Philosophie post-moderne

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La philosophie postmoderne désigne un ensemble de discours et de travaux apparus en majorité dans les années soixante, en particulier en France (notamment ceux que les Américains ont rangés sous le nom de « French Theory[1] »). Cette appellation, héritée surtout de la conception qu'une époque avait de sa condition (postmodernité), et popularisée notamment par le philosophe J.-F. Lyotard[2], regroupe des pensées qui développent une forte critique de la tradition et de la rationalité propres à la modernité occidentale, et qui proposent des manières nouvelles de questionner les textes et l'histoire, influencées notamment par le marxisme, la phénoménologie de Husserl et de Heidegger, la psychanalyse de Freud et de Lacan, le structuralisme de Lévi-Strauss, mais aussi la linguistique ou la critique littéraire[3].

On inclut souvent[Qui ?] derrière cette appellation les philosophies de Derrida, de Foucault et de Deleuze, mais aussi de Feyerabend, Castoriadis, Althusser, Lyotard, Baudrillard, Guattari et quelques autres, qui ont en commun une posture de critique et de méfiance, de liberté voire de rupture vis-à-vis des traditions idéologiques de la modernité en Occident. L'unité de ces pensées, comme le nom sous lequel on les regroupe, soulève toutefois de nombreux désaccords. Ainsi Foucault refusait pour sa part l'appellation "postmoderne", se revendiquant plutôt de la modernité[4].

La philosophie postmoderne est souvent confondue à tort avec le postmodernisme qui est un mouvement artistique[5].


Sommaire

Caractéristiques communes et différences

Caractères communs

La philosophie postmoderne désigne un ensemble d'études critiques menées entre les années 50 et les années 70 voire 80, qui rejettent en partie les tendances universalistes et rationalistes de la philosophie des modernes, ou cherchent à s'en distancer pour mieux les analyser. Elle s'applique à des travaux et à des mouvements héritiers des grands penseurs du soupçon de la fin du XIXe et du début du XXe siècles (Marx, Nietzsche[6], Freud[7], puis Heidegger[8]), comme le post-structuralisme, la déconstruction, le multiculturalisme, et une partie de la théorie de la littérature, qui se montrent spécialement sceptiques face au du déploiement traditionnel du discours dans la philosophie, la littérature, la politique, les sciences, etc.[9]

Les travaux qualifiés de postmodernes rompent en général avec le règne du sujet et de la raison, et les traditions philosophiques et idéologiques européennes héritées du Siècle des Lumières, comme par exemple la quête d'un système rationnel universel qu'on trouve dans le kantisme ou l'hégelianisme. C'est dans ce sens que Jacques Derrida s'est proposé[10] de déconstruire ce qu'il appelle le « logocentrisme » , c'est-à-dire le primat de la raison sur tout ce qui est « irrationnel », la raison s'arrogeant d'habitude le droit de définir ce qu'est l' « irrationalité » et de la rejeter[11]. Ce logocentrisme se double, toujours selon Derrida, d'un « ethnocentrisme » (primat non seulement de la raison, mais aussi de la raison « occidentale »). Il devient par la suite « phallogocentrisme »[12] : le primat de la raison, du logos, est aussi le primat du masculin.

Les philosophies postmodernes se méfient aussi des dichotomies (opposition binaires) qui dominent la métaphysique et l’humanisme occidentaux, telles que les oppositions entre vrai et faux, corps et esprit, société et individu, liberté et déterminisme, présence et absence, domination et soumission, masculin et féminin[13]. Ces présupposés de la pensée occidentale sont attaqués pour mettre en place une pensée de la nuance, de la différence ou de la subtilité. Ce courant apparaît en effet parallèlement à la science cybernétique et au constructivisme épistémologique d'un Jean Piaget ou d'un Ernst von Glasersfeld, qui rompent avec le modèle de la causalité linéaire[réf. nécessaire].

Par ailleurs, les philosophies postmodernes soulignent l'importance des relations de pouvoir dans la formation du discours d'une époque, et la personnalisation du discours dans la construction de la « vérité »[14] et d'opinions universellement admises.

La philosophie postmoderne a aussi été influencée dans une certaine mesure par les critiques postérieures de Ludwig Wittgenstein contre la philosophie analytique[15], et s'inscrit plus généralement dans un rejet plus ou moins raisonné de ladite philosophie analytique[16].

L'idée d'une philosophie postmoderne a essentiellement pris corps grâce aux États-Unis, en particulier par la lecture d'un ensemble d'auteurs français, dont le corpus d'idées reste identifié sous le terme de « French Theory »[17].


Différences

Les premiers philosophes ayant influencé la philosophie postmoderne ont été Michel Foucault, Jean-François Lyotard et Jacques Derrida. Car bien que ceux-ci ne s'en réclament pas, voire rejettent ce courant[18], ils auraient, selon Alex Callinicos, « contribué à créer l’atmosphère intellectuelle dans laquelle celle-ci pouvait s’épanouir »[19]. On constate toutefois que ces philosophes sont motivés par des optiques bien différentes.

Foucault approche la philosophie postmoderne dans une optique historique, en se basant sur le structuralisme, mais en même temps il rejette ce dernier en remodelant l’histoire et en déstabilisant les structures philosophiques de la pensée occidentale. Il examine également les processus par lesquels la connaissance est déterminée et modifiée par l’exercice du pouvoir.

Les écrits de Lyotard s’intéressent largement au rôle de la narration dans la culture humaine, et particulièrement à la façon dont ce rôle a changé lorsque nous avons quitté la modernité pour entrer dans une condition « postindustrielle » ou postmoderne. Lyotard soutient que les philosophies modernes légitimaient leurs prétentions à la vérité non sur des bases logiques ou empiriques (comme ils le prétendaient eux-mêmes), mais plutôt sur des histoires acceptées (ou « métanarration ») à propos de la connaissance et du monde -- ce que Wittgenstein appelait de « jeux de langage ». Lyotard soutient aussi que, dans notre condition postmoderne, ces métanarrations ne permettent plus de légitimer ces « prétentions à la vérité ». Il suggère que, suite à l’effondrement des métanarrations modernes, les gens développent un nouveau jeu de langage, un jeu qui ne revendique pas la vérité absolue mais qui glorifie plutôt un monde de relations perpétuellement changeantes (relations entre les personnes, ainsi qu’entre les personnes et le monde).

Derrida, le père de la déconstruction, pratique la philosophie comme une forme de critique textuelle. Il critique le fait que la philosophie occidentale privilégie le concept de présence et le logos, plutôt que l’absence et le marquage ou les écrits. Ainsi, Derrida affirme avoir déstructuré la philosophie occidentale en soutenant, par exemple, que l’idéal occidental du logos présent est miné par l’expression de cet idéal sous la forme de marquage par un auteur absent. Ainsi, pour souligner ce paradoxe, Derrida reformalise la culture humaine comme un réseau disjoint de marquages et d’écrits proliférants dont l’auteur est absent.

Bien que Derrida et Foucault soient cités comme philosophes postmodernes, chacun a rejeté plusieurs des opinions de l’autre. Comme Lyotard, les deux sont sceptiques vis-à-vis de la vérité absolue ou des prétentions à des vérités universelles. Contrairement à Lyotard, cependant, ils sont (ou semblent) plutôt pessimistes quant aux prétentions libératrices de n’importe quel nouveau jeu de langage. C’est pourquoi certains les qualifieraient de post-structuralistes plutôt que de postmodernistes.

Aux États-Unis, le plus connu des postmodernistes est Richard Rorty. Philosophe analytique au départ, Rorty estime que la conjonction de la critique de la distinction analytique/synthétique par W.V.O. Quine et de la critique du "Mythe du Donné" par Wilfrid Sellars permet d’abandonner la conception de la pensée ou du langage comme miroir d’une réalité ou d’un monde externe. De plus, commentant la critique du dualisme entre schème conceptuel et contenu empirique faite par Donald Davidson, il nous invite à nous demander si nos concepts particuliers sont liés au monde de manière appropriée, ou bien si nous pouvons justifier nos façons de décrire le monde comparativement à d'autres façons de le faire. Il soutient que la vérité ne se trouve pas dans l'adéquation ou la représentation du réel, mais qu'elle appartient à des pratiques sociales, et que le langage est ce qui sert nos intérêts à une période déterminée (ainsi les langues anciennes sont parfois intraduisibles dans les langues modernes parce qu'elles comprennent un vocabulaire aujourd'hui inutile). Donald Davidson n’est généralement pas considéré comme un postmoderniste, mais Rorty et lui-même ont tous les deux admis qu’il n’y avait que peu de différences entre leurs philosophies.

Postmodernisme et post-structuralisme

La philosophie postmoderne est très semblable au post-structuralisme. Considérer les deux comme identiques ou fondamentalement différents dépend généralement de l’implication personnelle vis-à-vis de ces questions. Les personnes opposées au postmodernisme ou au post-structuralisme rassemblent souvent les deux en un. De l’autre côté, les partisans de ces doctrines font des distinctions plus subtiles.

Critiques de la philosophie postmoderne

Article détaillé : Affaire Sokal.

L'Affaire Sokal est le nom donnée à une critique virulente de la méthode d'écriture employée par les philosophes postmodernes. Le physicien Alan Sokal, contestant l'usage - selon lui abusif ou inappropriés - de termes issus des sciences-physiques dans un contexte philosophique ou social, produisit un faux-grossier construit à base de citations d'ouvrages ou d'articles "postmodernes". Il soumit cet article à la revue Social Text qui l'accepta. Il révéla alors la supercherie dans un second article. Il fut soutenu dans sa démarche par d'autres intellectuels et notamment par le linguiste Noam Chomsky. Les philosophes mis en cause contestèrent la méthode et soutinrent que la condition de physicien d'Alan Sokal ne lui permettait pas d'appréhender la portée symbolique de l'usage qu'eux même faisaient de termes physiques ou mathématiques.

Bruno Latour publie en 1991 Nous n'avons jamais été modernes : Essai d'anthropologie symétrique en s'inscrivant dans une tradition philosophique qu'il qualifie de « non-moderne », par opposition aux modernes et aux postmodernes.

Notes

  1. Voir François Cusset, French theory. Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux États-Unis, La Découverte, Paris, 2003. Voir aussi l'article La French theory, métisse transatlantique, Sciences Humaines, N° Spécial N° 3 - Mai -Juin 2005, Foucault, Derrida, Deleuze : Pensées.
  2. La réception du mot doit beaucoup, en France, au livre de Jean-François Lyotard : La condition postmoderne (1979).
  3. Les théoriciens de la littérature Roland Barthes et Gérard Genette et le théoricien du langage Roman Jakobson ont contribué à influencer les philosophes postmodernes. Mais aussi Georges Bataille, notamment avec L'Expérience intérieure (1943) et La Part maudite (1949). Cf. par exemple Jacques Derrida, qui propose une confrontation entre Bataille et Hegel dans L'écriture et la différence, « De l'économie restreinte à l'économie générale » (1967).
  4. Voir dans l'article Michel Foucault, section "Philosophie", la sous-section "Affiliation philosophique".
  5. Charles Jenks, Le langage de l'architecture postmoderne, 1977, Academie editions, London. Voir Postmodernisme (homonymie).[réf. incomplète]
  6. Notamment La généalogie de la morale (1887), analysée par exemple par Michel Foucault dans Nietzsche, la généalogie, l’histoire (1971), et le faux La Volonté de puissance, qui était alors considéré comme authentique : cf. par exemple Gilles Deleuze, Nietzsche et la philosophie
  7. Jacques Lacan lui-même est ainsi inclus la plupart du temps dans ce que les Américains appellent "French Theory".
  8. Notamment Martin Heidegger, La question de la technique, 1954, dans Essais et conférences, Paris, 1958 : l'ensemble du monde est devenu l'objet d'une rationalisation technologique, appelée « araisonnement » par Heidegger.
  9. La philosophie postmoderne a produit une vaste littérature théorique critique. D’autres domaines de production ont porté la déstructuration et d’autres notions commençant par le préfixe « post-» sont apparues, comme post-structuralisme, post-marxisme, ou post-féminisme.[réf. nécessaire]
  10. Dans De la grammatologie, 1967.
  11. Par exemple dans l'écriture (cf. L'écriture et la différence, 1967).
  12. Voir La carte postale, 1980 : le primat du logos devient primat du phallos (le masculin), et c'est le sexisme et le patriarcat qui s'instaurent alors sous toutes leurs formes (sociale, littéraire, psychanalytique).
  13. Cf. par exemple Jacques Derrida, De la grammatologie, 1967.
  14. Voir aussi le constructivisme épistémologique
  15. Des Cahier bleu et Cahier brun aux Investigations philosophiques.
  16. Cf. par exemple Deleuze dans l'Abécédaire à propos de Wittgenstein, 1988, ou Derrida à propos de Searle dans Limited Inc., 1989, ou encore Slavoj Žižek dans l'Essai sur Schelling, 1996.
  17. Voir l'article La French theory, métisse transatlantique, Sciences Humaines, N° Spécial N° 3 - Mai -Juin 2005, Foucault, Derrida, Deleuze : Pensées
  18. Ainsi, bien que son oeuvre soit parfois qualifiée de postmoderniste, Michel Foucault n'acceptait pas pour sa part cette appellation, se revendiquant plutôt de la modernité (cf. article Foucault, section "Philosophie", sous-section "Affiliation philosophique").
  19. Alex Callinicos dans "Postmodernisme : un diagnostic critique"

Bibliographie

Auteurs et livres

  • Philosophie analytique postmoderne ou philosophie « postanalytique » :
    • Paul Feyerabend (1924-1994), Contre la méthode (1975) et Adieu la raison (1987)
    • Richard Rorty (1931-2007), Philosophy and the Mirror of Nature (1979) et Contingency, Irony, and Solidarity (1989)
    • Davidson, D., 1986, "A Coherence Theory of Truth and Knowledge," Truth And Interpretation, Perspectives on the Philosophy of Donald Davidson, éd. Ernest LePore, Basil Blackwell, Oxford, afterwords. [à vérifier]

Critiques

Voir aussi

Liens internes

Articles connexes :

Influences :

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