Logique ou l'art de penser

Logique ou l'art de penser

Logique de Port-Royal

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La Logique de Port-Royal est le nom habituellement donné à l'ouvrage d'Antoine Arnauld et Pierre Nicole, intitulé La Logique ou l'art de penser et publiée pour la première fois en 1662, à Paris et sans nom d’auteur. On l'appelle Logique de Port-Royal, en raison de l'abbaye éponyme, qui était un haut-lieu du jansénisme, courant catholique auquel appartenaient Arnauld, Nicole ainsi que Pascal. Jusqu'au milieu du XIXe siècle, cet ouvrage, qui élaborait une théorie classique du signe et de la représentation, a été la référence centrale dans les domaines de la philosophie du langage et de la logique [1]. Selon cette conception, le langage a une fonction d'expression de la pensée via les mots, qui sont les signes des pensées, et les écrits, qui sont les signes des mots [2]. La conception du signe de Port-Royal est aussi frappante en ce que, si elle opère une typologie des différents signes, elle embrasse aussi bien les signes linguistiques, c'est-à-dire les paroles ou les écrits, que les signes dits « naturels » (la fumée est le signe du feu) ou encore les signes théologiques (le pain est le signe, dans l'eucharistie, du corps du Christ) [2]. Logique, langage, épistémologie et théologie sont ainsi intrinsèquement liés dans cet ouvrage.

Sommaire

Le contexte janséniste de Port-Royal

Article détaillé : Jansénisme.

Port-Royal était un lieu de réunion où de grands écrivains et philosophes comme Blaise Pascal, pratiquaient leurs études sur la logique, la grammaire, la théologie et la traduction des textes de religion chrétienne, notamment à partir du grec et de l’hébreu.

En 1660, les grammairiens de Port Royal, Antoine Arnauld et Claude Lancelot, conçurent une grammaire fondée non sur la conformité à l’usage jugé le meilleur, mais sur la raison. Cet ouvrage prit le nom de Grammaire générale et raisonnée contenant les fondemens de l'art de parler, expliqués d'une manière claire et naturelle, « générale » parce qu'elle s'occupe du langage en général, et non d'une langue déterminée, et « raisonnée » parce qu’elle explique le fonctionnement de la langue à travers la raison. Elle peut être considérée comme l’antithèse du « bon usage » de Vaugelas.

Croyant à l’existence de mécanismes logiques universels que chaque langue exprimerait dans son propre système, elle marqua profondément la naissance de la linguistique moderne, en particulier du courant chomskyen: tout comme ce dernier, elle postule en effet l'existence d'une grammaire universelle.

Cet ouvrage en grammaire et linguistique s'inscrivit dans un cadre beaucoup plus large de travaux sur la logique générale.

Outre ces travaux de grammaire, Port-Royal a élaboré une nouvelle traduction de la Bible, dite « de Port-Royal ». Pascal, Robert Arnauld d'Andilly, Nicole et Pierre Thomas du Fossé y ont travaillé, sous la direction de Louis-Isaac Lemaître de Sacy. Selon le commentateur Philippe Sellier, ce serait « la plus belle [traduction de la Bible] jamais réalisée en France » [réf. nécessaire]. Cette édition s'y est élaborée entre 1657 et 1696. Son style a influencé la création littéraire de grands écrivains français, tels que Voltaire, Victor Hugo, Flaubert, Arthur Rimbaud...

L'ouvrage

À la fois grammaire intellectuelle et compendium de l’épistémologie cartésienne et de Pascal [réf. nécessaire] , cet ouvrage est structuré selon les quatre aspects de la pensée rationnelle : comprendre, juger, déduire, ordonner.

Toutes nos connaissances ont lieu à travers des idées qui reflètent les choses [réf. nécessaire], et le jugement porté sur ces choses s’exprime dans des propositions grammaticales constituées par un sujet et un prédicat [réf. nécessaire]. La validité des propositions obtenues par déduction dépend du respect des règles syllogistiques. Enfin, l’ordonnancement des jugements et conclusions conduit à la science par le biais de la méthode (analyse et synthèse) [réf. nécessaire].

Cette logique a voulu s’appuyer exclusivement sur les mathématiques [réf. nécessaire] dont elle pensait pouvoir transposer le modèle dans tous les autres domaines du savoir et de l’exercice de la raison, par conséquent aussi sur le terrain de la formation syntaxique et grammaticale de tous les énoncés du langage, proposant ainsi un idéal de langage rationnel qui voulait concilier l’« esprit de finesse » et l’« esprit de géométrie » (selon la distinction pascalienne [3] : le discours classique par excellence [réf. nécessaire].

La théorie des signes

La Logique élabore une théorie du signe en tant que doublon entre la chose représentée et la chose qui représente: « le signe renferme deux idées: l'une de la chose qui représente; l'autre de la chose représentée; & sa nature consiste à exciter la seconde par la première. » (I, 4 [2]). Or, la chose qui représente (le signifiant en termes modernes) peut toujours s'opacifier, et devenir lui-même chose: ainsi, on peut regarder un tableau ou une carte en tant que signe représentant quelque chose, ou on peut inspecter la matière brute du tableau ou de la carte, sans penser à ce à quoi ils renvoient [2]. « Car la même chose pouvant être en même temps & chose & signe, peut cacher comme chose, ce qu'elle découvre comme signe. Ainsi la cendre chaude cache le feu comme chose, & le découvre comme signe. » [2].

François Récanati (1979) explique cette théorie par le biais de la métaphore de la vitre et du miroir:

« Le signe est comme un miroir qui donne à voir autre chose que lui-même, ou bien encore il est comme une vitre transparente qui laisse voir autre chose qu'elle-même. Mais aussi bien le miroir que la vitre ont la propriété de s'opacifier, c'est-à-dire qu'ils peuvent cesser de se dérober pour au contraire s'offrir à la considération, à la vue de l'esprit. » [4]

Les logiciens élaborent en outre une typologie des signes. Ils distinguent par exemple entre les « signes certains », techmêria (en grec), « comme la respiration l'est de la vie des animaux » [2], et les signes « probables », sêmeia (en grec), « comme la pâleur n'est qu'un signe probable de grossesse » [2]. La plupart des erreurs, disent-ils, proviennent d'une confusion entre ces deux espèces de signes, « & que l'on attribue un effet à une certaine cause, quoiqu'il puisse aussi naître d'autres causes, & qu'ainsi il ne soit qu'un signe probable de cette cause » [2]. Aussi, la théorie du signe est liée à la philosophie de la connaissance et à la conception du principe de causalité: l'effet est comme le signe de la cause.

Une autre « division des signes » concerne les « signes naturels » (l'image dans le miroir est le signe naturel de celui qu'elle représente [2]) d'un côté, et les signes « d'institution et d'établissement » [2] (conventionnels en termes modernes), tels que les mots, qui « sont signes d'institution des pensées, & les caractères des mots. » [2].

Enfin, cette théorie du signe n'est pas qu'épistémologique, mais contient aussi des résonances théologiques: « les symboles Eucharistiques cachent le corps de JÉSUS-CHRIST comme chose, & le découvrent comme symbole. »[2]

Interprétations de la Logique de Port-Royal

Louis Marin a beaucoup travaillé sur la Logique ou l'art de penser, dans différents ouvrages (dont Utopiques : jeux d'espaces, 1973). Dans sa thèse, La Critique du discours, il analyse de façon croisée la Logique et les Pensées de Pascal, affirmant que ce dernier mène une critique interne au jansénisme de Port-Royal de la théorie du signe explicitée dans la Logique.

Le philosophe Michel Foucault, dans Les Mots et les Choses, estime que la logique de Port-Royal a contribué, avec d'autres œuvres, à façonner une nouvelle représentation, qu'il appelle épistémè (conception du monde). Cette représentation s'est mise en place en deux étapes :

Notes et références de l'article

  1. Voir brève présentation d'un extrait de la Logique par Pascal Ludwig, dans l'anthologie Le langage, GF Corpus, Paris, Flammarion, 1997.
  2. a , b , c , d , e , f , g , h , i , j , k  et l Logique ou l'art de penser, I, 4. Extrait dans l'anthologie éditée par Pascal Ludwig, op.cit..
  3. Cette distinction entre esprit de géométrie et de finesse se trouve dans les fragments des « Pensées » ainsi que dans De l'esprit géométrique (1655)
  4. François Récanati, La Transparence et l'Enonciation, Paris, Seuil, 1979, p.33. Cité par Pascal Ludwig, op.cit.

Voir aussi

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