- Radiobiologie
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La radiobiologie est l'étude des effets biologiques des rayonnements, notamment des rayonnements ionisants, sur les êtres vivants, des moyens de s'en préserver, des traitements à suivre en cas d'irradiation et de leur emploi pour procéder à des investigations dans le corps humain. Elle est également l'ensemble des techniques d'analyses des liquides biologiques qui utilisent un ou des radio-isotopes comme marqueurs.
La radiobiologie actuelle bénéficie d'innombrables découvertes en cinétique cellulaire et en biologie moléculaire. Elle est un apport primordial à l'évolution de la radiothérapie et de la radioprotection.
Sommaire
Les phénomènes biochimiques
Rappel sur les rayonnements ionisants
Article détaillé : rayonnement ionisant.Un rayonnement est dit « ionisant » lorsque celui-ci est susceptible de provoquer l'arrachement des électrons périphériques de la matière. Pour cela, il est nécessaire que l'énergie du rayonnement incident soit suffisante pour arracher un électron, c'est-à-dire que cette énergie soit supérieure à l'énergie de liaison minimale des électrons du milieu.
On distingue deux types de rayonnements ionisants :
- Rayonnement directement ionisant
C'est un rayonnement constitué de particules chargées électriquement :
- Rayonnement indirectement ionisant
C'est un rayonnement particulaire et/ou électromagnétique non-chargé électriquement :
Les effets des radiations sur la matière vivante sont le résultat final d'évènements physiques initiaux. Le rayonnement ionisant agit par transfert d'énergie à la matière et l'effet biologique final résulte d'une chaîne d'évènements physiques et de transformations chimiques qui sont déclenchés par les phénomènes d'ionisation.
Effets physiques et chimiques
L'effet d'un rayonnement ionisant se manifeste dans un premier temps par une interaction entre le rayonnement et la matière : en quelques nanosecondes, le rayonnement interagit avec les électrons périphériques de la matière biologique, provoquant l'apparition au sein du tissu irradié d'atomes excités, puis des ionisations.
Les interactions radio-chimiques sont qualitativement identiques pour tous les rayonnements ionisants et interviennent dans un délai très court (10-5 secondes)
- Action directe
La molécule ionisée est devenue instable. Lors de la réorganisation du cortège électronique elle expulse l'excédent d'énergie, soit par émission de photons de fluorescence soit par rupture de liaison, ce qui peut entraîner une altération de son activité biochimique ou sa destruction. Après quelques microsecondes, l'excitation et l'ionisation entraînent l'apparition de radicaux libres, fortement réactifs.
L'organisme humain est constitué de plus de 2/3 d'eau. Sous l'action du rayonnement ionisant, les molécules d'eau se décomposent pour donner des radicaux libres.
- Action indirecte
La molécule interagit avec les radicaux libres engendrée par la radiolyse de l'eau.
Après quelques millisecondes, ces radicaux libres provoquent des réactions chimiques anormales, qui dénaturent les protéines et autres constituants de la cellule, rompent les liaisons de l'édifice cellulaire et en perturbent le fonctionnement et la structure. Les radicaux libres produits sont de haute réactivité chimique. Les radicaux libres produits par la radiolyse de l'eau ont une durée de vie très courte, ils sont de puissants oxydo-réducteurs capables d'attaquer les molécules organiques dont les acides désoxyribonucléiques pour former des radicaux libres organiques. Or, ce sont les atteintes de l'ADN qui provoquent soit la mort cellulaire soit les effets tardifs. Ce sont ces perturbations qui conduisent, après un temps de latence plus ou moins long, à la manifestation de radiolésions.
Effets sur l'ADN
Les molécules d'ADN sont les constituants principaux des chromosomes qui interviennent dans les procédés de transfert d'information génétiques des cellules mères aux cellules filles et, par l'intermédiaire des différents ARN, dans la synthèse des protéines.
L'altération la plus connue est la rupture de chaîne, due au radical OHo. Le nombre de ruptures croit avec la dose reçue, et l'énergie minimale requise serait de l'ordre de 10 eV. Lors de la rupture simple, des molécules d'eau entrent dans la brèche créée par le radical libre : les ponts hydrogène entre les acides nucléiques se cassent et les deux brins s'écartent l'un de l'autre. Ce genre d'altération de l'ADN est réparable par des enzymes de réparation qui parcourent l'ADN de la cellule : processus d'excision-resynthèse, transkylation...
Cependant il peut y avoir des répercussions sur la réplication de l'ADN qui peuvent engendrer des mutations dont la probabilité varie selon la phase (il y en a 4) du cycle cellulaire dans laquelle se trouve la cellule.Il y a 5 grands types d'altération de l'ADN :
- Cassure de chaîne ADN, d'un brin ou des deux brins,
- Dégradations des bases puriques ou pyrimidique,
- Création de sites sans bases par perte d'une base,
- Pontage ADN-protéine, liaison entre une base et acide aminé,
- Addition des produits de la péroxydation à des bases de l'ADN .
Les radio-lésions de l'ADN ne sont pas directement observables, elles se traduisent pas des anomalies de structure ou modifications du nombre de chromosomes visibles au microscope lors de la condensation chromosomique.
Les rayonnement ionisants peuvent également perturber le déroulement du cycle cellulaire et entraîner la mort de la cellule, sachant que la cellule est plus radiosensible en phase G2 et en phase M. Les mitochondries sont très radiosensibles, elles gonflent, et sont détruites en quelques heures. La réparation s'observe au bout d'un ou deux jours. Les radiolésions du cytoplasme sont généralement guérissables, tandis que celles du noyau provoquent généralement la mort cellulaire si la dose est importante. Seules les liaisons de l'ADN provoquent des effets à long terme, au-delà de quelques jours.
L'étude de l'effet des rayonnements ionisants sur les dommages de l'ADN[1] montre que les dommages constatés sont qualitativement les mêmes que ceux subissent spontanément par les cellules, mais pas leur distribution. Toutes proportions gardées, l'exposition d'une cellule à des rayonnements ionisants augmente la proportion de cassures double brin et de ponts ADN/ADN et ADN/protéine.
Dommage ADN Lésions spontanées/cellule/jours Lésions radio-induites/Gy Cassures simple brin 10 000 à 55 000 1000 Perte de base 12 600 Non évaluée Dommage de base 3 200 2 000 Cassure double brin 8 40 pont ADN/ADN 8 30 pont ADN-proteine quelques 150 sites multilésés Non évalué quelques L'effet des rayonnements ionisants sur l'induction des mutations, de la transformation cellulaire et la perte de la capacité proliférative ne correspond pas aux effets de lésions isolées, mais s'explique par la création de lésions en grappe, qui entraînent des cassures double-brin ou d'autres lésions plus complexes. « Les rayonnements ionisants produisent des lésions ponctuelles des molécules d'ADN, distribuées de façon aléatoire. Ces lésions très instables, dites primaires, seront pour la plupart réparées de façon fidèle. Les lésions qui échappent au processus de réparation peuvent donner lieu à des lésions résiduelles stables, les seules capables d'expression biologique. »[2]
Effets cellulaires
La réparation des lésions fait intervenir les enzymes les plus remarquables que l'on connaisse. « Les ruptures simple brin sont réparées en quelques secondes ou minutes. La plupart des autres lésions sont réparées en quelques heures. »[2]
« Vu le mécanisme en plusieurs étapes de la carcinogenèse, on ne sait pas si la linéarité dose-effet pour la lésion primaire complexe de l'ADN et les lésions cellulaires fixées, qui sont critiques, entraîne une relation dose-effet linéaire en ce qui concerne les cancers induits par l'exposition aux rayonnements. »[1]
L'effet à long terme dépend de la dose et du débit de dose : pour de nombreux gènes, la transcription des gènes cellulaires est modifiée par des doses beaucoup plus faibles (de l’ordre du mSv) que celles pour lesquelles on observe une mutagenèse ; et donc selon la dose et le débit de dose ce ne sont pas les mêmes gènes qui sont transcrits[3].
- Pour des très faibles doses d'irradiation (<10 mSv), les lésions ne sont pas réparées et le contrôle qualité de la cellule fonctionne en tout ou rien. Les lésions sont éliminées par la disparition des cellules, soit directement par apoptose (suicide cellulaire programmé par l'apparition d'un génome anormal), soit au moment d'une mitose ultérieure (l'anomalie génétique empêchant la division cellulaire, mais pas son fonctionnement). Pour ces faibles doses et débits de doses, les anomalies sont suffisamment rares pour que l'élimination des cellules anormales n'entraîne pas d'effet somatique sur le tissu.
- Des doses un peu plus élevées endommageant un nombre notable de cellules, et sont donc susceptibles de causer des lésions tissulaires. Pour des doses comprises entre 10 et 100 mSv, les systèmes de réparation de l’ADN sont activés. La réparation permet alors la survie cellulaire, mais peut générer des erreurs. Le nombre de réparations fautives mutagènes est petit mais son importance relative, par unité de dose, croît avec la dose et le débit de dose.
Par la suite, une mutation sera transmise lors de la division cellulaire, mais l'évolution de la cellule anormale dépendra de son environnement : le processus de cancérogenèse se heurte à des mécanismes efficaces de défense à l’échelle du tissu et de l’organisme, qui doivent eux-mêmes être mis en défaut pour qu'un cancer apparaisse.
Le débit de dose pour lequel le nombre de cassure double brin dû à l’irradiation est égal à celui produit pendant le même temps par le métabolisme cellulaire chez les cellules en prolifération (CDB endogènes) est de 5 mGy/min ; ce nombre est de 0,14 cassure double brin par minute dans les deux cas[4].
Effets sur les organismes
Types d’effets
Les effets des rayonnements ionisants englobent une vaste gamme de réactions très différentes les unes des autres dans leur relation dose-effet, leurs manifestations cliniques, leur succession dans le temps et les pronostics correspondants. Par commodité, on subdivise souvent les effets en deux grandes catégories:
- effets héréditaires, ou effets génétiques qui se manifestent chez les descendants des personnes exposées ; et
- effets somatiques, qui se manifestent chez les personnes exposées elles-mêmes. Ces derniers comprennent les effets aigus, qui apparaissent peu après l’irradiation, et les effets à long terme (ou différés), qui peuvent se manifester des mois, des années ou même des décennies plus tard.
Effets aigus
Article détaillé : Syndrome d'irradiation aiguë.Les effets aigus des rayonnements ionisants résultent surtout de l’appauvrissement en cellules capables de reproduction dans les tissus irradiés et ne se manifestent qu’en présence de doses assez importantes pour détruire beaucoup de ces cellules. C’est pour cette raison que l’on considère que ces effets sont de nature non stochastique ou déterministe.
Les lésions aiguës, qui étaient courantes chez les premiers travailleurs exposés aux rayonnements ionisants et les premiers malades soumis à des traitements de radiothérapie, ont pratiquement disparu par suite de l’amélioration des mesures de sécurité et des méthodes de traitement. Il s'agit essentiellement d'accidents industriels (catastrophe de Tchernobyl) et, plus rarement, d'accidents médicaux. La gravité de ces irradiations généralisées dépend de la dose reçue et peut aller jusqu'au décès.
Effets chroniques
Il s'agit essentiellement d'effets mutagènes et cancérogènes, considérés comme des phénomènes stochastiques résultant d’altérations moléculaires aléatoires de cellules individuelles, dont la fréquence croît en fonction linéaire de la dose. Il existe également un risque plus important de survenue de maladies cardio-vasculaires[5].
La réaction à une irradiation très localisée, produite par une source extérieure ou un radionucléide déposé à l’intérieur de l’organisme, tend à se manifester lentement avec peu de symptômes ou de signes extérieurs, à moins que le volume de tissus irradiés ou que la dose ne soient relativement importants.
Certains radionucléides, comme le tritium (3H), le carbone 14 (14C) et le césium 137 (137Cs), tendent à se répartir dans tout l’organisme, produisant une irradiation totale, tandis que d’autres radionucléides se fixent plutôt dans des organes particuliers, provoquant des lésions très localisées. Le radium et le strontium 90 (90Sr), par exemple, se fixent essentiellement dans les os, causant surtout des lésions osseuses, tandis que l’iode radioactif se concentre dans la glande thyroïde, qui est donc la première atteinte.
Notes et références
- W. Burkart et al., Damage pattern as a function of radiation quality and other factors (Caractéristiques des lésions provoquées dans les structures cellulaires, en fonction de la qualité du rayonnement et des autres facteurs), Comptes Rendus de l’Académie des Sciences - Series III - Sciences de la Vie Volume 322, Issues 2-3, February-March 1999, Pages 89-101 Paris, pp. 89–101
- ISBN 2-225-85636-2). Biophysique (p. 62 & suivantes), Pierre Galle, Raymond Paulin, Elsevier Masson, 2000 (
- La relation dose-effet et l’estimation des effets cancérogènes des faibles doses de rayonnements ionisants. Maurice Tubiana et André Aurengo, Rapport à l'Académie nationale de médecine, octobre 2004. D'après
- Avis de l'Académie Nationale de Médecine sur l'exposition aux faibles doses (22 juin 1999), rapport par Maurice Tubiana et André Aurengo. [PDF]
- The non-cancer mortality experience of male workers at British Nuclear Fuels plc, 1946–2005, Int J Epidemiol, 2008;37:506-518 McGeoghegan D, Binks K, Gillies M, Jones S, Whaley S,
Liens externes
- (fr) Site du CEA Radiobiologie
- (fr) Cours sur la radiobiologie de l'université de Rennes 1.
- (fr) Cours sur la radiobiologie de l'école vétérinaire de Lyon.
- (fr) Diaporama de présentation de la radiobiologie.
- (fr) Rapport des impacts de la radiobiologie sur la radioprotection. (nécessite Adobe Acrobat Reader PDF pour la version complète)
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