- Polyphème
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Dans la mythologie grecque, Polyphème (en grec ancien Πολύφημος / Polúphêmos, littéralement « qui parle beaucoup, bavard » ou « très renommé ») est un cyclope, fils de Poséidon et de la muse Thoosa.
Sommaire
Mythe
La rencontre avec Ulysse
Polyphème apparaît pour la première fois au chant IX de l’Odyssée[1]. Ulysse et ses compagnons mettent pied à terre au « pays des Cyclopes », une terre sans nom qu'Homère désigne seulement par le peuple qui l'habite. Confiants dans les dieux immortels, ces Cyclopes ne pratiquent pas l'agriculture, vivant de ce que la nature leur procure ; ce sont des pasteurs, mangeurs de fromages et grands consommateurs de viande. Ils n'ont aucune organisation politique, mais vivent en formations familiales :
« Chez eux, pas d'assemblée qui juge ou délibère ; mais au creux de sa caverne, chacun, sans s'occuper d'autrui, dicte sa loi à ses enfants et femmes. »
(Odyssée, IX, 112-115)Ces êtres « sans foi ni lois » sont aussi d'horribles anthropophages[2].
Ulysse part avec un groupe de douze hommes et ils s'aventurent dans une large grotte. Y trouvant une abondance de nourriture, ils se servent et festoient. Ce qu'ils ne savent pas, c'est qu'ils sont dans l'antre de Polyphème qui les enferme dans la grotte, profitant de l'occasion pour en dévorer plusieurs. Mais Ulysse prépare un plan pour s'échapper.
Afin de rendre Polyphème moins alerte, Ulysse lui donne une barrique d'un vin très fort et non coupé, le vin offert par le prêtre des Cicones[3]. Quand Polyphème demande son nom à Ulysse, ce dernier lui répond s'appeler « Personne[4] ». Une fois le géant endormi, Ulysse et ses hommes utilisent un pieu durci au feu et crèvent l'œil du géant. Le lendemain matin, Ulysse accroche ses hommes ainsi que lui-même sous les moutons de Polyphème. Ainsi, lorsque, comme à son habitude, le Cyclope sort ses moutons pour les mener au pâturage, les hommes sont transportés hors de la caverne. Comme Polyphème est désormais aveugle, il ne peut les voir, bien que par précaution il touche le dos de ses moutons pour vérifier que les hommes ne s'évadent pas par ce moyen. Plus tard, lorsqu'on lui demande qui l'a rendu aveugle, il ne peut que répondre : « Personne » — ce qui autorise ses interlocuteurs à abandonner le géant à son triste sort. Mais dans une ultime raillerie, une fois à l'abri sur son vaisseau, Ulysse proclame sa véritable identité : il est « le fils de Laërte, l'homme d'Ithaque, Ulysse[5] ».
Cet épisode semble être l'une des raisons de l'acharnement de Poséidon contre Ulysse.
Polyphème et Galatée
Article détaillé : Galatée (Néréide).On voit l'image du géant anthropophage qu'est Polyphème évoluer profondément dans la littérature des siècles ultérieurs : deux poètes nous ont livré un autre épisode retraçant les amours de Polyphème et de Galatée, une Néréide ; plus tardif et sans rapport avec celui d'Homère, il est rapporté d'abord dans l’Idylle XI intitulée « Le Cyclope » du poète grec Théocrite : originaire de Sicile, Théocrite évoque le rude Polyphème, qu'il appelle « le Cyclope de chez nous », assis sur le rivage, face à la mer, et se consumant d'amour pour « la blanche Galatée plus délicate que l'agneau ». Barbu et hirsute, le géant amoureux apparaît quelque peu ridicule mais encore touchant.
Dans les Métamorphoses[6], Ovide suit son modèle Théocrite, mais en développant longuement ce que le poète grec avait dit en une pièce brève, et en brodant autour de ce thème les amours de Galatée et du jeune Acis. Polyphème aspire à l'amour de Galatée, nymphe de la mer ; mais celle-ci lui préfère le berger sicilien Acis. Polyphème, les ayant surpris ensemble, tue son rival en l'écrasant sous un rocher. Galatée change alors le sang d'Acis en une rivière portant son nom en Sicile.
Localisations du pays des Cyclopes
Dès l'Antiquité, les Grecs situaient le pays des Cyclopes en Sicile, au pied de l'Etna, comme le fait Thucydide : « Les plus anciens que la tradition connaisse comme ayant habité une partie de la Sicile sont les Cyclopes[7] ». Mais l'historien ne faisait ainsi que reprendre les connaissances transmises par les navigateurs grecs depuis les premières expéditions coloniales au VIIIe siècle av. J.C., connaissances qui reflètent leur représentation des mers et des terres occidentales[8] .
Face au « pays des Cyclopes » Ulysse et son escadre débarquent sur une île inhabitée et de surcroît riche en ressources : terres fertiles, prairies pour l'élevage, coteaux pour des vignobles, source d'eau limpide, et port naturel au mouillage aisé, sans amarre et sans manœuvres toujours longues et délicates[9]. Tout ce développement du poème semble conçu pour suggérer que cette île offre tous les avantages possibles pour des marchands en quête de comptoirs. Hellénistes et érudits ont donc cherché à localiser le pays des Cyclopes.
Les toponymes figurant sur toutes les cartes marines et les données des Instructions nautiques[10] situent le pays des Cyclopes sur les pentes de l'Etna, face aux quatre îlots des Faraglioni, « les Cyclopum Scopuli des Anciens ». Cette première hypothèse permet d'assimiler le Cyclope Polyphème à un volcan à l'œil rond, à l'Etna : comme le volcan, Polyphème tombe dans le sommeil après une éruption, et dans ses réveils terribles, éructe et projecte des blocs de roche au loin[11].Victor Bérard quant à lui, s'appuyant sur une brève indication de Thucydide[12], situe le pays des Cyclopes au nord de Naples, là où se trouvent l'île de Nisida et, dans les falaises du Pausilippe, de nombreuses grottes ayant servi d'habitations troglodytiques jusqu'au XXe siècle. L'une de ces cavernes, particulièrement vaste, appelée par erreur « Grotte de Séjan », pourrait être, selon l'helléniste, l'antre de Polyphème[13].
Enfin, Ernle Bradford[14] opte pour l'archipel des Égades, aujourd'hui Marettimo, Favignana et Levanzo. Sur cette dernière île se trouve la Grotta dei Genovesi, habitée au paléolithique et au néolithique. L'île montagneuse de Marettimo en particulier, creusée de cavernes, est très impressionnante. En face, les vestiges de l'ancienne cité d'Érix (Érice) attestent une présence grecque très ancienne.Aucune de ces trois hypothèses n'est formellement établie. Il existe en revanche une certitude : des navigateurs grecs venus d'Eubée, de Chalkis et d'Aulis dès le VIIIe siècle av. J.C. lancent des expéditions coloniales vers les terres d'Occident, et enrichissent le mythe archaïque de leurs propres expériences maritimes ; par sa narration, l'auteur de l'Odyssée donne à cette matière épique ainsi enrichie sa forme achevée. Toute une représentation du monde méditerranéen et de ses confins, tel que les Grecs le connaissaient au VIIe et VIe siècles, se trouve donc enveloppée dans l'épisode d'Ulysse et de Polyphème[15].
Postérité du mythe
Le compositeur français Jean Cras, sur un poème d'Albert Samain, écrira son ultime drame lyrique en quatre actes et cinq tableaux, sur ce sujet, œuvre qui obtient le prix du Concours musical de la ville de Paris en 1921, et qui est créée à l'Opéra Comique en 1922.
Bibliographie
- Jean Cuisenier, Le Périple d'Ulysse, Paris, Fayard, 2003 (ISBN 9-782213-615943)
- Victor Bérard, Nausicaa et le Retour d'Ulysse, Paris, Armand Colin, 1929
- Alain Ballabriga, Les Fictions d'Homère, L'invention mythologique et cosmographique dans l'Odyssée, Paris, P.U.F. 1988
- (en) Ernle Bradford, Ulysse found, London, Hodder and Stoughton, 1963
Notes
- Homère, Odyssée [détail des éditions] [lire en ligne], IX, 105 et suiv.
- Odyssée, IX, 292-293.
- Odyssée, IX, 195-196.
- « Personne » (« Οὔτις / Outis » en grec ancien) est le nom par lequel le cyclope Polyphème désigne Ulysse qui lui a crevé l'œil. Un jeu de mot permet d'éviter le renfort des autres cyclopes, qui croient alors leur congénère devenu fou, étant attaqué par « personne ». Ulysse peut ainsi fuir le pays des cyclopes avec ses marins. Le jeu de mots ne fonctionne pas tout à fait correctement dans une traduction française : alors que le texte grec fait dire de manière grammaticalement correcte et sémantiquement ambiguë à Polyphème « Οὔτις με κτείνει / Oútis me kteínei » (mot à mot « Personne me tue » ou « Personne ne me tue » puisque la langue grecque n'a pas besoin d'une seconde négation), le texte français ne pourra que se contenter d'un « Personne ne me tue » négatif ou « Personne me tue » affirmatif ou familier, sans qu'aucune des deux formules ne puisse conserver l'ambiguïté grammaticale initiale.
- Odyssée, IX, 502-505.
- Ovide, Métamorphoses [détail des éditions] [lire en ligne], XIII, 750 à 897.
- La Guerre du Péloponnèse, livre VI, II, 1.
- Lorenzo Braccesi, Grecita di Frontiera, I percorsi occidentali della legenda, Padova, Esedra, 1994, p. 3 à 41.
- Odyssée, IX, 125 à 141.
- Instructions nautiques n° 721 p. 252.
- Odyssée, IX, 480-486. On observera cependant que Polyphème lance deux blocs de roche contre les vaisseaux d'Ulysse, tandis qu'il y a quatre îlots escarpés dans les Faraglioni.
- Cumes, « la Kymé chalcidienne du pays des Opiques ». Dans La Guerre du Péloponnèse, (VI, IV, 5) Thucydide évoque
- Victor Bérard, op.cit. p. 165 à 189.
- op. cit. p. 45.
- Cuisenier 2003, p. 213 à 226.
Voir aussi
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