- Ripisylve
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La forêt riveraine, rivulaire ou ripisylve (étymologiquement du latin ripa, « rive » et sylva, « forêt ») est l'ensemble des formations boisées, buissonnantes et herbacées présentes sur les rives d'un cours d'eau, ou zone riparienne, la notion de rive désignant l'étendue du lit majeur du cours d'eau non submergée à l'étiage.
Les ripisylves sont généralement des formations linéaires étalées le long de petits cours d'eau, sur une largeur de 25 à 30 mètres, ou moins. (Si la végétation s'étend sur une largeur de terrain inondable plus importante, on parlera plutôt de forêt alluviale ou forêt inondable ou inondée.)
Fonction de maintien des berges
Des arbres isolés et hauts seraient rapidement déchaussés par le courant. Des berges uniquement couvertes d'herbacés sont creusées par le dessous, et s'écroulent par pans entiers. C'est la multiplicité des essences, des types de plantes et de racines qui rend les ripisylves si résistantes.
Pour assurer une protection maximale des berges contre l'érosion, la ripisylve doit être large d'au moins 6 mètres[réf. nécessaire], sur chaque berge. Elle doit être dense et équilibrée et dominée par les buissons pour conserver 15 à 20 % d’éclairement[réf. nécessaire]. « Équilibrée » signifie qu'elle doit être composée d'arbres de tous les âges et de 3 strates végétales :
- arborescente avec par exemple : érable argenté, frêne, sycomore, …
- arbustive, avec par exemple : saule, aubépine, coudrier, …
- herbacée, avec par exemple : typha, jonc, carex, ou des espèces de la famille des Poaceae.
L'association des systèmes racinaires des végétaux rivulaires maintient dans ce cas de manière optimale la terre des berges à toutes les échelles : Les graminées stabilisent le sol à l'échelle des mottes de terre grâce à leurs racines, les arbustes fixant de petites portions de berges grâce à leurs racines et radicelles, les arbres stabilisant le tout par sections de plusieurs mètres de berges.
Fonction de corridor
La ripisylve est un corridor biologique particulier, qui a d'importantes fonctions d'abri et de source de nourriture pour un grand nombre d'animaux (insectes, reptiles, oiseaux, mammifères, poissons, crustacés..) qui la colonisent, ou en dépendent pour leur nourriture. Certaines espèces leur sont partiellement inféodées (castor par exemple), d'autres s'y réfugient lors d'inondations importantes.
La fonction « corridor » se manifeste de deux grandes manières ;- - comme « conduit » (eau, berges) permettant à des espèces de circuler (dans les deux sens)
- - comme lieux d'un flux emportant des propagules et graines. Ces propagules se font ainsi passivement transporter ; essentiellement de l'amont vers l'aval (hydrochorie directionnelle), avec quelques exceptions lors des crues, ou quand des poissons ou oiseaux "remontent" des graines ou propagules vers l'amont ou d'autres bassins versants. Cette forte directionnalité des flux de gènes et propagules a des impacts complexes sur la diversité génétique de certaines populations et métapopulations (crustacés, plantes aquatiques ou palustres). Les propagules se déposent le long des berges de manière différentiée selon les espèces en fonction de la saison et de la hauteur de l'eau, mais aussi de la capacité des graines à flotter plus ou moins longtemps ou à s'accrocher aux aspérités des berges.
L'étude de ces phénomènes vise notamment à mieux comprendre pourquoi et comment l'artificialisation des berges, la destruction ou l'insularisation écologique des « annexes hydrauliques » (bras morts, zones humides adjacentes, etc) des cours d'eau peut menacer la biodiversité et la survie de tout ou partie des espèces utilisant l'hydrochorie pour coloniser de nouveaux milieux[1],[2] [3],[4].
Fonction d'habitat
Pour les habitants de la rivière (poissons, insectes), cavités, racines et radicelles offrent de nombreux abris (vis-à-vis du courant et des prédateurs) et parfois de support de ponte. D'autre part, l'ombre portée sur la rivière semble rassurante pour de nombreuses espèces qui réduisent leur activité en pleine lumière (espèces lucifuges). Elle permet aussi de garder l'eau assez fraîche en été (essentiel pour les salmonidés) et de limiter le colmatage de frayères par des algues.
C'est un écotone notamment apprécié des martin-pêcheurs, des loutres, ou des castors (qui la modifient et y entretiennent des ouvertures dans la strate arborescente).
Fonctions épuratrices
Le système racinaire de la ripisylve, et la fonge et les bactéries qui y sont associés (symbiotes ou non) constituent également une pompe épuratrice pour certains polluants (phosphates et nitrates d'origine agricole ou urbaine, radionucléides, etc)[5].
Fonction inertielle
La ripisylve joue aussi un rôle majeur de ralentisseur de l'onde de crue, contribuant aussi à la rétention normale de sédiments (diminuant le risque de surcreusement des rivières qui peuvent entrainer une baisse de la nappe).
Si elle est source de matériaux (branches, feuilles) risquant de faire embâcle en aval, elle en bloque d'autres venant de l'amont, très efficacement dans le cas des ripisylves qui poussent sur des « chevelus » de rivière (systèmes aussi dits en tresses).Potentiel de restauration
Dans de nombreuses régions, un important linéaire de ripisylve pourrait être reconquis ou qualitativement amélioré.
Par exemple, la Wallonie disposait en 2006 de 18 000 kilomètres de cours d’eau, constitués à 80 % de petits cours d’eau (moins de 5 mètres de large) de bonne qualité car situés en forêt pour plus d'un tiers de ce linéaire. JB Schneider[6] estime qu'environ 40 % des ripisylves wallonnes sont cependant trop artificielles (espèces et structure inadéquates). Les peuplements de résineux (acidification, ombre dense) sont en cause, mais aussi l'ombre des peuplements monospécifiques trop denses qui nuit aux strates basses qui fixent aussi les berges et à la biodiversité. Là où il n'y a plus de castors et de grands herbivores, les ripisylves ne sont plus éclaircies et là où les chevaux et vaches sont densément présents, ils mangent toutes les pousses avant qu'elles ne s'épanouissent.Diversité biologique
La biodiversité au sein des ripisylves est souvent élevée, voire très élevée en zone tropicale. En zone tempérée, aux niveaux locaux, la diversité biologique des plantes ligneuses et forestières semble dépendre à la fois de l'histoire de la forêt, de la naturalité du cours d'eau et du boisement, et de la position biogéographique, ainsi que de sa position dans le bassin versant[7].
Évaluation de la qualité des ripisylves
Une évaluation peut être demandée par exemple lors de mesures agro-environnementales, ou dans l'application de la directive cadre sur l'eau ou de l'élaboration ou évaluation d'une trame verte ou d'un réseau écologique.
L'évaluation qualitative et quantitative peuvent notamment porter sur :
- sa structure (strates verticales)
- son importance par rapport au linéaire de berge
- la diversité des essences, et la biodiversité qu'elle abrite
- sa naturalité (incluant la conservation d'espaces de divagation du cours d'eau, de méandres, de bras morts, etc. absence de digue, murs, berges de palplanches, tunages, etc.)
- son caractère de continuum biologique
- son épaisseur et son opacité (selon la saison)
- sa faune associée (poissons, loutre, castor, martin-pêcheur, etc)
- son état, et l'état de l'eau et des berges (signes d'érosion par le bétail, etc.)
- son degré de protection ou de vulnérabilité à la coupe
- sa capacité à préserver l'eau des engrais, pesticides ou autres polluants du bassin versant
Association de ripisylves et de bandes enherbées pour créer des zones-tampon et de Protection
L'expérience américaine de Bear Creek a apporté beaucoup d'informations sur de telles zones-tampon. En 1990, la plantation d'une ripisylve le long d'un segment de la Bear Creek (photo ci contre) a été associée à la restauration d'une bande enherbée en bordure de rivière. Ce site a été largement étudié durant dix ans, par des scientifiques de l'université d’État de l'Iowa et des spécialistes en agroécologie (du Leopold Center for Sustainable Agriculture).
On a notamment montré là que cette zone tampon a eu de nombreux intérêts :
- Elle a permis de diminuer jusqu'à 90 % les apports en sédiments dans les eaux de ruissellement
- 80 % les apports en azote et phosphore ont été éliminé des eaux de ruissellement qui eutrophisaient avant cela la rivière.
- Elle a permis de multiplier par 5 le nombre d'oiseaux accueillis (par rapport à un champ ou à une zone intensivement pâturée).
- L'eau s'y infiltre 5 fois plus vite vers la nappe que dans un champ ou une pâture intensive. Jusqu'à 90% de nitrates sont épurés avant d'atteindre les eaux souterraines et l'érosion des berges a diminué de 80% (par rapport au champs ou pâture intensive).
- L'efficacité maximale pour diminuer l'apport en sédiments a été atteint rapidement (en 5 ans).
- En 10-15 ans l'efficacité maximale pour l'élimination des nutriments dans les eaux étai atteinte. Le taux de carbone organique du sol a augmenté jusqu'à 66%.
- La zone tampon s'est montrée la plus efficace quand elle était située dès la partie amont (haute) du bassin versant.
Dans un second temps, la recherche s'est étendu en amont et aval, avec la plantations de 14 nouvelles zones-tampon le long de 14 mile de rivière dans le comté de Story et celui d'Hamilton. Près de 50 % des agriculteurs riverains se sont maintenant associés à ce programme de conservation et ont restauré de telles zones-tampon. Le site a été visité par plus de 50 ONG de conservation de la nature et agricoles de l'Iowa[8].
Dans le monde, les fonctions écologiques et physiques des ripisylves commencent à être reconnues, et donc à justifier qu'elles soient mieux protégées et parfois restaurées. Les moyens ou outils de protection sont parfois des mises en réserve naturelle et plus souvent des mesures agri-environnementales (en milieu rural, et conjointement aux bandes enherbées, avec parfois, par une protection foncière volontaire ou négociée de la part des propriétaires (conservation easement ou Easement refuge dans le droit anglo-saxon, ou servitude environnementale pour les francophones, qui peuvent donner droit à d'importants avantages fiscaux), projet de Trame verte et bleue nationale en France (suite au Grenelle de l'environnement et généralement dans le cadre des SDAGE, etc.).
- Au Québec, la bande riveraine, au-delà du littoral d'un cours d'eau, est protégée sur une largeur de 10 à 15 mètres selon la Politique de protection des rives, du littoral et des plaines inondables[9] .
Notes et références
- Henry, C., C. Amoros, and N. Roset. 2002. Restoration ecology of riverine wetlands: A 5-year post-operation survey on the Rhône River, France. Ecological Engineering 18:543-554.
- Henry, C. P. and C. Amoros. 1995. Restoration Ecology of Riverine Wetlands: I. A Scientific Base. Environmental Management 19:891-902.
- Jacquemyn , H. , O. Honnay , K. Van Looy , and P. Breyne . 2006 . Spatiotemporal structure of genetic variation of a spreading plant metapopulation on dynamic riverbanks along the Meuse River. Heredity 96 : 471 – 478.
- Jansson, R., U. Zinko, D. M. Merritt, and C. Nilsson. 2005. Hydrochory increases riparian plant species richness: a comparison between a free-flowing and a regulated river. Journal of Ecology 93:1094-1103
- http://www.mddep.gouv.qc.ca/eau/bassinversant/fiches/bandes-riv.pdf
- Schneider J-B [2007]. Plaidoyer pour une restauration des cordons rivulaires naturels des ruisseaux et ruisselets forestiers. Forêt Wallonne 86 : 43-57 (15 p., 11 fig., 18)
- Résumé en anglais). Daniel A. Sarr, David E. Hibbs. (2007) Multiscale controls on woody plan diversity in western oregon riparian forest. Ecological Monographs 77:2, 179-201 Online publication date: 1-May-2007 (
- Explications en anglais, avec photos)), avec Diapositives décrivant et expliquant comment la zone tampon a été créée, cartes SIG interactives
- http://www2.publicationsduquebec.gouv.qc.ca/dynamicSearch/telecharge.php?type=3&file=/Q_2/Q2R17_3.htm
Bibliographie
- Les forêts riveraines des cours d’eau. Ecologie, fonctions et gestion » Piégay H., Pautou G. & Ruffinoni C. (coord.), 2003, édition IDF.
- Forêts alluviales d’Europe - Ecologie, Biogéographie, Valeur intrinsèque", Annik Schnitzler-Lenoble, Éditions Lavoisier (2007) 400 p. (ISBN 978-2-7430-0935-9)
- Frédéric Mouchet, Arnaud Laudelout, Natacha Debruxelles, Hugues Claessens, Jean-Yves Paquet, Jacques Rondeux, « Guide d’entretien des ripisylves » sur fsagx.ac.be, Faculté universitaire des sciences agronomiques de Gembloux, Janvier 2007
- Exemple belge, avec présentation des problématiques.
- Qu'est-ce qu'une riprisylve ? sur ofme.org, Centre Régional de la Propriété Forestière (CRPF, Provence-Alpes-Côte d'Azur).
- Petit O., 2010, "Le concept de Riparia face aux enjeux contemporains : la nécessité d'une approche interdisciplinaire et intégrée", in : Hermon E. (dir.), La gestion des bords de l'eau, un environnement à risque: pour la définition de riparia dans l'Empire romain, Oxford, British Archeological Survey.
- L'arbre et la rivière sur arbre-et-paysage32.com.
- Fiche illustrée sur la composition de la ripisylve et les conséquences de son absence.
Voir aussi
Articles connexes
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