- L'or du Rhin
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Das Rheingold
L'Or du Rhin
Pour les articles homonymes, voir L'Or du Rhin (homonymie).Der Ring des Nibelungen
(L'Anneau du Nibelung)Das Rheingold
(L'Or du Rhin)Die Walküre
(La Walkyrie)Siegfried Götterdämmerung
(Le Crépuscule des dieux)Das Rheingold[1] (L'Or du Rhin en français) est un opéra allemand en un acte de Richard Wagner. Il constitue le prologue des trois « festivals scéniques » qui composent avec lui Der Ring des Nibelungen (L'Anneau du Nibelung) .
La première eut lieu au théâtre national de la Cour de Munich le 22 septembre 1869, avec August Kindermann dans le rôle de Wotan, Heinrich Vogl dans le rôle de Loge et Wilhelm Fischer dans le rôle d'Alberich.
Sommaire
Genèse
Des quatre œuvres qui composent l’Anneau, le prologue (Vorabend) est le plus proche de l’Edda et de la mythologie germanique avec ses dieux, ses géants et ses nains, mais c'est aussi celui, avec Siegfried, où l'influence des contes de fées est la plus notable (on trouvera des similitudes avec Le Chat botté de Charles Perrault dans l'épisode d'Alberich se transformant en « plus petit que lui »)
Dans l'ordre de composition du poème de la tétralogie, L'Or du Rhin vient en dernier (1852-1853). La musique en revanche fut composée en premier, selon l'ordre « normal », dès l'achèvement du poème (1853-1854).
Formellement, L'Or du Rhin se compose de quatre scènes qui se jouent sans interruptions. Chaque scène est reliée à la suivante par un interlude orchestral proche du poème symphonique, forme musicale théorisée par Franz Liszt, ami et futur beau-père de Wagner qui eut une influence certaine sur lui du point de vue de la composition (utilisation expressive de l'harmonie, recours à la gamme chromatique).
Le tout est précédé d'un prélude orchestral qui peut être considéré comme le creuset musical générateur de la tétralogie tout entière, de nombreux leitmotiv (Wagner préférait les termes Grundthema, Grundmotiv : thème, motif fondamental) naissant du célèbre accord initial de mi bémol.Vingt cinq années séparent la première de la dernière note de la tétralogie. Le style musical de L'Or du Rhin n'est donc pas similaire à celui du Crépuscule des Dieux. On y trouve encore beaucoup de ce que Pierre Boulez appelle un « tissu interstitiel ». Les leitmotiv, présentés le plus souvent sous leur forme la moins élaborée, sont reliés les uns aux autres par un commentaire musical proche du « récitatif accompagné » de l'opéra traditionnel : ils ne constituent pas encore la seule matière constamment travaillée de l'écriture musicale. Cette relative absence apparente de subtilité dans le traitement des motifs pourrait donner crédit aux propos peu flatteurs qui furent parfois tenus à l'endroit du « système » wagnérien, hérissé de « panneaux indicateurs », les leitmotiv. Bruno Lussato dans son ouvrage Voyage au cœur du Ring semble faire justice de ce préjugé, y compris pour L'Or du Rhin.
Personnages
- Wotan, maître des dieux, baryton-basse
- Donner, dieu du tonnerre, baryton-basse
- Froh, dieu, ténor
- Loge, demi-dieu, maître du feu, ténor
- Fricka, déesse, épouse de Wotan, mezzo-soprano
- Freia, déesse de la jeunesse éternelle, sœur de Fricka, soprano
- Erda, déesse-mère, contralto
- Fasolt, géant, basse
- Fafner, géant, frère de Fasolt, basse profonde
- Alberich, Nibelung, baryton
- Mime, Nibelung, frère d'Alberich, ténor
- Woglinde, fille du Rhin, soprano
- Wellgunde, fille du Rhin, soprano
- Flosshilde, fille du Rhin, contralto
- D'autres Nibelungen, rôles muets
Argument
Scène 1
Sur le lit du Rhin, trois jeunes ondines sont en train de jouer. Alberich, un nain de Nibelung, apparaît soudain des profondeurs de la terre et essaye de leur faire la cour. Frappées par sa laideur, les Filles du Rhin se moquent de ses avances, ce qui finit par énerver le nain. Il remarque un éclat doré qui provient d'un proche rocher, et leur demande ce que c'est. Les ondines lui disent que c'est l'or du Rhin, que leur père leur a dit de garder ; celui qui renonce à l'amour peut en faire un anneau magique, qui permettra à son porteur de régner sur le monde. Elles pensent n'avoir rien à craindre de ce nain lubrique, mais Alberich a été tout aigri par leurs moqueries. Maudissant l'amour, il s'empare de l'or.
Scène 2
Wotan, souverain des dieux germaniques, est endormi au sommet d'une montagne avec Fricka, sa femme. Fricka se réveille et voit un magnifique château derrière eux. Elle réveille Wotan et lui montre que leur nouvelle maison a été terminée. Les géants construisirent le château au nom de Wotan, et en échange Wotan leur a offert Freia, la déesse de la jeunesse. Fricka est inquiète pour sa sœur, mais Wotan est convaincu qu'ils n'auront pas à donner Freia.
Freia entre, terrifiée, suivie des géants Fasolt et Fafner. Fasolt demande la paie pour le travail achevé. Il met en évidence le fait que le règne de Wotan est régulé par les traités gravés dans sa lance, dont l'un d'eux est contracté avec les géants. Donner (le dieu du tonnerre) et Froh (le dieu du printemps) arrivent pour défendre leur sœur, mais Wotan les arrête : ils ne peuvent arrêter les géants par la force, et avoue leur arrangement.
Au grand soulagement de Wotan, Loge (le dieu du feu) fait son entrée ; Wotan a placé tous ses espoirs dans le fait que Loge puisse trouver un moyen rusé de tourner à son avantage l'affaire. Loge leur dit qu'Alberich le nain a volé l'or du Rhin et en a fait un puissant anneau magique. Wotan, Fricka et les géants commencent tous à convoiter l'anneau, et Loge sous-entend qu'ils peuvent le voler à Alberich. Fafner le demande comme salaire à la place de Freia. Les géants s'en vont, emmenant avec eux Freia en otage.
Les pommes d'or de Freia avaient gardé les dieux éternellement jeunes ; avec leur absence, ils commencent à vieillir et à s'affaiblir. Pour regagner la liberté de Freia, Wotan est forcé de suivre Loge sous terre, à la poursuite de l'anneau.
Scène 3
En Nibelheim, Alberich a asservi le reste des nains et contraint son frère Mime - un habile forgeron - à créer un heaume magique : le Tarnhelm. Alberich démontre le pouvoir du Tarnhelm en se rendant invisible, pour mieux tourmenter ses sujets.
Wotan et Loge arrivent et rencontrent Mime, qui leur parle alors de l'anneau d'Alberich et de la misère que connait Nibelheim sous sa domination. Alberich revient, conduisant ses esclaves qui empilent un énorme monticule d'or. Quand ils ont terminé, il les chasse et tourne son attention vers ses deux visiteurs. C'est alors qu'il se vante de ses plans pour dominer le monde. Loge le piège en lui faisant montrer la magie du Tarnhelm en le forçant à se transformer d'abord en dragon, puis en crapaud. Les deux dieux s'emparent alors de lui et l'amènent à la surface.
Scène 4
Au sommet de la montagne, Wotan et Loge forcent Alberich à échanger sa richesse contre sa liberté. Ils détachent sa main droite, et il utilise alors l'anneau pour appeler ses esclaves afin qu'ils lui apportent l'or. Après que l'or a été délivré, il demande le retour du Tarnhelm, mais Loge affirme que c'est une partie de sa rançon. Enfin, Wotan lui demande de céder l'anneau. Alberich refuse, mais Wotan l'arrache de son doigt et le place sur le sien. Alberich est anéanti par sa perte, et avant de partir, il maudit l'anneau : quiconque ne le possédera pas, avant qu'il ne lui revienne, le désirera, et quiconque le possédera ne recevra que le malheur et la mort.
Fricka, Donner et Froh arrivent et sont accueillis par Wotan et Loge, qui leur montre l'or qui va servir à racheter Freia. Fasolt et Fafner reviennent, gardant Freia. Réticent à relâcher Freia, Fasolt déclare qu'il doit y avoir assez d'or pour la cacher de ses yeux. Les dieux entassent l'or sur Freia, mais Fasolt découvre un interstice dans l'or et demande à Wotan de retirer l'anneau pour boucher le trou. Ce dernier refuse, et les géants se préparent à enlever Freia.
Soudainement, Erda, la déesse de la terre, apparaît depuis le sol. Elle prévient Wotan de la fatalité imminente et l'exhorte à éviter l'anneau maudit. Troublé, Wotan cède l'anneau et libère Freia. Les géants commencent à se partager le trésor, mais ils se disputent au sujet de l'anneau. Fafner assomme Fasolt à mort et s'enfuit avec tout le butin. Wotan, horrifié, se rend compte à quel point la malédiction d'Alberich a de terribles pouvoirs.
Finalement, les dieux préparent leur entrée dans leur nouvelle demeure. Donner invoque un orage pour nettoyer l'air. Après la tempête, Froh crée un pont arc-en-ciel qui s'étire jusqu'aux portes du château. Wotan les guide d'un bout à l'autre du pont jusqu'au château, qu'il nomme « Walhalla ». Fricka le questionne au sujet de ce nom, et il lui répond que sa signification sera révélée plus tard.
Loge, qui sait que la fin des dieux est proche, hésite à suivre les autres dans le Walhalla ; et, loin en-dessous, les Filles du Rhin pleurent la perte de leur or.
Analyse musicale
Le prélude qui précède le lever du rideau repose sur un seul accord dans la tonalité de mi bémol majeur en arpège sur 137 mesures. Ce prélude a au moins deux significations : il « est » le fleuve Rhin, dans la meilleure tradition de la musique descriptive, mais il est aussi, par l'effet provoqué par les timbres de l'orchestre qui peu à peu semblent s'arracher à l'indifférenciation du néant, la genèse de l'œuvre en devenir.
C'est de ce magma orchestral que naît le premier leitmotiv identifiable : le Rhin. À l'entrée en scène des trois ondines, le motif du Rhin se mue en celui des Filles du Rhin, selon une technique d'engendrement successif des motifs qui est une des caractéristiques majeures du style musical de Wagner dans la Tétralogie. Aux timbres instrumentaux indifférenciés du début du prélude répond maintenant une indifférenciation du chant : ce sont par des onomatopées et de fortes allitérations que les ondines s'expriment. La nature et l'être semblent ne faire qu'un, dans ce chant qui ne fait que dire le mouvement du fleuve lui-même, par ce « W » dont la graphie évoque en soi la vague :
« Weia ! Waga ! Woge, du Welle ! Walle zur Wiege ! Wagalaweia ! Wallala weiala weia ! »
L'altérité viendra d'Alberich, le Nibelung, de sa convoitise d'abord, de sa douleur et de sa colère ensuite. À son entrée, les couleurs de l'orchestre s'assombrissent ; l'harmonie devient chromatique, le rythme se casse en figures claudicantes. C'est un portrait du nain, intérieur et extérieur, que fait Wagner. À la laideur physique répond un inextinguible désir sexuel, que les Filles du Rhin vont s'employer à tourner en dérision au cours d'une cruelle scène de comédie proche en certains passage de la pantomime commentée à l'orchestre de manière descriptive (traits des cordes évoquant les chutes sur la roche glissante, saillies des bois et cuivres évoquant les éternuements...).
Soudain, nouveau contraste. Comme suite à l'exclamation du nain dépité « Fing eine diese Faust! » (« Si ce poing pouvait en attraper une ! ») une douce fanfare aux cors pianissimo retentit : c'est l'Or, encore comme en rêve, l'or pur et lumineux symbolisé par l'accord parfait. Ce thème est bientôt repris aux trompettes forte dans une orchestration rutilante (triangle, cymbales, timbales, cordes dans l'aigu en mouvement de vague incessant) accompagnant l'hymne jubilatoire des ondines. Le court motif chanté sur « Rheingold ! Rheingold ! » sera appelé à jouer un rôle important dans le développement leitmotivique de l'œuvre, évoquant, après le vol de l'or pur, sous une forme modifiée, la « plainte » et la « servitude »
Alberich se tait, mais écoute. N'a-t-il pas sitôt repris la parole pour émettre un doute sur l'intérêt de l'Or du Rhin que les imprudentes Naïades lui vendent sans malice le secret du trésor: l'Or, au prix d'un serment magique - renier le pouvoir de l'amour, bannir le plaisir d'aimer - peut être forgé en un anneau qui donne à son possesseur « Erbe » et « maßlose Macht » (« Héritage, fortune » et « pouvoir, puissance démesurée »). L'intervention des filles du Rhin au cours de ce passage donne un exemple précis de la construction leitmotivique wagnérienne, au sein de laquelle harmonie, orchestration et ligne de chant sont indissolublement liées. Tout d'abord, nous entendons le motif de l'Anneau, dont la sinuosité fermée sur elle-même et l'incertitude harmonique évoquent tout à la fois la forme (le cercle) et le fond (puissance en devenir pour celui qui en trouvera l'usage). Ensuite, c'est le motif du « renoncement à l'amour » qui donne la clé qui permettra à Alberich de perpétrer le forfait, voler l'Or et forger l'Anneau.
Alberich, en un instant, décide: ce sera pouvoir et richesse, sans amour. Devant les Filles du Rhin terrorisées qui n'imaginaient pas qu'un nain lubrique puisse prononcer le serment, il maudit ce par quoi il a naguère souffert, ne se contentant pas de « renoncer ». Sur le thème de l'Anneau, la ligne de chant s'extériorise vers l'aigu, aux limites de la tessiture de baryton, et culmine avec ce qui est aussi un serment de vengeance, lourd de conséquences pour l'avenir: « Schmiede den rächenden Ring: denn hör' es die Flut: so verfluch' ich die Liebe! » (« je forgerai l'anneau vengeur: et que les flots l'entendent: ainsi je maudis l'amour ! »)
C'est tout le fleuve qui semble alors vouloir s'engouffrer dans les profondeurs à la poursuite du criminel. Le Rhin s'emplit de ténèbres. Le thème des vagues déferle fortissimo en do mineur aux violoncelles.
L'interlude orchestral (Orchesterzwischenspiel) qui succède à ce postlude aquatique nous conduit des profondeurs du fleuve désormais privées de lumière vers les hauteurs où seuls les dieux vivent. Ce changement de lieu est illustrée par ce que l'on serait tenté de qualifier de véritable transsubstantiation musicale . Au motif du [renoncement à l'amour] qui dit le deuil des filles du Rhin (cor et cor anglais) sont enchaînées trois expositions du motif de [l'anneau] qui ne varient que par le timbre, dans un contexte orchestral de plus en plus allégé (cordes dans l'aigu et bois clairs). A l'issue de cette triple exposition et après une courte transition chantée dolcissimo par deux cors, le nouveau motif du [Walhalla], demeure des dieux vers lequel nous sommes « montés » portés littéralement par la musique, surgit de l'orchestre, pour reprendre le mot de Pierre Boulez, par « court-circuit ».
« L'Anneau a engendré le Walhalla par analogie d'intervalles et de lignes sur glissement kaléidoscopique de timbres. (...) De ces glissements progressifs de tel ou tel paramètre du son naîtront, comme par engendrement spontané, tous les motifs du Ring. »[2]
Le thème du Walhalla qui ouvre la scène est exposé par un impressionnant ensemble de cuivres (7 tubas, 2 trombones, 4 trompettes). Wagner toutefois demande que ce thème soit joué en nuance très doux, comme si la puissance qu'il recèle était en réserve ou plus rêvée qu'effective. certains commentateurs (Marcel Beaufils) ont souligné le caractère velléitaire, dépressif sur sa conclusion de ce thème, qui, au delà de la forteresse qu'il symbolise, peut être regardé comme le thème musical qui caractérise Wotan et ses vains projets. La plupart des commentateurs note que la parenté de ce thème avec l'Anneau (cf. commentaire plus haut) n'est pas fortuite et indique que le mal est à l'origine de toute puissance: les développements ultérieurs de l'œuvre semblent confirmer cette interprétation.
Un accord de septième diminuée vient rompre brutalement la « symphonie du Walhalla ». C'est Fricka qui intervient avec acrimonie auprès de son époux Wotan, dans un vif échange en style récitatif. Wotan doit se justifier, le prix à payer pour la construction de la forteresse est lourd. Freia apeurée accourt déjà, accompagnée par un thème (motif dit « de Freia » ou « séduction », qui évoque dans sa conclusion la « fuite ») qui dessine une courbe soulignée par les cordes dans une atmosphère de panique. Les géants sont là. L'orchestre nous l'assène avec force et sans subtilité (cordes au complet, cuivres et timbales).
Les bâtisseurs réclament leur salaire: Wotan lui-même ne l'a-t-il pas inscrit dans les runes de sa lance ? (motif des [traités]: trombones fortissimo) Mais il ne s'agit pas de n'importe quel salaire, et l'orchestre nous dit pourquoi Wotan fut bien imprudent de promettre Freia aux géants. C'est le motif des pommes d'or, fruits qui donnent à ceux qui les consomment la jeunesse éternelle. La querelle entre géants et dieux tourne vite au désavantage de ses derniers, dans une excitation musicale qui va croissante et culmine avec le thème des [traités] qui sanctionne la parole donnée: on ne peut contraindre les géants à renoncer à Freia par la force.
« Endlich Loge! » (« enfin Loge! ») : le motif chromatique de Loge, le feu, fuyant, insaisissable, exposé aux cordes (les traits en sont redoutables pour les instrumentistes), surgit alors de l'orchestre comme la flamme. Le récit de Loge qui suit est présenté par André Boucourechliev comme un modèle d'arioso wagnérien, le moment à partir duquel le compositeur parvient à un traitement des motifs qui transcende le simple accompagnement littéral du texte. La majeure partie des leitmotiv entendus précédemment (fanfare de l'Or, Freia, anneau...) reviennent mais sous une forme nouvelle, sans que l'on puisse déterminer si c'est le texte qui suscite la musique ou la musique qui suscite le texte. Travaillés de la sorte, les leitmotiv sont loin du « bottin musical » évoqué moqueusement par Debussy. A l'orchestre, c'est une nouvelle présentation du motif de l'anneau, maître de toutes les illusions et convoitises, qui va peu à peu cristalliser l'action à venir et sceller, par le vol, le destin des dieux. Anneau du pouvoir par les runes qui y sont gravés mais aussi anneau de la séduction à travers l'Or à partir duquel il fut forgé. « Den Ring muß ich haben! » (« L'anneau, il me le faut! ») a décidé Wotan : mais comment? un violent accord de septième diminué sur un cri de Loge suivi d'un silence éloquent lui donne la solution: « Durch Raub! » (« En le volant! »). Subvertis eux aussi par la « soif de l'or », les géants acceptent de prendre l'Or du Nibelung que Wotan ira conquérir en échange de Freia. La déesse est emmenée en otage. Le hautbois plaintif dit sa détresse mais la punition des dieux ne tarde pas. Comparable au brouillard qui envahit la scène selon les didascalies du livret de Wagner, la musique se brouille, les thèmes perdent leurs contours et leur « fraîcheur » tandis que la jeunesse des dieux s'en va. Silence,roulement de timbales pianissimo. Il revient à Wotan provoqué par le reproche pathétique de Fricka, de relancer l'action et par là la musique. Il descendra à Nibelheim, accompagné de Loge le rusé.
Le second interlude orchestral décrit la descente par la faille de souffre jusqu'à la forge souterraine où Alberich règne en maître par l'anneau. L'entrée au sein de ce nouvel univers cauchemardesque se fait par un grand tumulte orchestral propre à brouiller les perspectives sonores et spatiales. Peinture musicale faite de gammes chromatiques entrecroisées, entrechoquées, prenant leur source dans le thème de Loge. Le tuba-contrebasse nous indique que nous sommes arrivés « en bas », selon la symbolique sonore habituelle. Engagés dans une sorte de tunnel musical qui récapitule un certain nombre de thèmes fortement connotés (servitude, or, adoration de l'or...) nous ne pouvons échapper à la réitération de plus en plus pressante d'un nouveau leitmotiv, la « forge » (rythmiquement et mélodiquement très proche, soit dit en passant, du thème du scherzo du quatuor La Jeune Fille et la Mort de Schubert). Bientôt le rythme implacable s'intensifie tandis qu'un nouvel exposé du motif de l'anneau, qui semble littéralement enserrer l'orchestre (image du cercle?) conduit au fortissimo puis au vacarme de 3 groupe d'enclumes disposés dans l'espace. Le bruit a mangé la musique, dans une curieuse et anachronique (1853!) expérience de musique concrète. Fondu-enchaîné. L'orchestre s'efface derrière les enclumes pour reparaître ensuite devant les enclumes: nous suivons toujours nos deux voyageurs, Wotan et Loge, dans leur périple souterrain qui les a conduit au coeur de Nibelheim.
Mime, poursuivi par Alberich, fait son entrée sur le ton plaintif qui caractérisera le personnage jusqu'à Siegfried. Les rapports entre les deux frères, dénués de toute affection, sont de maître à esclave. La musique, en mode récitatif tout en aspérité et sans aucune joliesse mélodique, le dit sans détour. Il convient pour Alberich « concepteur » d'obtenir de Mime « technicien » le joyau qui doit avec l'anneau renforcer son pouvoir. L'orchestre expose bientôt de quoi il s'agit: c'est le Tarnhelm, nimbé de mystère, évoqué pianissimo dans une couleur spectrale par quatre cors en sourdine, en rupture totale avec le contexte musical de la scène.
Ce motif, qui s'apparente à ceux de la famille de l'Anneau, est appelé à de riches développements ultérieurs (il jouera un rôle essentiel dans l'intrigue du Crépuscule des dieux). Il illustre parfaitement le soin apporté par Wagner à l'union mélodie-harmonie-orchestration (le compositeur, selon le commentateur Darcy, l'avait primitivement orchestré pour 4 clarinettes. Selon Bruno Lussato, Wagner, convaincu sans doute que la couleur instrumentale choisie ne rendait pas totalement justice à l'impression que l'on peut obtenir de l'intervalle de quinte, opta finalement pour les cors avec sourdines)
« Nacht und Nebel niemand gleich! » : par la vertu du Tarnhelm, Alberich disparaît pour mieux tourmenter son frère et annoncer aux nibelungen qu'ils sont désormais ses esclaves. « Servitude », « forge », « anneau » : par la combinaison de ces trois thèmes à l'orchestre, le destin du peuple souterrain est scellé. Le thème de Loge réapparaît un cours instant et se dissipe: les dieux voyageurs, ayant quitté l'aspect vaporeux qui leur a permis de pénétrer à Nibelheim, découvre Mime à terre, perclus de coups. Dans une complainte larmoyante accompagné par le cor, Mime évoque le passé des temps heureux et le présent de la dure férule d'Alberich. Ce dernier ne tarde pas à surgir fouettant une troupe de nibelungen qu'il a surpris à paresser. Alberich brandit l'anneau. La musique se fait alors servante du geste théâtral pour mieux illustrer la contrainte terrible que l'anneau exerce sur ceux qui y sont soumis, en combinant une forme du motif de l'anneau (geste menaçant) le thème de la servitude (« troupe servile! ») et le nouveau motif du « pouvoir (ou puissance) de l'Anneau » (« Obéissez au seigneur de l'Anneau! »).
Sources
Aubier Flammarion a fait paraitre en 1968 une édition bilingue de L'Or du Rhin. Une traduction en français est présentée en face de la version originale en allemand, en respectant la versification. Un appareil critique et la présentation des leitmotivs éclairent l'œuvre.
Lien externe
Notes et références
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