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Scandale de Panamá
Le Scandale de Panamá désigne une affaire de corruption liée au percement du canal de Panama, qui éclaboussa plusieurs hommes politiques et industriels français durant la Troisième République et ruina des dizaines de milliers d'épargnants.
Le scandale est lié aux difficultés de financement de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, la société créée par Ferdinand de Lesseps pour réunir les fonds nécessaires et mener à bien le projet. Alors que le chantier se révèle plus onéreux que prévu, Lesseps doit lancer une souscription publique. Une partie de ces fonds est utilisée par le financier Jacques de Reinach pour soudoyer des journalistes et obtenir illégalement le soutien de personnalités politiques. Après la mise en liquidation judiciaire de la compagnie, qui ruine les souscripteurs, le baron de Reinach est retrouvé mort tandis que plusieurs hommes politiques sont accusés de corruption. Le scandale éclate au grand jour.
Sommaire
La concession attribuée à la France
Après l'inauguration du canal de Suez, le 17 novembre 1869, Ferdinand de Lesseps est auréolé de gloire et obtient un statut international.
On crée alors le 19 août 1876 la société civile internationale destinée à financer l'exploration de l'isthme de Darién, et dont Lesseps fera partie. Une équipe d'ingénieurs administrée par Lucien Napoléon Bonaparte-Wyse, Armand Reclus (officier qui dirigera plus tard les travaux) et quelques ingénieurs français et étrangers est envoyée sur le terrain afin d'explorer les diverses routes possibles et voir quel canal conviendrait le mieux. Leur conclusion porta plutôt sur un canal à écluses.En mars 1878, Napoléon Bonaparte-Wyse obtient du gouvernement colombien, dont dépend le Panamà, une concession pour la construction du canal, sur laquelle Ferdinand de Lesseps prend une option de 10 millions de francs. La relation tendue entre les États-Unis et la Colombie a en grande partie facilité le fait que les Français aient obtenu cette concession.
Du 15 au 29 mai 1879, la Société de géographie de Paris prend l'initiative de réunir un Congrès International d'étude du canal interocéanique, composé de 136 délégués, majoritairement français, représentant 26 nations, dont les États-Unis et la Chine.
La Genèse et la réalisation difficile du canal par la corruption
En 1879, le Congrès approuve le projet de Lesseps qui est choisi pour lancer les travaux de percement de l'Isthme de Panamá, lequel doit permettre de relier l'océan Atlantique à l'océan Pacifique par l'Amérique centrale. Malgré la différence de prix de construction entre un canal à niveau et un canal à écluse, (le canal à niveau coutant deux fois plus cher) le canal à niveau sera choisi selon des estimations de rémunérations. Il envisage donc un canal long de 75 km, sans écluse, et chiffre la construction à 600 millions de francs.
De Lesseps constitue dès le 8 juillet 1879 la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama, une compagnie anonyme, déstinée à réunir les fonds nécessaires et à conduire le projet. Le 20 octobre 1880, les statuts de la Compagnie universelle du canal interocéanique sont déposés à Paris. En décembre, Charles de Lesseps (fils de Ferdinand de Lesseps) procède à l'émission du capital de la compagnie : 800 000 actions à 500 francs, mais cette émission fut un échec. On ne récolte que 300 millions sur les 400 demandés. Les travaux débutent en 1881 et rencontrent plusieurs difficultés : épidémies de malaria et de fièvre jaune occasionnant une très forte mortalité parmi le personnel, accidents de terrain dus à la difficulté de traverser la cordillère montagneuse qui longe l'isthme. La reconnaissance mise en place par la Société Civile en 1876 ne s'était pas appesantie sur ces problèmes voulant assurer la promotion du projet.
Les travaux prennent alors beaucoup de retard. Ferdinand de Lesseps fait appel aux capitaux des petits épargnants par l'intermédiaire d'hommes d'affaires tels que le baron de Reinach ou encore Cornelius Herz. Ils subventionnent alors très largement la presse pour la promotion de l'investissement: c'est le cas pour les journaux tels que la Justice, le Temps, ... De Lesseps fait alors appel au Parlement et deux fois de suite celui-ci refuse à cause des rapports d'ingénieurs. Le baron Jacques de Reinach lance alors un système de corruption des parlementaires pour obtenir le déblocage de fonds publics: par exemple le ministre des travaux publics Charles Baïhaut reçoit une promesse d'un million de francs.
Devant certains obstacles, tel que le seuil de la Culebra (altitude de 87 mètres), Lesseps fait appel à Gustave Eiffel, qui accepte de reprendre le projet. Eiffel remet complètement en cause la conception, en prévoyant notamment des écluses, alors que Lesseps avait voulu faire un canal à niveau, comme à Suez, sans se soucier du caractère montagneux de la région traversée.Lesseps continue à récolter des fonds auprès d'épargnants et à corrompre des journalistes et des ministres pour obtenir la promulgation de lois sur mesure, qui doivent permettre l'émission d'un emprunt. En 1888, les fonds sont débloqués sous forme d'emprunts.
L'affaire éclate au grand jour et éclabousse la classe politique
Malgré l'émission de l'emprunt, il est impossible de redresser la situation, et la Compagnie est mise en liquidation judiciaire le 4 février 1889, provoquant la ruine de 85 000 souscripteurs. En 1892, Edouard Drumont, journaliste antisémite et antiparlementaire qui avait reçu des documents confidentiels de Reinach, révèle le scandale dans son quotidien La Libre Parole. A cette époque, il purge une peine de 3 mois à la prison de Sainte-Pélagie. Depuis sa cellule, il va révèler un à un les noms des politiciens et journalistes corrompus et révèler les mécanismes de l'escroquerie[1]. Cette affaire, loin d'être tombée dans l'oubli, fait grand bruit: le baron de Reinach est retrouvé mort le 19 novembre, Cornelius Herz s'enfuit en Angleterre, ... Au lendemain de la découverte du corps de Reinach le 21 novembre 1892, le député nationaliste Jules Delahaye dénonce à la tribune de la Chambre les compromissions de la classe politique. Une commission d'enquête est alors créée. Le ministre de l'Intérieur, Émile Loubet, démissionne. Le ministre des Finances, Maurice Rouvier, est mis en cause.
Le scandale se conclut en 1893 par la condamnation à cinq ans de prison de l'ancien ministre des travaux publics, Charles Baïhaut. Ferdinand de Lesseps et Gustave Eiffel seront condamnés, mais échapperont à la prison grâce à une prescription opportune. Charles de Lesseps, fils de Ferdinand, est condamné à la même peine que son père (5 ans de prison) et écope dans un autre procès d'un an pour corruption. Condamné à deux années de prison et 20 000 francs d'amende, Gustave Eiffel sera finalement réhabilité par une enquête qui montrera qu'il n'était pas impliqué dans les malversations. Le judaïsme de Herz et Reinach nourrit alors l'antisémitisme populaire croissant et la compromission des députés les rend alors encore plus intolérable par les antiparlementaires. D'autre part une partie de la presse est discréditée par cette affaire et hérite d'une réputation de vénalité.
Finalisation du projet par les États-Unis
La construction du canal sera finalement reprise par les États-Unis d'Amérique qui rachètent la concession, les actions et les avoirs de la Compagnie nouvelle du canal de Panamá par le traité Hay-Bunau-Varilla de novembre 1903. Après avoir rejeté un trajet traversant le Nicaragua, ils reprendront et prolongeront le tracé français, pour l'achever en 1914, avec un surcoût de seulement 40 millions de dollars. Les travaux engagés en 1904 aboutirent à l’inauguration du canal le 3 août 1914, le jour même de la déclaration de guerre de l'Allemagne à la France.
Chronologie indicative
1880
- Le 20 octobre 1880, les statuts de la Compagnie universelle du canal interocéanique sont déposés à Paris. Émission de 800 000 actions à 500 francs, mais seuls 300 millions sur les 400 demandés sont levés auprès de 75 000 investisseurs, petits et grands. La construction commence quelques mois plus tard.
1889
- 4 février : la mise en liquidation judiciaire de la Compagnie universelle du canal interocéanique de Panama ruine 85 000 souscripteurs.
1892
- Septembre: campagne de presse contre les dirigeants de la Compagnie et révélations sur la corruption d’hommes politiques. Le scandale de Panama éclate.
- 15 novembre: Louis Ricard, garde des Sceaux, donne l'ordre au procureur Jules Quesnay de Beaurepaire de poursuivre correctionnellement les administrateurs de la compagnie du canal de Panama.
- 19 novembre: Mort du baron Jacques de Reinach.
- 16 décembre: Arrestation de Charles de Lesseps, Marius Fontane et Sans-Leroy.
- 20 décembre: Demande d'autorisations de poursuites contre cinq sénateurs (dont Albert Grévy, Léon Renault et François Thévenet) et cinq députés (Emmanuel Arène, Dugué de La Fauconnerie, Antonin Proust, Jules Roche et Maurice Rouvier). À la Chambre des députés, interpellation de Déroulède contre Herz et Clemenceau. Outre Clémenceau, Freycinet et Floquet furent nommés d'avoir joué un rôle suspect, mais ne furent pas inquiétés faute de preuves[2].
1893
- 9 janvier: Arrestation de l'ancien ministre des travaux publics Baïhaut.
- 10 janvier-9 février: Procès des administrateurs de Panama devant la première chambre de la Cour d'appel de Paris; Ferdinand et Charles de Lesseps sont condamnés à 5 ans de prison et Eiffel, Cottu et Fontane à 2 ans.
- 22 janvier: Manifeste socialiste contre le scandale de Panama.
- 9-23 mars: Procès des parlementaires poursuivis pour corruption devant la Cour d'assises de la Seine.
1894
- 11 juin: Herz bénéficie d'un non-lieu pour escroquerie et abus de confiance.
1895
- 16 novembre: Le scandale est relancé par l'arrestation d'Arton en Angleterre.
1897
- 27 mars: Demande d'autorisation de poursuites contre un sénateur et trois députés accusés de corruption par Arton.
- 18-30 décembre: Procès des parlementaires poursuivis pour corruption devant la Cour d'assises de la Seine.
1898
- 30 mars: à la Chambre des députés, discussion et adoption des conclusions du rapport de la commission d'enquête.
1914
- La construction du canal, commencée 34 ans plus tôt, est achevée par les repreneurs américains pour un surcoût très modeste.
Sources
Articles connexes
Liens externes
Bibliographie
- L'affaire Panama, Dr Pierre-Alexandre Bourson, éditions de Vecchi, 2000, Paris
- Les deux scandales de Panama,Jean Bouvier, Gallimard
- Eurotunnel Panama: deux grands défis de l'histoire, Guy Fargette, Editions L'Harmattan, 1997, Paris
- Les scandales de la République: de Panama à l'affaire Elf,Jean Garrigues, Robert Laffont, 2004
- Les Etats-Unis et le canal de Panama, Georges Fischer,Éditions l'Harmattan, 1979, Paris
- Le scandale de Panamá, Jean-Yves Mollier, Fayard, 1991, Paris
Notes et références
- ↑ Enquête sur l'histoire, N°6, printemps 1993, Le scandale du Panama, p.17
- ↑ François Broche, La IIIe République de Thiers à Casimir-Perier, Pygmalion 2001 p.496-498
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