- Superstition des marins
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Rencontres avec du mauvais temps, mauvaise capture de poisson, naufrages, panne de moteur, navire encalminé, décès en mer, les marins isolés et éloignés de la vie terrestre ont cherché un responsable ou une raison particulière à leurs tracas.
L'« empech » est un mot utilisé assez fréquemment par les bretons (de Bretagne). Il représente ce, celle ou celui qui empêche les choses de se dérouler normalement.
De la « tête de turc » : femme, rouquin ou curé, au lapin en passant par les phrases dites ou les mots prononcés au mauvais moment et au mauvais endroit, les marins ont conçu une liste d'interdits ou de mauvais présages. Étant donné son caractère peu scientifique cette liste varie selon les régions, les mœurs, la religion.
Sommaire
Le lapin
Autrefois, les cargaisons des bateaux étaient saisies avec des cordes en chanvre. Des lapins qui par accident s'étaient échappés de leur cage, pouvaient donc les ronger, provoquant ainsi indirectement le naufrage du bateau lorsque les caisses dans les cales cognaient les parois. De plus, sur les bateaux en bois, le calfatage des planches se faisait avec de l'étoupe de chanvre que là aussi l'animal pouvait ronger amenant des voies d'eaux fatales au navire[1].
Depuis, les lapins vivants sont bannis de tout voyage maritime. Le terme « lapin » est même, pour certains marins, interdit sur leurs navires. On parle à demi-mot de « pollop », de « l'animal aux longues oreilles », de « cousin du lièvre », de « zébro », de « coureur cycliste », voire de la « langoustine des prés ».
L'origine de cette superstition est aujourd'hui largement battue en brèche, en majeure partie par le fait que bien plus souvent que les lapins c'était les rats qui rongeaient les amarres de l'avitaillement, or, le terme rat n'est absolument pas banni des bords.
Par ailleurs, l'Europe ne fut pas la seule à naviguer, les Arabes et les Chinois ne nourrissent aucune appréhension particulière à l'encontre des lapins.
Le tabou qui frappe le mot lapin est plutôt à rechercher du côté du symbolisme médiéval (époque à laquelle se forment les traditions maritimes modernes) et judéo-chrétien : le lapin est à l'époque un animal associé au domaine démoniaque, du fait de sa propension à forniquer fréquemment en premier lieu et de sa gueule bifide en second lieu. La mer étant alors considérée comme la majeure partie des espaces sauvages comme des espaces dévolus au malin, point n'était la peine d'en rajouter...
Pour nommer un navire, ou pour son immatriculation, il est nécessaire de faire apparaître des lettres sur la coque de celui-ci. Certaines lettres ont des sections plongeantes comme A ou E, au contraire du C. Pour les marins il est important de ne pas « provoquer » ou « agresser » la mer, mais c'est le cas de ces lettres avec des sections plongeantes. Ainsi, sur de nombreux navires les lettres étaient dessinées pour qu'aucune section ne vienne provoquer la mer.
Chez les marins-pêcheurs
Chez les marins-pêcheurs, au XIXe siècle, la même superstition règne, mais liée à la capacité de pêcher. Les chiffres arrondis (le 0, le 2, le 3, le 5, le 6, le 9) sont considérés comme favorisant la pêche. Et les chiffres raides, à fût plongeant vers la mer (le 1, le 4 et le 7), sont considérés comme « non pêchants[2] ». Les chiffres non pêchants sont si redoutés que certains patrons retardent la demande d’immatriculation de leur navire, jusqu’à l’arrivée d’un numéro favorable.
Dans le port de Douarnenez, vers 1895[3], on décide de contourner la difficulté en terminant les fûts des chiffres raides par des empattements très arrondis, formant des barbes (ou crochets[4]). Ainsi munis d’hameçons, les 1, les 4 et les 7 deviennent des « chiffres pêchants[5] ».
Ces chiffres décoratifs se sont répandus dans les autres ports bretons dès le début du XXe siècle. La tradition s’est même étendue aux lettres désignant le quartier maritime : on enjolive des lettres non pêchantes, comme le A d’Audierne, par exemple. On trouve encore ce type d’immatriculation sur quelques embarcations de pêche côtière, mais la tradition n’est plus observée sur les unités de pêche au large[3].
Importance du prénom Marie
Pendant longtemps, les familles de marins donnaient à leurs fils, le prénom de Marie dans leurs prénoms de baptême. En effet, dans la religion catholique, cette dernière est censée protéger. Encore aujourd'hui, en Bretagne, l'usage de donner Marie comme énième prénom à tous les enfants est répandu dans les familles catholiques.
La femme
Jusqu'au XVIIIe siècle, la femme, particulièrement si elle était seule représentante de sa condition, n'a pas fait bon ménage avec le bord où il est sûr que la cohabitation avec un personnel masculin rude ne pouvait qu'engendrer tensions et frustrations. Elle n'était tolérée que comme passagère et il est arrivé, quand la situation devenait périlleuse pour le navire et si elle était la seule à bord, qu'elle soit jugée responsable des maux du navire et à cette occasion fortement malmenée.
Aujourd'hui cette superstition n'est plus de mise, exceptée dans la navigation de pêche où certains équipages refusent encore totalement toute présence féminine à bord.
Le paiement des prostituées
Lorsque le navire rencontre du mauvais temps, on entend parfois dans les discussions : « Quelqu'un n'a pas payé ce qu'il fallait, à la dernière escale ? »
Le prêtre
Au début du XXe siècle, dans trois ports du quartier maritime du Guilvinec (Le Guilvinec, Saint-Guénolé et Lesconil), le catholicisme a de grandes difficultés à s’implanter[6]. Les marins de ces trois ports sont protestants[7] ou communistes, mais surtout très remontés contre le recteur (le curé, en Bretagne). Celui-ci est considéré comme un « empêch » : il porte la poisse[2].
Cette superstition concernant le prêtre est assez largement répandue dans le domaine maritime. On en ignore l’origine : vient-elle de la couleur noire (symbole funeste) du costume ? est-elle une assimilation à la femme, qui porte également une robe ? est-elle colportée par les ennemis politiques ou religieux des catholiques ? Toujours est-il que les mots prêtre, recteur, moine, église, etc., sont bannis à bord, et remplacés par le mot cabestan[8].
Siffler
Les marins russes, mais aussi québécois et anglais, n'aiment pas que l'on siffle à bord ; c'est pour eux appeler les vents forts, voire la tempête.
Quitter le port un vendredi
Certains marins pêcheurs de Basse-Bretagne évitent d'appareiller un vendredi, signe de mauvais présage. Dans ce cas on peut suspecter une origine religieuse.
Une explication habituelle se réfère également au jour de paie traditionnel, qui était le jeudi. Un appareillage ayant lieu le vendredi était le fait de matelots souvent quelque peu vaseux, d'où un nombre d'accidents plus élevé.
La superstition règne également en Haute-Normandie. Le vendredi 2 avril 1529, dans le port de Dieppe, le vent d'est est favorable à l'appareillage du Sacre et de La Pensée pour la première expédition française vers l'Extrême-Orient[9]. Mais Jean Parmentier préfère attendre le lendemain[10].
Cigarettes et bougies
Allumer une cigarette à une bougie provoquerait la mort d'un marin quelque part dans le monde. Cette croyance est sans doute liée au fait qu'un des ancêtres de la SNSM, les Hospitaliers sauveteurs bretons (association créée en 1873) vendaient des allumettes, ainsi allumer une cigarette à la bougie revenait à priver de dons la HSB.
Grigris & amulettes
Quelques marins suspendent un petit sac de toile contenant des choses diverses (ail, etc.) à l'étrave du navire, afin d'être protégés de la malchance.
Notes et références
- Lapin tabou Marin-ok
- Modélisme naval radiocommandé. Georges Tanneau, Malamok, 8 janvier 2007,
- Les lettres et les chiffres pêchants. Vincent Leray, Œuvres vives,
- Pour horizon, l’océan.... Gweledig, « Alphabet pêchant », Route pêche, 16 avril 2009,
- Apogée. « L’aventure de la sardine : traitements et techniques de pêche », Mémoires de la pêche,
- Serge Duigou, Lesconil, Quimper, Ressac, 1996, p. 37-44.
- Serge Duigou, op. cit., p. 31-37.
- pirates-corsaires.com. « Les superstitions et croyances des marins »,
- Jean-Michel Barrault, Le Sacre et La Pensée : 1529, de Dieppe à Sumatra, les capitaines-poètes de Jean Ango ouvrent la route des Indes fabuleuses, coll. « Petite Bibliothèque Payot/Voyageurs », Payot & Rivages, 1996, p. 248.
- Jean-Michel Barrault, op. cit., p. 37.
Bibliographie
Raphaël Voituriez, Salah Boussen, Pêcheurs de contes en Atlantique : un voilier dans l'imaginaire, coll. « Hommes et Océans », Glénat, 2006.
Voir aussi
Articles connexes
Liens externes
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