Loi sur la mémoire historique

Loi sur la mémoire historique

La Loi sur la mémoire historique (Ley de Memoria Histórica), officiellement appelée Loi pour que soient reconnus et étendus les droits et que soient établis des moyens en faveur de ceux qui ont souffert de persécution ou de violence durant la Guerre civile et la Dictature (Ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la Guerra Civil y la Dictadura), est une loi espagnole, visant à reconnaître les victimes du franquisme. Initié par le président du gouvernement José Luis Rodríguez Zapatero, le projet de loi, très controversé de part et d'autre, a été approuvé en Conseil des ministres le 28 juillet 2006 et adopté par les députés du Congrès le 31 octobre 2007[1].

Il inclut la reconnaissance de toutes les victimes de guerre civile espagnole (1936-1939) et de la dictature de Franco (1939-1975), l'ouverture des fosses communes (dans lesquelles se trouvent les restes des victimes) réalisées jusque là, dans l'attente de subventions de l'État, par des associations privées[2] ou publiques locales (comme les Communautés autonomes), ou encore le retrait des symboles franquistes dans les espaces publics.

Sommaire

Antécédents

Les premières lois (1969-2004)

En 1969, à l'occasion des trente ans de la fin de la guerre civile, Francisco Franco avait promulgué le décret-loi 10/1969, par lequel il prescrivait tous les délits commis avant le 1er avril 1939, c'est-à-dire pendant la guerre civile.

Avec le retour à la démocratie furent promulgués une série de décrets et de lois spécifiques pour essayer de compenser les souffrances de ceux qui avaient fait la guerre du côté républicain ou de la prison à la période franquiste. On peut citer :

  • Décret 670/1976, du 5 mars : versement de pensions pour les Espagnols qui, ayant souffert de mutilation, ne pouvaient être intégrés au corps des Mutilés de la guerre pour la patrie.
  • Loi 46/1977, du 15 octobre : loi d'amnistie.
  • Loi 5/1979, du 18 septembre : versement de pensions et assistance médicale et sociale en faveur des veuves, enfants et membres des familles des Espagnols morts lors de la guerre civile.
  • Loi 35/1980, du 26 juin : versement de pensions en faveur des mutilés ex-combattants de la zone républicaine.
  • Loi 6/1982, du 29 mars : versement de pensions aux mutilés civils de la guerre.
  • Loi 37/1984, du 22 octobre : reconnaissance des droits de tous ceux qui lors de la guerre civile ont fait partie des forces armées, forces de maintien de l'ordre et du corps des carabiniers de la République.

Tous ces décrets et lois ont été améliorés ou élargis par certaines communautés autonomes.

Enfin, le 28 octobre 2007, le Congrès des Députés vote la Loi sur la mémoire historique. Elle est approuvée par le Sénat le 10 décembre de la même année[3].

Origines et débats (2004-2007)

Le programme électoral du PSOE pour les élections législatives de 2004 n'incluait aucune mention de "loi sur la mémoire historique". Il était seulement évoqué la création d'un Centre d'État de Documentation et de Recherche historique sur la Guerre civile et le Franquisme. Cependant, dès son discours d'investiture[4], le président José Luis Rodríguez Zapatero mentionna des projets en lien avec la mémoire historique.

Le 10 septembre 2004 fut créée par Décret Royal une Commission interministérielle pour l'Étude de la situation des Victimes de la Guerre civile, présidée par la vice-présidente du Gouvernement María Teresa Fernández de la Vega. Le projet de la commission était de chercher les moyens d'une "réhabilitation morale et juridique des victimes de la guerre et du franquisme"[5]. Cette commission ne rendit cependant aucun rapport durant l'année suivante, au grand mécontentement de certains des alliés du gouvernement, en particulier l'Esquerra Republicana de Catalunya (la Gauche républicaine catalane)et l'Izquierda Unida, qui présentèrent leurs propres propositions de loi[6], le 18 novembre 2005.

Le 22 juin 2006 fut déclarée par le Congrès des Députés, avec la seule opposition du Parti Populaire, l'année 2006 "année de la Mémoire historique". Le 28 juin de cette année, le gouvernement présenta un projet de loi sous le nom de "Proyecto de ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura"[7]. Ce projet fut critiqué tant par le Parti Populaire que par l'Esquerra Republicana de Catalunya et l'Izquierda Unida[8].

C'est durant le mois d'octobre 2007 que culminèrent les négociations entre le PSOE, l'Izquierda Unida, le PNV (Parti national basque) et le BNG (Bloc Nationaliste Galicien), afin de finaliser le projet de loi pour qu'il soit voté avant la fin de la législature[9]. D'autres partis locaux furent associés à l'accord, comme la CiU (Convergence et Union, parti catalan), la Chunta Aragonesista (Junte Aragonaise, parti aragonais) y Nueva Canarias (Nouvelles Canaries, parti canarien)[10].

Depuis le vote de la loi, elle fait encore l'objet d'aménagements et d'améliorations par diverses communautés autonomes : ainsi la Communauté des Iles Baléares en novembre 2008[11].

Dispositions de la loi

Jugements sommaires du franquisme

La loi reconnait dans son préambule le "caractère radicalement injuste de toutes les condamnations, sanctions et violences personnelles [...] durant la Guerre civile et [...] la Dictature". Les tribunaux franquistes, dont les condamnations ont été "dictées par des motifs de politique, d'idéologie ou de croyance [...] contre ceux qui défendaient la légalité institutionnelle antérieure, s'efforçaient de rétablir un régime démocratique en Espagne ou essayaient de vivre selon les droits et les libertés aujourd'hui reconnus par la Constitution", sont déclarés "illégitimes". Cependant, même si les jugements ne sont pas annulés, toute demande de révision doit être examinée, sans opposition possible de la Justice[12].

Aide aux victimes de représailles

Les aides aux victimes du franquisme et à leurs familles (pensions, compensations financières) sont étendues. De plus, les familles des "personnes tombées pour la défense de la démocratie entre le 1er janvier 1968 et le 6 octobre 1977" peuvent bénéficier d'aides allant jusqu'à 135 000 euros.

Fosses communes

L'État s'engage à aider à localiser, identifier et éventuellement exhumer les victimes de la répression franquiste dont les corps sont encore disparus[13]. Après le Cambodge, l'Espagne est le pays au monde qui compte le plus de corps disparus[14] : 130 000 [15]. Le cas du poète Federico García Lorca est certainement le plus célèbre ; la possible identification de son corps parmi plusieurs fosses communes fait d'ailleurs l'objet d'un âpre débat.

Symboles franquistes

La loi établit que les "écus, insignes, plaques et autres objets ou mentions commémoratives qui exaltent le soulèvement militaire, la Guerre civile ou la répression de la dictature" devront être retirés des édifices et espaces publics[16]. Le retrait "ne pourra être effectué lorsque [...] il y a opposition avec des raisons artistiques, architecturale ou artistico-religieuses protégées par la loi".

Valle de los Caídos

La loi prévoit la "dépolitisation" du lieu, y interdisant les "actes de nature politique [...] exaltant la Guerre civile, ses protagonistes ou le franquisme". La fondation en charge de la gestion de la Valle de los Caidos doit "honorer et réhabiliter la mémoire de toutes les personnes tombées à cause de la Guerre civile de 1936-1939 et de la répression politique qui a suivi"[17].

Centre Documentaire sur la Mémoire Historique

Siège des Archives générales de la Guerre Civile, qui sera intégré au Centre Documentaire sur la Mémoire Historique.

Création d'un Centre documentaire à Salamanque, dans lequel sont intégrées les Archives Générales de la Guerre Civile[18].

Brigades internationales

La nationalité espagnole est accordée de droit aux vétérans des brigades internationales[19],[20],[21].

Enfants et petits-enfants d'exilés

Les enfants et petits-enfants des républicains qui s'étaient exilés sous la dictature et qui avaient perdu ou avaient dû renoncer à la nationalité espagnole entre les dates du 18 juillet 1936 et du 31 décembre 1955, peuvent l'obtenir s'ils la sollicitent entre le 28 décembre 2008 et le 27 décembre 2011. Cela s'applique non seulement aux enfants nés en Espagne (comme l'exige la loi normale sur la nationalité espagnole), mais aussi à ceux qui sont nés à l'étranger à la suite de la fuite et de l'exil de leurs parents et grands-parents.

Les personnes concernées sont invitées à retirer les formulaires auprès des consulats espagnols et à présenter leurs demandes à partir du 28 décembre 2008. L'évaluation du nombre de personnes concernées par cette loi reste cependant très difficile : les historiens estiment que 475 000 Espagnols qui se sont exilés définitivement en France et 25 000 en Amérique latine - dont 20 000 rien qu'au Mexique[22].

Mais d'un côté, le nombre des demandes en France, principale destination d'exil pour les réfugiés, est très faible[23]. C'est sans doute le résultat d'une très forte intégration des descendants d'Espagnols dans le pays, de la proximité naturelle des deux États, et de leur intégration à l'Union européenne.

De l'autre côté, il est évident que le nombre de personnes intéressées par la loi est bien plus élevé en Amérique latine. Ce sont plusieurs milliers de personnes qui à Cuba, au Venezuela et au Mexique se sont présentées aux guichets des consulats espagnols dès les premiers jours[24] : d'après les chiffres de ces mêmes consulats, c'est plus d'un demi-million de personnes qui est attendu d'ici la fin 2010[25]. La loi a d'ailleurs été surnommée la « fabrique des Espagnols »[26] ! Il semble que dans ces pays l'attrait économique de l'Espagne, importante destination d'émigration pour les latino-américains, joue à plein.

Critiques contre la loi

Le Parti Populaire espagnol et divers médias conservateurs ont critiqué ces initiatives, accusant la loi de vouloir ouvrir de vieilles plaies.

Par exemple, le journaliste d'El Mundo Luis María Ansón a affirmé, dans un texte très largement repris par divers quotidiens conservateurs[27], que José Luis Zapatero cherchait à "gagner la guerre civile". Cette thématique d'un Zapatero revanchard est largement diffusée dans les milieux proches de la Falange et des partisans du franquisme. Les participants de la manifestation du 23 novembre 2008 en mémoire de Franco avaient dénoncé dès le 20 novembre la Loi sur la mémoire historique comme "une loi qui a pour but la revanche, transformer l'Histoire, étouffer la liberté d'expression des Espagnols moyens, empêcher des hommages plus que mérités et de plus essayer d'empêcher la célébration de funérailles catholiques pour ceux qui sont morts pour Dieu et pour l'Espagne"[28]. Ils concluaient "nous avons vaincu et nous vaincrons"[29].

Le secrétaire général du Parti Populaire, Ángel Acebes, a également accusé Zapatero, "obsédé par le passé" de vouloir établir la légitimité démocratique non pas en 1978 (après le renforcement démocratique voulu par le roi Juan Carlos lors de la Transition), mais en 1931 (lorsque fut renversée la monarchie espagnole d'Alphonse XIII et créée la Seconde République espagnole)[30]. Zapatero remettrait donc selon Ángel Acebes gravement en cause le consensus trouvé par la société espagnole pour sortir du franquisme, ébranlant les bases démocratiques du système actuel.

La loi est également critiquée pour les "dégradations" supposées de monuments historiques.

En juillet 2007, le chef du Parti Populaire Mariano Rajoy avait promis de faire annuler la loi s'il gagnait les élections législatives de 2008. Cependant, il est remarquable que même son parti a voté plusieurs articles de la loi.

Filmographie

  • Los caminos de la memoria, documentaire de José-Luis Peñafuerte, Belgique/Espagne, 2009

Site officiel du film : http://www.lescheminsdelamemoire.com

Liens externes

  • Texte officiel de la loi (en espagnol) [5]
  • Site internet officiel espagnol (traduit en français) [6]
  • Site internet officiel du Centre Documentaire sur la Mémoire Historique de Salamanque [7]
  • Dossier du quotidien espagnol El Pais [8]
  • Site internet de l'Associación para la Recuperación de la Memoria Historica [9]

Voir aussi

Notes et références

  1. Carlos E. Cué, La ley de memoria se aprueba entre aplausos de invitados antifranquistas, El País, 1er novembre 2007.
  2. Se procede en Galicia a la primera exhumación de víctimas asesinadas durante el franquismo, El Mundo, 23 août 2006 : ouverture de la première des fosses communes de victimes du franquisme en Galice.
  3. Bulletin officiel du Sénat [1]
  4. Discours d'investiture de José Luis Zapatero [2]
  5. Décret royal 1891/2004, du 10 septembre, pour la création de la Comisión Interministerial para el estudio de la situación de las víctimas de la guerra civil y del franquismo [3]
  6. David Sanz Ezquerro, En busca de la memoria histórica, El Mundo, 18 novembre 2005.
  7. Texte du Proyecto de ley por la que se reconocen y amplían derechos y se establecen medidas en favor de quienes padecieron persecución o violencia durante la guerra civil y la dictadura.
  8. Texte du Proyecto de ley sobre Memoria Histórica Republicana y Antifacista présenté par l'Esquerra Republicana de Catalunya et l'Izquierda Unida.
  9. Anabel Díez et Carlos E. Cué, La Ley de Memoria Histórica verá la luz, El Pais, 9 octobre 2007.
  10. La Ley de Memoria Histórica pasa al Pleno respaldada por PSOE, PNV, CiU, IU y CC, El Mundo, 17 octobre 2007.
  11. Baleares anuncia una fundación para el desarrollo de la Ley de Memoria Histórica, El Mundo, 20 novembre 2008.
  12. 'El Lute' pide que la Ley de Memoria Histórica anule su proceso franquista, El Mundo, 3 janvier 2009 : exemple du cas de révision du jugement de Eleuterio Sánchez en 1965.
  13. El Gobierno dará 'todos los medios' a las familias en la búsqueda de fosas, El Mundo, 19 novembre 2008.
  14. Sudarsan Raghavan, Civil War wounds are far from healed, Washington Post, 29 octobre 2009.
  15. Les chemins de la mémoire, film documentaire
  16. Adiós a la última estatua ecuestre de Franco, El Mundo, 18 décembre 2008 : vidéo du "déboulonnage" de la dernière statue de Franco sur une place publique, à Santander.
  17. La Guardia Civil impide la entrada al Valle Caídos a un grupo de falangistas, El Mundo, 16 novembre 2008 : La Guardia Civil empêche une manifestation falangiste dans la Valle de los Caidos.
  18. Site officiel du Centre Documentaire sur la Mémoire Historique [4].
  19. Deborah Haynes, British veterans of Spanish Civil War warn over rise of BNP, Times, 10 juin 2009.
  20. Mokhtar Atitar, Brigadistas internacionales reciben en Londres la nacionalidad española, El Pais, 10 juin 2009.
  21. Spain honours British war veterans, Al Jazeera, 9 juin 2009.
  22. Les autres pays d'Amérique latine concernés par l'exil républicain sont l'Argentine, le Venezuela, la Colombie et Cuba.
  23. On aurait évalué à seulement 150 le nombre de dossiers déposés en mai 2009.
  24. Juan Ignacio Irigaray, Los nietos de la España peregrina, El Mundo, 2 janvier 2009.
  25. Los descendientes de exiliados pueden pedir desde este sábado ser españoles, El Pais, 27 décembre 2008.
  26. La "fabrique d'Espagnols" produit son premier passeport, Courrier International, 6 février 2009.
  27. José Maria Soria, Gana ZP, pierde España, ABC, 6 novembre 2005.
  28. Europa Press, Convocada una manifestación antifascista y una misa en el Valle de los Caídos, El Mundo, 20 novembre 2008.
  29. Europa Press, Nostálgicos del régimen se concentran en la Plaza de Oriente para homenajear a Franco, El Mundo, 20 novembre 2008.
  30. Europa Press, El PP acusa a Zapatero de 'olvidar la Transición y rememorar la Guerra Civil' El Mundo, 8 octobre 2007.

Sources



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