- Epigramme
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Épigramme
À l’origine, une épigramme, du grec ancien ἐπίγραμμα (epígramma), « inscription », est une inscription, d’abord en prose, puis en vers, qu’on gravait sur les monuments, les statues, les tombeaux et les trophées, pour perpétuer le souvenir d’un héros ou d’un événement. À partir du IVe siècle av. J.-C., l’épigramme devient une petite pièce de poésie sur un sujet quelconque, imitant par sa brièveté les inscriptions, offrant une pensée ingénieuse ou délicate exprimée avec grâce et précision. Enfin, à partir du XVIe siècle, le genre se spécialise dans le mot d’esprit : l’épigramme renferme généralement une pointe grivoise ou assassine.
Les plus anciennes épigrammes sont anonymes : elles ne revêtent qu'un caractère pratique, visant à identifier le propriétaire ou la personne dédiant l’objet. Le premier auteur d’épigrammes, selon la tradition grecque, est Simonide de Céos (Hérodote, VII, 228, 4), qui vit à la fin du VIe siècle av. J.-C. C'est de cette même époque que date la première épigramme signée connue ; il s'agit d’une dédicace d’Ion de Chios à Delphes.
L’histoire de ce petit genre littéraire le montre se modifiant, comme les grands, selon les temps et les mœurs. À partir du IVe siècle av. J.-C., l’épigramme devient un genre littéraire, que nous connaissons principalement par le biais d'anthologies. On y trouve presque toujours une grâce exquise, une élégante brièveté. La mythologie, l’histoire, les arts, les découvertes nouvelles en fournissent le sujet. La première remonte au IIIe siècle av. J.-C. : il s'agit du Monceau, probablement l’œuvre d’Hédylus de Samos. Au IIe siècle av. J.-C., Méléagre de Gadara produit l’une des plus célèbres collections, la Guirlande, dont le titre sera repris par Philippe de Thessalonique, contemporain de Claude ou Néron. « Par la voix d’Alcée, l’épigramme inspira aux hommes l’amour de la liberté, la haine des tyrans ; avec Simonide, elle célébra l’affranchissement de la Grèce ; Anacréon lui fit chanter l’amour et le vin ; Archiloque l’arma d’une pointe acérée, mortelle ; Platon et ses disciples, saint Grégoire même, lui prêtèrent leur divine éloquence. » La nécessité où était le poète de renfermer sa pensée dans un court espace le conduisait à donner à l’expression de la force et du trait.
Les épigrammes grecques sont tantôt érotiques, comme celle-ci de Méléagre : « Abeille qui vis du suc des fleurs, pourquoi, t’élançant de leurs calices parfumés, viens-tu te poser sur Héliodora ? Est-ce que tu veux nous apprendre qu’elle aussi a dans son cœur l’aiguillon de l’amour, si doux et si amer ?... Eh bien ! bonne conseillère, retourne à tes fleurs. Depuis longtemps nous le savons aussi bien que toi. » Tantôt elles sont funéraires et contiennent une réflexion philosophique discrète, comme la suivante de Simonide : « Tu es mort, vieux Sophocle, la gloire des poètes, étouffé par un grain de raisin, » ou une leçon pratique, comme celle-ci, de Julien d’Égypte : « Souvent je l’ai chanté, et du fond de ma tombe je le crierai : Buvez, avant que vous ne soyez, comme moi, un peu dépoussiéré. » Tantôt aussi elles sont amèrement satiriques, comme celle d’Antiphane contre l’engeance des grammairiens, qui, au lieu de cueillir les fleurs, dévorent les racines et s’acharnent, comme de vils insectes, après les beaux vers. Elles peuvent être encore votives, descriptives, exhortatives et morales… Quelques-unes étaient élogieuses avec une pointe de raillerie, comme celle sur la Vénus de Praxitèle, si lestement traduite par Voltaire.
Chez les Latins, l’épigramme eut d’abord la même variété. Les poètes se servirent de sa ferme métrique et concise pour exprimer leurs sentiments personnels de haine ou d’amour, de colère ou de tendresse. Catulle imita laborieusement les Grecs en donnant à ses épigrammes ce tour spirituel, cet esprit fin et délicat qui était le charme du genre, mais il leur imprima une allure satirique plus prononcée, il frappa avec vigueur la corruption de la société romaine, les dilapidateurs, les intrigants, sans oublier les mauvais écrivains dont il trouve les écrits « bons à envelopper les sardines et les anchois ». Ses peintures sont souvent obscènes, ses expressions grossières et cyniques.
Sous la plume de Martial au IIe siècle, l’épigramme devint encore plus âpre et plus amère. Tout en s’appropriant la forme des Grecs, il imagina de réserver pour la conclusion le relief, le trait que Catulle répandait dans chacun de ses vers. Ses épigrammes gagnèrent en imprévu. Elles sont souvent élégantes, spirituelles et empreintes de l’atticisme de forme que les anciens aimaient à conserver jusque dans la grossièreté des idées ou la licence des tableaux. Son œuvre a été appréciée à la fois par les grammairiens et les Pères de l’Église, pour des raisons certes différentes.
Beaucoup d’épigrammes nous ont été conservées dans des recueils de l’époque byzantine. Les deux plus célèbres sont l’Anthologie palatine (Xe siècle), qui reproduit le travail de compilation de Constantin Céphalas et l’Anthologie de Planude (1301), également dérivée de Céphalas, œuvre du moine Maxime Planude.
En passant chez les modernes, l’épigramme perdit la signification qu’elle avait eue chez les Grecs, et la langue française a donné une acception exclusivement satirique à ce mot. Une opinion assez générale la restreint au genre satirique, selon la définition de Boileau : l’épigramme, plus libre en son cours plus borné, n’est souvent qu’un bon mot de deux rimes orné. Par suite de cette signification de malignité, on a donné aux épigrammes fades et sans sel le nom d’épigrammes à la grecque. C’est en France que cette petite poésie, si propre à notre esprit frondeur et caustique, a été le plus heureusement cultivée. Dès le XVIe siècle, Clément Marot, fait admirer par la délicatesse, l’élégante simplicité, ou la verve de ses épigrammes. Au XVIIe et au XVIIIe siècle, ce fut l’arme dont se servirent presque tous les poètes dans leurs querelles littéraires.
Comme en littérature, l’épigramme s’est rendue redoutable aussi en politique. Durant la Fronde cette sorte de satire en petit se fit jour dans les mazarinades, et, parmi les pamphlets de la Révolution, les Actes des apôtres sont remplis d’âpres et sanglantes pointes. L’épigramme politique n’est pas seulement, en France, l’abus des époques agitées ou trop libres ; elle est, sous les régimes d’oppression, la revanche de l’esprit contre la force.
La Fontaine, avec sa naïveté pleine de malice, Racine, avec son irritable sensibilité, Voltaire, avec son inexorable bon sens, Piron, Rousseau, Lebrun, etc., chacun avec ses qualités et ses défauts, se sont illustrés dans ce genre, et en sont devenus les maîtres.
Sous le premier Empire, une foule de traits lancés par des mains clandestines n’en devenaient pas moins populaires et restaient attachés aux idoles du jour. Napoléon lui-même, sa passion de la guerre, ses institutions improvisées, ses ministres, ses flatteurs surtout, étaient en butte à des épigrammes d’une incroyable violence, comme celle sur la colonne Vendôme, ou d’une grossièreté malicieuse, comme celle contre la complaisance du critique Geoffroy et du Sénat.
La célèbre épigramme suivante est due à Voltaire :
- L’autre jour au fond d’un vallon,
- Un serpent mordit Jean Fréron.
- Que croyez-vous qu’il arriva ?
- Ce fut le serpent qui creva.
Bibliographie
- Suzanne Saïd, Monique Trédé et Alain Le Boulluec, Histoire de la littérature grecque, Presses universitaires de France, coll. « Quadrige », Paris, 1997 (ISBN 2-13-053916-5)
- Pierre Laurens, L’Abeille dans l'ambre. Célébration de l'épigramme de l'époque alexandrine à la fin de la Renaissance, Paris, Les Belles Lettres, 1989 (ISBN 2-251-32873-4)
Source
- Gustave Vapereau, Dictionnaire universel des littératures, Paris, Hachette, 1876, p. 711-2
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