- Particularités de la morale jaïna
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Sommaire
La gradation du code moral
L'examen du profil de la morale jaïna fait apparaître un certain nombre de traits marquants. Le premier de ceux-ci c'est qu'il s'agit d'un système graduel (où la prééminence des cinq vœux et de la non-violence est constante). En effet, l'ensemble de son champ est divisé en plusieurs périodes, de même, il est prescrit aux disciples de pratiquer les règles de conduite par étapes.
La totalité de la vie d'un jaïn est fractionnée, dans un certain nombre de livres anciens, en quatre périodes (ashrama): des études, de l'activité, de l'abandon de l'activité, du renoncement total.
La période des études
La première période de la vie est consacrée aux études (brahmacharya âshrama). C'est celle pendant laquelle le jeune jaïn doit acquérir les connaissances indispensables, tant profanes que religieuses, et se forger le caractère, qui aura un rôle majeur à jouer ensuite. Il doit posséder, notamment, des convictions exactes sur la nature véritable de l'âme et du monde.
La période de l'activité
Ses études achevées, le disciple entre dans la deuxième période de sa vie, celle de l'activité (gRhastha âshrama). Il doit s'établir, se marier, et mener une existence de pieux chef de famille. Durant cette période, il doit essayer de réaliser les trois premiers des quatre objectifs de la vie que sont: la vertu religieuse (dharma), la prospérité et la position sociale (artha), l'amour et le plaisir (kâma), le salut (moksha). Il est toutefois expressément spécifié qu'il doit subordonner, toujours, la position sociale et l'amour à la vertu religieuse.
Celui qui aspire, dans le long terme, au salut sait que celui-ci ne peut être obtenu sans une discipline de soi, d'un niveau qu'un laïque ne peut atteindre. Il lui faut, par conséquent, se perfectionner, d'abord, dans la réalisation de ses devoirs professionnels, civiques et familiaux, afin de pouvoir entrer, le moment venu, dans la quatrième période, celle du renoncement. Il doit savoir cependant que, même s'il obtient le plus grand des succès dans les trois autres, il faut, petit à petit, qu'il se prépare à entrer dans la dernière.
La période de l'abandon de l'activité
Dans cette troisième période, le disciple se retire des activités du monde (vânaprastha âshrama). Il arrête les efforts concernant ses idéaux de position sociale et de plaisir, et il concentre toute son attention sur la vertu religieuse (dharma).
La période du renoncement total
Après avoir franchi, avec succès, la troisième période, le disciple entre dans la quatrième, celle du renoncement total (samnyâsa âshrama). A ce stade, il aspire au dernier objectif, celui du salut (moksha).
Des règles de conduite spéciales sont prescrites pour les différentes périodes de la vie du jaïn, afin qu'il puisse atteindre graduellement le but final. Au cours d'une même période, ces règles sont encore divisées en degrés, par exemple: les onze pratimâ, pendant la seconde. Cela rend le progrès spirituel très facile et le disciple sait, rapidement, quelle est sa position sur cette voie. Ce schéma l'aide, en le préparant ainsi, pas à pas, à atteindre le but véritable de la vie.
La facilité de la pratique du code moral
Un des traits marquants du jaïnisme et de sa morale, c'est la facilité de sa pratique. Des règles de conduite précises sont prescrites aux laïques et aux ascètes mais, comme elles sont très détaillées, on pourrait craindre qu'il soit difficile de les appliquer. Après un examen approfondi, nous allons voir que cette crainte n'est pas fondée.
L'instauration d'une méthode graduelle
Tout d'abord, même si les règles de conduite sont identiques pour tous, elles ne doivent appliquées que graduellement, étape après étape, comme nous l'avons vu. Cela concerne non seulement les vœux, mais également les autres prescriptions. La modération est la clef de voûte de la vie du laïque et la rigueur extrême celle de la discipline des ascètes. Cette méthode graduelle rend ainsi possible, à toute personne, d'observer comme il convient l'ensemble des règles de conduite jaïna.
La prise en compte de la capacité de chacun
On peut voir, en second lieu, qu'il n'est pas exigé du disciple qu'il observe toutes les règles de conduite qui révèlent une étape de la vie. Il est bien dit que la triple voie de la libération, constituée de la Foi juste, de la Connaissance juste, et de la Conduite juste, doit être suivie selon ses capacités personnelles (yathâshakti).
Il est toujours spécifié que la rigueur des règles de conduite doit être ajustée, en prenant en compte la situation et l'aptitude de chacun. Cela veut dire qu'une personne peut pratiquer les vœux en intégralité ou faire le choix de certains d'entre eux.
Cet aspect important de la pratique facile du code moral jaïna peut être encore mieux expliqué en montrant la façon d'observer la règle de conduite de base qu'est la non-violence.
La renonciation à la violence peut être complète ou partielle. La renonciation complète s'accomplit de neuf façons: par soi-même, par un moyen ou par approbation, et, chaque fois, par la pensée, par la parole et par le corps.
Pour un laïque, la renonciation complète est impossible. Aussi lui est-il demandé de se décharger de ses responsabilités terrestres avec le minimum de préjudice pour les autres.
Pour donner un aspect pratique à ce sujet, la violence a été analysée, d'après l'attitude mentale, en quatre catégories, à savoir: la violence accidentelle (celle qui est réalisée, de façon inévitable, dans l'accomplissement des tâches domestiques indispensables, comme la préparation des repas, la tenue des choses propres, la construction d'immeubles, de puits, etc.), la violence professionnelle (celle commise dans l'exercice d'une profession, ou de ses occupations comme agriculteur, commerçant, industriel, ouvrier, Médecin, etc.), la violence défensive (celle que l'on ne peut pas éviter pour défendre une personne, etc.), la violence intentionnelle (celle qui est faite à dessein ou en connaissance de cause, par exemple: en chassant, en offrant des sacrifices, en tuant pour manger ou pour s'amuser, etc.). Le jaïnisme considère que quelqu'un qui a franchi l'étape de la vie active devrait absolument éviter les quatre formes de violence, mais il n'est exigé du laïque de ne s'abstenir totalement que de la violence intentionnelle car, pour ce qui est des autres, ce n'est pas possible complètement, à ce stade. Néanmoins, le laïque est avisé qu'il doit éviter, au maximum, les trois premières formes également et qu'il faut qu'il fasse des progrès réguliers, dans ce sens, dans sa conduite. Ainsi, le vœu d'ahimsâ signifie, pour le laïque, qu'il doit s'abstenir de la violence intentionnelle[1].
La validité générale du code moral
Le dernier caractère important de la morale Jaïna c'est la prescription d'un code général, commun à toute personne, quelle que soit sa position dans le monde, et sa période dans la vie.
Il a été dit que les règles de conduite sont exactement les mêmes pour les laïques et pour les ascètes, avec la seule différence que, tandis que les premiers les observent partiellement, les seconds doivent les suivre de façon stricte.
Ainsi, dans la religion jaïna, la vie ascétique est considérée comme une extension de la vie laïque, ce qui encourage une étroite relation entre les deux divisions principales en laïques et en ascètes. On peut ajouter que, du fait que les ascètes ne sont généralement pas recrutés directement en dehors de la communauté jaïna, mais sont issus des laïques, un sentiment d'unité existe, pour autant que la vie spirituelle des uns et des autres est concernée.
On peut, par conséquent, affirmer que l'élévation spirituelle étant le but principal recherché et les pratiques communes, dans cette entreprise, solidarisant laïques et ascètes, il y a là le facteur majeur de la survie du jaïnisme. Sans nul doute, cette affinité, entretenue par la similitude des devoirs religieux pour les uns et les autres, différents non en nature mais en degré, lui a permis d'éviter, à l'intérieur de lui-même, des changements fondamentaux et de résister aux dangers extérieurs, cela plus de deux mille ans. Le Bouddhisme, moins exigeant pour les laïques, a subi des changements radicaux et a finalement disparu de son pays d'origine.
Ainsi, on peut dire que la prééminence d'un code moral commun aux deux groupes majeurs des jaïns, que sont les laïques et les ascètes, a été la raison principale de la continuité de leur communauté en Inde, depuis si longtemps, en dépit de l'opposition d'autres religions.
Références/Sources/Bibliographie
- Dayanand Bhargave, Jaïna Ethics.
- Colette Caillat, Les Expiations dans le rituel ancien des religieux jaïna.
- C. et Kumar Caillat, La Cosmologie jaïna.
- Bool Chand, Mahâvîra, le Grand Héros des Jaïns.
- A. Chakravarti, The Religion of Ahimsâ.
- A. Guérinot, La Religion Djaïna, Paul Geuthner, (1926), ASIN : B0000DY141.
- P. Letty-Mourroux, Une nouvelle approche du Jaïnisme.
- P. Letty-Mourroux, Cosmologie Numérique Teerthankara.
- J.P. Reymond, L'Inde des Jaïns.
- N. Tiffen, Le Jaïnisme en Inde, Weber, Genève, (1990), ISBN : 7047440631.
- Vilas Adinath Sangave, Le Jaïnisme, Maisnie, Tredaniel, (1999), ISBN : 2844450784.
- N. Shanta, La Voie jaina, Œil, (1990), ISBN : 2868390269.
Références
- dans le Jaïnisme de Vilas Adinath Sangave
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