Art des vers

Art des vers

Versification française

La versification française est l'ensemble des techniques employées dans l'expression poétique traditionnelle en langue française, et les usages qui y règlent la pratique du vers, le regroupement en strophes, le jeu des rythmes et des sonorités comme les types formels de poèmes. Terme au contenu purement technique, la versification se distingue de l' « art poétique » qui renvoie à des conceptions esthétiques de la poésie revendiquées par une personne ou un groupe.

Cet article propose une présentation générale de ces données techniques ; on trouvera des développements détaillés dans les articles spécifiques comme métrique, vers, rime, enjambement, etc.

Sommaire

La métrique

Le décompte des syllabes

L'unité de mesure du vers français est la syllabe. Le mètre est le nombre de syllabes comptées dans un vers, ce qui détermine le type du vers.

Comme il faut et il suffit d'une voyelle pour composer une syllabe, nous pouvons dire que notre versification est vocalique.

Le plus simple est de commencer par des vers alexandrins monosyllabiques, où l'on voit clairement apparaître les douze voyelles qui les composent :

  • Je sais ce que je suis et ce que je me dois.

Corneille, Don Sanche d’Aragon.

  • Je sais bien que je fais ce que je ne dois fair(e)

Ronsard, Les amours de Marie, LIV.

Comme la voyelle "e" abonde en ces deux exemples, il importe de signaler qu'en fin de vers cette voyelle (-e, -es, -ent) ne compte pas. Elle est dite muette, comme dans le second alexandrin, et la rime est appelée féminine, tandis que dans le premier alexandrin, la rime est appelée masculine. À vrai dire, phonétiquement parlant, et c'est souvent le cas, la rime masculine est, comme ici, vocalique et la rime féminine consonantique. Mais il arrive, cela est plus rare, que ce soit le contraire.

  • Je vois trop que vos cœurs n'ont point pour moi de fard.

Corneille, Cinna.

  • Que je ne puis la voir sans voir ce qui me tu(e).

Corneille, Don Sanche d’Aragon

C'est là en vérité ce qui crée la diversité orale des rimes.

À l'intérieur du vers, cette voyelle ne se prononce pas en fin d'un mot si le mot qui suit commence par une voyelle. Le "e" est élidé. En revanche, elle se prononce si le mot qui suit commence par une consonne. Le "e" est compté dans la mesure du vers.

  • J'ai rêvé dans la grott(e) où na-ge la sirèn(e).

Nerval, El desdichado.

Cet alexandrin contient trois mots de deux syllabes dont la dernière contient cette voyelle "e" qui ne se prononce pas toujours.

- e élidé devant une voyelle - grott(e) où

- e prononcé devant une consonne - na-ge la

- e élidé en fin de vers - sirèn(e)

Pour être tout à fait complet à propos de cette syllabe singulière, il est des cas où celle-ci se place à la jonction de deux syntagmes, juste avant une césure vocale, ce qui a pour effet d'allonger la syllabe qui précède et de servir à contretemps d'élan de propulsion du syntagme suivant.

  • Mada_me | voulez-vous que je vous parle net?

Molière, Le misanthrope

On a proposé d'appeler "voyelle blanche" cette "muette qui se prononce", et qui est tantôt linéaire, tantôt à contretemps.[1]

En voici deux exemples sur la finale de mot "gloire".

  • La-gloi-re-d'o-bé-ir | est tout ce qu'on nous laisse.

Racine, Andromaque.

  • Mon sort est accompli; | vo-tre-gloi_re | s'apprête.

Racine, Bérénice.

Dans les vers classiques, le "e" s'élide dans les fins de verbes à la troisième personne du pluriel.

  • Nos ennemis communs devrai(ent) nous réunir.

Racine, Andromaque.

Le "e" est parfois élidé entre une voyelle et une consonne à l'intérieur d'un mot.

  • Je ne t'envi(e)rai pas ce beau ti-tre d'honneur.

Corneille, Le Cid.

Cependant il en allait différemment au Moyen Âge et au XVIe siècle.

  • La vi-e que j'avais m'est de douleur ravi(e).

Garnier, Hippolyte.

En revanche le "e" s'élidait souvent à l'hémistiche de l'alexandrin. C'est ce qu'on appelle une "césure épique".

  • Les pierres précïeus(es) valent mieus d'un chastel.

Le Roman d'Alexandre I.

Dans ce dernier exemple le tréma sur l'i de "précieuses" indique une diérèse.

Diérèse et synérèse

Certaines syllabes uniques en prose sont dédoublées dans l'élocution versifiée, ce qui a pour effet de transformer une consonne en voyelle qui se juxtapose à la voyelle habituelle du mot. C'est ce qu'on nomme la diérèse : passi-on, ru-ine, rou-et.

  • La nati-on chérie a vi-olé sa foi.

Racine, Esther.

À l'inverse, deux syllabes en prose peuvent être contractées en une seule dans l'élocution versifiée, ce qui a pour effet de transformer une voyelle en consonne qui s'intègre à la voyelle majeure du mot. C'est ce qu'on nomme la synérèse : hier.

  • Hier, j'étais chez des gens de vertu singulière

Molière, Le misanthrope.

On trouve avant Corneille certains mots de trois syllabes dont les deux dernières sont en synérèse : meur-trier, san-glier, bou-clier, peu-plier[2].

L'hiatus

La langue française a retenu la douceur de la prononciation grecque, en faisant sonner les deux voyelles qui se rencontrent. Ainsi elle dit :

On louera_éternellement la bonté_ineffable de Dieu, et la charité_ardente et_infatigable des premiers chrétiens qui a_été_admirée de leurs ennemis mêmes[3].

D’où la grâce de l’hiatus, injustement condamné par Boileau.

"Il semble que, loin d'éviter les hiatus dans le corps d'un mot, les poètes français aient cherché à les multiplier, quand ils ont séparé en deux syllabes quantité de voyelles qui font diphtongue dans la conversation. De tuer, ils ont fait tu-er, et ont allongé de même la prononciation de ru-ine, vi-olence, pi-eux, étudi-er, passi-on, di-adème, jou-er, avou-er, etc. On ne juge cependant pas que cela rende les vers moins coulants; on n'y fait aucune attention; et l'on ne s'aperçoit pas non plus que l'élision de l'e féminin n'empêche point la rencontre de deux voyelles, comme quand on dit année-entière, plaie-effroyable, joie-extrême, vue-agréable, vue-égarée, bleue-et blanche, boue-épaisse"[4]. Paul Valéry parle de la règle incompréhensible de l'hiatus[5]

Il est à remarquer, d'ailleurs, que le français peut enchaîner jusqu'à cinq voyelles, comme dans cet exemple extrême "Il y a eu un heurt entre eux", qui est pour un étranger difficilement prononçable. En revanche, un mot chargé de treize consonnes pour trois voyelles comme "Schröpferschwarm" semble impossible à prononcer pour un français. Ce qui confirme encore une fois la prédilection du français pour les voyelles[6].

Les différents types de vers réguliers

La poésie française privilégie les vers pairs, c'est-à-dire ayant un nombre pair de syllabes.

  • l'alexandrin (12 syllabes) qui doit son nom à sa première apparition dans Le Roman d'Alexandre, poème narratif anonyme du XIIe siècle. C'est le mètre le plus utilisé dans la langue française, dans tous les types d'expression poétique comme les textes du théâtre classique. L'usage traditionnel impose une coupe centrale (la césure) qui divise le vers en deux hémistiches (6/6). Ex. : « Dans la nuit éternelle / emportés sans retour » (Lamartine) ou « Je tisserai le ciel / avec le vers français » (Aragon).
  • le décasyllabe (10 syllabes) dont l'emploi est dominant au Moyen Âge mais plus rare ensuite comporte une coupe traditionnelle 4/6 qui définit des sous-parties paires. Ex.: « Frères humains/ qui après nous vivez » (Villon), mais on rencontre aussi la structure 5/5 avec un effet de balancement. Ex. « Nous aurons des lits / pleins d'odeurs légères » (Baudelaire)
  • l'octosyllabe (8 syllabes) sans coupe régulière se caractérise par la légèreté. Ex. : « Autant en emporte le vent ! » (Villon). Il est assez souvent employé en association avec d'autres mètres plus longs ou plus courts

ex. « Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,

De ta jeunesse ? » (Verlaine)

  • l'hexamètre ou hexasyllabe (6 syllabes) qui se rencontre seul mais qui est souvent utilisé en association avec l'alexandrin pour rompre la monotonie et la majesté.

Ex. : « Il pleure dans mon cœur

Comme il pleut sur la ville ». (Verlaine)

« Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,

L 'espace d'un matin ». (Malherbe)

  • les vers impairs recherchent l'écart et la souplesse :

Ex. La Fontaine : « La cigale ayant chanté (7 syllabes)

Tout l'été »(3 syllabes)...

ou Verlaine (Art poétique):

« De la musique avant toute chose (9 syllabes)

Et pour cela préfère l'impair

Plus vague et plus soluble dans l'air,

Sans rien en lui qui pèse ou qui pose ». (Art poétique)

La mise en cause des mètres traditionnels que constitue l'utilisation des vers impairs apparaît comme une étape vers leur rejet et le vers libre qui marquera la fin du XXe siècle où se rencontre aussi le verset.

Remarque : on parle de "vers blancs" quand le rythme particulier d'une phrase en prose se rapproche d'un mètre traditionnel, tout particulièrement au théâtre (ex. Dom Juan « La naissance n'est rien où la vertu n'est pas !») ou dans la prose poétique.)

Le rythme

Si, en français, la structure du vers se fonde sur un nombre déterminé de syllabes, le rythme en est donné par la syntaxe. Dans la diction d'un énoncé versifié, il s'agit de trouver l'équilibre entre le rythme et le nombre.

Les coupes

Fondé sur le jeu des accents le rythme repose sur des coupes secondaires ou principales qui suivent les accents toniques placés sur la dernière syllabe accentuée d'un mot ou d'un groupe de mots formant une unité grammaticale, et donc un groupe rythmique. On repère en particulier les rythmes binaires constitués par deux mesures de six syllabes qu'on appelle hémistiches. L'alexandrin classique obéit à ce schéma :

  • Qui n'a pu l'obtenir | ne le méritait pas.

Corneille, Le Cid

L'alexandrin peut comporter des coupes secondaires, créant parfois des tétramètres constitués par quatre mesures de trois syllabes.

  • C'est Vénus | tout entière | à sa proie | attachée.

Racine, Phèdre

On rencontre aussi des rythmes ternaires comportant trois mesures de quatre syllabes, avec effacement de l'hémistiche, trimètre caractéristique de l'alexandrin romantique.

  • J'ai vu le jour | j'ai vu la foi | j'ai vu l'honneur.

Hugo, Le petit roi de Galice.

Trois syntagmes sont parfois disposés selon un ordre croissant ou décroissant :

  • Seigneur | de ce départ | quel est donc le mystère?

Racine, Bérénice.

  • La rue assourdissant | autour de moi | hurlait.

Baudelaire, À une passante.

En français, donc, l'accent n'est pas métrique, il est linguistique.[7] Si bien que la césure apparaît partout où elle coupe la phrase :

  • Tiens, | le voilà! | Marchons. | Il est à nous. | Viens. | Frappe.
  • Hélas! | Quel est le prix des vertus? | La souffrance[8].

Comme on le voit, le second syntagme de cet alexandrin ne peut être césuré vocalement. Pas plus que dans celui-ci :

  • Courez au temple. | Il faut immoler... | - Qui? | - Pyrrhus.

Racine, Andromaque.

Quand le syntagme a le même nombre de syllabes que le vers, celui-ci est appelé linéaire, et doit être phrasé d'un trait :

  • Volage adorateur de mille objets divers

Racine, Phèdre.

  • Aboli bibelot d'inanité sonore

Mallarmé, Sonnet en X.

  • Et la tigresse épouvantable d'Hyrcanie

Verlaine, Dans la grotte.

  • Fileur éternel des immobilités bleues

Rimbaud, Le bateau ivre.

Dans ces deux derniers exemples l'hémistiche classique a complètement disparu.

Comme en ces deux autres, où la finale "muette" qui se prononce, la voyelle blanche, de "entre" est située en sixième position et celle de "lune" en septième position de l'alexandrin.

  • Il agonise entre le mensonge et la fable

Cocteau, Le casque de Lohengrin.

  • Par une bonne lune de brouillard et d'ambre,

La Tour du Pin, Enfants de septembre.

Au bout du compte, ce sont les poètes qui ont le dernier mot.

"Les fidèles à l’alexandrin, notre hexamètre, desserrent intérieurement ce mécanisme rigide et puéril de sa mesure ; l’oreille, affranchie d’un compteur factice, connaît une jouissance à discerner, seule, toutes les combinaisons possibles, entre eux, de douze timbres."

Mallarmé, Crise de vers.

L'enjambement

Il apparaît quand il y a discordance entre la structure grammaticale et la structure rythmique des vers (= débordement). Exemple avec séparation du sujet et du verbe :

« Ma seule étoile est morte, - et mon luth constellé

Porte le soleil noir de la Mélancolie ». (Nerval - El Desdichado)

L'enjambement est parfois accompagné de procédés de mise en relief que sont le rejet quand l'élément décalé au début du deuxième vers est bref, (ex « L 'empereur se tourna vers Dieu; l'homme de gloire // Trembla ; » Hugo – L'Expiation) ou le contre-rejet quand un élément bref est mis en valeur à la fin du premier vers (ex. « Un enfant accroupi, plein de tristesse, lâche //Un bateau frêle comme un papillon de mai » Rimbaud - Le Bateau ivre).

Article détaillé : enjambement (poésie).

Le travail sur les sonorités

La rime

C'est le retour de sonorités identiques à la fin d'au moins deux vers avec pour base la dernière voyelle tonique. Différente de l'assonance médiévale, la rime impose l'homophonie des sons consonantiques qui suivent la dernière voyelle prononcée s'ils existent. Elle peut être enrichie par la reprise de sons complémentaires qui précèdent la voyelle.

  • La disposition :
    • rimes suivies ou plates : AABB (chanté/été/dépourvue/venue)
    • rimes croisées : ABAB (pensées/bruit/croisées/nuit)
    • rimes embrassées ABBA (chandelle/filant/s'émerveillant/belle) ou mêlées (sans ordre):
  • Le genre des rimes :

Principe de l'alternance entre rimes masculines (= qui ne comportent pas de "e" final [ou -es, -ent]) et rimes féminines (= qui comportent ce -e final qui ne compte pas dans les syllabes). L'alternance est d'usage depuis le XVIe siècle et de règle depuis Malherbe.

  • La richesse des rimes (on dit parfois de manière plus ambiguë la qualité) : elle est déterminée par le nombre de sons communs.
    • rime pauvre = 1 son commun (dernière voyelle tonique seule). Ex. : aussi / lit = masculine pauvre - vie / remplie = féminine pauvre
    • rime suffisante = 2 sons communs (la dernière voyelle tonique + une consonne prononcée derrière ou devant ou + une autre voyelle devant). Ex. animal/chacal - horizon/maison - nuées/huées...
    • rime riche = 3 sons communs (rime suffisante + un autre son devant). Ex. cancre/ancre - prêteuse/emprunteuse...

Au-delà on parle de rimes très riches (ex. arbres / marbres).

Il existe aussi des jeux de reprise plus subtils comme la rime équivoquée qui joue sur plusieurs mots (ex. : la rose / l'arrose) ou le parallélisme entre deux vers entiers = holorime (« Gal, amant de la reine, alla, tour magnanime, galamment de l'arène à la tour Magne à Nîmes » (Marc Monnier[9]), ou l'emploi de rimes intérieures (reprise à l'hémistiche ou rime entre les hémistiches...)

Remarques:

- en principe la rime ne prend en compte que les sons, pas les lettres ni les syllabes, mais on fait cependant rimer une "apparence" de singulier avec une "apparence" de singulier et une apparence de pluriel avec une apparence de pluriel : c'est la "rime pour l'œil" (ex. ailleurs/fleurs - attends/longtemps - hiver/enlever chez Baudelaire)

- on évite les rimes faciles qui utilisent le même mot (voir/revoir) ou le même suffixe (neigera/marchera - capable/périssable...)

Les reprises de sonorités

Elles peuvent fonctionner sur un ou plusieurs vers.

  • L'assonance : reprise du même son vocalique. Ex. le son [an] : « Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant » (Verlaine).
  • L'allitération : reprise d'un son consonantique. Ex. le son «r» : « Tandis que les crachats rouges de la mitraille » (Rimbaud).
  • L'harmonie imitative : association soulignée du son et du sens. Ex. le son «s» : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur nos têtes... » (Racine).

La strophe

C'est un groupement régulier de vers avec (le plus souvent) un système complet de rimes et de mètres (mais pas dans le tercet par exemple). La dénomination est liée au nombre de vers : distique, tercet, quatrain, quintil, sizain, septain, huitain, neuvain, dizain (sauf la laisse médiévale, strophe de longueur variable utilisant la même assonance, i.e. l'identité acoustique de fin de vers ne prenant en compte que la dernière voyelle prononcée). On distingue les strophes isométriques (mêmes vers) et les strophes hétérométriques (vers différents) comme la stance.

1- Le monostiche (1 vers)

Pas de schéma de rime pour le monostiche, bien sûr, car ne contentant qu’un seul vers !

Et l’unique cordeau des trompettes marines
Guillaume Apollinaire

2- Le distique (2 vers)

C’est le seul cas où l’on peut tolérer des rimes plates. En général, en poésie classique, on évite ce type de rime trop banal, auquel on préfère les rimes croisées ou embrassées. Cette forme convient aux épigrammes.

Quels que soient les excès, ils ne mènent à rien
Puisque, même le mieux, est l'ennemi du bien !
Jean-Jacques Bloch

3- Le tercet (3 vers)

La strophe de trois vers, ou tercet, constitue une véritable strophe lorsque les trois rimes sont identiques ; ces sortes de rimes se nomment « ternaires ». La TERZA RIMA ainsi que la VILLANELLE exploitent cette forme de strophe, et on la trouve à la fin du SONNET. Le schéma de rime peut être de la forme A/B/A ou A/B/B ou encore A/A/B. Mais seul, le tercet préfère la forme croisée A/B/A. Pour les autres cas, le tercet n’est pas seul et il entre dans le schéma de rimes d’un ensemble (2 tercets en fin de sonnet, par exemple, de forme C/C/D - E/D/E)

J'ai vécu, je suis mort. Les yeux ouverts je coule (A)
Dans l'incommensurable abîme, sans rien voir, (B)
Lent comme une agonie et lourd comme une foule (A)
Leconte de Lisle : « Le dernier souvenir »)

4- Le quatrain (4 vers)

Les rimes des strophes de quatre vers sont généralement croisées (ABAB), ou embrassées (ABBA), parfois plates (AABB). Dans le cas de rimes embrassées, si la première strophe se compose de deux vers masculins embrassant deux vers féminins, la seconde doit commencer par un vers féminin. D'une façon générale et quel que soit le nombre de vers de la strophe, on doit observer la règle de l'alternance des rimes d'une strophe à l'autre : si la première finit par un vers masculin, la seconde commencera par un vers féminin et vice versa ; les quatrains des sonnets mis à part, bien entendu (car ABBA, puis ABBA à nouveau). La forme embrassée lui donne plus d'unité :

En ce joli dimanche où le soleil domine, (A)
Une fleur souriante à l'aube se distrait, (B)
Exhibant sa splendeur jusqu'en son moindre trait (B)
Par les atouts divins que sa grâce effémine. (A)
Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « Fleurs oubliées »

5- Le quintil (5 vers)

Le quintil se nomme également cinquain ou chinquain. Il comporte le plus souvent trois rimes masculines et deux féminines ou inversement, entremêlées. Il peut aussi s'obtenir par un artifice assez fréquent dans la poésie moderne et qui consiste à répéter le premier vers ou la rime du premier vers de la strophe. La disposition (AABBA) remonte aux rhétoriqueurs de la fin du XVe siècle. On trouve parfois un schème layé, (A12a8b8b8A12) ; c'est souvent le cas, par exemple, chez Malherbe. Chez Musset et Lamartine nous trouvons le schème (ABAAB) ; c'est le quintil du XVe siècle, tel qu'il apparaît chez Jean de la Taille. Chez Victor Hugo, on trouve le quintil (AABAB) à côté du quintil (ABBAB) et du schème lamartinien (ABAAB). Quant à la forme choisie par Banville (ABABA), elle se retrouve chez Baudelaire, et sous forme layée (A12b8A12b8A12).

As-tu conçu jadis l'humain à ton image ? (A)
Correspond-il encore à l'œuvre de l'amour ? (B)
Il croit tout maîtriser, ce n'est pas sans dommage ! (A)
Détruisant son espace et ce qui vit autour. (B)
L'Homme a pris ton crayon et compose à son tour ! (B)
Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « Noble création »

6- Le sizain (6 vers)

Le sizain consiste en deux vers à rimes plates suivis de quatre vers à rimes embrassées ou croisées (AABCCB) ou (AABCBC) ; c'est la forme adoptée par la stance de Malherbe. La strophe à six vers consiste le plus souvent en deux vers à rimes plates suivis de quatre vers à rimes embrassées ou croisées (AA/BCCB). Elle admet deux, plus souvent trois rimes, et deux, ou, plus rarement trois mètres. Citons le sizain hétérométrique composé le plus souvent de quatre vers longs et de deux courts (3e et 6e vers), et plus rarement les deux vers courts sont réunis à la fin de la strophe et il arrive même qu'un vers court unique la termine. Le sizain hétérométrique composé de vers d'un nombre impair de syllabes (sept et trois) cher aux poètes de la renaissance et repris par les romantiques ; en dépit de son corselet bien lacé, il est susceptible d'une remarquable souplesse et d'une charmante fantaisie. Il convient d'ordinaire aux sujets légers mais suscite parfois l'accent d'une mélancolie voilée :

Sarah,
belle indolence
Se balance
Dans un hamac, au-dessus
Du bassin d'une fontaine
Toute pleine
D'eau puisée à l'Illssus.
'Victor Hugo

Une seule fois, chez Malherbe, nous avons le schème (ABBACC) qui, est un sizain à rebours. Souvent les sizains sont disposés en « rhythmus tripertitus », soit dans le schème (AABAAB), sur deux rimes, soit (AABCCB) sur trois rimes ; les rhétoriqueurs ont recommandé la première de ces deux formules.

Souvent la strophe est « couée » ; c'est-à-dire un sizain composé de quatre vers longs et de deux vers courts (3e et 6e vers). Le Moyen Âge, qui avait inventé cette forme, avait surtout pratiqué les mètres courts. Au XVIIe siècle, elle était encore fort prisée ; puis elle s'est fait rare, pour réapparaître, avec le romantisme, d'abord chez Sainte-Beuve, puis chez Victor Hugo qui a pratiqué la strophe couée brève, avec par exemple des sizains (A7A7b4C7C7b4). C'est la strophe « couée brève » qui a fait la fortune de Verlaine dans :

Les sanglots long
Des violons
De l'automne
Blessent mon cœur
D'une langueur
Monotone.
Verlaine

7- Le septain (7 vers)

Le septain possède plusieurs schèmes tel que (AABCBCB), chez plusieurs rhétoriqueurs ; (AABCBCB) chez ronsard ; (AABCBBC), chez Voiture : ce dernier schème n'est valable qu'à la condition de renverser l'alternance des rimes en passant d'une strophe à l'autre, soit : (m m f m f f m / f f m f m m f / etc.). Vigny a fort prisé le septain ; nous le trouvons chez lui sous la forme immuable (ABABCCB), rimes croisées puis embrassées, avec une rime charnière centrale appartenant aux deux systèmes. Tous ses septains sont écrits en alexandrins. Parfois, on rencontre des septains construits sur deux rimes seulement. Leconte de Lisle nous livre un septain construit sur une simple alternance de rimes (ABABABA) ; il adopte aussi le schème (ABAABBA), moins naïf, mais peu satisfaisant pour la symétrie. Victor Hugo, lui, recourt à un septain parfaitement symétrique (ABB ABBA). En outre le dernier vers de sa formule est écourtée.

8- Le huitain (8 vers)

Il existe de faux huitains, dont le schème n'est que la superposition de deux quatrains parallèles ; ainsi dans la disposition (ABABCDCD). Pour constituer ces huit vers en une unité strophique, il faudrait une marque sensible en fin de strophe : il suffirait pour cela de répéter la même rime, en «D» ; ou le même mot final ; ou de faire du dernier vers un refrain. L'octave italienne, dont Aristote et Torquato Tasso ont donné le modèle, suit le schème (ABABABCC). Achevé en distique, ce huitain se prêterait plus volontiers à un sujet de caractère martelé, épique. Le huitain du XIVe siècle n'est autre que celui de la strophe de la Ballade primitive : c'est celui de Guillaume de Machaut. Ce huitain roule sur deux rimes : (ABABBAAB). La ballade de Guillaume de Machaut reprend trois fois cette strophe dont le 8e vers sert de refrain. Parmi les huitains du XVe siècle, celui de Martial d'Auvergne dit aussi Martial de Paris, nous fournit la strophe définitive de la Petite Ballade : (ABABBCBC), où tout est variété (rimes alternées), équilibre (rimes plates au centre, servant de pivot), unité (la rime «B» est présente dans les deux moitiés de la strophe), symétrie nuancée (parfaite inversion du mouvement avec échange de «A» contre «C»). Les rhétoriqueurs ont également pratiqué, outre les formes déjà signalées, un huitain enlacé dont voici la formule : (AABABBCC). Le huitain romantique se signale par la rime triplée dans le schème (ABABCCCB), ou encore par un huitain « quadripertitus caudatus » (AAAbCCCb).

9- Le neuvain (9 vers)

Le schème du neuvain (ABABACDCD), commence par un quintil (ABABA) et se termine par un quatrain alterné. Charles d'Orléans l’a pratiqué dans sa complainte «France, jadis on te voulait nommer...». Victor Hugo reprend ce neuvain légèrement modifié, adoptant pour quintil la forme (ABBAB) qui sera si chère à Leconte de Lisle ; cela nous donne le neuvain (ABBABCDCD). Césurant cette strophe après le 7e vers, Hugo répète les deux derniers vers, en refrain, dans le puissant poème, tout en pentasyllabes dynamiques: «Une nuit qu'on entendait la mer sans la voir» ; schème : (ABBABCDC*D* // EFFEFCDC*D* // etc.). On rencontre aussi un neuvain classique, par exemple chez Thomas Corneille, composé d'un quatrain et d'un quintil : (ABABCDCCD). Le neuvain romantique présente un « rhythmus tripertitus » (AAB/CCB/DDB). Il va s'en dire que ce schème peut être écourté aux 3e, 6e, 9e vers : (AAb CCb DDb). Ne disons rien du neuvain de Vigny avec son schème de (AABBCDDCD) qui n'est qu'un huitain assez plat, qui se termine par un neuvième vers en excédent. Le neuvain parnassien de Leconte de Lisle, construit sur trois rimes seulement, accuse plus d'exigence (ABABCCBCB). On est frappé de l'impression de continuité qui se dégage de la forme de cette strophe : elle tient en grande partie à cette structure fortement nouée, et symétrique ; avec «C» répété trois fois et «B» répété quatre fois, la strophe évolue entre une variété restreinte (AB*AB) et une monotonie insistante (...B/CCBCB*). Chez les rhétoriqueurs, on rencontre cinq types fondamentaux de neuvain, à savoir : – sur deux rimes seulement, un neuvain layé est du plus ravissant effet. Ce neuvain est utilisé dans la Rotrouange écartelée (a3a1B6/a3a1B6/b4b2A8). – sur trois rimes et généralement en décasyllabes : (ABAABBCBC). – sur trois rimes et de préférence en octosyllabes : (AABABBCBC). – sur quatre rimes et le plus souvent en décasyllabes : (ABABCCDCD). – sur quatre rimes avec des octosyllabes : (ABABBCCDD). C'est là une mauvaise formule, qui semble être un dizain de Ballade avorté, tant il finit platement.

10- Le dizain (10 vers)

La strophe de dix vers est un des plus heureux et convient aux grands sujets. Il est construit sur quatre ou cinq rimes. Dans les strophes hétérométriques on rencontre généralement le mélange de deux mètres, mais quelquefois aussi de trois et de quatre. La strophe de l‘ode par excellence est le dizain isométrique classique. C'est lui qui triomphe dans les odes héroïques de Malherbe. Le schéma des rimes peut-être envisagé de deux manières : (abab//ccd/eed) ou (abab//cc//deed) Malherbe lui a donné un tel lustre que la première moitié du XVIIe siècle fut submergé par un déluge d'odes en dizains. Distribué en (ABAB/CC/DEED), le schème du dizain révèle immédiatement l'un de ses secrets.; il présente les trois types possibles de succession de rimes : croisées, plates, embrassées. En outre, il est équilibré de part et d'autre d'un axe (CC). En ce qui concerne le dizain pétrarquisant, qui apparaît au XVIe siècle chez Scève dans sa «Délie» et chez Marguerite de Navarre, et dont voici le schème (ABABBCCDCD), a moins d'éclat, plus de monotonie ou d'unité, tels sont les caractères de ce dizain. Sa structure est du type oppositif : l'ordre de la répétition est symétriquement inversé, mais les timbres des strophes changent, comme si l'objet «A», réfléchi dans une eau calme, y modifiait son coloris en «B». Or, cette strophe sera exactement celle de la Grande Ballade.

La nuit de ton absence orne mon paradis
D'un voile de tristesse aux nuances ombreuses
Où la lumière fuit les grottes ténébreuses
Transformant notre espace en nocturne taudis.

La musique se meurt quand l'univers s'embrume
Et s'égarent les mots de tes cris assourdis
Que le silence absorbe et l'angoisse consume.

Soudain le soleil peint de son pinceau flâneur,
Par les couleurs de l'aube un tableau de bonheur.

  Le vent de ton sourire élimine la brume.
'Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « Mélancolie »

11- Le onzain (11 vers)

Dans le « Chant-Royal » (la plus grande forme de la Ballade) le onzain adopte le schème: (ABABCC/DDEDE). A l'époque des rhétoriqueurs, le onzain se présente sous les formes suivantes, construites sur cinq rimes: (ABABCCDDEDE): cette forme sert tour à tour dans la Ballade commune, le Serventois, la Sotte amoureuse, la Sotie, la Pastourelle, et, surtout, le Chant-royal. Un onzain batelé (les vers batelés sont pourvus d'astérisques «*»): (AB*A*B*CC*D*D*E*D*E*) a été employé dans le cadre de la Ballade baladant ou Batelée. Un autre onzain batelé a, suivant les siècles, été utilisé : (AB*A*B*C*C*D*D*ED*E). Chez les romantiques, on a essayé d'obtenir le onzain au moyen d'un dizain à rimes plates, enflée d'un vers. Nous aurons donc (ABABCCCDEED) ou (ABABCCDEEED).

12- Le douzain (12 vers)

La strophe de douze vers est construite sur cinq rimes et quelquefois sur six. Victor Hugo l'a tiré du dizain en rendant triples les deux rimes plates du dizain. Il est construit sur cinq rimes. On le rime ainsi: (ABABCCCDEEED). A l'époque des rhétoriqueurs, le couplet de douze vers adoptait la forme prédominante (AABAAB/BBABBA). C'est la douzaine croisée. Suprême raffinement, la même forme se rencontrait avec un écourtement qui frappait les vers de trois en trois à partir du second vers ; ainsi les 2e, 5e, 8e et 11e vers, à égale distance les uns des autres, se trouvait faire écho à la rime précédente: (AaBAaB/BbABbA). C'est un douzain croisé layé ou coppé (coupé).

13- Le treizain (13 vers)

Pour le treizain, on trouve les formes les plus utilisées de rondel (celui, donc, de 13 vers). Également, on trouve le rondeau, écrit sur 2 rimes, en octosyllabes ou décasyllabes, selon ce schéma : (ABABCCCDEEED).

La sève de la passion
Tarit au début de l'automne
Et le vent de l'âge boutonne
Sur la fleur sans compassion.

Pour prévenir l'agression,
Il suffit qu'un oiseau chantonne…
La sève de la passion
Tarit au début de l'automne.

L'hymne exalte l'impulsion
Pour que sa puissance détonne
Et la rose, d'amour, festonne,
Retrouvant dans l'émersion
La sève de la passion.
Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « La sève de la passion »

14- Le quatorzain (14 vers)

Le plus connu est le sonnet. Il comporte 2 quatrains suivi de 2 tercets.

Amoureuse du Ciel, depuis des millénaires,
La Mer douce et plaisante aux flots ensorceleurs,
Mélange, magnifique, au prisme des couleurs
Les rayons du soleil et les éclats lunaires.

Mais la nature inflige à ces deux partenaires
La sévère limite aux multiples douleurs.
L’un clame sa détresse en averses de pleurs
Et l’autre lui transmet des éclairs débonnaires.

  La belle perd espoir un jour de l'embrasser
Et le soleil se plaint qu’il ne peut effacer
La distance imposant un amour platonique.

Soudain les amants voient, gagnés par la raison,
Une source charnelle, un avenir unique
Se profilant au loin : le sublime horizon…
Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « Quête d'un baiser »

15- Le quinzain (15 vers)

On trouve des formes diverses : 3 quintils, par exemple. On peut également parler du « sonnet quinzain », qui est un sonnet dont on adjoint un quinzième vers, typographiquement détaché et qui rime avec l'un des vers du dernier tercet. Cette formule fleure le maniérisme. Et le vers final, quand il ne ménage pas un effet particulier, paraîtra facilement mièvre ou du moins apprêté.

16- Le seizain (16 vers)

On peut y trouver certaines iambes :

Au centre d'un terrain vivait un pissenlit
Epargné par la providence,
Les joueurs commettant le terrible délit
De l'écraser par imprudence.

Le sifflet de l'arbitre acheva le bonheur
De la jeune pousse angoissée
Sous les éclats joyeux d'un public souteneur
D'une affluence surpassée.

Les petits pas pillards d'un pitre piétinant,
D'une brutalité fatale,
Écrasèrent la belle au corps déjà saignant
Souillé jusqu'au moindre pétale.

Plusieurs mois sont passés mais un jour le destin
Qui s'empara d'un footballeur
Décora son repos d'un geste cabotin
De quelques pissenlits en fleur !
'Philippe Jeannet (dit "Cypris") : « Flore éternelle »

Certains poètes se sont essayés au « sonnet seizain ». Il est bâti sur cinq rimes et s'adjoint deux vers détachés, l'un qui précède et l'autre qui suit le corps des quatorze vers : (a///abba/caac//dde/a'ea'///a). Quant au vers liminaire, il pourrait se répéter dans le vers final et fermer le seizain à la manière d'un refrain.

Les types de poèmes

Ils obéissent à des règles plus ou moins complexes et plus ou moins rigides qui concernent les types de vers, les types de strophes, leur agencement ou leur nombre.

  • Formes médiévales :
  • la ballade genre majeur au Moyen Age, remis partiellement à l'honneur au XIXe siècle comme avec Hugo Odes et Ballades) : elle comporte trois strophes et demie dont le dernier vers constitue un refrain ; la demi-strophe finale constitue l'envoi (dédicace du poème à Dieu, au roi, à une dame...). Il y a autant de vers dans la strophe que de syllabes dans le vers (8 ou 10 en général). Exemple : Villon : Ballade des dames du temps jadis.
  • le rondeau : 15 vers courts sur deux rimes avec un effet de refrain Ex. : Charles d'Orléans " Le temps a laissé son manteau... "
  • la pastourelle, l'odelette, le rotrouenge, le lai, le virelai, la complainte et les formes de jeu verbal comme l'acrostiche.
  • Formes modernes :
  • l'ode : imitée de l'Antiquité, mais assouplie par Ronsard avec 2 strophes égales + 1 strophe plus courte.
  • le sonnet : hérité de Pétrarque et imposé peu à peu au XVIe s, très vivant au XIXe siècle (Nerval, Baudelaire, Verlaine, Hérédia...), il se compose de 2 quatrains aux rimes embrassées et répétées (ABBA) et 2 tercets sur 2 ou 3 rimes à disposition variable (CCD I EDE ou CCD I EED) avec opposition des quatrains et des tercets et la mise en valeur du dernier vers appelé la chute du sonnet.Ex. Parfum exotique Baudelaire.
  • le pantoum : d'origine orientale (Malaisie), introduit en France au XIXe siècle, utilisé par Hugo dans Les Orientales : "Les papillons jouent à l 'envi..." et par Baudelaire dans Harmonie du soir, mais de façon irrégulière dans les deux cas. Le principe est la reprise décalée des vers d'une strophe sur l'autre (les vers l et 3 deviennent les vers 2 et 4 et ainsi de suite).

NB : les genres poétiques ne relèvent pas à proprement parler de la versification puisqu'ils sont définis par leurs thèmes et leur ton, ce qui les différencie des types de poèmes qui correspondent à des aspects techniques. Les genres poétiques ont cependant tenu une grande place dans les époques passées, on peut citer comme exemples :

La diction du vers

La diction est l’ensemble des règles qui régissent le langage parlé.

La ponctuation orale n’est pas toujours en relation directe avec la ponctuation écrite.

La ponctuation en vers est soumise au sens, et ne doit jamais être placée après la coupe ou à la fin du vers si elle n’est pas justifiée[10].

Le vers français ayant un nombre fixe de syllabes, celles-ci doivent être toutes perceptibles dans l'élocution. Comme la voyelle est le centre de la syllabe, toutes les voyelles constitutives du vers ont le même droit à l'existence dans le phrasé versifié[11].

Une phrase, citée à titre d'exemple par Du Marsais, nous servira de point de départ :

  • Alexandre vainquit Darius[12].

La première des césures qu'il importe de pratiquer, c'est celle qui sépare le sujet du verbe.[13] C'est le suspens d'écoute majeur d'une phrase.

  • Nabuchodonosor | conquit Jérusalem.

Les constituants immédiats de la phrase sont le syntagme nominal (sujet) et le syntagme verbal, lui-même constitué d’un verbe et d’un autre syntagme nominal (objet)[14].

  • Qui veut voyager loin | ménage sa monture

Racine, Les plaideurs.

  • Mes seuls gémissements | font retentir les bois.

Racine, Phèdre.

  • Ce monsieur Loyal | porte un air bien déloyal.

Molière, Tartuffe.

  • L'espoir | changea de camp. | le combat | changea d'âme.

Hugo, L'expiation.

  • Que tous ceux qui veulent mourir | lèvent le doigt.

Rostand, Cyrano de Bergerac.

Du Marsais propose ensuite une première transformation de sa phrase :

  • Alexandre, fils de Philippe et roi de Macédoine, vainquit avec peu de troupe, Darius, roi de Perse, qui était à la tête d’une armée nombreuse.

Ces sont des éléments annexes qu’il ajoute aux trois principaux termes de la phrase. Il s’agit essentiellement

- des syntagmes adjectivaux (proposition relative, syntagme prépositionnel, apposition) qui amplifient les syntagmes nominaux,

- et des syntagmes adverbiaux (proposition circonstancielle, adverbe) qui amplifient le verbe.

Ces éléments adjoints sont tantôt liés, tantôt césurés selon la présence ou l’absence de mots-ligatures (préposition, pronom relatif)

  • La valeur | n’attend point le nombre des années.
  • L'ardeur de vain_cre | cède à la peur de mourir.

Corneille, Le Cid.

  • Vous offensez les dieux | auteurs de votre vie ; |
  • Vous trahissez l’époux à qui la foi vous lie.

Racine, Phèdre.

  • La servante au grand cœur dont vous étiez jalouse

Et qui dort son sommeil sous une humble pelouse…

Baudelaire

Du Marsais signale aussi qu’un sujet peut être multiple, ce qui implique un autre type de transformation :

  • La foi, l’espérance et la charité sont trois vertus théologales.

Dans une pluralisation de termes, les césures sont obligatoires :

  • Ses gar_des | son palais | son lit | m’étaient soumis.

Racine, Britannicus.

  • L’attela_ge | suait | soufflait | était rendu

La Fontaine, Le coche et la mouche.

  • Elle trahit mes soins | mes bontés | ma tendresse.

Molière, L’école des femmes.

L'ellipse est un autre type de transformation qui consiste à sous-entendre un élément du syntagme. Celle-ci doit être nettement marquée par une césure :

  • Lui céder | c'est ta gloire, | et le vain_cre | ta honte.

Corneille, Cinna.

  • L'un | me rend malheureux, | l'autre | indigne du jour.

Corneille, Le Cid.

  • Je l'adorais | vivant, | et je le pleu_re | mort.

Corneille, Horace.

  • Je l'adorais (quand il était) vivant, | et je le pleure (maintenant qu'il est) mort.

Dans l'exemple suivant, c'est il s'y prit qui est deux fois sous-entendu.

  • D’abord | il s’y prit mal, | puis | un peu mieux, | puis | bien.

La Fontaine, Fables XII, 9.

Enfin la fragmentation d'un syntagme avec déplacement, qu'on appelle généralement inversion, doit toujours être signalée par une ou deux césures.

Il s'agit souvent d'un syntagme prépositionnel en position initiale ou médiane :

  • De vous faire aucun mal | je n'eus jamais dessein.

Molière, Tartuffe.

  • À de moindre faveur | des malheureux | prétendent.

Racine, Andromaque.

  • Maître corbeau | sur un ar_bre | perché.

La Fontaine, Le corbeau et le renard.

C'est le corbeau qui est perché, et non l'arbre!

  • Source déci-euse | en misè_res | féconde.

Corneille, Polyeucte.

Ce ne sont pas les misères qui sont fécondes!

C'est l'inversion, qui, dans l'écriture versifiée, est la plus fréquente. Elle crée une grande diversité rythmique dont la diction doit rendre compte :

  • Par mes ambassadeurs | mon cœur | vous fut promis.
  • Ce fils | que | de sa flamme | il me laissa pour gage!

Racine, Andromaque.

  • Est-il rien | que | sur moi | cette gloi_re | n'obtienne?

Corneille, Polyeucte.

Comme on le voit "les espaces exigés par l'esprit, par les objets, par la respiration, par l'oreille, sont absolument les mêmes dans la prose et dans la poésie."[15] Mais, en vers, la diction se doit de prononcer toutes les syllabes (voyelles) qui en composent la structure métrique.

Notes et références

  1. Michel Bernardy, Le jeu verbal, ou Traité de diction française à l'usage de l'honnête homme, Préface de Robin Renucci, éditions de l'aube, 1988, p.108.
  2. Gilles Ménage, Observations sur les poésies de Malherbe, 1666.
  3. François Charpentier, De l’excellence de la langue française, 1683.
  4. Alexandre-Xavier Harduin, Remarques diverses sur la prononciation et l'orthographe, 1757, in Encyclopédie - Hiatus.
  5. Paul Valéry, Au sujet d'Adonis, 1920.
  6. Ernest Legouvé, La lecture en action, X, 1881.
  7. Henri Meschonnic, Critique du rythme, Verdier, 1982, pp. 229-230.
  8. Voltaire, Encyclopédie - Hémistiche.
  9. Philippe Bouhier, Poésie ludique, « Des vers olorimes », [lire en ligne (page consultée le 2 juillet 2008)]
  10. Georges Le Roy, Grammaire de diction française, Paul Delaplane, 1912, 2, 333-334
  11. Michel Buttet, La diction pourquoi faire?, octobre 1983, p.54, Bibliothèque Gaston Baty
  12. Du Marsais, Encyclopédie - Construction.
  13. Ernest Legouvé, L'art de la lecture, IX La ponctuation, 1878.
  14. Dictionnaire de linguistique, Larousse, 1973, p.118.
  15. Batteux, De la construction oratoire. De l'usage des nombres.

Liens externes et sources

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