Phagothérapie

Phagothérapie

La phagothérapie est l'utilisation de bactériophages (ou phages) lytiques afin de traiter certaines maladies infectieuses d’origine bactérienne. Ce traitement a été largement utilisé dans le monde avant la découverte des antibiotiques. Bien qu’elle ait été progressivement abandonnée par les pays occidentaux séduits par les avantages de l’antibiothérapie, la phagothérapie traditionnelle est toujours employée et développée dans les pays de l'ancienne Union Soviétique[1].

Mais depuis environ une décennie, l’utilisation des bactériophages est reconsidérée dans de nombreux pays devant le double constat du développement inquiétant des infections nosocomiales à bactéries multirésistantes et l’absence de nouveaux antibiotiques efficaces. Le début de ce renouveau l'intérêt de l'Occident pour les phages peut être situé en 1994, lorsqu’il a été démontré (dans un modèle animal) que l'utilisation de phages pouvait améliorer le succès des greffes de peau en réduisant l'infection sous-jacente par Pseudomonas aeruginosa. De nombreuses études récentes ont apporté des éléments complémentaires à l'appui de ces résultats[1]/

Aujourd’hui, des applications sont envisagées non seulement dans le domaine médical mais aussi dentaire, vétérinaire, agricole ou environnemental[1].

Sommaire

Historique[2]

Après la découverte des bactériophages, faite indépendamment par Frederick Twort et Félix d'Hérelle, respectivement en 1915 et en 1917, l’utilisation des phages a été rapidement reconnue par un grand nombre de scientifiques comme étant une voie possible pour éradiquer les infections bactériennes.

Outre F. d’Herelle qui n’a cessé de propager la phagothérapie et la phagoprophylaxie à travers le monde, un Géorgien, George Eliava, qui avait travaillé à l'Institut Pasteur de Paris (en 1918, 1921 et 1926), avec Félix d'Hérelle, a fondé en 1923 à Tiflis (Géorgie), un institut de virologie[3]. C’est ensemble, dans des locaux adaptés, qu’ils ont développé à partir de 1930, l’étude des bactériophages et l’application de la phagothérapie pour l’ensemble de l’Union Soviétique.

Dans le reste du monde, avant la deuxième Guerre Mondiale, la commercialisation de produits phagiques a été entreprise par de grands groupes pharmaceutiques comme Eli Lilly aux États-Unis d'Amérique, Robert et Carrière (absorbé aujourd’hui par Sanofi Aventis) en France.

Coupés des progrès occidentaux en matière de production d'antibiotiques dans les années 1940, les scientifiques soviétiques ont continué à mettre au point une phagothérapie déjà prometteuse afin de traiter préventivement les blessures des soldats dans les postes médicaux avancés. Ils ont aussi utilisé les bactériophages pour traiter de nombreux soldats infectés par diverses souches bactériennes, notamment celles de la dysenterie bacillaire et des gangrènes. Les chercheurs du monde soviétique ont continué à perfectionner leurs traitements et ont publié des résultats. Le pourcentage de succès était équivalent sinon supérieur à celui des antibiotiques.[citation requise] Mais, autant parce que les articles étaient écrits en langue russe qu’en raison des barrières imposées aux échanges scientifiques, ces connaissances ne se sont pas propagées dans le monde entier.

Les premières applications de la phagothérapie ont souvent manqué de fiabilité, sans doute par une reconnaissance controversée de la nature du bactériophage à cette époque, mais aussi par l’utilisation non normalisée de la phagothérapie. Lorsqu'on a découvert les antibiotiques en 1941, ceux-ci ont été largement commercialisés aux États-Unis et en Europe, de sorte que la plupart des scientifiques occidentaux ont cessé d'employer et d'étudier la phagothérapie. Soulignons cependant que des préparations commerciales ont été disponibles en France jusque dans les années 70 et figuraient au dictionnaire Vidal. Voici quelques années encore, en France, les Instituts Pasteur de Lyon et de Paris, fournissaient des préparations sur mesure, préparées après la recherche dans leur « phagothèque » de la meilleure composition active sur une infection documentée. Depuis le début des années 90, aucune source officielle de bactériophages thérapeutiques n’est plus disponible.

L’institut géorgien, légitimement appelé depuis quelques années Institut Eliava, possède une collection très complète de bactériophages thérapeutiques, un centre de recherche et un savoir-faire très convoités par les pays occidentaux. Les phagothérapeutes géorgiens ont 80 ans d'expérience clinique ininterrompue dans toutes les spécialités médicales, enfants et nouveau-nés inclus.

En Pologne, un Institut d’Immunologie et de Thérapie Expérimentale a aussi poursuivi jusqu’à nos jours l’utilisation de la phagothérapie. Moins ouvert sur le monde extérieur que l’Instiut Eliava, il n’en a pas moins publié un bilan dans une série d’articles en anglais.

De nos jours, en raison de l'augmentation de la résistance aux antibiotiques et des progrès de la connaissance scientifique, un renouveau d'intérêt se fait jour à l'échelle mondiale concernant la capacité de la phagothérapie d'éradiquer et de prévenir les infections bactériennes en association avec d'autres stratégies.[réf. nécessaire]

Phagothérapie

Spécificité des bactériophages

Il est important de connaître une importante propriété des bactériophages parce qu’elle a une conséquence pratique sur l’application de la phagothérapie. Elle réside dans le fait que les bactériophages ont une activité beaucoup plus spécifique que la plupart des médicaments tels les antibiotiques. Un phage lytique ne détruira qu’une seule souche bactérienne, voire plusieurs souches d’une espèce donnée (Staphylococcus aureus, par exemple), beaucoup plus rarement toutes les espèces des souches appartenant à un genre (Staphylococcus). C’est cette sélectivité de son «hôte», la bactérie, qui est utilisée en épidémiologie pour réaliser un test appelé lysotypie. Par conséquent, plus impérativement qu’avec les antibiotiques dont certains ont un spectre très large, la spécificité des phages impose que l’on connaisse précisément la bactérie responsable de l’infection avant de les appliquer dans un traitement. Il est donc nécessaire de prélever, pour les analyser, des échantillons biologiques chez le malade infecté de manière à cultiver et identifier la (ou les) bactérie(s) réellement responsable(s). Secondairement, il est essentiel de disposer d’un (ou plusieurs) phage(s) approprié(s) capable(s) de lyser la (ou les) bactérie(s) qui est (sont) à l’origine de l’infection.

La technique d’étude de l’activité d’un ensemble de plusieurs bactériophages sur une bactérie est assez comparable à celle qui permet de vérifier l’activité des antibiotiques et que l’on appelle antibiogramme. On vérifie quels sont les bactériophages testés qui empêchent la croissance de la bactérie.


Photographie d'un bactériophage de staphylocoque doré
PHOTO 1 : Microscopie électronique du bactériophage 3A de Staphylococcus aureus
(coloration : acétate d'uranyl; grossissement : 92 400)

A défaut (absence de bactérie isolée, urgence à commencer un traitement) de satisfaire à ces exigences, une option consiste à utiliser des préparations de mélanges polyvalents (ou cocktails) de phages afin d'augmenter les probabilités de succès.

Avantages de la phagothérapie

Les bactériophages ont été largement utilisés par le passé pour lutter contre les bactéries pathogènes dans de très nombreuses infections. Il n’a jamais été signalé d’effets secondaires graves, ce qui n’est pas le cas avec beaucoup d’antibiotiques (allergie aux pénicillines, toxicité des aminosides, etc.).

Elle a une action rapide, quasi immédiate, dès que la bactérie exacte est identifiée et que les phages sont administrés. Nous l’avons vu, les bactériophages sont souvent très spécifiques, ne s'adressant qu'à une seule ou qu'à quelques souche(s) de bactéries. Les phages sont choisis de façon à ne pas nuire aux bactéries utiles comme celles qui sont normalement présentes dans la flore intestinale, sur les muqueuses ou sur la peau, réduisant ainsi les probabilités d'infections opportunistes qui se développent après la sélection de certaines bactéries minoritaires au cours d’une antibiothérapie. Les antibiotiques traditionnels ont habituellement un effet plus général, détruisant aussi bien les bactéries nuisibles que les bactéries utiles comme celles qui facilitent la digestion des aliments, ce qui n’est pas sans effet sur le transit intestinal. C’est ainsi que la colite pseudo-membraneuse provoquée par Clostridium difficile est une redoutable complication qui survient dans les collectivités pour personnes âgées.

Les cellules qui constituent (eucaryotes) les organismes (humains, animaux, plantes) dans lesquels sont introduits les bactériophages sont ignorées par ceux-ci. En conséquence, on n’observe que très peu d’effets secondaires dans l'organisme soigné: il n’y a notamment aucun effet tant sur les fonctions hépatiques que rénales.

On peut aussi avancer que les bactériophages ont un indice thérapeutique (dose thérapeutique / dose toxique) très élevé -si tant est qu’il y ait une dose toxique- en comparaison des médicaments. Cela signifie que les quantités administrées n’ont pas besoin d’être ajustées selon le poids et l’état physiologique de la personne traitée.

De plus, compte tenu du fait que les phages ne se répliquent ''in vivo'' qu’en présence de leur proie, une petite dose initiale est rapidement et considérablement augmentée in situ. A contrario, en leur absence, ils ne peuvent pas se multiplier et sont finalement détruits et/ou éliminés. Par contraste avec les antibiotiques qui sont métabolisés dès leur administration, on peut les considérer comme des antibactériens « intelligents ».

Les mécanismes de résistance qui empêchent les antibiotiques d’agir sur les bactéries n’ont aucune influence sur l’activité lytique des bactériophages. Les phages peuvent donc être utilisés pour traiter des infections bactériennes qui ne répondent pas aux antibiotiques classiques.

Les bactériophages sont présents partout où il y a des bactéries. Il est par conséquent très facile de les trouver près des lieux où on en a besoin. Comme leur recherche est facile et peu coûteuse, on peut souligner que c’est un avantage pour les pays en voie de développement (qui sont aussi souvent ceux qui manquent cruellement de moyens pour traiter les infections).

Inconvénients de la phagothérapie

Ils semblent plus théoriques que réels.

La spécificité des phages, si elle présente des avantages, peut aussi être un inconvénient quand on n’a pas (encore) isolé la (ou les) bactérie(s) pathogène(s). Mais on connaît des phages à large spectre d’hôte vis-à-vis de certaines espèces comme Staphylococcus aureus (staphylocoque doré). Ils ont été sélectionnés au cours du temps par les instituts déjà mentionnés. On voit tout le bénéfice que l’on peut tirer de cet avantage quand on sait que, dans certaines activités médicales (orthopédie), ce sont les bactéries les plus redoutées et les plus fréquemment responsables d’infections nosocomiales. Il existe par ailleurs des préparations pharmaceutiques contre les bactéries les plus courantes, disponibles immédiatement en pharmacie dans les pays de l'Est (Russie et Géorgie en particulier).

Les rares effets secondaires, s’il y en a, sont la conséquence de la lyse bactérienne massive au début du traitement : maux de tête, élévation de la température, douleurs du foie. Cette lyse est aussi une conséquence de l’antibiothérapie.

Pour certains, la phagothérapie serait inefficace. Cela semble découler plus des polémiques initiales (qui contestaient la nature virale des bactériophages) que de la publication d'anciennes expériences, réalisées dans des conditions mal contrôlées. Le contrôle rigoureux est sans doute une contrainte qui nécessite le concours de spécialistes (microbiologistes, infectiologues, etc.) compétents, une surveillance étroite de l’efficacité du traitement et un ajustement si nécessaire.

Pour d’autres, elle serait dangereuse dans la mesure où certains phages sont capables d’apporter des propriétés nouvelles (résistances aux antibiotiques, virulence, toxines, etc.) aux bactéries et de s’intégrer au génome de celles-ci. Mais c’est oublier que les bactériophages thérapeutiques lytiques sont incapables de s’associer au génome bactérien. En ce sens, ils diffèrent des phages dangereux que sont les phages tempérés.

Comme avec les antibiotiques, les bactéries peuvent acquérir des résistances aux bactériophages utilisés dans les traitements. Cette acquisition est minimisée si on les emploie de manière rationnelle et ciblée. Tout comme les antibiotiques, l’association de plusieurs clones permet de rendre cette probabilité très faible. Mieux qu’avec les antibiotiques, il est toujours possible de rechercher et de trouver rapidement dans l’environnement de nouveaux phages actifs. Ce point de vue optimiste prend son argumentation dans l’observation de l’environnement qui montre, par l’étude des microplanctons (largement étudiés depuis peu), que les écosystèmes bactéries-bactériophages sont en équilibre depuis les origines de la vie. Si tel n’était pas le cas, les bactéries auraient pris le dessus depuis longtemps !

La phagothérapie est généralement considérée comme sûre. Comme dans le cas de l'antibiothérapie et d'autres méthodes de lutte contre les maladies infectieuses, les bactéries libèrent brutalement des endotoxines lors de leur destruction chez un malade (réaction d'Herxheimer). On peut s’attendre également à des réactions immunologiques. En pratique, ces réactions sont rarement exprimées et sans doute plus en rapport avec les produits étrangers de la préparation introduite par voie injectable. Il peut en résulter des symptômes de fièvre ou, dans les cas extrêmes, un choc anaphylactique. Le système immunitaire du patient peut parfois provoquer une réponse immunologique au phage (2 patients sur 44 lors d'une étude polonaise), ce qui pourrait avoir une incidence thérapeutique significative.

Les bactériophages ne pénètrent pas dans les cellules autres que les bactéries. Ils sont donc inappropriés pour traiter les infections provoquées par les bactéries à multiplications intra-cellulaires.

Afin d'être efficace, un phage doit atteindre le site où se trouve les bactéries; or ces virus, bien que très petits, ont une taille supérieure aux médicaments et ne diffusent pas aussi facilement. C’est pourquoi il est judicieux d’apporter les bactériophages au site infecté. C’est une limite par rapport aux antibiotiques.

Statut officiel de la phagothérapie en France

Longtemps tolérée, sinon officiellement autorisée, la thérapie par les phages n’a pas sa place aujourd’hui dans les législations française et européenne qui régissent les médicaments. Puisqu’il s’agit de virus, entités biologiques naturelles, il semble difficile d’appliquer aux suspensions phagiques les mêmes contraintes de fabrication industrielle imposées réglementairement aux produits de nature chimique. Elles devraient être rapprochées des médicaments biologiques définis par une directive européenne. Mais précisons que cette nature particulière n’exempte pas de répondre aux autorisations de mise sur le marché (AMM). Pour l’obtenir, il sera nécessaire de réaliser des expérimentations cliniques conduites selon les règles modernes.
En 2007, des essais cliniques de phase 2a ont fait l'objet de rapports à l'Hôpital Royal National d'Otorhinolaryngologie[réf. nécessaire] de Londres concernant des infections par Pseudomonas aeruginosa (otites). La documentation relative à l'étude de phase 1 et de phase 2a n'est pas disponible actuellement.

Des essais cliniques de phase 1 sont en cours au Centre régional de Traitement des Blessures à Lubbock (Texas), concernant un cocktail homologué de bactériophages orientés en particulier vers Pseudomonas aeruginosa, Staphylococcus aureus et Escherichia coli[réf. nécessaire].

D’autres essais sont en cours en Australie, en Belgique, etc.[réf. nécessaire]
La littérature relative à la phagothérapie indique qu'il faut effectuer des recherches cliniques et microbiologiques complémentaires afin de satisfaire aux normes actuellement en vigueur.

En l’absence de statut, en Europe, comme dans les pays occidentaux, aucune thérapie utilisant des bactériophages n'est actuellement officiellement autorisée en clinique humaine. Toutefois, comment envisager dans l’Union Européenne les produits proposés par l’institut polonais de Wroclaw ?

Dans l'industrie agro-alimentaire, des phages sont utilisés dans le but de détruire certaines bactéries susceptibles de contaminer les produits alimentaires frais. C'est ainsi qu'en août 2006, l'administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments (FDA) a autorisé la pulvérisation sur la viande d’un cocktail de 6 phages non génétiquement modifiés (phages anti-listeria). Bien que ce procédé ait de prime abord suscité des préoccupations du fait que, sans étiquetage obligatoire, les consommateurs ne pouvaient pas savoir si la viande et la volaille avaient été traitées, cette approbation montre que l'exposition par voie orale à certains phages actifs est actuellement considérés comme sans danger pour les consommateurs.

Phagoprophylaxie

La prophylaxie médicale désigne tout processus qui prévient l'apparition ou la propagation d'une maladie. La phagoprophylaxie est l'utilisation de bactériophages (ou phages) lytiques afin d'éviter l’apparition de certaines maladies infectieuses bactériennes. L’idée n’est pas nouvelle puisqu’elle a été utilisée il y a très longtemps pour enrayer certaines épidémies, dont celle du choléra en Inde (dans le cadre plus général du biocontrôle).

Depuis quelques années la phagoprophylaxie a été envisagée dans le domaine agro-alimentaire pour éliminer la (ou les) bactérie(s) potentiellement pathogène(s) dans la chaîne alimentaire depuis les élevages jusque dans l’industrie de transformation.

Des applications peuvent être envisagées non seulement dans le traitement mais aussi dans la prévention des effets pathogènes de certaines bactéries, tant dans le domaine médical que dentaire, vétérinaire, ou environnemental.
Les bactériophages ont été étudiés en tant que moyen d'éliminer des bactéries pathogènes comme Campylobacter et Listeria dans les aliments crus et frais. Pour la première fois, en 2006, aux États-Unis, l’utilisation d’une préparation à base de bactériophages a été autorisée par l’autorité administrative (FDA) pour lutter contre la listériose. Bien que ce procédé ait de prime abord suscité quelques préoccupations du fait que, sans étiquetage obligatoire, les consommateurs ne pouvaient pas savoir que la viande et la volaille avaient été traitées, cette approbation confirme au public que les phages actifs contre Listeria sont généralement reconnus comme sûrs (statut américain GRAS) par la communauté scientifique mondiale, ce qui ouvre la voie de la reconnaissance d'autres phages.

De nombreuses publications rapportent des études de phages afin de combattre des pathogènes comme Campylobacter, Escherichia et Salmonella chez les animaux de ferme, Lactococcus et Vibrio en pisciculture, ainsi que Erwinia et Xanthomona pour la culture des plantes légumineuses et arbres fruitiers.

Autres utilisations médicales des phages

La phagothérapie et le phagoprophylaxie ne sont pas les seules applications médicales envisagées avec des bactériophages. Les phages filamenteux ont une propriété particulière (en:Phage display) qui permet d’envisager des applications nouvelles. On a récemment proposé d'utiliser ces phages en tant que vecteurs pour le transport de médicaments (antitumoraux, antibiotiques, etc.) au niveau d’un processus pathologique (cancer, infection profonde, etc.). Cette façon d’apporter les produits au niveau des organes à traiter présente l’avantage d’être plus efficace par augmentation des doses locales et d’éviter d’inonder l’organisme de produits toxiques. Selon ce même principe, il est aussi envisagé d’utiliser ces phages pour traiter certaines toxicomanies (tabagisme). Enfin, signalons qu’il existe une recherche qui utilise ces virus pour étudier et même envisager un traitement de la maladie d’Alzheimer.

Pour améliorer l’activité d’un bactériophage ou lui introduire des propriétés nouvelles, des chercheurs proposent de modifier les phages génétiquement. Ces manipulations génétiques sont très accessibles aujourd’hui, plus facilement sur les micro-organismes que sur les plantes ou les animaux (OGM). Pour les bactériophages, sans minimiser les avantages annoncés, il ne faut pas perdre de vue qu’ils participent dans la nature, depuis des millénaires, à l’équilibre des écosystèmes. La modification génétique de ceux-ci et l’utilisation large qu’on pourrait en faire tant en médecine que dans d’autres activités ne pourraient-elle pas rompre cet équilibre?

L'arsenal antimicrobien pourrait bénéficier de la découvertes de substances produites lors de l’attaque des bactéries comme des protéines (lysines) qui ont été isolées et font l’objet de tests. La preuve définitive de l'efficacité de ces approches phagiques en milieu hospitalier n'a cependant été apportée que dans un petit nombre de cas.

Les enzobiotiques constituent une nouvelle voie des recherches effectuées à l'Université Rockefeller afin d'obtenir des enzymes à partir de bactériophages. Ces résultats montrent qu'il est possible de prévenir des infections bactériennes secondaires comme la pneumonie qui peut se développer chez des patients souffrant de rhume, d'otite, etc.

Collecte des bactériophages

La façon la plus simple de rechercher des bactériophages est de se procurer de l’eau susceptible de contenir de grandes quantités de bactéries et de bactériophages. Les meilleures sources sont celles qui contiennent un grand nombre de bactéries, par exemple les eaux usées des égouts mais aussi des rivières et des fleuves. Les échantillons d’eau prélevés sont mis en présence in vitro des bactéries à détruire, que l’on cultive sur un substrat de croissance convenable (généralement désigné « bouillon nutritif »). Si dans l’échantillon se trouve un bactériophage lytique qui reconnaît sa bactérie-hôte, celle-ci et ses descendants sont parasités, permettant du même coup la multiplication exponentielle du bactériophage qui les fait mourir. Après quelques heures de contact, le mélange est centrifugé, filtré et débarrassé de ses impuretés. Seuls les bactériophages persistent en très grand nombre et gardent toute leur activité prédatrice intacte.

Les suspensions phagiques sont ensuite traitées afin de purifier par clonage les différents phages pour étudier leur caractéristiques et déterminer avec exactitude le nombre de particules phagiques actives par la méthode des plages (voir photo).

Numération des bactériophages = nombre de plages X taux de dilution (méthode de la double couche)
PHOTO 2 : Détermination du nombre de bactériophage dans une suspension

Bien entendu, de telles suspensions brutes ne sont pas des produits utilisables cliniquement avant qu’il ait été vérifié qu’ils répondent aux critères exigés par la pharmacopée.

Production

Il faut avoir à l’esprit la diversité des bactéries qui peuvent être différente d'une région (ou collectivité médicale) à l'autre ou même dans une même région d’un moment à l’autre, ou encore d'une personne à l’autre en fonction de son histoire médicale. Dans ces conditions, la formulation de préparations normalisées stables est difficilement envisageable. L’ubiquité des phages dans la nature pose des problèmes particuliers pour la protection des droits car il est impossible de faire la différence entre les phages trouvés dans l’environnement et ceux qui sont contenus dans les ampoules du commerce (qui en proviennent d’ailleurs).
Deux voies sont à considérer :

  • Production industrielle à grande échelle. La stratégie actuelle des producteurs identifiés est d’élaborer des cocktails polyphagiques à large spectre d’hôtes. C’est ce que proposent les producteurs des pays de l’Est pour le traitement d’une pathologie donnée. Le dépôt de brevets (visant des organismes vivants) pourrait être envisagé après modification génétique par celui qui souhaiterait avoir des droits exclusifs sur son "invention". Cela ne pousse pas à l’investissement de capitaux pour cette production ni à la commercialisation par une personne morale (laboratoire pharmaceutique).
  • Production individuelle à la demande. D'autre part, en raison de la spécificité des phages individuels et afin d'augmenter les chances de succès, on applique souvent un mélange de phages. Cela implique que des 'banques' contenant de nombreux phages différents doivent exister et doivent régulièrement mettre à jour leurs stocks avec de nouveaux phages, ce qui rend les essais réglementaires de sécurité plus difficiles et plus coûteux.

Utilisation pratique : présentations, administration et indications

Nous avons vu en introduction que les phages ont une étroite spécificité avec leur hôte (bactério-spécifiques). Il est donc nécessaire, le plus souvent, de réaliser un prélèvement sur le patient et de le cultiver avant traitement. L'isolement de phages thérapeutiques peut cependant nécessiter plusieurs jours voire semaines de travail. La conservation par les laboratoires de collection (phagothèque) d’échantillons des bactériophages correspondant aux souches bactériennes les plus courantes localement permet de raccourcir ce délai.

Formes galéniques (présentations)

Les bactériophages, comme beaucoup de virus, ne sont pas fragiles. Ils supportent la dessiccation, le froid. Ils peuvent être conservés à +4 °C (réfrigérateur) plusieurs mois, voire plusieurs années. Congelés, ils se conservent encore plus longtemps, presque indéfiniment. Les principales conditions physico-chimiques hostiles sont la chaleur (au-dessus de 55 °C), l’acidité et la lumière. Les phages sont altérés progressivement, mais certaines substances comme les antiseptiques peuvent les détruire rapidement. La forme liquide (suspension) est plus la plus fréquente. Les flacons ou ampoules sont habituellement conservés au réfrigérateur.

La lyophilisation permet de fabriquer des comprimés sans que l'efficacité soit diminuée.
Il est aussi envisageable (et envisagé) d’imprégner des matériels médicaux (sondes, sutures, cathéters), de décontaminer des locaux (services d’hospitalisation, bloc opératoire) et même les personnes (le nez des chirurgiens, la peau des opérés, les porteurs sains)…

Modes d’administration

En pratique, l’administration thérapeutique se fait localement sur des blessures infectées (plaie, brûlure, fracture) par irrigation ou dispersion en surface, lors de procédures chirurgicales en introduction par un drain laissé en place après une intervention. L'application locale utilise aussi souvent des gazes ou des mèches imprégnées puis appliquées sur la zone à traiter après élimination du pus et des débris tissulaires en évitant les antiseptiques. La nébulisation est aussi envisageable pour les formes pulmonaires, les instillations pour les infections ORL et des yeux.

L'injection par voie intraveineuse ou dans des cavités comme le péritoine (intra-péritonéale), est possible, mais rarement utilisée car les préparations contiennent des substances indésirables (lysat bactérien, composants du milieu de culture) introduites lors de l'amplification bactérienne. Il faut aussi tenir compte de la réaction du système immunitaire qui pourrait reconnaître ces substances et les virus introduits comme des substances étrangères.

Toutefois, les preuves expérimentales s'accumulent pour démontrer que les phages ont la capacité de diffuser dans un organisme. Ils traversent la barrière méningée afin de combattre des pathologies telles que les méningites bactériennes ou vont détruire in vivo certaines bactéries comme Klebsiella pneumoniae par injection de phages à distance du foyer, par voie intra-péritonéale, intraveineuse ou intranasale.

Par voie orale, pour préserver les phages lors de leur passage par l'estomac, il est préférable d’administrer un anti-acide (bicarbonate de soude) pour traiter les gastro-entérites.

Indications

La phagothérapie a été appliquée pour le traitement de diverses maladies infectieuses, dans les spécialités médicales suivantes :

Annexes

Bibliographie

Articles récents en français
  • Dublanchet, A., La phagothérapie au XXIe siècle. Première partie : que pourrait-elle apporter aujourd’hui ? Antibiotiques, 2008. 10(4): p. 209-18.
  • Dublanchet, A., La phagothérapie au XXIe siècle. Deuxième partie : expérience actuelle. Antibiotiques, 2008. 10(4): p. 219-25.
  • Debarbieux, L., A. Dublanchet et O. Patay, Infection bactérienne : quelle place pour la phagothérapie ? Compte Rendu des organisateurs. Médecine et Maladies Infectieuses, 2008. 38(8): p. 410-4.
Articles en anglais
  • Abedon, S.T., Bacteriophage Ecology: Population Growth, Evolution, and Impact of Bacterial Viruses (Advances in Molecular and Cellular Microbiology) Vol. 53. 2008, Cambridge, UK.: Cambridge University Press.
  • McGrath, S. and D. van Sinderen, eds. Bacteriophage: Genetics and Molecular Biology. 2007, Caister Academic Press: Department of Microbiology, and Alimentary Pharmabiotic Centre, University College Cork, Ireland. 344.
  • Summers, W.C., History of Phage Research and Phage Therapy, in Phages: Their Role in Bacterial Pathogenesis and Biotechnology, M.K. Waldor, D.I. Friedman, and S.L. Adhya, Editors. 2005, ASM Press: Washington, DC. p. 3-17.
  • Kutter, E. and A. Sulakvelidze, Bacteriophages – Biology and applications. 2004, Boca Raton, FL: CRC Press.

Notes et références

  1. a, b et c Des virus pour combattre les infections, docteur Alain Dublanchet, éd. Favre, 240 p, 2009.
  2. Summers, W.C., History of Phage Research and Phage Therapy, in Phages: Their Role in Bacterial Pathogenesis and Biotechnology, M.K. Waldor, D.I. Friedman, and S.L. Adhya, Editors. 2005, ASM Press: Washington, DC. p. 3-17.
  3. Chanishvili, N. and R. Sharp, Bacteriophage therapy: experience from the Eliva Institute, Georgia. Microbiology Australia, 2008: p. 96-101.

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes


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