La GRC et les libertés civiles dans les années 1970

La GRC et les libertés civiles dans les années 1970

La GRC et les libertés civiles dans les années 1970

Cet article traite de la GRC et des libertés civiles dans les années 1970.

Sommaire

Fait initial

À Montréal en 1974, Robert Samson, un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) est arrêté après avoir été hospitalisé. La bombe qu’il posait lui ayant explosé dans les mains. Très vite, il semble que Samson soit corrompu et poseur de bombe occasionnel pour des membres du monde interlope. Interrogé en audience préliminaire en vue de son procès, il s’exclame : « J’ai fait bien pire pour la GRC ! »
Par la suite, il déclare être le responsable d’un cambriolage survenu le 6 octobre 1972 à l’agence de presse libre du Québec, une agence de presse à tendance de gauche. L’opération ayant pour but de mettre la main sur des documents pouvant compromettre des militants des mouvements de gauche et du mouvement indépendantiste québécois. Très rapidement, l’opinion publique et les médias demandent une enquête.

Les différentes commissions

En 1976, le Parti québécois, dirigé par René Lévesque prend le pouvoir lors des élections provinciales et, l’année suivante crée la commission Keable pour enquêter sur l’implication possible de la GRC dans une série d’actes illégaux. Le Premier ministre libéral du Canada, Pierre Elliott Trudeau, s’engage à coopérer pleinement avec la commission.

Dans les faits, il semble que le gouvernement fédéral fait fréquemment obstruction aux travaux de la commission et est même accusé de s'être livré à une campagne de dénigrement, allant jusqu’à des calomnies concernant la vie personnelle du juge Keable. Il en conteste la juridiction devant les tribunaux. Finalement, la Cour Suprême du Canada statue qu’une commission d’enquête provinciale ne peut enquêter sur un organisme fédéral, mais devrait se contenter d’enquêter sur des crimes spécifiques. Le gouvernement Trudeau crée par ailleurs sa propre commission, présidée par le juge David McDonald, un ancien président du parti libéral de l’Alberta. La commission McDonald effectue la plus grande partie de ses travaux à huis clos. Dans le contexte politique des années 1970, avec la promesse d’un référendum sur la souveraineté du Québec, les révélations d’une telle enquête auraient pu être politiquement explosives. Néanmoins les deux commissions font connaître au public de nombreux faits intéressants.

Les résultats des commisions

La commission Keable découvre que, au moins dans les années qui suivirent la crise d’octobre 1970, la GRC s’est engagée dans un programme extensif d’espionnage des groupes nationalistes québécois, y compris le Parti québécois (PQ), parti politique légalement constitué.
Cette campagne de surveillance inclut des infractions à la législation telles que :

  • le cambriolage à l’agence de presse libre du Québec (APLQ) (Voir plus haut).
  • le vol de listes de membres du PQ en janvier 1973, au cours de l’opération « Ham » soit un cambriolage à l’entreprise « Messageries Dynamiques Inc. » qui impliqua 66 agents de la GRC.
  • l’incendie criminel, en 1971, d’une grange (i.e. La Ferme du Québec Libre dans les Cantons de l'Est) où devait se tenir une rencontre entre des membres du Front de Libération du Québec (FLQ) et des Black Panthers américains, l’endroit appartenait à une entreprise nommée « Jazz libre du Québec » et était le rendez-vous de divers groupes contestataires.
  • l’émission de 13 faux communiqués du FLQ en 1971, rédigés pour la plupart par l’informatrice Carole Devault, dans le cadre de la mise sur pied d’une fausse cellule du FLQ, la cellule André Ouimet. La fausse cellule revendiquera un attentat à la bombe incendiaire à la compagnie « Brink’s » de Montréal en janvier de la même année.
  • le vol de dynamite, dans la nuit du 26 au 27 avril 1972, dans la poudrière de la « Richelieu Explosives » de Rougemont, par le gendarme Rick Daigle ainsi que les caporaux Bernard Dubuc et Normand Chamberland.
  • le kidnapping de André Chamard, stagiaire dans une étude de droit participant à la défense des accusés du FLQ, le 7 juin 1972, avec la participation notamment du gendarme Rick Daigle. Les agents tentèrent d'abord de le recruter comme indicateur en le faisant chanter pour une affaire de drogue, en le maltraitant et en proférant des menaces de mort. Devant son refus de coopérer, ils l'abandonnèrent en pleine campagne.

La plupart des musiciens du Jazz libre du Québec –une formation musicale anciennement avec Robert Charlebois- étaient des activistes de gauche. Ils se produisaient à L’Amorce, un café de la rue Saint-Paul dans le vieux-Montréal. Le soir de la Saint-Jean-Baptiste en 1974, alors que la police anti-émeute avait bouclé et vidé le quartier sans ménagement, L’Amorce fut rasé par un incendie suspect (le contrebassiste Maurice Richard avait tout juste eu le temps de sauver son instrument). Dans les conclusions de l’enquête menée dans le cadre de la commission Keable, il a été avéré que ce sont des membres de la force constabulaire qui avait incendié le café L’Amorce.

La commission d’enquête québécoise révéle les noms de trois officiers ayant autorisés le cambriolage à l’APLQ : le surintendant Cobb, de la GRC, ainsi que l’inspecteur Jean Coutellier de la Sûreté du Québec et l’inspecteur Roger Cormier de la police de Montréal. Les trois hommes bénéficient d'une libération de la part d’un tribunal en 1977 ; libération qui n'a pas été pas justifiée selon certains observateurs.

Pour sa part, la commission McDonald découvre que la GRC a ouvert sans mandat les lettres de 865 citoyens entre 1970 et 1977. L'ouverture de ces correspondances privées ne permettra aucune arrestation.
Elle enquête aussi sur sept tentatives, en 1971 et 1972, de recruter des indicateurs en usant de menaces et d’intimidation. La plupart ne font partie d’aucun groupe suspect.
Le sergent Laurent Hugo raconte avoir, avec des collègues, enlevé un homme dans la rue, sans mandat, et l’avoir séquestré pendant 15 heures dans une chambre d’hôtel, lui faisant subir un interrogatoire « musclé » accompagné de pressions physiques telles que le forcer à se tenir debout dans un coin face au mur. Aucune information n'est obtenue pour ce kidnapping. L’homme est relâché sans qu’aucune accusation ne soit portée contre lui.

Le Premier ministre Trudeau nie avoir eu connaissance de ces actes bien que des documents rendus publics des années plus tard prouvent qu'il a présidé la réunion du cabinet qui autorise expressément la GRC à enfreindre les lois pour combattre le “séparatisme”, dès 1969. Il refuse de témoigner en public devant la commission qui renonçe finalement à le convoquer.

Carole Devault, ancienne informatrice de la GRC infiltrée dans le FLQ, raconte avoir, sous les ordres de la GRC, recruté des adolescents comme membre du FLQ et avoir rédigés de faux communiqués, après la crise d’octobre et l’écrasement du FLQ. Ces opérations visent à maintenir le mythe d’un FLQ toujours actif afin de compromettre des membres de mouvements contestataires qui pourraient être tentés de s’y associer.

En 1981, la commission Keable publie un rapport de 450 pages, à la suite duquel quarante quatre accusations criminelles furent portées contre dix sept agents et ex-agents de la GRC. La Sûreté du Québec et la police de Montréal sont également critiquées pour le peu de cas que ces deux corps de police ont fait des libertés civiles et des droits fondamentaux des citoyens, ainsi que pour leur difficulté à distinguer la dissidence de la subversion.

Quelques mois plus tard, la commission McDonald publie, à son tour, un rapport de 2 400 pages, lourdement censuré. La publication en a été retardée pendant sept mois. En outre, six volumes de témoignages fait à huis clos ne furent jamais publiés. Aucune accusation n'est portée contre qui que ce soit.

Néanmoins, la commission fédérale signale que l’ancien commissaire de la GRC, William Higgit, a trompé le gouvernement au sujet des écoutes électroniques illégales pratiquées pendant des années et qu’il a omis de signaler au gouvernement les tentatives d’étouffer l’affaire.
De son successeur Maurice Nadon, elle ajoute qu’il a fourvoyé un comité parlementaire au sujet de l’ouverture du courrier et manqué à son devoir en ne sévissant pas contre les agent coupables d’infractions à la loi.
La commission qualifie aussi d’« inadmissible » le fait que John Starnes, directeur général du service de sécurité de 1970 à 1973, a autorisé le cambriolage à l’APLQ et le vol de listes de membres du PQ. Elle refuse de nommer les agents d’échelon inférieur ayant participé à ces opérations parce qu’ils ne faisaient « qu’obéir aux ordres ». La commission conclue aussi que le service de sécurité de la GRC a « échappé à tout contrôle » dans les années 1970.

Le gouvernement fédéral conclut qu’il n'est pas « approprié » de poursuivre la centaine d'agents impliqués directement. De plus, il y a prescription pour certains crimes et le gouvernement déclare qu’il est « injuste de poursuivre certains agents et pas d’autres pour une question de prescription ». Une des recommandations de la commission est mise en œuvre : la lutte contre la subversion est retirée des mandats de la GRC pour être transférée à une agence civile, le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), créé en 1983.

De nouvelles informations font surface occasionnellement, comme en 1992 quand on apprend que la GRC a également, dans les années 1970 et 1980, soudoyé un membre du cabinet Lévesque pour en faire un informateur, ajoutant la corruption d’un ministre à sa liste de crimes.

Aucun de ces faits, pourtant très semblables selon certains observateurs à ceux qui furent mis à jour par la commission d’enquête sur le Watergate aux États-Unis, n’a eu d’impact politique sensible au Canada.

Voir aussi

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