terrasse, type de construction dont la tradition se poursuit après l'édification des premières ziggurats.
La plupart des grandes ziggurats sont restaurées voire agrandies par les souverains Assyriens et Babyloniens de la première moitié du Ier millénaire. La ziggurat de Babylone, Etemenanki, remaniée entre le VIIe siècle et le début du VIe par les rois assyriens Assarhaddon et Assurbanipal puis les babyloniens Nabopolassar et Nabuchodonosor II, marque l'aboutissement de ce type de constructions[9]. Les ziggurats continuent à être entretenues au moins jusqu'à la chute du royaume de Babylone en 539, le dernier héritier de la longue tradition des constructions monumentales typiquement mésopotamiennes. Elles sont progressivement tombées en ruine durant l'Antiquité et leurs briques ont souvent été utilisées comme matériaux de constructions par les populations vivant à leur proximité. Cela n'a pas empêché certaines ziggurats de rester encore impressionnantes malgré l'épreuve des siècles (à Ur, Dur-Kurigalzu, Chogha Zanbil), tandis que d'autres ont totalement disparu (Ninive, Suse).
Caractéristiques architecturales de la ziggurat
Forme et dimensions
D'après les relevés des fouilles archéologiques (qui n'ont généralement pu bien mettre au jour que la base des édifices), il apparaît que les ziggurats sont des bâtiments de base carrée ou rectangulaire[10]. Selon E. Unger, les édifices de base rectangulaire se trouvent plutôt du sud de la Mésopotamie, tandis que les carrées sont bâties au nord[11]. De fait, cette règle souffre des exceptions (les ziggurats méridionales d'Eridu et de Babylone ont une base carrée). Ces bases ont des dimensions variables. Les plus petites ont des côtés d'une trentaine de mètres : 31,50 x 19 m à Tell Rimah, 31 m à Kar-Tukulti-Ninurta, 37 x 30 m à Larsa, etc. La plus vaste est celle de Chogha Zanbil, avec 105 m de côté approximativement, tandis que celle de Babylone dans son état final a une base d'environ 91 m de côté. Ces deux-là sont de loin les plus vastes connues. Entre ces extrêmes, on trouve des ziggurats ayant une base dont les côtés varient entre 40 et 60 mètres généralement : 43,10 m à Khorsabad, 56 x 52 m à l'Eanna d'Uruk, 53 x 58 m à Nippur, 62,50 x 43 m à Ur, etc.
L'accès vers les niveaux supérieurs des ziggurats se faisait par des escaliers. Dans le sud mésopotamien, les bases de ceux-ci apparaissent : un escalier principal est perpendiculaire à l'édifice, et il est encadré par deux autres escaliers plaqués contre le monument et parallèles au mur. Comme les étages supérieurs ne sont pas conservés, on ne sait généralement pas si l'accès au temple haut se faisait par l'escalier central prolongé ou bien par d'autres rampes internes. Les ziggurats assyriennes n'ont pas laissé de traces d'escaliers. Plusieurs théories ont été proposées pour retrouver la façon dont on avait accès aux niveaux supérieurs. Il est possible que le premier étage soit desservi par un escalier dont la base se trouve dans le temple qui est souvent accolé à la ziggurat en haute Mésopotamie (c'est apparemment le cas à Tell Rimah, et probable pour les ziggurats jumelles d'Assur)[12]. La ziggurat de Chogha Zanbil, la mieux conservée, est un cas original, puisqu'on montait au second étage par quatre escaliers internes voûtés partant à la perpendiculaire de l'édifice, situés au milieu de chacun des côtés du premier étage. L'accès aux autres étages devait se faire par d'autres escaliers internes.
Le nombre d'étages que comportaient les ziggurats est souvent débattu. Il y en avait trois sur les premières construites au temps d'Ur-Nammu. La ziggurat de Babylone en comportait sept, ce qui semble être le maximum. Pour les autres, on est souvent dans le doute. On ne peut donc pas savoir quelle était la hauteur atteinte par ces édifices. Les ruines de celle de Dur-Kurigalzu atteignent encore 57 mètres de haut. Celle de Babylone aurait eu une hauteur de 90 mètres si on se fie à la Tablette de l'Esagil, document comprenant la description des dimensions de l'édifice[13]. Mais la fiabilité de ce texte est remise en cause, étant donné qu'il semble plus donner des chiffres symboliques car son but est d'expliquer la fonction cosmologique de l'édifice et pas forcément de le décrire tel qu'il est réellement[14]. Ce qui explique pourquoi la hauteur de la ziggurat de Babylone est discutée[15].
Le dernier étage des ziggurats comprenait un temple, le plus souvent appelé gigunû[16], ou kukunnu en Élam, rarement bīt ziqqurati (« temple (litt. maison) de la ziggurat »). Tous ont disparu, et le seul moyen d'avoir des informations sur ces édifices est de se reporter aux rares représentations de ziggurats dont on dispose, ou bien aux informations relatives à la ziggurat de Babylone au Ier millénaire, contenues dans des textes babyloniens et la description d'Hérodote, tous sujet à caution. Selon la Tablette de l'Esagil, ce temple mesurait 25 x 24 mètres, et aurait atteint 15 mètres de hauteur. On y accèdait par des portes situées sur chacun de ses côtés, qui donnaient accès à six cellae disposées autour d'une cour centrale couverte. Il fut bâti avec des poutres de cèdre, et ses murs extérieurs étaient recouverts de briques à glaçure bleue. Hérodote dit qu'on n'y trouvait pas de statues, ce qu'infirment les sources babyloniennes. On y trouvait également le riche mobilier des dieux, comme dans un temple normal. Une image de la ziggurat de Suse sculptée sur un bas-relief de Ninive montre que le temple supérieur était décoré par deux paires de cornes de cuivre sur au moins un de ses côtés, symbolisant sans doute la divinité comme les tiares à cornes dont étaient coiffées les divinités mésopotamiennes.
Matériaux et techniques de construction
Les ziggurats sont bâties dans le matériau de construction fétiche de la civilisation mésopotamienne : la brique d'argile. La pierre est uniquement utilisée là où elle est disponible, en Assyrie, pour construire les soubassements de ces édifices[17]. La brique d'argile peut être rectangulaire ou carrée, disposée de chant ou à plat, suivant différents types d'appareil (en boutisse ou en panneresse)[18]. Le noyau central des ziggurats était constitué de briques crues, la grande majorité des briques ayant servi à leur construction. Il était généralement encadré d'un coffrage de briques cuites, bien plus solides et moins perméables à l'eau[19]. Ce coffrage est large d'environ 1,50 mètres pour les ziggurats de la période d'Ur III, mais atteint 15 mètres dans celle de Babylone durant son état final. Les escaliers et les sols des étages sont généralement faits en briques cuites eux aussi. Des briques glaçurées ont pu être utilisées pour certains temples supérieurs comme il a été vu précédemment. Les murs avaient généralement un décor extérieur de pilastres et de redans, et avaient une forme légèrement courbée pour pallier les effets de la perspective (entasis). Rien n'indique qu'ils aient été peints dans une couleur, comme l'a prétendu Victor Place lorsqu'il a analysé la ziggurat de Khorsabad.
La masse que constituait l'ensemble des millions de briques agglomérées dans une ziggurat posait différents problèmes physiques : des pesées, des poussées, des tassements, des glissements latéraux, en plus de problèmes d'infiltration ou d'écoulements d'eau. Les bâtisseurs mésopotamiens avaient donc mis en œuvre différents procédés pour assurer la durabilité de ces édifices[20]. Du bitume était employé pour imperméabiliser la base des ziggurats. L'eau de pluie ruisselant sur les étages supérieurs était évacuée par des « drains-gouttières » en brique crue. Des couches de roseaux disposées à intervalles réguliers entre les briques, constituaient un chaînage évitant le glissement des briques. Certaines ziggurats (Uruk, Borsippa, Dur-Kurigalzu) comprenaient en plus un ancrage de cordes de roseaux tressées courant sur toute leur longueur. Des poutres de bois disposées dans le massif de briques pouvaient également constituer un chaînage ou une armature. On laissait également de petits tunnels dans la ziggurat, sans doute pour permettre l'assèchement du massif de briques, ou bien pour compenser la variation de taille de ces briques suivant la chaleur ou l'humidité. Les constructeurs de la ziggurat de Tell Rimah ont employé des techniques différentes, sans doute dans le même but : un espace de 90 cm sépare le cœur de l'édifice des murs extérieurs, et une chambre centrale voûtée, vide et inaccessible, a été laissée à l'intérieur de la ziggurat[21]. On trouve ce même procédé dans d'autres ziggurats assyriennes, comme à Kalkhu[22].
L'édifice dans la ville
Comme les principaux monuments construits par les Anciens mésopotamiens, la ziggurat est localisée dans une ville. Elle fait généralement partie du quartier central de la cité, où se trouvent ses principaux édifices politiques et religieux. Plus précisément, elle se situe souvent dans un véritable « quartier sacré », à proximité du temple principal de la divinité tutélaire de la cité et des résidences des principaux officiants du temple. Le tout forme un véritable ensemble, avec des magasins, cuisines, et services administratifs. Comme les temples principaux, les ziggurats sont généralement isolées du reste de la ville par une enceinte délimitant un périmètre sacré, auquel seul le personnel cultuel avait accès. Il ne s'agit donc pas d'édifices ouverts. À Ur, cette enceinte clôt un espace de 140 x 135 m bâti sur une terrasse artificielle. A Babylone, ses côtés font environ 400 mètres. Le cas des deux ziggurats jumelles du temple double d'Anu et d'Adad à Assur, comprises dans une seule enceinte intérieure, est unique. Mais il semble que plusieurs villes aient disposées de plus d'une ziggurat, si l'on se fie aux Listes de ziggurats évoquées précédemment.
Par sa masse et son élévation, et malgré son isolement dans une enceinte, la ziggurat devait dominer la ville dans laquelle elle était bâtie. En basse Mésopotamie, le relief plat devait la rendre visible à des kilomètres. En haute Mésopotamie, où le relief est plus irrégulier, la ziggurat est bâtie sur les acropoles qui constituent le quartier principal des grandes villes. Elle surplombait donc le reste des constructions, a fortiori quand elle était située près du rebord de la colline, comme à Kalkhu et Assur (pour la ziggurat principale). Les ziggurats étaient donc des éléments marquants du paysage urbain des grandes capitales et villes sacrées de Mésopotamie. Encore aujourd'hui, les ruines des ziggurats qui sont relativement bien conservées dominent les sites où elles se trouvent.
Les fonctions des ziggurats
Une construction monumentale
Par leur masse et leur aspect spectaculaire, et les moyens mis en œuvre pour les édifier et les préserver, les ziggurats sont parmi les monuments les plus importants construits par les Anciens mésopotamiens. Leur construction est une tâche prise en charge par les souverains, qui mettent leur administration et leur main-d'œuvre en action pour cela. Comme pour les palais, les grands temples et les murailles des cités, les constructions des ziggurats sont décrites dans des inscriptions de construction, qui mettent bien en avant leur aspect monumental et l'importance symbolique que leur édification revêtait pour les rois et leur prestige personnel. Les ziggurats ont également marqué les témoins extérieurs à la civilisation mésopotamienne, notamment celle de Babylone, que des auteurs grecs ont décrite et qui a tellement marqué les juifs déportés en Babylonie qu'elle leur a inspiré le mythe de la Tour de Babel.
Il a été tenté d'évaluer ce que demandait la construction de tels édifices[23]. M. Sauvage a estimé la quantité de briques nécessaires à la construction du premier étage de la ziggurat d'Ur à plus de 7 millions (crues et cuites). Selon lui, la construction de cet étage aurait dû demander près de 95 000 journées de travail pour le maçonnage des briques, et 50 000 journées de travail pour les autres tâches, soit respectivement 95 et 50 jours si on employait 1 000 ouvriers, nombre attesté dans le cas de la construction d'un temple à la même période. Un texte d'époque néo-babylonienne nous apprend que 8 500 personnes ont été employées à la construction de la ziggurat de Sippar, ce qui est considérable. Pour la même époque, on évalue que la ziggurat de Babylone comprend 36 millions de briques (mais cela dépend de la dimension qu'on lui attribue). Il est probable que les administrateurs en charge de ces chantiers aient ajusté le personnel mobilisé en fonction du temps prévu pour la construction et de leurs moyens. Ils n'avaient pas besoin d'un personnel spécialisé pour préparer les briques. Les ouvriers n'étaient sans doute pas mobilisables toute l'année, en raison des obligations des travaux agricoles, de l'entretien d'autres constructions publiques comme les canaux, etc., ce qui rend difficile l'estimation du temps nécessaire à la construction ou la restauration d'une ziggurat, sans oublier d'éventuels imprévus. Un autre problème était de trouver le personnel spécialisé, les maîtres-maçons, qui pouvaient avoir des compétences très vastes et étaient donc indispensables au chantier. On ne sait en revanche rien des architectes ayant conçu et supervisé la construction de ces édifices, le souverain se présentant systématiquement comme le concepteur de ceux-ci[24].
Au final, la construction d'une ziggurat ne représente pas forcément beaucoup plus qu'un autre monument[25], vu qu'un grand temple demandait environ 20 millions de briques (sans compter ses dépendances). Un palais royal ou une muraille demandaient beaucoup plus de moyens.
Un temple surélevé
Depuis les premières explorations et fouilles en Mésopotamie, des spéculations ont été faites quant à leur fonction. Victor Place et d'autres observateurs du XIXe siècle ont voulu voir dans les ziggurats un observatoire d'astronomes. Elles ont certes pu servir à mieux voir le ciel, et à s'en rapprocher pour des rituels (voir plus bas), mais ce n'est probablement pas leur fonction principale. Tout indique en effet que les ziggurats sont des édifices à fonction religieuse. Elles sont situées dans un espace sacré, sont dédiées à une divinité, et portent un nom sumérien comme les autres temples mésopotamiens, débutant par le terme É, signifiant « maison », car un temple est considéré comme étant la résidence d'une divinité.
Plusieurs interprétations ont été faites quant à leur fonction religieuse. On a voulu y voir une construction funéraire (Hommel), ou bien un symbole de l'univers ou de la terre en miniature (Rawlinson, Jensen, Lagrange), ou d'un trône divin (Lethaby, Dombart). Les ziggurats ont également été vues comme des reproductions symboliques de montagnes, qui auraient eu une signification religieuse. L'architecte allemand W. Andrae a proposé une autre interprétation, qui voit dans la ziggurat un édifice destiné à porter un sanctuaire surélevé (Hochtempel) lié à un sanctuaire situé à proximité au niveau du sol (Tieftempel)[26]. Selon lui, le temple haut est la résidence terrestre habituelle de la divinité, qui peut descendre rejoindre son temple bas à l'occasion. Cette théorie a cependant été critiquée, car dans certains cas il n'y a pas de temple bas répondant au temple haut de la ziggurat (Nippur, Ur). Le fait de surélever la ziggurat peut néanmoins servir à placer le temple de la divinité principale au-dessus des autres temples de la ville.
Un lien entre le Ciel et la Terre
La théorie de W. Andrae a été prolongée par A. Parrot, qui a émis l'hypothèse selon laquelle la ziggurat est un édifice permettant à la divinité de descendre du Ciel vers la Terre, plutôt qu'un moyen pour les hommes de s'élever vers le Ciel. Quoi qu'il en soit, les interprétations ultérieures ont mis en avant le rôle de la ziggurat en tant que lien entre le Ciel et la Terre. Cela se base notamment sur les noms de deux ziggurats : celle de Babylone, É.TEMEN.AN.KI, « Maison-fondement du Ciel et de la Terre », et celle de Nippur, É.DUR.AN.KI, « Maison-lien du Ciel et de la Terre ». Une inscription du roi Nabopolassar relative à la construction de la première proclame ainsi : « Marduk, le seigneur, me commanda au sujet d'Etemenanki, [...] d'assurer son fondement dans le sein du Monde inférieur et son sommet, de le faire semblable au Ciel. »
D'après la conception mésopotamienne du Monde, celui-ci était constitué du Ciel (AN), et de l'ensemble constitué de la Terre et du Monde inférieur (KI), qui auraient été séparés au début des Temps selon une tradition cosmogonique[27]. Le Ciel était le lieu de résidence des divinités principales du panthéon mésopotamien, les Anunnaki, alors que le Monde inférieur est l'équivalent des Enfers. Entre les deux se trouve la surface terrestre, où vivent les humains. La ziggurat pourrait donc symboliser une sorte de lien entre les deux grandes parties constituant le Monde. La ziggurat de Babylone pourrait en plus avoir la fonction particulière de symboliser ce qui était considéré comme le centre du Monde, le lieu où le dieu Marduk a créé l'Univers d'après l'Épopée de la Création babylonienne (Enuma Eliš). Mais puisqu'on ne dispose d'aucun texte expliquant le sens de ce type de construction, il n'y a aucune certitude.
Quels rituels avaient lieu dans les ziggurats ?
Si la ziggurat a une fonction religieuse, quels sont alors les rituels qui ont pu y avoir lieu ? Des informations proviennent d'abord de la ziggurat de Babylone. On sait d'après la Tablette de l'Esagil que le temple haut abritait les statues de plusieurs divinités : Marduk, Nabû et sa parèdre Tashmetu, Ea, Nusku, Anu et Enlil. En face de la cella de Marduk se trouvait une chambre comprenant son lit et son trône. Tout cela nécessitait le même entretien quotidien que les temples ordinaires, à savoir des offrandes alimentaires, vestimentaires et autres aux statues symbolisant la présence divine dans le sanctuaire. Selon Hérodote, ce temple n'abritait pas de statues (ce qui semble erroné), mais bien une chambre divine, dans laquelle pouvaient rentrer seulement le dieu et une femme du pays. Cela rappelle les rituels de Mariage sacré symbolique connus en Mésopotamie[28], mais aucun n'est clairement mis en rapport avec une ziggurat, ce qui fait que le témoignage d'Hérodote reste isolé. Les représentations artistiques de ziggurats ne permettent pas d'en savoir plus. On serait tenté de voir dans les escaliers des ziggurats des chemins pour faire des processions[29], mais aucun document ne vient appuyer cela.
Deux documents mésopotamiens indiquent qu'une ziggurat a servi de lieu de déroulement de rituels. Il s'agit de tablettes de la période séleucide, donc très tardives, provenant d'Uruk, et décrivant des rituels similaires datant sans doute de périodes antérieures, se déroulant sur le toit du temple au sommet de la ziggurat du dieu Anu. Un d'eux a lieu au début de la nuit[30]. Lors qu'apparaissent les étoiles du dieu Anu et de sa parèdre Antu on entonne des chants, puis on effectue des offrandes. Dans ces cas, c'est donc apparemment la hauteur de la ziggurat qui en fait le lieu idéal pour ces rituel liés à l'observation du ciel où on vénère des astres divinisés.
La documentation élamite relative aux ziggurats fournit aussi des indices, au moins sur l'existence d'un rituel ayant lieu dans l'espace sacré entourant celle de Chogha Zanbil. Les fouilleurs du site ont dégagé au pied d'un des côtés de l'édifice un espace cultuel, où se trouvaient 14 tables interprétées comme étant des autels à sacrifices, en face d'un podium ayant pu servir à porter le trône royal, et d'un bassin à ablutions[31]. Cela resterait très obscur, si ça ne pouvait pas être mis en relation avec une œuvre élamite datant du siècle suivant, la représentation miniature d'un rituel du « lever du soleil » (sit šamši)[32]. Deux prêtres effectuent un rituel entre deux édifices, qui pourraient bien être un autel à degrés et une ziggurat (ou bien un second autel à degrés), et à proximité d'un bassin à ablutions. Si l'on s'en tient à son nom, ce rituel aurait lieu à l'aube. Or l'espace cultuel de Chogha Zanbil est justement situé sur le côté du soleil levant. Mais en l'absence d'informations plus précises, cette reconstitution reste très hypothétique.
Références
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- ↑ Déjà pressenti par les études de A. Parrot, Ziggurats et Tour de Babel, Paris, 1949, p. 157-167 et T. A. Busink, « L'origine et l'évolution de la ziggurat babylonienne », dans Jaarbericht Ex Oriente Lux 21, 1969-1970, p. 108-117
- ↑ P. Amiet, L'Art antique du Moyen-Orient, Paris, 1977, p. 522-523
- ↑ M. Sauvage, « La construction des ziggurats sous la troisième dynastie d'Ur », dans Iraq 60, 1998, p. 45-63
- ↑ (en) T. Baqir, « Iraq Government excavations at Aqar Quf 1942-1943 », dans Iraq Supplement, 1944, p. 3-16
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- ↑ M. Sauvage, op. cit., p. 49, pour une description de la forme des ziggurats de la Troisième dynastie d'Ur. P. Amiet, op. cit., propose une brève description des principaux site mésopotamiens, avec leurs ziggurats.
- ↑ (de) E. Unger, « Der Turm zu Babel », dans ZATW XLV, 1927
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- ↑ (en) A. R. George, Babylonian Topographical Texts, Louvain, 1992
- ↑ J.-J. Glassner, « L'Etemenanki, armature du cosmos », dans NABU 2002/32
- ↑ J. Vicari, La Tour de Babel, Paris, 2000, p. 7-33
- ↑ (en) A. L. Oppenheim et al., The Assyrian Dictionary Volume 5, G, Chicago, 1956, p. 67-70
- ↑ (en) J. E. Reade, op. cit., p. 160
- ↑ M. Sauvage, op. cit., p. 53-54
- ↑ Ibid., p. 49-50
- ↑ Ibid., p. 50-53
- ↑ (en) D. Oates, « The Excavations at Tell al Rimah, 1966 » dans Iraq 29/ 2, 1967, p. 85-87
- ↑ (en) J. E. Reade, op. cit., p. 164
- ↑ M. Sauvage, op. cit., p. 56-60
- ↑ Ibid., p. 60-61
- ↑ J. Vicari, op. cit., p. 48-50 ; J.-J. Glassner, La tour de Babylone. Que reste-t-il de la Mésopotamie ?, Paris, 2003, p. 172-173
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- ↑ J. Bottéro, La plus vieille religion, en Mésopotamie, Paris, 1998, p. 162-185
- ↑ S. N. Kramer, Le Mariage sacré, Paris, 1983
- ↑ J. Vicari, op. cit., p. 71-76
- ↑ F. Thureau-Dangin, Rituels accadiens, Paris, 1921, 118-125, voir aussi p. 74-86 ; En ligne (Etana.org)
- ↑ A. Benoit, Art et archéologie : les civilisations du Proche-Orient ancien, Paris, 2003, p. 352-353
- ↑ Ibid., p. 362-363
Bibliographie
- A. Parrot, Ziggurats et Tour de Babel, Paris, 1949 ;
- T. A. Busink, « L'origine et l'évolution de la ziggurat babylonienne », dans Jaarbericht Ex Oriente Lux 21, 1969-1970, p. 91-142 ;
- M. Sauvage, « La construction des ziggurats sous la troisième dynastie d'Ur », dans Iraq 60, 1998, p. 45-63.
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