BD gay

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Homosexualité dans la bande dessinée

Sommaire

En France, en Belgique et en Suisse

Dans les années 1950, entre les patronages catholique en Belgique et communiste en France, la bande dessinée demeure longtemps destinée à la jeunesse et donc asexuée. C'est bien ainsi qu'il faut lire la relation d'Alix et Enak dans la série de Jacques Martin : chaste et sans arrière-pensée. Il faut attendre l’irruption de l'Argentin Copi dans la presse des années 1960 (Le Nouvel Observateur, Libération) pour parler d' homosexualité en bande dessinée. Et moi, pourquoi j’ai pas une banane ? (1975), Du côté des violés (1978), Kang (1984) parlent sans fard de l’homosexualité masculine ou féminine, du transsexualisme et des agressions sexuelles. Son compatriote José Cuneo dessine pour la presse gay (prévention contre le sida) mais sort peu d’albums (Le Mariage de Roberto, 1999). Alex Barbier utilise la couleur directe pour représenter ses fantasmes : Lycaons (1979), Les Paysages de la nuit (1994), tandis que Nicole Claveloux présente des femmes ambiguës (Morte saison, 1979). Annie Goetzinger est l'une des rares à aborder le sujet : L'Avenir perdu parle d'un homo atteint du sida. Les satiristes grinçants Reiser, Georges Wolinski et Philippe Vuillemin traitent les homosexuels avec la même cruauté que les hétérosexuels. En Belgique, les dessinateurs ne se renouvellent pas, et la revue Le Journal de Spirou s’enlise dans un esprit conservateur, sauf exceptions (Yann et Conrad, Bob Marone (1992), Les Innommables ; Muchacho d'Emmanuel Lepage).

Lorsque le Journal de Fabrice Neaud (1996) rencontre le succès, il semble que la mention de son homosexualité dans la bande dessinée autobiographique ne pose plus de problème. On note aussi l'appparition de Tom de Pékin, graphiste et dessinateur inspiré, collaborant au SNEG et à Têtu. La bande dessinée lesbienne Les Marsouines d'Arbrelune et Jour de pluie est cependant autoéditée. La collection « Bulles gaies » publie des œuvres d’inspiration autobiographique comme Les Folles Nuits de Jonathan de Jean-Paul Jennequin ou Jean-François fait de la résistance d'Hugues Barthe[1], et un magazine gay et lesbien marseillais, Hercule et la toison d’or, révèle de nouveaux talents comme Hélène Georges. Les illustrateurs Kinu Sekiguchi et Sven de Rennes tentent quelques bandes dessinées proches des productions espagnoles et japonaises. Le belge néerlandophone Tom Bouden joue aussi bien sur le registre sentimental (Max et Sven) qu'érotique (In Bed with David & Jonathan). En Suisse, il faut remarquer les personnages récurrents des bandes dessinées de José Roosevelt : le peintre est homosexuel, et Vi est bisexuelle (À l'ombre des coquillages, 2005).

Une tentative de magazine porno gay a été réalisé (Ultimen) par un organisme de vidéo porno, distribué en kiosque mais sans support médiatique : le titre s'est arrété. H&O devient l'un des principaux acteurs de la diffusion de BD gay en France avec notamment les œuvres de Logan (Porky, le Pornomicon).

Les auteurs non homosexuels n'hésitent plus à aborder l'homosexualité en cherchant le ton juste : Dieter et Lepage parlent de la découverte de l'orientation sexuelle avec Névé. Rapaces d'Enrico Marini et Djinn, tous deux scénarisés par Jean Dufaux, présentent des personnages bisexuels. Mais différents projets témoignent de réticences tenaces : Le Pari de Tito n’est pas prépublié dans Okapi avant de sortir en album, et le volume de Quintett du scénariste Frank Giroud centré sur un homosexuel se heurte au refus des dessinateurs : c’est le vétéran Paul Gillon qui sauve l’album, et l’honneur de ses collègues.

En Espagne, en Italie et en Allemagne

En Espagne, il faut attendre la Movida pour que se libère l'expression du désir homosexuel. Nazario connaît plusieurs démêlés avec la censure avant de se fait connaître dans les années 1980 avec son héroïne Anarcoma, une transsexuelle évoluant dans les milieux interlopes de Barcelone. Rafa fait la chronique humoristique de la vie d'un couple dans le quartier gay de Chueca, à Madrid, avec Chuecatown (2002). Sur la péninsule ibérique, les illustrateurs David Cantero et Sebas Martín (Historias de Sitges) ont pris la relève avec beaucoup de sensualité.

En Italie, diverses publications révèlent les inpirations multiples de nombreux jeunes auteurs comme Valeriano Elfodiluce (Rainbows, Robin Hoog). Récemment, Barbara Apostolico et Claudia Lombardi ont imposé leur série Caim.

En Allemagne, c'est Ralf König qui domine la scène gay en bande dessinée depuis 1979, accumulant les albums (série Conrad et Paul) et les adaptations irrévérencieuses (Lysistrata d'après Aristophane, Iago d'après Shakespeare). Ses albums connaissent un succès international, qui doit certainement à son humour mais aussi à la justesse avec laquelle il présente la vie gay.

Aux États-Unis

Des personnages gays ou lesbiens apparaissent occasionnellement assez tôt dans l'histoire des comics, notamment dans les comic strips qui constituent initialement la forme de bande dessinée américaine la plus populaire. Toutefois, en accord avec l'esprit de l'époque, ils ne sont jamais explicitement désignés comme tels, et leur orientation sexuelle ne constitue jamais un élément important de l'intrigue[2]. De fait, les couples formés par Batman et Robin ou par Krazy Kat et Ignatz relèvent plutôt du fantasme des lecteurs, ou d'adversaires de l'homosexualité déterminés à débusquer tout ce qui peut y faire allusion, tel le Dr. Fredric Wertham. En 1953, celui-ci dénonce longuement dans son livre Seduction of the Innocent l'influence « corruptrice » des comics, dont l'incitation à l'homosexualité. Le Comics Code adopté sous son influence interdit pour longtemps de faire allusion à l’homosexualité en bande dessinée.

Sous le manteau se diffusent cependant des dessins érotiques, notamment les planches et les dessins du fameux Tom of Finland. En 1980 est fondée la revue Gay Comix, qui publie de nombreuses séries. Le journal homosexuel The Advocate publie les aventures de Wendell par Howard Cruse. Meatmen, série d’anthologie de bande dessinée gay érotique, apparaît en 1986. La même année, Alison Bechdel crée le petit monde des Lesbiennes à suivre, puis Roberta Gregory fait vivre Bitchy Butch (équivalent lesbien de son héroïne Bitchy Bitch) à partir de 1991. Hothead Paisan : Lesbian Homicidal Terrorist, de Diane DiMassa secoue l’underground par son imagination. Howard Cruse avec Un monde de différence, David Kelly avec Steven’s Comics, Robert Kirby et ses Curbside Boys constituent les auteurs les plus marquants du comic gay. Venant lui aussi de l'underground, Jaime Hernandez narre l'amitié de deux femmes bisexuelles, Maggie et Hopey, dans Locas. Tim Fish aborde le versant social et sentimental (Cavalcade of Boys), tandis que Patrick Fillion laisse libre cours à ses fantasmes (Camili-Cat, Satisfaction garantie). Justin Hall crée Glamazonia, l'étrange super-trans. G.B. Jones représente un Tom of Finland au féminin. Paige Braddock crée Le Monde de Jane, la vie d'une lesbienne racontée comme une sitcom. Jennifer Camper assure la direction de l'anthologie Juicy Mother et publie des albums très queer, Rude Girls and Dangerous Women et Subgurlz (1999). Judd Winick raconte son amitié pour un jeune gay d'origine cubaine, séropositif, dans le bouleversant Pedro et moi.

L'homosexualité a aussi fait son apparition en dehors de la bande dessinée gay et lesbienne engagée. Les séries de super-héros, qui constituent une part importante des comics, n'offrent pas toujours une vision stéréotypée[3]. Wonder Woman a toujours eu un sous-texte lesbien plus ou moins manifeste, de même que les X-Men ont toujours joué sur l'ambiguïté de leur singularité. V for Vendetta d'Alan Moore contient l'histoire émouvante d'une lesbienne (1981-1989). Les séries ont ensuite respecté le principe de vraisemblance en intégrant des personnages gays. Chez Marvel, le premier super-héros à déclarer son homosexualité est Véga de la Division Alpha en 1992. Suivront Terry Berg dans Green Lantern, le couple formé par Apollo et Midnighter dans Authority, Mystique (X-Men), le couple Wiccan et Hulkling, Living Lightning, Holly Robinson, etc. Récemment, un personnage lesbien de la série Les Fugitifs (2003), Karolina Dean, entretient une histoire d'amour avec Xavin.

En Amérique latine

Le continent est largement dominé par le machisme, et ce n’est pas sans raison que les Argentins Copi et Cuneo se sont exilés en France. Il existe cependant quelques allusions à l’homosexualité. Les personnages du Péruvien Juan Acevedo montrent une plus grande liberté sexuelle dans Hola Cuy! que dans le monde réel. Au Brésil la série d’Adao Iturrusgarai, Rocky e Hudson, os Caubois Gay, met en scène des cow-boys gays de manière humoristique et décomplexée mais sans remettre en cause les mentalités. Le Mexicain Eduardo del Río “Rius” va plus loin dans son approche didactique de l’homosexualité, dans un numéro de Supermachos en 1977[4]. Peu tournées vers la bande dessinée, les latinas lesbiennes ne semblent pas encore avoir créé de bandes dessinées sur le sujet.

Au Japon

À partir de l'œuvre de dessinatrices pionnières, l'homosexualité est entrée en force dans les mangas, créant des catégories de mangas comme le shōnen-ai ou Boy's Love, le yaoi[5], ou le yuri. Ces mangas ne s'adressent nullement à un public homosexuel, même si les gays et les lesbiennes étaient les premiers intéressés. Ils sont avant tout destinés aux jeunes filles ou aux hommes hétérosexuels.

Dès 1986, la série Banana Fish d'Akimi Yoshida évoquait l'attirance entre garçons et les sévices sexuels en prison. Minami Ozaki semble avoir lancé le shōnen-ai avec Zetsuai 1989, tandis que Kazuma Kodaka (Kusatta Kyôshi no Hôteishiki ; Kizuna) tire vers le yaoi. Marimo Ragawa ancre aux États-Unis son histoire d'amour entre un policier et un jeune homme abusé, N.Y.N.Y.. Naito Yamada mêle érotisme et poésie pour évoquer la vie quotidienne dans son Beautiful World. Fake est un exemple typique de shōnen-ai, donc très éloigné de la réalité. Parmi toutes ces dessinatrices, le seul mangaka homme connu à traiter des amours entre hommes semble être Gengoroh Tagame avec ses hentai S/M. Plusieurs dessinatrices créent à leur tour des mangas yaoi : Setona Mizushiro, Ayano Yamane, Nitta Youka.

Les mangas sentimentaux entre femmes, shōjo-ai, ou yuri sont apparus plus récemment, notamment avec Ebine Yamaji (Sweet Lovin' Baby ; Indigo blue ; Free Soul) et Kiriko Nananan (Blue).

Le changement de sexe apparaît de manière humoristique mais obsédante dans le manga. (Princesse Saphir, Ranma 1/2, Kashimashi ~girl meets girl~ ...) Le dessinateur de shōnen Tsukasa Hōjō fait du travestissement le thème principal de la série Family Compo[6].

Références

Notes

  1. Homos en bulles par François Peneaud, ActuaBD.
  2. (en)David Applegate, Coming Out in the Comic Strips, initialement paru dans le magazine Hogan's Alley [lire en ligne].
  3. Nos amis les super-héros par Kriss, HomoSF.
  4. Homosexuality and Political Activism in Latin American Culture: An Arena for Popular Culture and Comix par Jeff Williams, Othervoices.
  5. (fr) Voir l'ouvrage collectif, Homosexualité et manga : le yaoi, Manga 10 000 Images, n°1, Versailles, Editions H, 2008, 192 p. (ISBN 978-2-9531781-0-4)
  6. L'héroïne travestie dans le shôjo manga par Bounthavy Suvilay, Image and Narrative.
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