Pragmatique linguistique

Pragmatique linguistique

Pragmatique

Page d'aide sur l'homonymie Ne doit pas être confondu avec Pragmatisme.
LinguistiqueDialog ballons icon.svg
Disciplines :
Théories :

La pragmatique est la branche de la linguistique qui s'intéresse aux éléments du langage dont la signification ne peut être comprise qu'en connaissant le contexte.

Sommaire

Introduction

Objet de la pragmatique

La pragmatique s'intéresse ainsi d'un côté, aux phénomènes de dépendances contextuelles propres aux termes indexicaux, c'est-à-dire ceux qui, comme je, ici ou maintenant, ont leur référence déterminée par les paramètres du contexte d'énonciation (voir notamment les travaux du philosophe et logicien californien David Kaplan), ainsi qu'aux phénomènes de présupposition.

D'un autre côté, elle vise aussi à faire une théorie des inférences que l'on tire des énoncés linguistiques sur la base de nos connaissances générales sur le monde et d'hypothèses sur les intentions des locuteurs. Elle s'appuie en particulier sur la distinction introduite par le philosophe américain Paul Grice entre le sens pour le locuteur et le sens proprement linguistique des énoncés. En France, à peu près à la même époque, Oswald Ducrot (Dire et ne pas dire, 1972) développait des idées comparables. Dan Sperber, philosophe et anthropologue français, et Deirdre Wilson, linguiste britannique, ont développé à partir de ces idées une théorie pragmatique générale, connue sous le nom de théorie de la pertinence.

Les principaux travaux d'Oswald Ducrot portent d'une part sur la présupposition, c'est-à-dire sur le fait que certaines expressions linguistiques, pour être utilisées de manière appropriée, requièrent que les locuteurs partagent certaines croyances (par exemple, pour pouvoir dire de manière appropriée « Paul aussi est venu », il faut que l'ensemble des participants à la conversation partagent la croyance que quelqu'un d'autre que Paul est venu). D'autre part, Ducrot s'est intéressé à la façon dont certains énoncés véhiculent, au-delà de leur signification littérale, certaines informations implicites. Toujours en France, la pragmatique est envisagée par d'autres théoriciens comme une science de la communication (Jacques Moeschler et Anne Reboul, La pragmatique aujourd'hui, 1998).

Dans cette perspective élargie, elle étudie l'usage du langage dans la communication et dans la connaissance. Largement tributaire du cognitivisme, la pragmatique élargie considère les mécanismes inférentiels dans la connaissance, la construction des concepts, l'usage non littéral du langage, l'intentionnalité dans l'argumentation, etc. C'est par exemple le cas de l'approche pragmatique en psychologie qui s'intéresse à l'étude des processus cognitifs et psychologiques en jeu dans les interactions langagières en partant du principe que la conversation, en tant que lieu naturel d'expression des comportements, constitue un cadre d'observation privilégié de l'intrication du cognitif et du social l'on peut espérer observer certaines heuristiques cognitives spécifiques de la gestion des mécanismes de coopération. De même, de plus en plus de chercheurs considèrent dorénavant que l'analyse conversationnelle, telle qu'elle est réalisée par l'approche pragmatique en psychologie, est déterminante en matière de psychopathologie scientifique dans la mesure elle contribue à l'explication de certains processus mentaux, en partie infra-intentionnels, qui sont activés par les sujets communiquants.

La pragmatique peut être envisagée de deux points de vue :

  1. Une pragmatique qui s'occupe de l'influence et des conséquences du langage sur le contexte (extralinguistique) – optique proche de celle d'Austin (comment modifier le monde en disant quelque chose / comment agir sur le monde en disant quelque chose)
  2. Une pragmatique qui s'occupe de l'influence et des conséquences du contexte sur le langage (dans quelle mesure ce qui est dit dépend des circonstances dans lesquelles cela est dit). Cette perspective nous permet également de rendre compte de ce que l'on appelle la « communication non verbale » (distincte des comportements non verbaux (cf. Jean Corrase).[réfnécessaire]

Contexte et cotexte

Deux notions sont à distinguer en pragmatique : Le contexte et le cotexte (ou co-texte).

Le contexte englobe tout ce qui est extérieur du langage et qui, pourtant, fait partie d'une situation d'énonciation. Dans le cadre du contexte, on englobe tous les éléments comme le cadre spatio-temporel, l'âge, le sexe des/du locuteur(s), le moment d'énonciation, le statut social des énonciateurs etc. Nombre de ces marques contextuelles sont inscrites dans le discours, et font intégralement partie de la déixis. Ce sont, comme on les appelle, des déictiques. En tout, nous pouvons énumérer cinq types de déictiques

  1. Déictiques personnels: ce sont des outils de grammaticalisation des marques de personne dans une situation d'énonciation correspondant aux participants. Nous pouvons placer dans cette catégorie les déictiques « je », « tu », « nous », « vous » et « on ». Pour ce dernier, peu importe le fait qu'il n'est covalent avec un verbe de la troisième personne car il peut englober aussi bien des référents qui en discours « défini » prendraient les marques de la première et de la deuxième personne du pluriel et/ou du singulier.
  2. Déictiques temporels: ce sont des marqueurs de temps qui situent l'énoncé par rapport au moment de l'énonciation. (Exemples : «aujourd'hui », «il y a trois jours », «cet automne».)
  3. Déictiques spatiaux : ce sont des marqueurs de lieu qui situent l'énoncé par rapport au moment de l'énonciation. (Exemples : "ici", "".)
  4. Déictiques discursifs :
  5. Déictiques sociaux (en relation étroite avec les déictiques de la personne):

Outre ces déictiques, on peut aussi citer les implicatures conversationnelles, lorsque la signification d'un énoncé dépend de quelque chose qui est impliqué par le contexte (et non simplement présupposé par l'énoncé lui-même).

Littéralement, cotexte signifie le texte autour d'un énoncé. D'un point de vue cognitif et conversationnel, le cotexte peut être défini comme l'interprétation des énoncés immédiatement précédents, servant ainsi de prémisse à la production d'un énoncé donné. Les phénomènes cotextuels renvoient pour leur part aux liens des différents énoncés entre eux (cohésion, anaphore, ...).

Histoire de la pragmatique

Article détaillé : Histoire de la pragmatique.

La pragmatique est la branche de la linguistique qui s'intéresse aux éléments du langage dont la signification ne peut être comprise qu'en connaissant le contexte. Cette discipline est née au XIXe siècle aux États-Unis mais a commencé à se développer surtout après la seconde guerre mondiale.

Méthode de la pragmatique

Le statut du sens

La linguistique, étant une science empirique qui soccupe des faits fournis par lexpérience, se définit par :

  • la partie de la réalité quelle étudie, à savoir le langage articulé des êtres humains ;
  • les connaissances quon a sur ce domaine ; on peut les appeler lesreprésentationsquon se forme du langage. De ces représentations, les unes sont intuitives et spontanées, ce sont celles de tout le monde, car chaque être humain a des idées sur le langage, en particulier sur le sien. Les autres, les seules à être proprement scientifiques, sont le résultat dune élaboration plus ou moins longue et complexe. Ainsi on peut considérer que lesgrammairesfabriqués par les spécialistes du langage, quils appellent grammairiens ou linguistes, sont les représentations scientifique du langage aux diverses époques. Il en est de même desthéorieslinguistiques. Les épistémologistes sont cependant daccord pour penser quaucun domaine de la réalité nest complètement connu ni connaissable par un être humain, aussi savant soit-il. Le langage néchappe pas à cette règle.
  • les méthodes permettant de construire les représentations scientifiques, puis de les apprécier, cest-à-dire de déceler leurs qualités et leurs insuffisances. Ici encore, il y a lieu destimer que ces méthodes elles-mêmes ne sont pas et ne seront jamais dune efficacité parfaite.

On peut suivre Saussure, et bien dautres linguistes, quand ils disent que le langage comporte deux faces : lune constituée de sons ou de lettres, plus rarement de gestes (cas de la « langue des signes » pratiquée par les malentendants), et qualifiée de matérielle parce quelle est perçue par les organes sensoriels que sont louïe et la vue (le toucher pour lalphabet Braille des non-voyants) ; lautre, la face sémantique, qui siège dans lesprit (ou le cerveau) des usagers et qui nest pas matériellement communicable. Concrètement, tous les énoncés, quils soient oraux, écrits ou gestuels, relèvent de la face « matérielle », et seulement delle. Quand on dit quilsontun sens, on utilise le verbeavoiravec une valeur figurée. En fait, ‘les usagers leur attribuent un sens quils construisent chacun pour sa part dans son esprit’. En conséquence, dun individu à lautre, les sens affectés au même énoncé ne peuvent pas coïncider à tous les coups, il arrive que le locuteur et lauditeur lui donnent des sens différents. Toutefois, alors que labsence complète de coïncidence entraînerait limpossibilité complète de communiquer par le langage, cette communication, sans être parfaite, existe incontestablement. Il demeure donc tout à fait exact que les énoncés sont faits pour le sens et visent à lunité du sens, bien quils ne le comportent pas matériellement.

Le sens fait partie des phénomènes psychologiques, ce qui implique que le domaine de la linguistique est, au moins pour une partie essentielle, commun à cette science et à la psychologie. Selon les options métaphysiques que lon adopte, les phénomènes psychologiques sont à rapporter soit à une « substance » particulière, différente de la matière et quon peut appeler esprit (en un sens spécial et très fort du terme), soit au fonctionnement du système nerveux cérébro-spinal, spécialement du cerveau (certains parlent alors desprit-cerceau), soit aux deux à la fois ; pour notre part, nous sommes partisans dun « matérialisme scientifique » qui va bien avec la seconde position, tout en constatant que les autres options sont après tout légitimes, et entraînent rarement dans la pratique un comportement différent des chercheurs.

Difficultés de méthode en sémantique

Malheureusement, les phénomènes psychologiques ne sont pas ou pas encore directement accessibles aux disciplines scientifiques dans leur état actuel. Les techniques dont elles disposent restent mal adaptées à cet objet. Cest pourquoi le grand problème auquel se heurtent les linguistes est bien celui du sens, partie du langage dont traite la sémantique. Les insuffisances que le linguiste américain Leonard Bloomfield (1887-1949) et ses disciples ont relevées dans cette discipline il y a plus de cinquante ans, nont toujours pas été éliminées.

En sémantique, on en est en effet réduit à tenir un discours sur le sens, avec cette difficulté supplémentaire, propre à toutes les spécialités de la linguistique, que, ce faisant, on se sert du langage pour décrire le langage. De fait, à peu près tous les exemples de lacte de langage constituent des « expériences mentales », dites encore « expériences imaginaires ». Cela veut dire que nous fabriquons des énoncés, que nous leur prêtons des interprétations, que nous leur inventons des réponses pour confirmer ces interprétations. Cette façon de procéder apparaît peu scientifique. En physique, on na pas le droit dimaginer des expériences, mais on les réalise à laide dappareils, elle serait condamnée sans appel, comme totalement dépourvue dobjectivité. Mais en linguistique, comme dans dautres sciences humaines, on ne peut jamais léviter complètement : laspect sémantique des faits étant, pour linstant, inaccessible aux procédés denregistrement, on est bien obligé de décrire l'expérience verbalement ; ou alors il faudrait ne pas en tenir compte, ce qui amputerait, dune de ses parties majeures, le domaine étudié.

La seule amélioration quon puisse exiger consisterait à rechercher les énoncés et leurs réponses dans la réalité, au lieu de les imaginer. Cest du reste une pratique courante dans certains secteurs de la linguistique, par exemple en sociolinguistique, on se livre à des enquêtes et à des enregistrements « sur le terrain ». Mais elle ne dispense pas ensuite des interprétations subjectives. Dans le cadre présent, son bénéfice serait mince. Lexpérience montre quil faut un énorme travail pour collecter suffisamment de données, avec des résultats qui ne sont pas toujours à la mesure des efforts consentis. Aussi les pragmaticiens inventent-ils leurs exemples, ou bien les empruntent-ils à leurs prédécesseurs. Les enquêtes de terrain sont reléguées à plus tard, lorsque les expériences purement mentales sembleront avoir épuisé leur fécondité.

Au total, le spécialiste prend comme appui sa propre compétence dusager du langage, son aptitude à comprendre les énoncés quil étudie. La seule autre garantie quil ait, cest lassentiment de ses lecteurs, surtout des autres spécialistes, sur les analyses quil propose. Mais eux aussi l'accordent ou le refusent en fonction de leur « sentiment linguistique » dusagers. Au fond, on ne va pas au-delà dune coïncidence de subjectivité. Telle est à ce jour la condition du linguiste.

Lillusion descriptive

Le terme de sémantique na pas plus dun siècle, mais de tout temps on a fait de la sémantique sans le savoir, chaque fois quon a privilégié (à vrai dire presque toujours, mais pour des raisons diverses), un des aspects du sens : le sens appelé descriptif (ou encore constatif), cest-à-dire le sens donné à un énoncé quand le locuteur a pour but de décrire « un état de choses », une partie de la réalité. On savait bien quà une telle fonction du langage, appelée souvent assertive, il fallait opposer le langage dit « actif », mais celui-ci paraissait tout à fait secondaire.

Or il arrive couramment que le sens ne soit pas, ou pas complètement, du type descriptif. Supposons lénoncé : Son exposé a la note 12. Si cest un étudiant qui parle dun camarade, il sagit bien dune description de la note attribuée par un professeur à lexposé. Mais si la phrase est incluse dans un roman, il ny a en réalité aucun exposé et aucune note ; le monde quelle « fait mine » de décrire est purement imaginaire, et ni lauteur ni les lecteurs ne sont dupes. Enfin si celui qui parle ainsi est un examinateur en train dapprécier lexposé dans un jury, il fixe la note du fait même quil prononce la phrase. Rien pourtant dans la lettre de lénoncé ne nous indique de quel sens il sagit ; cest à lusager de le deviner.

On voit quelle est la variété des sens possibles pour une même phrase. Le sens descriptif est très fréquent, absolument essentiel, mais il ne bénéficie daucune exclusivité. Croire quil est le seul, ou le seul important, cest tomber dans ce qui sappelle lillusion descriptive. Le langage nest pas seulement, comme on dit, vériconditionnel, cest-à-dire visant à être « vrai » en décrivant la réalité telle quelle est ou quon croit quelle est. Il comporte dautres sortes de sens, auxquels la notion de vérité ne s'applique pas, il sert à autre chose. Au lieu de se borner à reproduire la réalité, il permet notamment dagir sur elle, et en premier lieu sur linterlocuteur (qui fait partie lui-même de la réalité !).

Le meneur de jeu dans le langage

Énoncé et énonciation

Parmi les linguistes français, Emile Benveniste (1902-1976) paraît avoir été le premier à relever systématiquement dans ses articles des faits analogues à ceux que dautres ont, à la même époque ou plus tard, rangés sous la rubrique « pragmatique ». On lui attribue tout du moins et avec raison, le mérite davoir clairement séparé lénoncé et lénonciation et souligné lintérêt détudier cette dernière.

Utilisons une métaphore éclairante : dans la fabrication des objets, on ne doit pas confondre la production, le produit, son utilisation, sans compter le(s) producteur(s) et le(s) utilisateur(s). De même, à propos du langage, il convient de distinguer lacte par lequel on produit un énoncé, lénoncé lui-même (« matériel » puisquon peut lenregistrer), lacte par lequel on le comprend, mais aussi lénonciateur qui le produit, le ou les destinataires qui le comprennent. La comparaison avec la fabrication des objets matériels sarrête , car lactivité langagière comporte laffectation de sens dont nous avons parlé et à quoi rien ne correspond dans les domaines non sémiotiques.

La deixis

Saussure avait déjà proposé un « circuit de la parole » et Roman Jakobson, bien plus récemment, un schéma de la communication linguistique. Ce dernier avait en outre souligné limportance déléments quon retrouve pratiquement dans tous les systèmes linguistiques, quon peut donc tenir pour des « universaux » du langage et dont le fonctionnement sémantique est inséparable de la situation dénonciation. Il les a dénommés « embrayeurs » (en anglais shifters), terme auquel on préfère souvent aujourdhui une appellation empruntée à Peirce, celle de « déictiques ». Ainsi les pronoms personnels, objet dune étude souvent citée de Benveniste, sont à ranger parmi les déictiques.

Déictique est ladjectif correspondant à deixis, qui signifie en grec l'« action de montrer ». Elle sapplique à une famille dopérations sémantiques inséparables de la situation lénoncé est produit, donc de lénonciation. Supposons quen réponse à une invitation, jaccepte en prononçant le très court énoncé : « Jirai ». On y trouve deux éléments déictiques. Le plus apparent est le pronom personnel je (repris dailleurs par la désinence verbale -ai, du fait que le verbe, en français, saccorde avec son sujet). Pour savoir qui est désigné par je, pour identifier cette « première personne », il faut savoir qui prononce lénoncé. Or ce renseignement est normalement fourni par la situation dénonciation : lauditeur entend et généralement (mais pas dans lobscurité ni au téléphone !) voit la personne qui parle ; elle lui est ainsi « montrée » par la situation, d le terme de deixis. Le déictique je invite donc lauditeur à compléter le sens en se reportant à la situation. Pour comprendre, on a en effet besoin dune indication que les mots de lénoncé ne fournissent pas. Quant au second déictique de lénoncé, cest tout simplement le morphème de futur -r-. Par lui-même, il veut dire que le procès signifié par le verbe aura lieu dans lavenir. Mais lavenir est une notion relative. Il suppose un moment donné après lequel il est situé. Quel est ce moment donné ? encore, il est précisé par la situation dénonciation : il sagit du moment « présent », qui est linstant lénonciateur est en train de parler. Mais nous y sommes tellement habitués que nous nen prenons plus conscience et que lavenir comme nous paraissent des notions allant de soi.

Quand la situation dénonciation nest pas connue, il faut, sinon renoncer tout à fait aux déictiques, du moins les préciser par des renseignements objectifs, par exemple, dans un écrit, en fournissant la date et en signant, de manière à permettre au lecteur de localiser le présent et didentifier la personne désignée par je. Le contexte sert alors de situation, ce qui explique que certains déictiques, comme les démonstratifs (ce, etc.), peuvent indifféremment servir à montrer ce quon a sous les yeux dans la réalité («  conduit cette route ? ») ou à renvoyer à des mots du contexte (« Jai eu un coup de téléphone de Pierre ; ce vieil ami ma donné de bonnes nouvelles »). Dans le second cas, on parle communément demploi anaphorique.

Très schématiquement, on peut dire que tout locuteur, en prenant la parole, établit un ensemble de trois coordonnées (ego - nunc - hic, dit-on avec des mots latins) liées à la situation dénonciation et manifestées par les déictiques. Il fixe ainsi :

  • un repère subjectif, la « première personne », le je (ego en latin), par rapport auquel se déterminent dune part la « deuxième personne », cest-à-dire le destinataire de lénoncé, donc tu (ou vous), dautre part le reste, ce ou ceux qui ne participent pas au dialogue, mais dont on parle, la « troisième personne » (la personne absente, disent les grammaires arabes) ;
  • un repère temporel, le maintenant (nunc en latin), moment de lénonciation, soit un présent avant et après lequel se situent respectivement le passé et lavenir ;
  • un repère spatial, le ici (hic en latin), cest-à-dire lendroit se trouve lénonciateur, ce qui permet de définir la proximité et léloignement.

Lénonciateur

Ainsi sétablit une sorte de hiérarchie fonctionnelle, lénonciateur bénéficie sur le destinataire dun privilège très net. Lénonciateur a en effet, au moins momentanément (tant quil a la parole), linitiative ; le destinataire ne peut quessayer de le suivre. Une analyse attentive fait dailleurs apparaître limportance qua dans le langage la « subjectivité », cest-à-dire le rôle qui revient au sujet parlant ( écrivant: non seulement, comme on vient de le voir, il occupe grammaticalement un rôle central, mais encore cest lui qui infléchit le cours du dialogue, choisit ce qui est dit et la façon de le dire, peut donner ses jugement, pourtant personnels, comme des évidences, tend ou détend latmosphère, etc. Cet avantage lautorise même, quand il est à court darguments valables, à en invoquer un qui est au fond absurde, mais qui révèle bien une dominance provisoire : « Puisque je te le dis… » On comprend que linterlocuteur ait intérêt à ne pas demeurer trop longtemps dans la condition dauditeur et à prendre lui-même à son tour la parole. Celui qui reste trop souvent muet a vite conscience de son état dinfériorité.

Cependant, qui est je ? Cette question paraît comporter une réponse évidente, mais ce nest pas le cas. Voyons en effet que je peut désigner en dehors du sujet parlant. On passera rapidement sur certains cas souvent évoqués comme le discours rapporté au style direct. Rapportant ou faisant comme sil rapportait les paroles dautrui, le locuteur peut répéter le je de cette tierce personne ; on a alors une citation ou mention, que lusage à lécrit est de mettre entre guillemets (Il ma dit : « Je viendrai », exemple les deux pronoms de première personne me et je ne visent pas le même individu, mais il et je ont même référence). Moins connu et pourtant usuel est ce qu'on peut appeler le « discours anticipé », le locuteur formule par avance les paroles que son auditeur doit prononcer. Ainsi un président de tribunal invitera en ces termes chaque témoin à prêter serment : Dites : « Je le jure ». Il peut encore arriver quon sadresse à un indiscret en lui disant De quoi je me mêle ?, ce qui constitue une sorte dagression verbale, l'on sempare illégitimement, sinon du moi dautrui, au moins du déictique le désignant.

En fait, je renvoie aussi à lénonciateur et, malgré les apparences, ce terme dénonciateur, avec lequel le terme de locuteur (ou de scripteur) a lair de faire double emploi, ne désigne pas toujours la même personne que lui. Lénonciateur est le responsable du discours tenu, bien plutôt que le sujet parlant ou écrivant. Cest seulement dans la mesure le plus souvent le responsable et le locuteur effectif sidentifient que cette double référence de je ne pose pas de problème. Dautre part, on devra éviter la confusion entre la notion linguistique de « sujet parlant », ou de subjectivité, et la notion philosophique ou psychologique de « sujet », même si, au moment de lapprentissage du langage, lassimilation du système déictique contribue sans aucun doute à la constitution du sujet psychologique.

Il faut donc être conscient des difficultés que soulève la notion dénonciation. Il arrive, plus souvent quon ne pourrait croire, que lénonciateur soit incertain ou même multiple. Il est incertain, par exemple, quand le locuteur ou le scripteur nest manifestement quun porte-parole, mais quil nest pas précisé de qui. Cest de plus en plus fréquent dans le monde contemporain, nous sommes assaillis de messages impératifs véhiculés par des machines, des haut-parleurs, des affiches sans que lautorité responsable soit nommée.

Il est multiple, auquel cas on parle de polyphonie chaque fois que, dans un énoncé, la responsabilité de ce qui est dit incombe à plusieurs instances. Ainsi le locuteur qui cite un proverbe à lappui dune appréciation le prend à son compte, mais en même temps il rappelle que ce nest pas lui qui la inventé, si bien que lopinion commune, la doxa, se trouve également en cause : elle est ainsi associée au locuteur dans la responsabilité de lénonciation.

Il faut donc prendre garde aux simplifications abusives, qui enfermeraient le fonctionnement langagier dans le cadre déictique étroitement conçu. Le langage est plus subtil, il permet dautres effets. Toutefois, ce sont des effets indirects, qui ne remettent pas en cause ce qui a été dit sur les bases de la deixis. De lexamen des déictiques et de la constatation de leur fréquence, on pourra donc tirer la conclusion que les langues sont faites avant tout pour fonctionner « en situation ». Comme le langage est un jeu qui se joue normalement à deux (ou davantage), la conversation face à face, le dialogue, semble bien le plus typique de ses modes dutilisation. Il en autorise dautres, comme lécriture, le monologue, le discours unilatéral, mais ils ne sont pas aussi fondamentaux et ils comportent, ne serait-ce que par le recours aux temps verbaux, eux-mêmes déictiques comme on l'a vu, des éléments dont lorigine est certainement à chercher dans les emplois conversationnels. Cest pourquoi les pragmaticiens mettent volontiers laccent sur le langage « ordinaire », celui de lusage quotidien.

Les actes de langage

Classification

Austin, après avoir étudié les actes accomplis grâce aux énoncés « performatifs », qui, dans le langage, lui paraissaient les plus dignes dintérêt, sest aperçu que le terme même dacte était extrêmement extensible et il a proposé une classification englobante. Il propose dappeler « locutoires » une première série dactes, ceux sans lesquels il ny aurait aucune mise en œuvre du langage : par exemple concevoir des phrases, choisir des mots, les ordonner en phrases, leur attribuer du sens, les prononcer ou les écrire, les entendre ou les lire, les comprendre, etc. Il sagit ici des formes multiples que prend lactivité langagière dans lorganisme humain (rappelons que nous avons accepté de considérer comme organique ce qui est dordre psychologique aussi bien que ce qui est dordre musculaire ou sensoriel).

La seconde catégorie est celle des actes « illocutoires », cest-à-dire des actes contenus dans le langage. Avec le langage, on peut en effet accomplir une multitude dactions, si nombreuses que nul nen a établi une liste complète : décrire, interroger, répondre, ordonner, juger, promettre, prêter serment, certifier, parier, sexcuser, pardonner, condamner, féliciter, blâmer, remercier, saluer, inviter, insulter, menacer, argumenter, conclure, avouer, présenter une enquête, nommer à un poste, etc. Les actes illocutoires vont donc bien au-delà de la simple description du réel à laquelle on sintéressait classiquement. Décrire nest quune des activités que permet le langage.

La notion dacte illocutoire est proche de celle de sens, mais seulement à condition que cette dernière ne soit pas étroitement conçue. Le sens doit englober non seulement ce quon appelle couramment, dun mot imagé, le « contenu », disons le sens des mots, mais aussi la « force illocutoire » de lénoncé, autrement dit lacte ou les actes illocutoires que dans « une énonciation donnée », il sert à accomplir. Car « un même énoncé peut avoir des forces illocutoires différentes selon les énonciations ».

Certains des actes évoqués ici impliquent forcément le recours au langage, ils sont donc toujours illocutoires. Ainsi, il est difficile de promettre autrement quen se servant de mots. Au contraire, pour dautres, on a le choix : on peut saluer en disant « Bonjour » ou « Salut », donc en accomplissant un acte illocutoire, mais tout aussi bien en faisant un geste (embrasser, serrer la main, retirer son chapeau…) ou encore en recourant à la fois à une formule et à un geste (serrer la main et dire « Bonjour »). Cette remarque corrobore la légitimité du rapprochement quont effectué les pragmaticiens entre langage et action.

La troisième et dernière catégorie vise les actes « perlocutoires », tous ceux, en nombre indéterminé, quon cherche ou quon peut chercher à accomplir au moyen du langage : faire comprendre, persuader, consoler, instruire, tromper, intéresser, impressionner, mettre en colère, calmer, faire peur, rassurer, se concilier, influencer, troubler, etc. Ici encore, certains des actes ne peuvent guère être réalisés que par voie langagière, ainsi ceux de persuader ou dinstruire, alors que dautres peuvent sobtenir aussi bien ou mieux par dautres moyens, par exemple faire peur.

Entre les actes illocutoires et les perlocutoires, la distinction est parfois délicate. On serait tenté de définir les premiers comme les actes de langage qui ne peuvent échouer, justement parce quils sont inséparables du langage : si, selon une formule familière aux pragmaticiens, dire cest faire, il suffit davoir dit pour avoir fait. Ainsi la promesse est constituée dès quon a émis les paroles convenables (par exempleje promets’) et il faut la distinguer de son exécution : sera-t-elle tenu ou non, cest en effet une toute autre question. De même un ordre est donné dès quon a ditjordonne’, même si ensuite il nest pas exécuté : ordonner, cest-à-dire exiger lobéissance, est illocutoire, tandis quobtenir cette obéissance ne lest pas ; cest ou ce peut être (car il existe pour lobtenir dautres moyens que le langage) perlocutoire. Les actes perlocutoires, de leur côté, connaissent donc couramment léchec, comme la plupart des activités humaines.

Malheureusement ce critère un peu simpliste ne fonctionne pas toujours. De nombreux actes illocutoires ne peuvent être valablement accomplis que par des personnes qualifiées placées dans une situation bien déterminée et pas par nimporte qui, ni dans nimporte quelle circonstance. Ils sont alorson dit en pragmatiquesoumis à des conditions de réussite. (en anglais « felicity »). Voici des exemples. Décréter fait partie des actes illocutoires : un décret se présente sous la forme dun document écrit. Mais seuls sont en état de décréter des gens investis dune autorité particulière, président de la République ou ministres. Et encore faut-il quils se mettent dans les conditions de validité requises : ainsi certains décrets présidentiels ne sont-ils valables que contresignés par le Premier ministre. De même une nomination (‘M. Untel est nommé directeur de tel service’) ne peut être faite que par une personne qui en a le pouvoir. De nombreux actes illocutoiresmais pas tousdépendent donc dun cadre juridico-social approprié.

Largumentation

On peut sans doute ranger parmi les actes illocutoires « largumentation », que les travaux dOswald Ducrot et Jean-Claude Anscombre ont mise en relief. Selon eux, cest, au moins autant que la description, une des fonctions essentielles du langage. Elle consiste à appuyer un certain nombre dautres qui vont dans le même sens. Les destinataires, en effet, ne sont pas disposés à admettre le contenu de nimporte quel énoncé, ils attendent souvent des justifications avant daccorder leur adhésion. En dépit de ladage « Qui ne dit mot consent », les locuteurs savent fort bien que le silence des auditeurs peut être lourd de scepticisme. Autrement dit, il faut les persuader, acte perlocutoire comme nous lavons dit. Sa réussite est suspendue à lefficacité de largumentation présentée. Par exemple, on nacceptera un jugement tel que Pierre est un honnête garçon, sauf si cest une opinion très généralement reçue et donc incluse dans la compétence encyclopédique des gens (à lexception de lintéressé !), que si lauteur du jugement peut citer des faits Pierre a montré la qualité quon lui prête ainsi.

Ducrot et Anscombre ont établi quon pouvait difficilement définir certains éléments linguistiques sans faire entrer en compte leurs « orientations argumentatives ». Soit lénoncé Pierre est riche, mais honnête. Pourquoi mais, étant donné que cette conjonction semble indiquer une opposition (aussi lappelle-t-on communément adversaire « qui soppose ») alors que la richesse, situation de fait, et lhonnêteté, vertu morale, ne sont pas sur le même plan ? Lexplication serait que mais indique une inversion dorientation argumentative. Être riche est, dans lopinion générale, une présomption en faveur de la malhonnêteté : lorigine dune fortune est a priori suspectée. Ici, la conclusion soutenue, Il est honnête, ne découle pas, bien au contraire, de largument précédemment donné, qui apparaîtra alors comme une sorte de concession faite à la réalité. On aura donc sans doute besoin dautres arguments, ceux- positifs, pour la rendre acceptable.

La performativité

Austin avait prêté une attention particulière à un certain type dénoncé quil avait qualifié de « performatif » (de langlais « to perform » = faire, accomplir). La différence entre les énoncés performatifs, comme « Viens ici ! » ou « Je promets de venir » et les autres, dits « constatifs », comme « On ma téléphoné sur cette question », tient à ce quon a appelé depuis la « direction dajustement ». Les énoncés constatifs ont pour but de décrire le réel, donc de sajuster à lui ; le réel reste, après lémission de lénoncé, ce quil était auparavant. Au contraire, les énoncés performatifs, agissant sur lui, le modifient : après un énoncé performatif, il nest plus tout à fait ce quil était auparavant ; cette fois-ci, cest donc le réel qui sajuste à lénoncé : dans les exemples qui viennent dêtre proposées, il comporte désormais la promesse ou lordre créé par voie verbale.

Paradoxalement, Austin a ensuite renoncé à isoler la catégorie des énoncés performatifs. En effet, à la réflexion, ses limites peuvent paraître incertaines. Par exemple, lénoncé constatif « On vous appelle au téléphone » ne fait en apparence que décrire une situation. Mais en fait, il modifie la réalité. Grâce à lui, on est passé dun monde le destinataire nétait pas prévenu de lappel téléphonique à un monde il lest. Sur un point, lénoncé, visant à représenter le réel, sajuste à lui ; sur un autre, cest linverse, puisquil a pour effet denrichir les connaissances du destinataire. Lénoncé, tout en restant constatif, a donc un aspect performatif. Lénonciation dune seule et même phrase fait alors dune pierre deux coups : elle « décrit » et elle « informe », actes qui appartiennent à des catégories différentes. Il faut retenir que très couramment « une énonciation unique a ainsi des effets multiples », sa force illocutoire est complexe.

Malgré les scrupules dAustin, les pragmaticiens ont pourtant conservé létiquette de performatif. Ils appliquent à des énoncés, des énonciations, des verbes, etc., quoique dune façon qui nest pas toujours dune parfaite cohérence. Tantôt performatif signifie « qui réalise effectivement tel acte par voie verbale (il vaudrait mieux dire « performant »), tantôt il signifie « qui est susceptible de réaliser lacte par voie verbale ». Car, comme on le voit sur des exemples, un même énoncé peut réaliser ou ne pas réaliser lacte. Dès lors il est ou il nest pas performant, cela dépend de lénonciation. Quand « Ça va » répond à une interrogation sur létat de santé de linterlocuteur, cest une simple information, et on ne parlera pas dans ce cas dénoncé performatif ; quand il répond à « Je mexcuse », il constitue le pardon sollicité, on le classera donc parmi les énoncés performatifs.

On peut par exemple inviter quelquun à aller au cinéma en lui disant : « Viens au cinéma avec moi ». Cest un énoncé performatif (et même performant), grâce auquel on « fait » (acte !) linvitation. Lemploi de limpératif, mode qui exprime lordre (latin « impero » : « jordonne ») ou plus exactement lincitation, amicale (comme ici) ou contraignante, est alors responsable du caractère performatif revêtu par lénonciation. Mais le même effet peut être obtenu à laide dun énoncé tout différent : « Je tinvite à aller au cinéma ». Lénoncé est performatif, comme le précédent, et en outre il inclut un « verbe performatif » (susceptible de performer), le verbe « inviter ».

Sont classés dans la catégorie des verbes performatifs tous les verbes désignant un acte performatif, mais qui en même temps peuvent servir à laccomplir, à la condition expresse dêtre à la première personne sils ont la forme active (« Il tinvite à aller au cinéma » nest pas un énoncé performatif ; tout au plus peut-il servir à transmettre linvitation dautrui) ou davoir la forme passive (dire « Cest promis » est une façon courante de promettre). Curieusement les verbes désignant un acte performatif ne sont pas tous des verbes performatifs : on ninsulte pas quelquun en lui disant « Je tinsulte », mais en employant des injures.

Quand il utilise un verbe performatif dans un énoncé tel que « Je tinvite à aller au cinéma », lénonciateur décrit sa propre action, puisque le mode utilisé est lindicatif, ainsi dénommé parce quil sert à fournir des « indications » sur ce qui se passe. Mais cette action consiste justement à dire « Je tinvite à aller au cinéma ». On dit ce quon fait, mais on le fait en le disant, ce qui semble paradoxal. Les logiciens se méfient de ce type de formules qui décrivent leur propre emploi, qui sontdisent-ils – « réflexives », car ils démontrent quelles peuvent aboutir à des « paradoxes », cest-à-dire à des contradictions internes. Malgré le risque, les langues naturelles nhésitent pas à en faire usage et sen portent fort bien. Elles fonctionnent efficacement, mais selon des mécanismes qui, comme la souligné Ludwig Wittgenstein, ne sont pas toujours ceux de la logique. Il nappartient donc pas aux logiciens de les régenter.

Pour accepter linvitation daller au cinéma, lusager a à sa disposition bien des manières de dire (les langues sont très riches !). Il peut dire « Jaccepte », en faisant usage dun verbe performatif, mais il peut aussi bien utiliser lénoncé : « Jirai ». Au premier abord, il a lair de décrire simplement une action future, et cette interprétation serait suffisante sil sagissait de répondre à la question : « As-tu lintention daller demain au cinéma ? » On relève au passage que « décrire » nest, pas plus que « insulter », un verbe performatif, et, qu'habituellement, un énoncé descriptif ne signale pas quil décrit. Cest au destinataire den prendre conscience ; comme on l'a vu, une partie du sens attribué aux énoncés ne correspond à aucun mot ou à aucune expression explicite. Et dans le cas présent, il sagit de répondre à une invitation, lauditeur comprendra que l'énonciateur accepte sans que rien le dise explicitement.

Classement des énoncés performatifs

Parmi les énoncés performatifs (cest-à-dire, sinon performants, à tout le moins susceptibles de lêtre), on peut distinguer :

  • les énoncés à « performativité lexicalement dénommée » : donc ceux qui comprennent un verbe performatif (type « Jaccepte ») ou, mais bien plus rarement, du moins en français, un mot dune autre classe désignant lacte accompli (par exemple « Rectification ! » pour indiquer quon modifie ce quon vient de dire) ;
  • les énoncés à « performativité indiquée autrement » : cette indication peut consister en un procédé grammatical, ainsi lusage du mode impératif pour inciter lauditeur à faire telle ou telle chose de la tournure interrogative pour poser une question ; mais il existe aussi des interjections spécialisées : « chut ! » demande le silence, « halte ! » constitue une injonction pour sarrêter, « bis » peut inviter à donner une nouvelle exécution dun morceau de musique ou dun spectacle, etc.
  • les énoncés à « performativité non exprimée » : ils sont de types très variés, allant des énoncés déclaratifs comme « Jirai » examiné plus haut jusquà des formules toutes faites (« Pardon », pour demander pardon ; « Faute ! » au tennis pour signaler quon juge quune faute a été commise, etc.), en passant par les fausses interrogations comme « Pouvez-vous me passer le sel ? » il sagit en réalité dune requête : linterlocuteur est sollicité de passer le sel. « Ici ! » peut indifféremment être une réponse à une question, donc descriptif, une exclamation ou un ordre dune énergique brièvetélintonation pouvant marquer la différence.

Dans la première de ces trois catégories, on ne trouve que des énoncés qui ne sont pas toujours performants, même sils le sont en général. Tout dépend alors de lénonciation, du contexte verbale (« cotexte ») elle intervient, de la situation concrète se trouvent les interlocuteurs. De tels énoncés sont en effet de forme déclarative, donc apparemment descriptifs, et ils peuvent, dans un contexte approprié, ne revêtir que cette fonction.

Dans la troisième, le caractère performatif devrait être foncièrement épisodique, si bien que dautres interprétations restent possibles. En fait, dans certaines tournures, il est si fréquent quil en devient conventionnel. Il en est dailleurs qui, prises à la lettre, recevraient difficilement un sens raisonnable. Ainsi une simple réponse verbale, par « oui » ou « non », à la question « Pouvez-vous me passer le sel ? », aurait toute chance de paraitre absurde, en dehors de circonstances tout à fait exceptionnelles. Cela montre bien quil ne sagit pas dune vraie question. La force illocutoire est autre.

Seule la seconde catégorie ne comporte en principe que des énoncés constamment performants. Cest pourtant à elle que la pragmatique sest le moins intéressée, sans doute parce que ce domaine lui semblait présenter moins de difficulté : les méthodes plus traditionnelles pouvaient sy appliquer.

Le sens implicite

Les composants du sens

Comme on l'a vu, l'énonciateur a le privilège de choisir les énoncés quil va utiliser et den déterminer le sens. Mais il a aussi à se faire comprendre. Sous peine de violer les règles du jeu langagier, qui stipulent que la tâche du destinataire ne consiste pas à résoudre au hasard des devinettes, il lui revient de sassurer que son partenaire a les moyens de reconstituer le sens. Avant d'examiner quels sont ces moyens, il faut revenir sur les différents composants de ce quest le sens (conçu dans une acception très large:

  • le sens conventionnel des mots, décrit dans les dictionnaires, relève de la sémantique classique, de même que la combinatoire permettant dattribuer à la phase un sens global à partir de celui des mots.
  • les problèmes posés par la référence, autrement dit la question des rapports entre les énoncés et leurs éléments dune part, les constituants de la réalité dautre part, sont loin dêtre complètement éclaircis ; ils paraissent à peu près du même ordre pour tous les énoncés, performatifs ou non. Il faut cependant souligner que les énoncés performatifs, dans la mesure ils évoquent non seulement la réalité ou les représentations que nous en avons, mais encore soit du purement imaginaire, soit ce quon voudrait voir se produire, contribuent aux difficultés de la sémantique.
  • il faut distinguer le sens posé, qui est à peu près le sens conventionnel, le contenu des mots, du sens présupposé ; le critère étant quen général, et contrairement au sens posé, les présupposés ne sont pas modifiés quand lénoncé prend une forme négative ou interrogative. À cette paire, on avait ajouté limplicite, ou en un terme plus imagé, le « non-dit ». (La terminologie nétant guère fixée, on parle aussi, par exemple, de « sous-entendus » ou d'« inférences », les définitions et les usages pouvant varier sensiblement).
  • il y a lieu également de prendre en compte la force illocutoire, alors quelle nest pas toujours, loin de , signifiée expressément par un mot ou une expression.

Le sens

Dune façon générale, on saperçoit que les destinataires tirent des énoncés plus d'information quil nen figure explicitement dans les mots. Si je lis sur la porte dune épicerie un écriteau « Ouvert le dimanche », je considérerai quil signifie « Ouvert même le dimanche », donc le dimanche, mais aussi les autres jours. À linverse, sur un bureau administratif linscription « Ouvert du lundi au vendredi », apparemment parallèle à la précédente, donnera lieu à une interprétation différente, comme sil y avait « Ouvert seulement du lundi au vendredi », donc pas le samedi ni le dimanche. De tels exemples regardent le contenu de lénoncé. Mais dautres, déjà donnés, concernent dans lénonciation lacte de langage effectué en utilisant lénoncé, sa force illocutoire. Il est apparu que le même énoncé « Son exposé a la note 12 » pouvait être compris différemment, comme une constatation, comme une invention ou encore comme une notation. De même, selon les circonstances, « Ça va » sert à donner des nouvelles ou à pardonner. Autre exemple : « Il pleut » peut constituer un renseignement désintéressé sur le temps quil fait, mais aussi un argument pour ne pas sortir, ou encore un avertissement davoir à se munir dun parapluie.

De même, en remarquant que « La poubelle est pleine », ce qui, dans la forme, semble être une simple constatation, on peut accomplir bien des actes annexes : solliciter lauditeur de vider la poubelle, lui reprocher de ne pas lavoir fait à temps, se plaindre dune grève des éboueurs et de ses conséquences fâcheuses, etc. Rien dexplicite ne signale ces actes, et pourtant le destinataire en a bien conscience, comme le montrera la diversité de ses réactions. Sil prend lénoncé pour une requête davoir à vider la poubelle, il pourra rétorquer : « Ce nest pas mon tour de la vider ». Sil le considère comme une accusation de retard, on aura une réponse telle que : « Jai oublié de la vider », à interpréter comme une excuse. Enfin, sil y voit une allusion à la grève des éboueurs, cette façon de comprendre se manifestera éventuellement par : « Jai entendu dire que la grève va se terminer ». Or, la plupart du temps, de telles réactions ne surprendront pas lauteur de lénoncé initial. Cela montre bien quil prévoyait la façon dont son énonciation serait reçue.

De tels exemples se présentent de prime abord comme des constatations, mais le sens quils peuvent revêtir déborde largement la description pure. Cependant quen est-il de la description elle-même ? Elle recourt, a-t-il été dit, au mode indicatif. Or, bien des linguistes, tel André Martinet, ont remarqué que, dans la plupart des langues, il ny a pas de marque dindicatif, alors que les modes non-indicatifs, par exemple le subjonctif, en comportent en général une : en français, le subjonctif peut se caractériser par un suffixe -i- (chant-i-ons), un radical caractéristique (fasse opposé à fais ou fait), parfois les deux (fass-i-ons). On peut, soit considérer que lindicatif a une marque zéro, soit y voir un non-mode, la forme fondamentale du verbe, sans spécification modale. Selon cette dernière interprétation, lacte de description lui-même relèverait du non-dit dans la plupart des cas. [réfnécessaire]

Le calcul interprétatif du sens

Comment les destinataires parviennent-ils à établir le sens dune énonciation quand ce sens est ainsi laboutissement dune « dérivation », cest-à-dire quand il nest pas lié au signifiant par un rapport immédiat stocké dans la mémoire, mais résulte dune sorte de raisonnement, généralement automatique et inconscient ? On considère que pour faire ce raisonnement, parfois appelé « calcul interprétatif », ils utilisent, outre lénoncé lui-même, diverses sources dinformation et se conforment à diverses règles.

Une conception assez répandue aujourd'hui envisage lesprit comme un ensemble de systèmes souvent appelés, dun terme traditionnel, facultés (conception « modulaire » de lesprit-cerveau). Tout usager du langage possèderait ainsi diverses compétences, étant un ensemble organisé de connaissances et de mécanismes psychologiques. Ainsi distingue-t-on :

  • la compétence linguistique ;
  • la compétence encyclopédique ;
  • la compétence logique ;
  • la compétence rhétorico-pragmatique.

Par compétence linguistique, on entend la maitrise dune langue, de sa prononciation, de son lexique, de sa syntaxe, etc. ; par compétence logique, laptitude raisonner de manière logique, à déduire, à apercevoir les tenants et les aboutissants dune idée, à relier les idées entre elles, etc. ; par compétence encyclopédique, les connaissances dordre varié portant sur linfinie diversité des sujets dont une langue permet de parler (étant donné quil est à peu près impossible de comprendre un énoncé, aussi clair soit-il, sur un sujet dont on ignore à peu près tout) ; par compétence rhetorico-pragmatique, les mécanismes dont il va maintenant être question. On peut ranger sous la rubrique « compétence de communication » lensemble de ces diverses compétences, mais il faut être conscient quune appellation aussi générale englobe aussi les moyens non linguistiques de communication. Les compétences varient bien entendu dun individu à lautre : ainsi la compétence logique dun mathématicien sera-t-elle vraisemblablement plus étendue que celle du commun des mortels.

Reprenons lexemple de « La poubelle est pleine » et supposons que le locuteur, en prononçant la phrase, lui attribue la force illocutoire dune requête de vider la poubelle. Comment le destinataire peut-il comprendre quil sagit bien dune requête, puisque ce nest dit nulle part et que dautres interprétations seraient a priori possibles ? Il attribue une première interprétation à lénoncé en vertu de sa compétence linguistique : il peut hésiter sur le caractère descriptif de lénonciation, mais supposons quil ladmette en labsence dindice poussant à comprendre autrement. Il sait, par sa compétence encyclopédique, que les ordures ménagères se mettent habituellement dans la poubelle familiale, que la présence dordures en dehors de la poubelle est dommageable ou considérée comme telle, quil existe aussi pour les ordures un récipient extérieur, dont les éboueurs municipaux évacuent régulièrement le contenu, quon a coutume de vider la poubelle dans ce récipient, que lui-même peut le faire et la déjà fait. Sa compétence logique lui permet détablir un lien entre ces connaissances : on vide la poubelle dans le récipient extérieur de façon à laisser de la place pour de nouvelles ordures, et on peut toujours le faire puisque ce récipient est à son tour régulièrement vidé. Reste à déterminer comment, de cet ensemble de connaissances et de rapports logiques (ou pseudo-logiques), on passe à linterprétation que cest au destinataire de lénonciation quil revient de vider la poubelle. Les pragmaticiens suggèrent que la compétence rhétorico-pragmatique comporte la règle suivante : décrire une situation dommageable à quelquun qui est en mesure de la faire cesser, cest inciter cette personne à la faire cesser. Dès lors, le sens souhaité sobtient facilement.

Tout cela peut paraître simpliste ou incertain. Il est cependant probable que le sens adéquat ne peut être reconstitué que par des mécanismes de ce genre, fonctionnant à partir des connaissances et des règles que nous avons rappelées. Peu de chose suffit du reste à favoriser une force illocutoire différente : par exemple la connaissance dun tour de rôle entre les personnes de la famille chargées de vider la poubelle et du jour on est. Si ce nest pas le jour du destinataire, le sens injonctif « Vide est la poubelle » devient bien moins vraisemblable, et il peut sagir dune réflexion du type « On ne peut jamais compter sur lui » sur lincurie dun tiers. Mais à son tour, la connaissance de lestime, haute ou piètre, en laquelle le locuteur tient le défaillant favorisera ou défavorisera ce dernier sens. On laisse le soin au lecteur de poursuivre lexpérience mentale, en imaginant des variantes à cette situation et en en déduisant le sens émergeant alors.

La règle qui a été suggérée demeure cependant dapplication assez restreinte et on se demandera si la compétence rhétorico-pragmatique peut être décrite comme un simple conglomérat de telles règles. Il est souhaitable, pour expliquer son efficacité, de découvrir des principes plus généraux, entretenant de préférence entre eux une liaison organique. Cest ce qui va être examiné maintenant.

Les lois du discours

Enumérons-en plusieurs, en nous inspirant des analyses dOswald Ducrot, qui leur donne ce nom. Elles expliquent le choix dune expression ou dun sujet plutôt que dun autre, mais guident aussi lauditeur dans sa reconstitution du sens, car le locuteur, censé les respecter, nest pas libre daffecter à un énoncé un sens qui les enfreindrait. Ces lois sont en effet des sortes de conventions, analogues aux règles dun jeu : qui prend part au jeu en accepte les règles, sinon il se rend coupable de tricherie. De même, qui se sert du langage se soumet à ses lois, sous peine de se marginaliser.

La première est la loi de la « sincérité ». On est tenu de ne dire que ce quon croit vrai et même que ce quon a des raisons suffisantes de tenir pour tel. Autrement on sexpose à laccusation de parler à la légère. Sans cette convention, aucune espèce de communication, même le mensonge, ne serait possible, puisque lauditeur naccorderait a priori aucune confiance au locuteur. Apparemment, elle va de soi. Mais elle ne vaut que dans la mesure le langage a fonction descriptive. Lorsque la fonction est autre, par exemple dans un roman, les descriptions sont par convention illusoires, elle est sans objet. Il est donc normal que certains indices révèlent au destinataire si oui ou non elle sapplique. Cest bien pourquoi on fait souvent figurer les indications « Roman » ou « Nouvelle » sur la couverture des livres qui appartiennent à ces genres. Mais comme la littérature dimagination est aujourdhui dominante, on se dispense souvent de les donner. Il y a donc des possibilités de méprise, en particulier à loral les indices, à supposer quils existent, sont de toute façon plus fugitifs. La plaisanterie, dont le sel consiste à « faire comme si » ce quon disait était vrai alors que ce ne lest pas, consiste de ce point de vue un domaine à haut risque : lauditeur peut prendre lénoncé « au sérieux », ce qui entraine de fâcheux quiproquos.

En second lieu, le fonctionnement du langage est soumis à une loi d’« intérêt », selon laquelle on nest en droit de parler à quelquun que de ce qui est susceptible de lintéresser. Ainsi sexpliquerait la difficulté dengager la conversation avec un inconnu : on ne sait pas quel sujet aborder avec lui sans violer la convention dintérêt. Aussi existe-t-il des sujets passe-partout, censés intéresser tout le monde et bien commodes pour nouer connaissance, le temps quil fait par exemple. Tout le monde est concerné par le chaud, le froid, la pluie, le soleilMais il est des privilégiés qui échappent à cette existence. Ce sont les dépositaires de lautorité, dont la parole simpose à tous comme si elle était de soi intéressante. Cest ainsi que les enseignants, en tant que représentants qualifiés de la société, ont droit à la parole devant leur auditoire scolaire. Si, à ce quils disent, celui-ci ne prend pas effectivement intérêt, il na dautres ressources que de penser à autre chose ou de donner un exutoire à son mécontentement sous forme de chahut.

A peu près tous les principes quon peut invoquer connaissent en effet des exceptions, quon ne peut expliquer quen recourant à dautres principes, parfois, on le verra, franchement contradictoires. Ainsi en est-il justement de la loi d'« informativité ». Daprès elle, un énoncé doit apporter à son destinataire des informations quil ignore. Sinon, le locuteur sexpose à des ripostes du type « Je le sais déjà » ou « Tu ne mapprends rien ». Pourtant, en parlant de la pluie et du beau temps, on nenseigne généralement rien à son interlocuteur. Tout se passe comme si devant une urgente obligation de parler et devant la nécessité de satisfaire les principes régissant la parole, on donnait la priorité à la convention dintérêt sur la convention dinformativité.

Par ailleurs, un énoncé bien formé, sil doit contenir de linformation neuve, doit aussi rappeler des choses déjà sues (redondance). Dans le cas contraire, il semble que la trop grande information, dépassant les capacités dassimilation de lauditeur, gêne la compréhension. Les linguistes ont distingué à ce point de vue dans tout énoncé le « thème » et le « rhème » (on dit aussi, au lieu de rhème, « focus » ou « propos »), le thème reprenant le déjà connu et le rhème constituant lapport original exigé par le principe dinformation. Si on met en parallèle le point de vue énonciatif et le point de vue grammatical, on constate que, dans les langues à sujet comme le français, il y a affinité entre la partie sujet et le thème, la partie prédicative et le rhème.

Dautre part, lexpression de linformation semble obéir à une loi dite d'« exhaustivité », stipulant que le locuteur est tenu de donner, dans un domaine donné, linformation maximale compatible avec la vérité. Entendant dire quelquun quil a trois enfants, on comprendra quil nen a pas quatre, ce qui pourtant nest pas explicite. Or, il existe un procédé exactement inverse, celui de la « litote ». La litote consiste à dire moins quon ne veut laisser entendre. Ainsi, dans Le Cid, Chimène adresse à Rodrigue un « Va, je ne te hais point » qui en réalité signifie quelle laime, et quil comprend ainsi ; un tel énoncé signifierait quil lui est indifférent, si cétait la loi dexhaustivité qui sappliquait. Mais on est loin encore davoir répertorié tous les mécanismes expliquant pourquoi parmi ces lois cest tantôt lune tantôt lautre qui sapplique. De même, à ce jour, nul na fourni une liste complète des lois de discours.

Les maximes conversationnelles

Le linguiste philosophe américain Paul Grice (1913-1988) a, le premier, dégagé des « maximes conversationnelles », ressortant d'une « logique de la conversation » et auxquelles les interlocuteurs seraient tenus de se conformer. Au nombre de quatrequantité, qualité, pertinence et manièreelles dépendraient toutes dun principe très général de coopération, applicable à lensemble du comportement humain et donc à la conversation. Elles recoupent en partie les lois du discours décrites ci-dessus. Sous la forme que Grice leur donne, elles ont du reste un champ dapplication restreint, car elles ne valent que pour les aspects descriptifs (vériconditionnels) de la conversation.

Mais Grice sest efforcé de montrer comment lauditeur pouvait prendre appui sur elles pour déceler ce qui ne figurait pas dans un énoncé. Quand lénoncé les enfreint, il doit supposer que linfraction est seulement apparente, puisque autrement le locuteur naurait pas appliqué le principe de coopération, dont dépendent les maximes elles-mêmes. Il faudra donc chercher une hypothèse sémantique selon laquelle elles sont respectées, bien que seulement dans la mesure du possible. Si à une question sur ladresse de quelquun, on répond « Il habite quelque part dans le Midi », la réponse ne comporte pas toute la précision quexigent les maximes de quantité et de pertinence ; mais le locuteur nen a pas dit davantage à cause de la maxime de qualité, qui oblige à navancer que ce quon sait de source assurée. Autrement dit, il a violé certaines maximes pour en respecter une autre. Et lauditeur est fondé à considérer que le sens à reconstituer inclut dune certaine façon « Je nen sais pas plus ».[1]

Lexplication, bien sûr, nest que partielle. Car lénoncé aurait pu être tout aussi bien « Je ne sais pas au juste », et son interprétation naurait pas soulevé de problème. Pourquoi choisit-on de faire compliqué alors quon aurait pu faire simple ? Dans le cas examiné, on peut donner une réponse : le locuteur profite de la situation pour indiquer brièvement ce quil sait, même si cest insuffisant pour satisfaire le destinataire. Dans dautres cas, lavantage est pour le locuteur de pouvoir éventuellement refuser la responsabilité du sens non-dit. Plus lécart est grand entre le sens conventionnel, donc explicite et le sens indirect, donc implicite, quon peut prêter à lénoncé, plus le locuteur a la possibilité daffirmer de bonne ou de mauvaise foi, quil na pas envisagé le sous-entendu en question. Le langage offre des ressources multiples pour suggérer sans dire. Mais on ne voit pas toujours aussi clairement les raisons qui poussent à inclure dans lénoncé du sens non-dit, au lien de sexprimer explicitement. De toute manière, linterprétation se fait aux risques et périls du destinataire. La nécessité il est mis de reconstituer du sens non-dit loblige à une démarche plus ou moins contournée et plus ou moins incertaine. Ainsi se trouve renforcée la dominance signalée plus haut de lénonciateur sur le destinataire. Bien que cette vision puisse encore être étudiée puisque l'on peut considérer que la réussite ou l'echec de la communication ( au sens large ) de l'énonciateur est soumise à la bonne interprétation par le destinataire. Ce qui, comme on l'a vu, peut fréquemment ne pas être le cas. Dans cette optique, c'est bien le destinataire qui est garant de l'achèvement des intentions de l'énonciateur et qui peut donc être placé dans une position dominante au sein de l'acte de communication.

Notes

  1. D'autres interprétations sont possibles, comme « Je le sais, mais je n'ai pas envie de le dire », ou « Ça n'a pas grande importance de savoir précisément ». Le décryptage du sens réel s'appuie aussi sur des signaux extra-linguistiques (ton, geste, mimique, etc.)

Références

  • Blanchet, Ph. (1995), La Pragmatique, Paris, Bertrand Lacoste, Coll. "Référence".
  • Bernicot J., Trognon A., Musiol M. & Guidetti M. (éds.) (2002), Pragmatique et Psychologie, Nancy, Presses Unviversitaires de Nancy.
  • Bracops, M. (2005), Introduction à la pragmatique, Bruxelles, De Boeck, coll. "Champs linguistiques"
  • Ghiglione, R. et Trognon, A. (1999), va la pragmatique ? De la pragmatique à la psychologie sociale, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble.
  • Grice, H.P. (1979), « Logique et conversation », dans Communication, 30, 57-72.
  • Levinson, S. (1983), Pragmatics, Cambridge : Cambridge University Press.
  • Moeschler, J. et Reboul, A. (1994), Dictionnaire encyclopédique de pragmatique, Paris, Éditions du Seuil. (ISBN 2-02-013042-4)
  • Reboul, A., Moeschler, J. (1998), La pragmatique aujourd'hui, Paris, Éditions du Seuil. (ISBN 2-02-030442-2)
  • Bernicot, J.& Bert-Erboul, A. (2009). Lacquisition du langage par lenfant. Paris: Editions In Press.

Liens internes

Liens externes

  • Portail de la linguistique Portail de la linguistique
Ce document provient de « Pragmatique ».

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Pragmatique linguistique de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Поможем написать реферат

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Pragmatique — Pour l adjectif, voir Pragmatisme. Pour les articles homonymes, voir pragmatique (homonymie). La pragmatique est la branche de la linguistique qui s intéresse aux éléments du langage dont la signification ne peut être comprise qu en connaissant… …   Wikipédia en Français

  • PRAGMATIQUE — La pragmatique, ou comment accommoder les restes: cette formule rejoint l’intuition de Bar Hillel, l’un de ses fondateurs, qui lança de son côté l’expresion de «poubelle pragmatique» pour désigner le dépotoir théorique où l’on pourrait déverser… …   Encyclopédie Universelle

  • Linguistique pragmatique — Pragmatique  Ne doit pas être confondu avec Pragmatisme. Linguistique …   Wikipédia en Français

  • LINGUISTIQUE - Sociolinguistique — Le terme de sociolinguistique date, semble t il, des alentours de l’année 1960; auparavant, on parlait de sociologie du langage pour délimiter le même type d’investigation. Le problème que pose ce vocable est de savoir s’il recouvre un objet… …   Encyclopédie Universelle

  • Linguistique Informatique — La linguistique informatique (ou informatique linguistique) est un champ d étude interdisciplinaire qui étudie le traitement automatique des langages naturels. Avec l évolution rapide des technologies informatiques, le besoin s est rapidement… …   Wikipédia en Français

  • Linguistique computationnelle — Linguistique informatique La linguistique informatique (ou informatique linguistique) est un champ d étude interdisciplinaire qui étudie le traitement automatique des langages naturels. Avec l évolution rapide des technologies informatiques, le… …   Wikipédia en Français

  • LINGUISTIQUE EN ALLEMAGNE — De grands penseurs allemands comme Gottfried Wilhelm Leibniz (1646 1716), Johann Gottfried Herder (1744 1803), Johann Georg Hamann (1730 1788), Friedrich von Schlegel (1772 1829) ou Wilhelm von Humboldt (1767 1835) ont apporté au cours de… …   Encyclopédie Universelle

  • Linguistique — La linguistique désigne l étude du langage humain. Elle se distingue en cela de la grammaire, laquelle est la description du fonctionnement d une langue donnée. La linguistique envisage d aller par delà la grammaire ; elle est apparue au… …   Wikipédia en Français

  • Linguistique structurale — Structuralisme Le structuralisme est un courant des sciences humaines qui s inspire du modèle linguistique et appréhende la réalité sociale comme un ensemble formel de relations. Linguistique Disciplines  …   Wikipédia en Français

  • Linguistique informatique — La linguistique informatique (ou informatique linguistique) est un champ d étude interdisciplinaire qui étudie le traitement automatique des langages naturels. Avec l évolution rapide des technologies informatiques, le besoin s est rapidement… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1363335 Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”